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ARRIEN

 

LE PÉRIPLE DE LA MER NOIRE

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

texte grec

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LE PÉRIPLE DE LA MER NOIRE

PAR

ARRIEN

 

PRÉLIMINAIRES

I. — Arrien. 

On connaît mal la vie d’Arrien. Il est né à Nicomédie; il a été disciple d’Épictète; il a été général, et en l’an 134, il commandait dans la Cappadoce, qu’Adrien lui avait confiée. En quelques mots voilà toute sa biographie.

Nous connaissons mieux ses ouvrages, et certes ils sont assez nombreux, assez variés, et assez remarquables pour faire vivre le nom de leur auteur.

Arrien a été tout à la fois philosophe et historien; militaire, il a laissé un traité de tactique, rempli d’enseignements utiles. Il n’est sans doute au premier rang ni comme écrivain ni comme général, mais il a su défendre sa province contre les Alains et la fortifier; il a dans ses livres reproduit avec clarté les doctrines des maîtres du stoïcisme; il a raconté avec talent, quoique avec lenteur, cette étonnante expédition d’Alexandre, qui a soumis l’Asie à la Grèce; il a écrit sur l’Inde. Ce n’est pas tout: Arrien est encore un géographe. Chargé d’inspecter les côtes de sa province, il les a décrites avec un soin minutieux, et, prévoyant que les barbares de l’Europe et de l’Asie provoqueraient souvent les armes des Romains, il a étendu sa description à la mer Noire tout entière, dont il a tracé le périple. Outre ce périple, on attribue encore à Arrien celui de la mer Rouge, dont l’importance est grande et la réputation méritée auprès des savants.

C’est sans contredit un esprit éminent que celui qui s’est distingué en tant de travaux divers. L’antiquité a eu le privilège de produire ces hommes propres, pour ainsi dire, à toutes choses, et qui, de la main même dont ils écrivaient des traités de philosophie, des récits d’histoire et des descriptions de géographie; portaient l’épée et commandaient des armées. Arrien a mérité d’être appelé Xénophon le jeune; ce surnom en dit assez pour sa gloire.

II. — Le Périple de la mer Noire.

C’est le périple de la mer Noire que nous voulons étudier dans cette thèse. Écrit par un homme qui a séjourné sur les bords de cette mer; qui, gouverneur d’une province, avait par sa position les moyens de bien voir ce qu’il voulait voir, et qui en avait le goût par la nature de son esprit et de son talent, il est, a priori, d’une grande valeur. C’est une inspection que raconte Arrien. Il nous en avertit des le début de son ouvrage, qui n’est qu’une lettre adressée à l’empereur Adrien. Mais sous la plume d’Arrien, une lettre ne peut manquer de prendre l’importance d’un ouvrage.

Ce qui frappe d’abord dans le périple, c’est le plan que l’auteur a adopté: on dirait peut-être mieux que ce qui frappe d’abord, c’est le défaut de plan. Si nous avons fait remarquer tout à l’heure que l’ouvrage d’Arrien n’est qu’une lettre, c’est qu’une justification est peut-être nécessaire.

Arrien commence sa description à Trébizonde; de Trébizonde, il suit la côte jusqu’à Sébastopolis ou Dioscurias; de Dioscurias, il se transporte a l’entrée même du Pont-Euxin, et parcourt la côte asiatique jusqu’à Trébizonde; de Trébizonde, il revient par un nouveau changement, aussi brusque que le premier, à Dioscurias, et de ce troisième point de départ, il décrit toutes les côtes septentrionales de la mer Noire, et arrive à Byzance.

Il n’eût point ainsi procédé, s’il eût eu la pensée de faire un traité géographique; il eût été sans contredit plus méthodique; il y a là tout le laisser-aller et tout l’imprévu d’une lettre.

Cette lettre n’a même qu’un caractère demi-officiel; en deux endroits, § 7 et § 13,[1] il parle de lettres écrites en latin, auxquelles il renvoie l’empereur, et qui, d’après ce qu’il en laisse deviner, devaient être de véritables rapports sur l’état de la province. Il continue sans doute son rôle de gouverneur et son inspection dans sa lettre grecque; mais, comme le danger venait moins alors pour l’Asie romaine de la mer que de l’intérieur des terres, et, comme il prévoit bien que l’empereur attachera moins d’intérêt aux nouvelles qui lui viendront du rivage qu’à celles qu’il recevra des frontières méditerranéennes de la Cappadoce, il abandonne la langue latine, la langue du gouvernement et de l’administration, pour celle de son pays, pour la sienne, en un mot, pour cette langue grecque, qu’il a déjà illustrée par de bons écrits, et qu’Adrien connaît et cultive lui-même. C’est plutôt un ami qui écrit à l’empereur qu’un général d’armée ou un gouverneur de province, bien que, le cas échéant, il n’oublie ni son litre ni sa mission. Il inspecte avec soin les ports et les forteresses, et il ne laisse échapper aucun détail historique, aucun souvenir mythologique, qui puisse intéresser l’esprit curieux d’un empereur, qui l’honore de son amitié.

Il est évident que, quand Arrien a commencé sa lettre, il ne voulait que rendre compte de ce qu’il avait vu sur les côtes de sa province. Mais le récit de son inspection terminé, il pensa sans doute que l’empereur lirait avec intérêt la description des côtes asiatiques de la mer Noire de Byzance à Trébizonde. Ces côtes présentaient en effet, et présentent encore aujourd’hui, de grandes difficultés de navigation; et sur les nombreux vaisseaux qu’on envoyait aux dernières stations de l’empire, beaucoup se perdaient en route.

Cette seconde partie de sa lettre accomplie, Arrien apprend la mort de Cotys, roi du Bosphore Cimmérien, et il dit à l’empereur: « Je me suis appliqué à te faire connaître la route de mer qui conduit au Bosphore; si tu veux prendre quelque décision au sujet de ce pays, tu agiras avec la connaissance de la navigation.[2] » Aussitôt il décrit la côte de Dioscurias au Bosphore Cimmérien, et une fois engage, il poursuit sa description du Bosphore Cimmérien au Bosphore de Thrace, et achève ainsi le périple de la mer Noire.

La disposition étrange de cette lettre n’a point échappé à Arrien. Il a fait plus qu’il n’avait dessein de faire; et il sent bien que la première partie de sa lettre devrait être la seconde. Il dit en effet, quand de Byzance il a atteint Trébizonde, qui a été son premier point de départ: Nous avons déjà décrit les lieux et les fleuves entre Trébizonde et Dioscurias, et mesuré les distances qui les séparent; pour nous résumer, entre les deux villes on compte 2.260 stades. Et il ajoute: « Tel est de Byzance à Dioscurias, limite extrême de l’empire romain, le chemin qui s’offre à droite aux navigateurs qui entrent dans le Pont.[3] » C’est ainsi que d’un trait il rectifie son plan, et remet à sa place le début de sa lettre qui, dans ses vues nouvelles, devrait en être le milieu.

Au reste, Arrien a commencé par ce qu’il a vu de ses propres yeux. Il a navigué lui-même de Trébizonde à Dioscurias; mais de Byzance à Trébizonde, et de Dioscurias à Byzance par les côtes du Nord, il a rapporté ce que d’autres avaient écrit avant lui. Il a suivi Ménippe de Pergame, on peut même dire qu’il l’a copié. Le périple de Ménippe est perdu; mais nous possédons des fragments assez étendus de l’abrégé qu’en avait fait Marcian d’Héraclée; ce sont en maint endroit les mêmes lieux indiqués, les mêmes distances marquées entre les lieux; tout concorde le plus souvent; Arrien n’a pas même changé les expressions. Il faut dès lors évidemment conclure de ce que l’on connaît à ce que l’on ne connaît pas. Le périple d’Arrien n’est pas autre que celui de Ménippe, excepté dans la partie qu’Arrien a lui-même accomplie de Trébizonde à Dioscurias.

