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Thégan

 

DE LA VIE ET DES ACTIONS DE LOUIS LE DÉBONNAIRE, par Thégan

texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER

DE LA VIE ET DES ACTIONS DE LOUIS LE DÉBONNAIRE, par Thégan

 

NOTICE SUR THÉGAN.

LA Vie de Louis le Débonnaire est le seul ouvrage de Thégan qui soit parvenu jusqu’à nous ; mais, à en juger par le langage des contemporains, l’auteur jouissait, au neuvième siècle, d’une grande renommée. Franc d’origine, il se fit remarquer de bonne heure par sa beauté, ses vertus, sa science et son éloquence en prose et en vers : Nous admirons en toi, dit Walafried Strabon dans un petit poème, tous les dons de l’esprit du sage, ta doctrine, tes moeurs, tes vers, tes discours, ton caractère; nous admirons aussi tous les dons extérieurs de ton corps, ta taille, ta force, tes mains, tes traits. Tous ces avantages ne conduisirent pas Thégan à une plus haute fortune que celle de chorévèque de Trèves[1], dignité qu’il reçut de l’archevêque Hetti[2], qui, ne résidant pas habituellement dans son diocèse, voulut du moins y être remplacé par un homme distingué. Thégan ne s’occupa que des devoirs de sa charge, de la réforme des mœurs du diocèse de Trèves, et des relations qu’il entretenait avec les savants de son temps. Au milieu des guerres civiles de Louis le Débonnaire avec ses fils, il demeura constamment fidèle au parti de l’Empereur, et peut-être même fut-ce pour défendre sa cause qu’il écrivit son histoire. On ne saurait en assigner la date précise ; mais il est hors de doute qu’il la composa du vivant de ce prince, puisqu’elle s’arrête à l’an 835, et finit par des vœux pour la prospérité de Louis. Bien que le petit appendice qui s’y trouve joint dans un manuscrit soit de la même main que le corps de l’ouvrage, rien ne prouve qu’on doive l’attribuer à Thégan, qui mourut, à ce qu’il paraît, vers l’an 845[3].

Nous n’avons son histoire de Louis le Débonnaire que dans la forme que lui donna, peu après sa mort, son ami Walafried Strabon, abbé de Reichenau, en la faisant précéder de la petite préface qu’on lit à la suite de cette Notice. Bien que la narration de Thégan soit fort courte, elle a toujours été regardée comme un des principaux monuments de cette époque, et elle mérite cette estime, moins par le nombre des faits qu’on y apprend que par quelques réflexions qui nous éclairent sur l’état de la société, et sur quelques-unes des causes secrètes des désordres qui agitèrent le règne de Louis. Le passage où l’auteur se plaint de voir des hommes de basse condition élevés aux premières dignités de l’Église, est écrit avec une verve aristocratique qui semble indiquer le courroux d’un Franc indigné de la haute fortune que font, à la cour, de serviles vaincus. Thégan nous donne aussi, sur le caractère et la vie privée de Louis le Débonnaire, quelques détails qu’on ne rencontre point ailleurs.

Cet ouvrage fut publié pour la première fois par Pithou en 1588. Il a été réimprimé dans presque toutes les grandes collections de nos historiens. Le président Cousin en a donné une traduction, souvent fautive, dans son Histoire de l’Empire d’Occident.

 

François Guizot

 

PRÉFACE DE WALAFRIED STRABON.

THÉGAN, Franc de nation, chorévèque de l’Église de Trèves, a composé ce petit ouvrage en guise d’annales, et plutôt brièvement et avec sincérité qu’avec élégance. Si, dans quelques réflexions, il parle avec plus d’abondance et de chaleur, comme il convient à un homme d’un cœur vif et noble, c’est qu’il n’a pu taire ce que lui inspirait sa douleur â la vue de l’indignité de certaines personnes de vile condition. Son trop d’amour pour la justice et son affection bien naturelle pour son protecteur, l’Empereur très chrétien, ont encore redoublé sa douleur. Tel qu’il est et qu’il lui a plu de l’écrire, son ouvrage ne doit point être rebuté pour un peu de rusticité. Nous avons connu nous-même cet homme instruit par d’abondantes lectures, mais livré aux travaux de la prédication et de la réforme des mœurs. Moi, Strabon, j’ai divisé cet opuscule en chapitres, dont je joins ici la liste, afin d’en faciliter la lecture, car je désire de répandre les louanges et l’histoire des actions de l’empereur Louis de sainte mémoire.

(Suit la liste des chapitres qu’il nous a paru inutile de conserver)

 

DE LA VIE ET DES ACTIONS DE L’EMPEREUR LOUIS LE PIEUX[4]

CET ouvrage commence sous l’empire de Notre-Seigneur Jésus-Christ, l’an 813 de son incarnation, et la quarante-cinquième année du règne de cet empereur glorieux et orthodoxe Charles, qui naquit de la race de saint Arnoul, pontife du Christ, comme nous l’avons appris par les traditions de nos pères et comme l’attestent une foule d’historiens.