N’est-on pas frappé en effet du ton nouveau que prend l’auteur, quand de Dioscurias il saute brusquement à Byzance? Jusqu’alors il s’est mis lui-même en scène, il a dit: J’ai vu telle chose, j’ai fait telle autre chose; les accidents de la navigation lui sont propres. Nous avons eu tel vent, nous avons passé devant telle ville.[4] Mais commence-t-il sa description de Byzance à Trébizonde, le récit est soudain indirect: le temple de Jupiter Urias est éloigné de Byzance de 120 stades.[5] La reprend-il à Dioscurias pour gagner le Bosphore Cimmérien: A ceux qui partent de Dioscurias, le premier port qui s’offre est Pityunte à la distance de 350 stades.[6] Ce n’est plus que le langage d’un homme qui parle sur la foi d’un autre.

Nous accorderons donc une autorité personnelle à Arrien pour la première partie de sa lettre; et pour les deux autres nous retrouverons en lui Ménippe qui, à Pergame, avait été bien placé pour connaître la mer Noire, et à qui, en le copiant la plupart du temps, Arrien a décerné un grand éloge. Il faut remercier Arrien de nous avoir conservé Ménippe, et accepter sa lettre comme une œuvre double, estimable dans ses deux parties, et dans celle où il décrit ce qu’il a vu, et dans celle où il reproduit un auteur qu’il a pu contrôler, et dont, par son contrôle, il augmente le crédit.

Le périple est donc un ouvrage important pour l’étude de la géographie de la mer Noire, de cette mer que les anciens ont beaucoup pratiquée sans jamais la connaître complètement.

III. La mer Noire dans l’antiquité.

Aussi haut que l’on remonte dans l’histoire de la Grèce, on y découvre le génie de la navigation. Alors même que cette histoire n’existe pas encore, dans les temps héroïques ou fabuleux, on est frappé par des récits extraordinaires d’entreprises maritimes. Il n’est pas un héros, pas un de ces demi-dieux, que la Grèce, reconnaissante de services même oubliés, a placés dans l’Olympe, qui n’ait été un grand navigateur. Hercule, Thésée, Orphée, ce poète-héros, ont dompté les flots, comme ils ont dompté les monstres de la terre. Les Grecs ont toujours eu de la prédilection pour les traditions maritimes de leurs antiques annales. De la lutte sanglante qu’ils ont dû soutenir pendant plusieurs siècles contre les barbares envahisseurs dans la Thessalie et dans le défilé des Thermopyles, ils n’ont conservé que leurs Amphictyonies et leurs grands jeux; de leurs discordes intestines, ils ne se sont rappelé que Thèbes et l’effroyable maison d’Oedipe: mais jusqu’au dernier jour ils ont gardé avec une sorte d’amour la mémoire de l’expédition des Argonautes, de la guerre de Troie, des longues erreurs d’Ulysse et des misères sans fin de tous ces chefs vainqueurs, que la mer en courroux éloignait de leur patrie et jetait sur des côtes inconnues.

Les Grecs étaient naturellement marins: ne naissaient-ils pas, pour ainsi dire, près des flots? A l’exception de l’Arcadie, est-il un seul pays de la Grèce qui n’ait pas de rivages? Il en est même qui touchent à la mer des deux côtés. L’eau pénètre partout dans cette terre, où l’on ne voit que golfes profonds, longues presqu’îles et promontoires avancés. La Grèce n’a pas une surface plus grande que celle du Portugal, et ses rivages immenses ont le même développement que ceux de l’Espagne.

C’est ainsi que, familiarisés dès l’enfance avec les flots, les Grecs osèrent de bonne heure affronter leurs fureurs et leurs dangers. Un poète grec n’eut jamais conçu et exprimé cette pensée d’Horace:

Illi robur et aes triplex

Circa pectus erat, qui fragilem truci

Commisit pelago ratem

Primus …………….[7]

Une ceinture d’îles, qui doublait, pour ainsi dire, les côtes de la Grèce, invitait ses peuples à la navigation, en leur montrant des buts prochains; et dans la mer Égée, sur le chemin de l’Asie, les îles étaient si nombreuses qu’on accomplissait directement le voyage sans perdre de vue la terre. Aussi vit-on dès l’antiquité les Grecs retourner vers cette Asie, berceau de leurs pères, soit qu’ils fussent entraînés par la guerre, soit qu’ils allassent fonder des colonies.

De la mer Égée à la mer Noire, la route n’est pas longue, mais elle est difficile; elle traverse deux détroits, et entre ces deux détroits une mer, la Propontide. Un courant rapide porte les eaux vers l’archipel; et s’il gêne encore aujourd’hui nos navires si puissants et nos marins si expérimentés, de combien de naufrages ne dut-il pas être autrefois la cause?

Avait-on enfin franchi le Bosphore, deux îles, ou deux rochers, pour mieux dire, les Cyanées, gardaient l’entrée de la mer, et tant de vaisseaux sans doute s’étaient brisés sur leurs flancs que la fable les crut mobiles, et les montra tantôt s’écartant, tantôt se rapprochant; ils ne semblaient s’entrouvrir que pour écraser les imprudents qui s’engageaient entre eux.

Cette mer, que les Grecs atteignaient avec tant de peine, elle les maltraita tant, qu’ils la nommèrent inhospitalière. Ils la trouvaient presque sans cesse agitée par des vents tumultueux: les rivages que leur inexpérience n’osait quitter, étaient hérissés de rochers; et quand ils y brisaient leurs navires, ils ne rencontraient au sortir des flots et de la tempête, que des peuples barbares; qui les égorgeaient pour les piller; ils n’avaient à espérer ni abri ni secours: la terre était plus cruelle encore que la mer.

Avec le temps, sans doute, le nom du Pont a changé; il est devenu le Pont-Euxin; plus habiles, les Grecs luttèrent plus heureusement contre ses vents et ses flots; ils vinrent plus nombreux, et ils eurent raison des barbares; ils créèrent eux-mêmes les abris et les ports qui manquaient; leurs colonies s’échelonnèrent sur ces côtes ouvertes enfin, et pour toujours. D’ingénieux colons tirèrent d’un sol longtemps ingrat des richesses inconnues, ou développèrent des industries et des arts naissants, dont les barbares usaient à peine. La terre féconde des Scythes produisit du blé en abondance, et de longs convois s’acheminèrent vers l’Attique; au midi, la terre donna ses fers, ses métaux divers, ses bois; la Colchide laissa recueillir l’or de ses fleuves, De nouvelles routes s’ouvrirent au commerce; les caravanes de l’Inde arrivèrent jusqu’a Trébizonde et jusqu’à Sinope; et la Grèce reçut enfin le prix de ses longs labeurs, des dangers sans nombre qu’elle avait affrontés: son sang, en arrosant le sol, l’avait fécondé.

IV. Sujet de la thèse.

La mer Noire a une histoire comme tout peuple, comme tout empire; et cette histoire a un intérêt dont on ne peut se défendre. Elle commence aux premiers temps de la Grèce, aux temps de la fable, où l’homme dans sa première jeunesse essaie ses forces contre une nature redoutable qui l’opprime et qui l’écrase. On suit d’âge en âge, avec émotion, les progrès de cette histoire qui ne sont autres que ceux de la navigation; chaque découverte est une conquête qu’ont payée le sang et la vie des hommes. Les anciens n’ont rien accompli de plus périlleux ni de plus difficile; le théâtre de tant d’efforts n’était pas bien éloigné, et, âpres quelque temps, il ne fut pas bien pénible à atteindre; mais la lutte y était si vive, qu’il est demeuré trop célèbre peut-être par la grandeur de ses désastres. Nous, Français, nous nous sommes transportés naguère dans cette mer, et contre ses fureurs, nous avons eu besoin de toutes nos forces, de tout notre courage et de toute notre science.

Les données de l’histoire de la mer Noire se rencontrent éparses dans tous les écrivains grecs, même les plus anciens, dans les poètes, les historiens, et enfin dans les géographes qui ont parlé quelquefois en vers: car chez ce peuple grec si privilégié, tout, même la science, s’empreint de poésie. La poésie avait été son premier langage, et jusqu’à son dernier jour, il ne l’a point désappris.

Si nous avions à faire l’histoire de la mer Noire, nous aurions à la chercher : 1° dans Homère et les anciens poètes; 2° dans Hérodote et tous les historiens qui, l’ayant précédé ou suivi, n’ont pu écrire l’histoire sans se faire géographes; 3° dans les géographes proprement dits, parmi lesquels les écrivains latins se mêlent aux écrivains grecs.

Mais tel n’est point, à bien dire, notre projet. Entre tous les géographes de la mer Noire, nous choisissons Arrien. C’est son périple de cette mer que nous nous proposons d’étudier particulièrement, et nous n’étudierons les ouvrages qui le précédent et qui traitent de cette même mer que pour les lui opposer et les lui comparer. Nous faisons un commentaire historique, si nous pouvons parler ainsi. Nous ne refuserons pas sans doute les lumières des temps qui ont suivi Arrien; nous emprunterons même quelquefois celles de nos jours: ce ne sera cependant qu’avec une extrême réserve; car les moyens nous ayant manqué pour pousser d’une façon complète nos études ai delà du iie siècle de l’ère chrétienne, Arrien est le but que nous ne pouvons pas dépasser.

Nous ferons quelquefois, sans doute, intervenir Marcian et l’auteur du périple anonyme qui, tous deux, sont postérieurs à Arrien, mais par cette raison seule, que tous deux ils reproduisent Ménippe, le premier complètement, le second par partie; et Ménippe est ce géographe Pergaméen qui avait vécu avant Arrien, et qu’Arrien lui-même a reproduit. L’œuvre même de Ménippe est perdue.

Nous nous bornerons donc à présenter un commentaire historique de l’ouvrage d’Arrien, avec l’aide des écrivains qui lui sont antérieurs, et nous marquerons ainsi sa place et sa valeur. Il était indispensable que le commentaire fût précédé de l’ouvrage. Le texte grec a été publié deux fois par M. Ch. Muller, dans la bibliothèque des auteurs grecs de M. Didot; la première, parmi les ouvres d’Arrien; la seconde, parmi les petits géographes. Ce texte grec est accompagné d’une traduction latine. Nous donnons ici, pour la première fois, une traduction française.


 

LETTRE D’ARRIEN A TRAJAN (ADRIEN)

DANS LAQUELLE SE TROUVE LE PERIPLE DU PONT-EUXIN.

T R A D U C T ION.

1. Nous parvînmes à Trébizonde, ville grecque, comme le dit Xénophon,[8] située sur la mer, et colonie de Sinope. Nous avons contemplé avec bonheur le Pont-Euxin du lieu d’où Xénophon et toi l’avez contemplé.

2. Les autels y sont encore debout; mais ils sont en pierre non polie; aussi les lettres qu’on y a gravées ne sont-elles pas très visibles. L’inscription grecque est pleine de fautes, écrite comme pouvaient l’écrire des barbares. J’ai ordonné de reconstruire ces autels en pierre blanche, et d’y graver les inscriptions en lettres bien lisibles. Ta statue est d’une attitude heureuse, car elle montre la mer; mais l’œuvre n’est ni ressemblante ni belle d’aucune façon. Envoie donc une autre statue digne de porter ton nom, et dans la même attitude; ce lieu semble tout préparé pour un monument éternel.

3. Il y a encore là un temple en pierres carrées, et qui n’est pas mal fait; mais la statue de Mercure n’est digne ni du temple ni du lieu lui-même. Si tu le trouves bon, envoie-moi une statue de Mercure, qui ait à peu près cinq pieds de haut; car c’est là ce qui me paraît le mieux en rapport avec les proportions du temple. Envoie-moi aussi une statue de Philésius, qui ait quatre pieds, car il me paraît convenable de lui donner une place dans le temple et sur l’autel de son aïeul. Un voyageur sacrifiera à Mercure, un autre à Philésius, un autre aux deux; les uns et les autres seront également agréables à Mercure et à Philésius: à Mercure, en honorant son descendant; à Philésius, en honorant son aïeul. C’est pourquoi j’ai moi-même sacrifié un bœuf, non pas comme Xénophon qui, dans le port de Calpé, à défaut de victime, prit un bœuf de trait, mais un noble animal que les habitants de Trébizonde m’avaient donné d’eux-mêmes. Nous avons ouvert les entrailles sur les lieux mêmes, et sur ces entrailles nous avons versé les libations. Tu devines sans peine quel est le premier pour qui nous avons fait des vœux; tu connais nos habitudes, et tu as la conscience de mériter que tous les hommes, même ceux qui, moins que nous, ont été comblés de tes bienfaits, fassent des vœux pour toi.

4. Partis de Trébizonde, nous avons abordé le premier jour au port d’Hyssus, et nous avons fait manœuvrer les fantassins qui y sont; car c’est là, comme tu le sais, un poste de fantassins qui a vingt cavaliers: ce qui est nécessaire pour le service. Il a fallu que ceux-là aussi, cependant, lançassent la javeline.

5. De là nous avons navigué, d’abord avec les vents qui, le matin, soufflent des fleuves, et aussi avec la rame; car ces vents étaient frais, comme dit Homère,[9] mais insuffisants pour qui voulait naviguer vite. Puis le calme se fit si bien, que nous ne nous servîmes plus que de nos rames. Ensuite, du côté de l’Eurus, une nuée s’éleva tout à coup, qui creva, et poussa sur nous un vent violent, qui nous était exactement contraire, et qui faillit nous perdre. En peu de temps il rendit la mer si grosse que non seulement par les rames, mais encore par les parties où il n’y a pas de rames, une grande quantité d’eau entrait chez nous des deux côtés. Comme dans la tragédie :

Nous vidions le navire, et l’eau rentrait soudain.

Heureusement les flots ne nous prenaient pas de travers; et nous finîmes par nous tirer de là à grand-peine et à force de rames; et après avoir cependant beaucoup souffert, nous arrivâmes à Athènes.

6. Il y a, en effet, dans le Pont-Euxin une ville ainsi nommée; dans le même lieu se trouve un temple de Minerve, qui est grec, et d’où me semble tiré le nom de la ville; un château abandonné y est aussi. Le port peut en été recevoir quelques vaisseaux, et leur fournir un abri contre le Notus et même contre l’Eurus; les navires, qui y entrent, seraient également protégés contre Borée, mais non contre l’Aparctias, ni contre le vent que l’on appelle le vent de Thrace dans le Pont, et Sciron dans la Grèce. Aux approches de la nuit, il y eut de terribles coups de tonnerre et d’éclairs; le vent ne resta pas le même: il passa au Notus, et puis bientôt du Notus à l’Africus, et le port ne fut plus sûr pour les vaisseaux. Avant donc que la mer fût tout à fait mauvaise, nous tirâmes sur le rivage tous ceux que ce lieu (Athènes) avait pu recevoir, à l’exception de la trirème qui, mouillée sous un rocher, resta sur ses ancres, sans avoir rien à craindre. Il nous parut bon de faire tirer la plupart des vaisseaux sur la grève voisine. Ils y furent tirés en effet et sans avaries, à l’exception d’un seul qui, en approchant de la terre, présenta mal à propos le flanc à une vague qui le jeta sur le rivage et l’y brisa. Tout fut sauvé cependant, non seulement les voiles, les agrès et les hommes, mais jusqu’aux clous et jusqu’à la cire que nous pûmes racler, de sorte que pour le reconstruire, nous n’avons besoin que de bois; bois dont, comme tu le sais, il y a grande abondance dans le Pont. La tempête dura deux jours, et force nous fut de rester. Nous ne devions pas d’ailleurs passer devant Athènes, même celle du Pont-Euxin, comme devant un havre désert et sans nom.

7. De là nous appareillâmes à l’aurore, en ayant les lames par le travers; mais le jour avançant, Borée souffla quelque peu, abattit la mer et la fit s’apaiser. Avant midi, nous avions fait plus de cinq cents stades,[10] et nous étions à Apsarus, où cinq cohortes sont établies. J’ai donné la solde aux soldats; j’ai inspecté les armes, les remparts, les fossés, les malades et les approvisionnements de vivres; mon avis sur toutes ces choses se trouve dans mes lettres écrites en latin. On dit qu’Apsarus s’appelait autrefois Apsyrtus, car ce serait là qu’Apsyrtus aurait été tué par Médée; et l’on y montre encore le tombeau d’Apsyrtus. Le nom dans la suite aurait été corrompu par les barbares du voisinage, comme tant d’autres l’ont été. C’est ainsi que Tyane de Cappadoce se nommait, dit-on, autrefois Thoane, de Thoas, roi des Tauriens, qui, en poursuivant Oreste et Pylade, s’avança, selon la tradition, jusqu’à cet endroit, et y mourut de maladie.

8. Les fleuves devant lesquels nous avons passé dans notre navigation depuis Trébizonde, sont: l’Hyssus, qui a donné son nom au port d’Hyssus, à cent quatre-vingts stades de Trébizonde; l’Ophis, qui est éloigné du port d’Hyssus de quatre-vingt dix stades environ, et qui sépare la Colchide de la Thiannique; puis le fleuve nommé Psychros, distant de l’Ophis d’environ trente stades; puis le fleuve Calos, qui est, lui aussi, à trente stades du Psychros. Le fleuve suivant est le Rhizius, à cent vingt stades du Calos. A trente stades du Rhizius, se trouve un autre fleuve, l’Ascurus; et à soixante stades de l’Ascurus, l’Adienus. De là jusqu’à Athènes, il y a cent quatre-vingts stades. Le Zagatis est voisin d’Athènes, dont il est à sept stades à peu prés. En quittant Athènes, nous passâmes devant le Prytanis, sur lequel se trouve le palais d’Anchiale; ce fleuve est à quarante stades d’Athènes. Après le Prytanis, vient le Pyxites; il y a entre eux quatre-vingt-dix stades. Du Pyxites à l’Archabis, il y en a quatre-vingt-dix autres; et de l’Archabis à Apsarus, soixante.

9. Partis d’Apsarus, nous dépassâmes de nuit l’Acampsis, éloigné de quinze stades d’Apsarus. Le fleuve Bathys est à soixante-quinze stades de l’Acampsis; l’Acinasis, à quatre-vingt-dix stades du Bathys; et l’Isis, à quatre-vingt-dix stades également de l’Acinasis. L’Acampsis et l’Isis sont navigables; et les vents qui s’en élèvent le matin sont très forts. Après l’Isis, nous avons passé le Mogrus; entre le Mogrus et l’Isis, on compte quatre-vingt-dix stades; le Mogrus, lui aussi, est navigable.

10. De là nous avons navigué jusqu’au Phase, distant du Mogrus de quatre-vingt-dix stades. De tous les fleuves que je connaisse, c’est celui qui donne l’eau la plus légère et de la couleur la plus étrange. La légèreté de cette eau se prouverait par des balances, et sans cela, parce qu’elle surnage sur la mer et ne s’y mêle pas. C’est ainsi qu’Homère[11] dit que le Titarésius coule sur le Pénée comme de l’huile. Si l’on puise à la surface des flots, l’eau que l’on ramène est douce; si l’on fait descendre le vase jusqu’au fond, elle est salée. Du reste, le Pont tout entier est d’une eau beaucoup plus douce que les autres mers; la cause en est dans tous ses fleuves infinis de nombre et de grandeur. Une preuve de cette douceur (s’il est besoin de preuves pour les choses qui se perçoivent par les sens), c’est que les habitants du rivage mènent tous leurs troupeaux à la mer et les y font boire; ceux-ci y boivent avec un plaisir évident, et c’est une opinion établie que cette boisson vaut mieux que l’eau douce. La couleur du Phase est celle d’une eau où l’on aurait plongé du plomb ou de l’étain; reposée, elle est très claire. Aussi n’est-ce pas la coutume que ceux qui naviguent sur le Phase portent avec eux de l’eau; dès qu’ils sont entrés dans son courant, il leur est ordonné de jeter toute l’eau qu’ils ont dans leur navire; sinon, c’est une opinion établie que ceux qui négligent de le faire ont une mauvaise navigation. L’eau du Phase ne se corrompt pas; elle reste saine pendant plus de dix ans; seulement elle devient de plus en plus douce.

11. A l’entrée du Phase, à gauche, est une statue de la déesse du Phase; à sa pose on la prendrait pour Rhéa; elle a des cymbales dans les mains, des lions sous son trône, et elle est assise comme l’est dans le temple de Cybèle à Athènes la statue de Phidias. On montre en cet endroit une ancre du vaisseau Argo; mais comme elle est de fer, elle ne me paraît pas ancienne. Sa grandeur cependant n’est pas celle des ancres d’aujourd’hui, et sa forme a quelque chose d’étrange; néanmoins elle me semble d’une date plus récente. On montrait encore d’anciens morceaux d’une autre ancre de pierre; et il est plus probable que ceux-là sont les débris de l’ancre de l’Argo. Il n’y avait là, du reste, aucun autre monument de l’histoire fabuleuse de Jason.

12. Le fort, où sont établis quatre cents soldats d’élite, m’a semblé, par la nature des lieux, et très fort et très bien placé pour protéger ceux qui naviguent de ce côté. Deux larges fossés entourent la muraille. Autrefois, le mur était de terre, et les tours placées dessus étaient de bois; mais maintenant le mur et les tours sont en briques cuites, et les fondations sont solides On a dressé sur le mur des machines; bref il est pourvu de tout pour qu’aucun barbare ne puisse approcher de lui, et mettre en danger d’un siège ceux qui le gardent. Mais comme il fallait que le port fût sûr pour les navires, ainsi que tout ce qui, en dehors du fort, est habité par les hommes retirés du service et par un certain nombre de marchands, j’ai cru devoir, à partir du double fossé qui entoure la muraille, tirer un autre fossé qui va jusqu’au fleuve, et qui renferme le port avec toutes les maisons en dehors du mur.

13. Après le Phase nous avons dépassé le Charieis qui est navigable; entre les deux fleuves on compte quatre-vingt dix stades. Du Charieis nous avons navigué jusqu’en Chobus, éloigné de quatre-vingt dix autres stades et là nous avons pris terre; pour quelle raison, et qu’y avons-nous fait? C’est ce que t’apprendront mes lettres écrites en latin. Du Chobus nous sommes passés devant le Sigamès, fleuve navigable, qui est environ à deux cent dix stades du Chobus. Après le Sigamès est le Tarsuras; il y a cent vingt stades entre les deux. L’Hippus est à cent cinquante stades du Tarsuras, et l’Astéléphus à trente stades de l’Hippus.

14. L’Astéléphus dépassé, nous arrivâmes à Sébastopolis avant midi; depuis le Chobus nous n’avions pas pris terre, et depuis l’Astéléphus nous avions parcouru cent vingt stades. Ce même jour, nous avons pu payer aux soldats leur solde, et voir les chevaux, les cavaliers qui s’exerçaient à monter à cheval, l’hôpital, les approvisionnements; puis faire le tour des murs et des fossés. Du Chobus à Sébastopolis, on compte six cent trente stades; et de Trébizonde à Sébastopolis, deux mille deux cent soixante. Sébastopolis se nommait autrefois Dioscurias; c’est une colonie de Milet.

15. Voici les peuples devant lesquels nous avons passé. Les habitants de Trébizonde ont, comme le dit Xénophon,[12] les Colchidiens pour voisins. Quant au peuple, qu’il dit très belliqueux et très ennemi des habitants de Trébizonde, et qu’il appelle Drilles, je crois, moi, que ce sont les Sanniens. Car aujourd’hui encore ils sont très belliqueux et très ennemis des habitants de Trébizonde ils occupent des lieux fortifiés, et sont un peuple sans roi; ils étaient autrefois tributaires des Romains; mais tout au brigandage, ils n’acquittent plus le tribut; désormais, Dieu aidant, ils l’acquitteront, ou nous les exterminerons. Après eux viennent les Machelons et les Heniochiens, dont Anchiale est le roi. Après les Machelons et les Heniochiens viennent les Zidrites; ils sont soumis à Pharasmane. Apres les Zidrites viennent les Lazes; le roi des Lazes est Malassas, qui tient de toi sa puissance. Après les Lazes viennent les Apsiles, dont Julien est le roi; c’est de ton père qu’il tient la royauté. Les Apsiles ont pour voisins les Abasques; les Abasques ont pour roi Rhesmagas; et celui-ci tient de toi la royauté. Après les Abasques viennent les Sanniges, chez lesquels est située Sébastopolis. Le roi des Sanniges, Spadagas, tient de toi sa royauté.

16. Jusqu’à l’Apsarus nous avons navigué vers l’Orient, sur la droite du Pont-Euxin. L’Apsarus m’a paru le point extrême du Pont dans sa longueur. Car de ce point notre navigation s’est dirigée vers le Nord, jusqu’au fleuve Chobus, et au-dessus du Chobus jusqu’au Sigames. A partir du Sigames, nous avons tourné, et nous nous sommes trouvés sur la gauche du Pont, jusqu’au fleuve Hippus. De l’Hippus jusqu’ä l’Astélephus et jusqu’à Dioscurias, nous avons aperçu le mont Caucase, dont la hauteur est environ celle des Alpes Celtiques. On nous montra un sommet du Caucase. Ce sommet a nom le Strobile, et c’est là que Prométhée fut enchaîné par Vulcain sur l’ordre de Jupiter, à ce que rapporte la fable.

17. Voici ce qui se trouve depuis le Bosphore de Thrace jusqu’à la ville de Trébizonde.

[Sur le Bosphore de Thrace, à l’entrée du Pont-Euxin, à droite, du côté de l’Asie, dans la partie qui appartient à la nation des Bithyniens, est une ville, appelée Hiéron, dans laquelle est un temple de Jupiter Urius. C’est à partir de celte ville qu’on entre dans le Pont. Quand on est entré dans le Pont, ayant à droite cette partie de l’Asie qui, sur les bords du Pont, est dite appartenir à la nation des Bithyniens, voici ce qu’est le parcours.[13]]

 Le temple de Jupiter Urius est à cent vingt stades de Byzance; c’est là que se trouve le passage très étroit, qu’on appelle la bouche du Pont, et par où il se jette dans la Propontide. Mais je te dis là ce que tu sais. Quand on part d’Hiéron, à droite, est le fleuve Rhébas ; il est à quatre-vingt-dix stades du temple de Jupiter; et à cent cinquante stades plus loin, le promontoire Noir. Du promontoire Noir au fleuve Artanes, où se trouve, prés d’un temple de Venus, un port pour les petits bâtiments, il y a encore cent cinquante stades. De l’Artanes au Psillis, il y en a cent cinquante, et les petits navires peuvent mouiller sous un rocher qui s’élève à peu de distance de l’embouchure de la rivière. De là au port de Calpé, deux cent dix stades. Le port de Calpé, son territoire, son havre, sa fontaine d’une eau pure et fraîche, ses forêts qui abondent en bois pour les vaisseaux, et qui sont en même temps giboyeuses, tout cela a été jadis décrit par Xénophon.[14]

18. Du port de Calpé au Rhoès, vingt stades; c’est un havre pour les petits bâtiments. Du Rhoès à la petite île d’Apollonia, peu éloignée du continent, vingt autres stades. Cet îlot a un port. De là à Chèles, vingt stades. De Chèles jusqu’au point où le Sangarius se jette dans le Pont, cent quatre-vingts stades. De là aux bouches de l’Hypius, cent quatre-vingts autres. De là il y a plus jusqu’a Lillius, entrepôt de commerce, cent stades; et de Lillius à Elaeus soixante. De là à un autre entrepôt, cent vingt stades; de Calés au fleuve Lycus quatre-vingts; du Lycus à Héraclée, ville grecque dorienne, colonie de Mégare, vingt stades; à Héraclée il y a un port pour les navires.

19. D’Héraclée au lieu nommé Métroum, on compte quatre-vingts stades; de là à Posidium quarante; de là à Tyndarides quarante-cinq; de là à Nymphaee quinze et de Nyrnphaee au fleuve Oxinas trente; de l’Oxinas a Sandaraca quatre-vingt-dix; Sandaraca est un port pour les petits navires. De là à Crénides soixante; de Crénides au marché de Psilla, trente; de là à Tium, ville grecque ionienne, bâtie sur la mer, et elle aussi colonie de Milet, quatre-vingt dix stades. De Tium au fleuve Billaeus, vingt stades; du Billaeus au fleuve Parthenius, cent. C’est jusque-là qu’habitent les Thraces Bithyniens; Xénophon[15] en fait mention, dans son histoire, comme du peuple le plus belliqueux de l’Asie; c’est même dans leur pays que l’armée grecque aurait souffert le plus de maux, après que les Arcadiens se furent séparés des troupes de Chirisophe et de Xénophon.

20. A partir de là, c’est la Paphlagonie. Du Parthenius à Amastris, ville grecque, quatre-vingt dix stades; port pour les vaisseaux. De là aux Erythines, soixante; et des Erythines à Cromna, soixante autres. De là à Cytore, quatre-vingt dix stades: port pour les vaisseaux à Cytore. De Cytore à Aegialus soixante stades; à Thyne, quatre-vingt dix, et à Carambie, cent vingt. De là à Zéphyrium, soixante; de Zéphyrium au mur d’Abonus, petite ville, cent cinquante. Le port n’est pas bon; cependant on peut y rester en sureté, si le vent n’est pas trop fort. Du mur d’Abonus à Aeginètes, il y a cent cinquante autres stades.

21. De là à Cinolis, entrepôt de commerce, soixante autres: dans la belle saison, les vaisseaux peuvent mouiller a Cinolis. De Cinolis à Stéphane, cent quatre vingts stades: bon port pour les vaisseaux. De Stéphane à Potamos, cent cinquante; de là au promontoire de Leptès, cent vingt; du promontoire de Leptès à Armène, soixante: il y a un port à Armène. Xénophon[16] a fait aussi mention de cette ville. De là à Sinope, quarante stades: Sinope est une colonie de Milet. De Sinope à Caruse, cent cinquante stades: mouillage pour les navires. De là à Zagora, cent cinquante autres stades; et de Zagora au fleuve Halys, trois cent.

22. Ce fleuve autrefois était la limite du royaume de Crésus et de celui des Perses; il coule maintenant sous la domination romaine, ne venant pas du midi, comme le dit Hérodote,[17] mais de l’orient. A l’endroit où il se jette dans le Pont, il sépare le territoire de Sinope de celui d’Amisus. Du fleuve Halys à Naustathmus, quatre-vingt-dix stades; il y a là un marais. De là à Conope, autre marais, cinquante autres; de Conope à Eusène, cent vingt; de là à Amisus, cent soixante. Amisus, ville grecque, colonie des Athéniens, est bâtie sur la mer. D’Amisus au port d’Ancone, où l’Iris se jette dans le Pont, cent soixante stades; des bouches de l’Iris à Héracleum, trois cent soixante, port pour les navires; et de là au fleuve Thermodon, quarante: c’est près de ce Thermodon qu’habitaient, dit-on, les Amazones.

23. Du Thermodon au fleuve Beris, quatre-vingt-dix stades; de là au fleuve Thoaris, soixante; du Thoaris à Oenoë, trente; d’Oenoë au fleuve Phigamunte, quarante; de là au fort de Phadisane, cent cinquante; de là à la ville de Polémonium, dix; de Polémonium au promontoire appelé Jasonien, cent trente; de là à l’île des Ciliciens, quinze; de l’île des Ciliciens à Boona, soixante-quinze; à Boona, il y a un port pour les vaisseaux. De là à Cotyore, quatre-vingt-dix stades. Xénophon[18] en parle comme d’une ville, et dit qu’elle est une colonie des Sinopéens; aujourd’hui c’est un village, et pas bien grand. De Cotyore au fleuve Mélanthius, soixante stades au plus.

24. De là au Pharmatène, autre rivière, cent cinquante stades; de là à Pharnacée, cent vingt. Pharnacée s’appelait autrefois Cerasus; elle aussi est une colonie de Sinope. De là à l’île Arétiade, trente stades, et de cette île à Zephyrium, cent vingt : port pour les vaisseaux; de Zephyrium à Tripolis, quatre-vingt dix stades; de là à Argyre, vingt; d’Argyre à Philocalée, quatre-vingt dix; de Philocalée à Coralles, cent; de Coralles au mont Sacré, cent cinquante; du mont Sacré à Cordyle, quarante: port pour les vaisseaux; de Cordyle à Hermonassa, quarante-cinq: là aussi est un port; d’Hermonassa à Trébizonde, soixante stades: à Trébizonde tu fais creuser un port; car auparavant c’était un havre où les bâtiments ne pouvaient mouiller que pendant l’été.

25. Quant à la distance entre Trébizonde et Dioscurias, nous l’avons indiquée, en donnant la distance des fleuves. Pour nous résumer, de Trébizonde à Dioscurias, appelée aujourd’hui Sébastopolis, il y a deux mille deux cent soixante stades.

26. Voilà ce qui est à la droite des navigateurs qui vont de Byzance vers Dioscurias, poste fortifié où finit l’empire romain (à la droite de ceux qui entrent dans le Pont). Mais comme j’ai appris la mort de Cotys, roi du Bosphore Cimmérien, j’ai voulu encore que tu connusses bien la route par mer jusqu’au Bosphore, pour que, si tu décides quelque chose au sujet du Bosphore, tu puisses le décider en toute connaissance de la route.

27. En partant de Dioscurias, le premier port est à Pityunte : trois cent cinquante stades. De là à Nitica, cent cinquante stades: là habitait autrefois une nation scythe, dont fait mention l’historien Hérodote.[19] Il dit qu’ils sont mangeurs de poux, et la réputation leur en reste encore. De Nitica au fleuve Abascus, quatre-vingt dix stades. Le Borgys est éloigne de l’Abascus de cent vingt stades, et Nésis est à soixante stades du Borgys; c’est là aussi que s’élève le promontoire Herculéen. De Nésis à Masaetique; quatre-vingt dix stades; de là à l’Achaeunte, soixante stades; c’est ce fleuve qui sépare les Zilches des Sanniges. Le roi de Zilches est Stachemphax, et celui-là aussi tient de toi sa royauté.

28. De l’Achaeunte au promontoire d’Hercule, cent cinquante stades; de là à un promontoire, où est un abri contre le vent de la Thrace et contre Borée, cent quatre-vingts stades. De là à la ville appelée l’Ancienne-Lazique, cent vingt; de là à l’Ancienne Achaia, cent cinquante: et ensuite jusqu’au port de Pagres, trois cent cinquante; du port de Pagres au port Hieron, cent quatre-vingts; et de là jusqu’à Sindique, trois cents.

29. De Sindique au port appelé Cimmérien et à Panticapée, ville du Bosphore, cinq cent quarante; de là an fleuve Tanaïs,[20] qui sépare, dit-on, l’Europe de l’Asie, soixante. Le Tanaïs sort du Palus-Méotide, et se jette dans le Pont-Euxin. Eschyle cependant, dans le Prométhée délivré, fait du Phase la limite de l’Europe et de l’Asie. Les Titans, en effet, disent chez lui à Prométhée: « Nous venons, ô Prométhée ! pour voir tes souffrances et tes maux dans les fers ! » Puis, ils énumèrent les pays qu’ils ont traversés: « Là le Phase, grande et commune limite de l’Europe et de l’Asie. » On rapporte que le tour du Palus-Méotide lui-même est d’environ neuf mille stades.

30. De Panticapée au bourg Cazeca, assis sur la mer, quatre cent vingt stades; de Cazeca à Théodosia, ville déserte, deux cent quatre-vingts; c’était une ancienne ville grecque ionienne, colonie de Milet; et il en est fait mention dans de nombreux écrits. De là au port désert des Tauroscythes, deux cents stades; de là à Lampas la Taurique, six cents stades: de Lampas au port Symbolon, Taurique lui aussi, cinq cent vingt stades; et de là à la Chersonèse Taurique, cent quatre-vingts. De là Chersonèse à Cercinites, six cents stades, et de Cercinites au port Calos, Scythe lui aussi, sept cents.

31. Du port Calos à Tamyraces, trois cents. A Tamyraces est un marais, qui n’est pas grand; et de là aux bouches de ce marais, trois cents autres stades. Des bouches de ce marais à Eones, trois cent quatre-vingts stades; et de là jusqu’au fleuve Borysthène cent cinquante. En remontant le Borysthène, on trouve une ville grecque, nommée Olbia. Du Borysthène à une petite île déserte et sans nom, soixante stades; et de là à Odessus quatre-vingts; à Odessus est un havre pour les navires. Non loin d’Odessus est le port des Istrianiens, à deux-cent cinquante stades. Puis vient le port des Isiaciens; cinquante stades jusqu’à lui. De là à la bouche de l’Ister, nommée Psilon, douze cents stades; tout cet espace est désert et sans nom.

32. Quand de cette embouchure à peu près, on navigue droit vers la pleine mer avec le vent du nord, on rencontre une île, que les uns appellent île d’Achille, les autres course d’Achille; d’autres enfin Leucé à cause de sa couleur. On dit que Thétis l’a fait sortir de la mer pour son fils, et qu’Achille l’habite. Il y a en effet dans cette île un temple d’Achille, et une statue d’un travail ancien. L’île est déserte; quelques chèvres seulement y paissent, et l’on dit que ceux qui y abordent les offrent à Achille. Il y a dans ce temple beaucoup d’autres offrandes encore, des fioles, des anneaux, des pierres précieuses; toutes ces choses ont été offertes à Achille en témoignage de reconnaissance; et les inscriptions, les unes grecques, les autres latines, en toute sorte de mètres, sont l’éloge d’Achille. Il y en a pour Patrocle; car ceux qui désirent plaire à Achille, honorent Patrocle avec Achille. De nombreux oiseaux vivent dans cette île, des mouettes, des poules d’eau, des plongeons de mer, en quantité innombrable. Ce sont ces oiseaux qui prennent soin du temple d’Achille; tous les jours, le matin, ils volent à la mer, puis les ailes imprégnées d’eau, reviennent en toute hâte, et arrosent le temple; quand cela est bien fait, ils nettoient alors le pavé avec leurs ailes.

33. Voici encore ce que l’on raconte: De ceux qui abordent dans cette île, les uns, qui y sont venus avec intention, apportent sur leurs navires des victimes, qu’ils immolent en partie, et qu’en partie ils lâchent pour Achille; les autres, en certain nombre, y abordent forcés par la tempête; et ceux-ci empruntent au dieu lui-même une victime, en lui demandant, au sujet des victimes, si ce qu’il y a de préférable et de meilleur n’est pas de lui offrir celle qu’eux-mêmes dans leur sagesse ont choisie au pâturage, et pour laquelle ils déposent en même temps le prix qui leur semble convenable. Si l’oracle refuse (car il y a des oracles dans ce temple), ils ajoutent quelque chose au prix; et s’il refuse encore, ils ajoutent encore; quand l’oracle accepte, ils savent alors que le prix suffit. Voilà d’elle-même alors la victime sur ses pieds, et elle ne s’enfuit plus. Il y a là aussi beaucoup d’argent, qui a été offert au héros en payement des victimes.

34. On dit qu’Achille apparaît dans des songes à ceux qui ont abordé dans l’île; qu’il apparaît en mer an moment où l’on approche de l’île, et qu’il indique l’endroit le meilleur pour y aborder et y mouiller. Quelques-uns disent encore qu’Achille leur est apparu pendant la veille au haut du mât ou à l’extrémité d’une vergue, de la même manière que les Dioscures, avec cette seule infériorité d’Achille par rapport aux Dioscures, que les Dioscures vous apparaissent ainsi visibles, et vous sauvent par leur apparition, quoi que soit l’endroit où vous naviguez, tandis qu’Achille ne le fait que pour ceux qui approchent de l’île. Il en est qui disent que Patrocle aussi leur est apparu en songe. Ces choses que je te transcris sur l’ile d’Achille, je les tiens de gens qui avaient abordé dans l’île, ou qui les avaient apprises d’autres; et elles ne me paraissent pas indignes de foi. Je crois en effet qu’Achille fut un héros s’il en fut jamais et mes raisons sont qu’il était d’illustre naissance, qu’il était beau, qu’il avait une âme courageuse, qu’il disparut vite du milieu des hommes, qu’il a été chanté par Homère, et qu’il a été si aimant, si dévoué a ceux qu’il aimait, qu’il a voulu mourir après les avoir perdus.

35. De la bouche de l’Ister, nommée Psilon, jusqu’à la seconde bouche, soixante stades. De là à la bouche appelée Calon, quarante stades; et de Calon à celle qu’on nomme Naracon, la quatrième bouche de l’Ister, soixante stades; de là à la cinquième, cent vingt; et de là à la ville d’Istria, cinq cents stades. De là à la ville de Tomes, trois cents stades; de Tomes à Callatis, trois cents autres: c’est un havre pour les navires. De là un port Carus, cent quatre-vingts: le pays autour du port s’appelle Carie. Du port Carus à Tétrisiade, cent vingt stades. De là à Bizus, lieu désert, soixante stades. De Bizus à Dionysopolis, quatre-vingts stades. De là à Odessus, deux cents; c’est un havre pour les vaisseaux.

36. D’Odessus jusqu’aux dernières pentes de l’Haemus, qui descendent jusqu’au Pont, trois cent soixante stades: là aussi il y a un port pour les navires. De l’Haemus à la ville de Mésembrie, quatre-vingt-dix stades: havre pour les navires. De Mésembrie à la ville d’Anchiale, soixante-dix stades; et d’Anchiale à Apollonie, cent quatre-vingts. Toutes ces villes sont grecques, situées en Scythie, à la gauche de celui qui entre dans le Pont. D’Apollonie à Chersonèse soixante stades: havre pour les navires. De Chersonèse aux murs d’Aulaeum, deux cent cinquante. De là a la côte de Thynias, cent vingt.

37. De Thynias à Salmydesse, deux cents stades. Xénophon[21] parle de ce pays; il dit que ce fut jusque-là que s’avança l’armée grecque qu’il commandait, lorsqu’en dernier lieu elle se mit au service du Thrace Seuthés. Il s’est longuement étendu sur ce que ce pays n’a point de port; que c’est la que sont jetés les navires battus par la tempête; et que les Thraces du pays se disputent entre eux les débris des naufrages. De Salmydesse à Phrygia, trois cent trente stades; de là aux Cyanées, trois cent vingt. Ce sont ces Cyanées, qui, suivant les poètes, étaient autrefois errantes, et à travers lesquelles a passé le premier navire, l’Argo, qui porta Jason en Colchide. Des Cyanées au temple de Jupiter Urius, où est l’embouchure du Pont, quarante stades. De là au port de Daphné, surnommée la furieuse, quarante stades. De Daphné à Byzance, quatre-vingts. Voilà ce qu’on trouve du Bosphore Cimmérien au Bosphore de Thrace et à la ville de Byzance.


 

CONCLUSION.

De quelle utilité est Arrien? Quelle est sa valeur comme géographe? Queues connaissances nouvelles apporte-t-il? Queues connaissances, déjà acquises, confirme-t-il? Complète-t-il? ou rectifie-t-il?

Bithynie. — A l’entrée de la mer Noire, dans le Bosphore même, il marque le temple de Jupiter; ensuite il désigne le promontoire de Bithynie sous le nom de promontoire Noir et l’île de Thynias, sous le nom d’Apollonia; près de cette île sont la rivière Rhoës et la ville de Chèles; au delà de l’Hypius, il fixe la position de Lillius, Elus et Calés, et au delà du Lycus, de Métroum, Posidium (Poseideion), Tyndarides et Nymphaee. Sur Héraclée, il est plus précis que ses prédécesseurs; il l’établit à 20 stades de Lycus. Il appelle Oxinas le fleuve Callichorus; et au delà de Callichorus, il place Sandaraca et Crénides.

Marcian ne nous rend qu’un seul service. Il nomme avant Elaeus Diospolis qu’il appelle Dia; et nous pensons que Dia doit également précéder Lililus d’Arrien.

Paphlagonie. — Arrien donne à Teuthrania de Ptolémée le nom de Thymène; entre Aboni-Teichos et Cinolis, il signale la nouvelle ville d’Aeginètes; il fait connaître l’inconnue Tétracis de Scylax et l’appelle Potamos; il nomme Leptes la pointe occidentale du double promontoire que commandait Sinope.

Marcian, aussi utile, donne à Thymène d’Arrien, qui est Teuthrania pour Ptolémée, le nom de Timolaium ; entre Zephyrium et Aboni-Teichos, il place Garium ; Aboni-Teichos devient Ionopolis ; et le promontoire Leptes, complétant son nom devient Syrias-Leptes ; l’Ocheraenus s’appelle Ochosbanes et au nord de Sinope s’élève l’île Scopelos.

Cappadoce. — Dans Arrien Gazorum porte le nom de Zagora; entre l’Italys et Amisus nous obtenons Naustathmus, Conope et Eusène; au pied du promontoire Heracleum se place le fort Heracleum; à l’est du Thermodon coulent trois nouvelles rivières, Béris, Thoaris et Phlamunte; entre le Thoaris et le Phlgamunte est bâtie Oenoë; en face de Staméne l’île des Ciliciens sort de la mer; le promontoire et le port Genètes deviennent le promontoire et le port Boona; au-dessous de Cotyore débouchent le Mélanthius et le Pharmatène; entre Pharnace et Trapézus, nous acquérons Tripolis, Argyre, Philocalée, Coralles et le promontoire Sacré.

Arrien n’a pu indiquer les limites de la Paphlagonie et de la Cappadoce; Marcian les indique exactement par l’Evarque.

Il appelle Zagora Zagorum et le Zaliseus de Ptolémée Zaleous.

Du reste il ne nous fournit aucune connaissance nouvelle.

Colchide. — Nous nous sommes arrêté avant la Colchide, à Trapézus, dans le paragraphe précédent. Il faut en effet considérer Arrien d’ensemble de Trapézus à Dioscurias; c’est la partie importante de son travail; c’est ce qu’il a vu lui-même.

Il nous donne en Cappadoce la rivière d’Hyssus, qui débouche dans la mer près du port d’Hyssus; en Colchide, les rivières Ophis, Psychros, Calos, Rhizius, Ascurus, Adienus; les noms nouveaux de l’Arabis et du Pordanis: Zagatis et Prytanis; le Pyxitès, l’Archabis; le nom nouveau de la ville et de la rivière Absarus: Apsarus; l’Acinasis.

La côte enfin se couvre de ses vrais peuples; les Colchidiens, les Drilles ou Sanniens, les Machalons et les Héniochiens, les Zidrites, les Lazes, les Apsiles, les Abasques et les Sanniges.

De Dioscurias à la presqu’île asiatique du Bosphore Cimmérien. —. Nous trouvons Nitica; les rivières Abascus et Borgys ; Nésis; le fleuve Achaeunie entre les Sanniges et Zilches; un nouveau promontoire d’Hercule, un autre promontoire qui est sans doute le cap des Torètes; Vetus Lazica; Vetus Achaia, et Pagres.

Ces données nouvelles sont importantes surtout parce qu’elles nous permettent de disposer les données de Pline et de Ptolémée.

Sur la presqu’île Asiatique qui fait face à la Chersonèse; du Bosphore au Tanaïs et du Tanaïs à la Chersonèse. — Nous n’avons rien à noter d’après notre Arrien.

Chersonèse Taurique. — Comme villes nouvelles, nous obtenons Cazeca, le port des Tauro-Scythes, Lampas Taurica, et peut-être une ville de Cercinite.

Mais ce qui est capital en cet endroit d’Arrien, c’est le déplacement, contraire aux données de Strabon, de la petite Chersonèse.

De la Chersonèse à l’Ister. — Peu d’intérêt; des erreurs évidemment, et trois nouveaux noms: Odessus, le port des Istrianiens et le port des Isaciens. Le Tyras lui-même n’est pas nommé.

De l’Ister aux Cyanées. — La côte est bien connue; on sent qu’on se rapproche du midi. Nous acquérons trois nouveaux noms; Chersonèse au-dessus d’Apollonie, et Aulaeum au-dessus du promontoire Thynias; au sud de Salmydesse Phrygia est peut-être Phila ou Phinopolis.

Telle est l’œuvre d’Arrien. Bien instruit des choses du midi de la mer Noire, il confirme d’après Ménippe la plupart de ses connaissances, et il nous en a donné de nouvelles, qui sont très précieuses. Toutefois, ses oublis sont à remarquer. De Trapézus à Dioscurias, il parle de ce qu’il a vu, et dès lors il a la plus haute autorité.

De Byzance à Trapézus, quoique moins complet et moins sûr de lui-même, il est encore excellent. Mais son travail est de peu d’utilité sur le Palus-Méotide et sur la côte du nord jusqu’à l’Ister. Ses assertions sur la Chersonèse Taurique sont suspectes; nous avons dû même les rejeter en leur proférant les données de Strabon.

De l’Ister aux îles Cyanées Arrien reprend son autorité; comme tous les géographes, il a bien vu la côte de la Thrace.

La lettre d’Arrien à l’empereur Adrien n’est pas une œuvre littéraire; les données géographiques se pressent, sèchement exprimées. Quelques passages cependant contrastent avec cette sécheresse. L’auteur s’est étendu sur Trébizonde, sur le Phase et sur l’île d’Achille. Des souvenirs poétiques et agréables sont venus le distraire ; il cite Homère, Eschyle; il rappelle Xénophon. Ce sont d’excellents repos qu’il s’est ménagés, et qu’il ménage au lecteur dans une course certainement très rapide autour de la mer Noire. Comme tous les Grecs, il n’a pas pu ne pas embellir ce qu’il a touché. On retrouve en lui cet éminent esprit d’une race privilégiée qui dans les sujets les plus arides fait pénétrer l’art et même la poésie. Ne reconnaît-on pas, en effet, dans les Grecs, quoi qu’ils fassent, un je ne sais quoi qui leur est propre, qui est leur génie et qui est vraiment divin? Même en une œuvre géographique, ce je ne sais quoi éclate ! c’est un intérêt, c’est une grâce qu’on chercherait vainement ailleurs et même en quittant les géographes et le périple d’Arrien, nous pouvons dire comme Fuseli en quittant les marbres du Parthénon : « Ah ! les Grecs, les Grecs, c’étaient des dieux. »

 


 

[1] Geographi Graeci minores; coll. Did., t. i, p. 372 et 377.

[2] Geographi Graeci minores, coll. Did., t. i; Ponti Periplus Arriani § 6, p. 392.

[3] Geographici Graeci minores, éd. Did., t. i; Ponti Periplus Arriani, § 25 et 26, p. 392.

[4] Geographi Graeci minores, ëd. Did., t. i; Ponti Periplus Arriani, § 1, p. 370; § 4, p. 371 ; § 5, p. 371 ; § 13, p. 376.

[5] Id., § 17, p. 380.

[6] Id., § 27, p. 392.

[7] Horace, livre premier des Odes. Ode iii, v. 9.

[8] Anabase, 4, 8, 22.

[9] Odyssée, v. 160.

[10] Il faudrait certainement lire tel trois cents stades. Il n’est pas possible en effet, qu’en si peu de temps et avec une mauvaise mer, Arrien ait fait tant de chemin. Plus loin d’ailleurs, entre Athènes et Apsarus, il ne compte que 280 stades.

[11] Iliade, 2, 754.

[12] Anabase, 5, 2, 2.

[13] Nous avons dit dans des préliminaires que M. Ch. Muller à deux fois publié le Périple de la mer Noire par Arrien. Les deux publications n’en font réellement qu’une. Le texte grec est le même, et la traduction latine est aussi la même à quelques mots près. Mais dans la première publication, à l’endroit que nous marquons, se rencontrent quelques lignes que M. Ch. Muller a retranchées dans la seconde. Bien que le savant éditeur ait donné pour les retrancher une excellente raison dans une des notes qui accompagnent la seconde publication, nous les avons traduites par cela seul qu’elles sont dans la première. Nous sommes toutefois complètement de son avis, et nous les considérons comme une interpolation; elles viennent du périple de l’anonyme. Aussi les avons-nous enfermées dans une parenthèse.

[14] Anabase, 6, 3.

[15] Anabase, 6, 3.

[16] Anabase, 6, 1, 9.

[17] Liv. 6, ch. 72.

[18] Anabase, 5, 5, 3.

[19] Livre 4, ch. 109.

[20] Le Tanaïs est pris ici pour notre détroit d’Yeni-KaIé.

[21] Anabase, 7, 5, 7).