Saint Arnoul était duc dans sa jeunesse. Il eut un fils, le duc Ansegise. D’Ansegise naquit le duc Pépin l’ancien ; de Pépin l’ancien, le duc Charles l’ancien ; de Charles l’ancien, Pépin, que le pontife Étienne sacra roi, le roi Pépin donna le jour à Charles, que le pape Léon sacra empereur le jour de la nativité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, dans l’église où repose le bienheureux corps du prince des apôtres, saint Pierre.

Dans sa jeunesse l’empereur Charles épousa une jeune fille de la très noble race des Suèves, nommée Hildegarde. Elle descendait de Godefroi, duc des Allemands. Le duc Godefroi avait eu pour fils Houteching ; de Houtching naquit Nebi; et de Nebi, Emma, qui donna le jour à Hildegarde cette reine bienheureuse. Charles la prit en mariage, et eut d’elle trois fils, dont l’un s’appela Charles du nom de son père ; le second, Pépin, fut roi d’Italie, et le troisième, nommé Louis, fut roi d’Aquitaine. Tandis que leur père vivait avec eux, il leur enseignait avec autant de bonheur que de fruit les arts libéraux et les lois humaines.

Mais celui qui était le plus jeune avait toujours appris, dès son enfance, à craindre et à aimer Dieu ; tout ce qu’il avait sur lui il le distribuait aux pauvres, au nom de Dieu ; car il était le meilleur des fils de l’empereur, de même que, dans les premiers âges du monde, le jeune frère surpassait souvent en mérite son frère aîné. Cette vérité se montre d’abord dans les fils du premier père du genre humain. Le Seigneur, dans son évangile, appela Abel, le Juste. Abraham eut deux fils ; mais le second fut meilleur que l’aîné. Jessé eut un grand nombre de fils ; mais le dernier, qui était berger, fut, par l’ordre du Seigneur, élu et sacré roi pour gouverner tout Israël ; et ce fut dans sa postérité que Christ, promis dès les temps anciens, daigna prendre un corps. Mais il serait trop long d’énumérer tous les exemples semblables.

Louis, dont nous avons parlé plus haut, étant parvenu à l’âge de se marier, épousa la fille d’un noble duc, Ingorramm, neveu du pontife saint Ruthgaud. Elle se nommait Hermengarde. D’après le conseil et le consentement de son père, Louis la fit proclamer reine, et eut d’elle trois fils du vivant même de son père. L’un s’appelait Lothaire, l’autre Pépin, et le troisième Louis, comme son père.

Or l’empereur Charlemagne chérissait ses sujets et les gouvernait avec sagesse. L’an quarante-deux de son règne [en 810], son second fils Pépin mourut à l’âge de trente-trois ans. L’année suivante [811] il vit encore mourir Charles son premier-né et la reine Hildegarde. Louis resta seul pour succéder à la couronne.

Charlemagne, sentant approcher sa fin (il était en effet très vieux), fit venir auprès de lui son fils Louis, et convoquant tous les évêques, les abbés, les ducs, les comtes, les vicomtes, eut avec eux une conférence solennelle dans le palais d’Aix-la-Chapelle. Il les exhorta avec douceur et bienveillance à se montrer fidèles envers son fils ; puis il demanda à tous les membres de l’assemblée, depuis le plus grand jusqu’au plus petit, s’ils consentaient à ce qu’il laissât son titre, c’est-à-dire le titre d’empereur, à son fils. Tous lui répondirent que c’était l’ordre de Dieu. Cela fait, le dimanche suivant, il se couvrit des ornements impériaux, mit une couronne sur sa tête, et, s’avançant environné d’une pompe éclatante, comme il convenait à un empereur, il se rendit à l’église qu’il avait lui-même fondée et fait construire. Parvenu au pied d’un autel élevé dans un lieu qui dominait tous les autres autels et consacré à Notre-Seigneur Jésus-Christ, il y fit déposer une couronne d’or, mais non celle qu’il portait sur sa tête. Après avoir longtemps prié avec son fils, il lui adressa la parole en présence de toute la multitude, des pontifes et de ses grands. Il l’exhorta avant tout à craindre et à aimer le Dieu tout-puissant, à observer eu tout ses préceptes, à bien gouverner l’église de Dieu et à la protéger contre les hommes pervers. Il lui recommanda de montrer une clémence inépuisable envers ses frères et sœurs plus jeunes que lui, envers ses neveux et tous ses proches ; ensuite d’honorer les prêtres comme des pères, d’aimer les peuples comme ses enfants, de forcer les hommes superbes et corrompus à marcher dans la voie du salut, enfin d’être le consolateur des religieux et des pauvres. Il lui conseilla de ne choisir que des ministres fidèles et remplis de la crainte de Dieu, qui eussent en horreur les faveurs injustes ; de ne dépouiller aucun homme de ses honneurs et bénéfices sans une juste cause, et de se montrer lui-même en tout temps irréprochable aux yeux de Dieu et de tout son peuple. Après avoir ainsi parlé à son fils en présence de la multitude, et ajouté encore bien des paroles, il lui demanda s’il consentait à obéir à ses préceptes. Louis répondit qu’il lui obéirait volontiers, et qui avec l’aide de Dieu il observerait tous les préceptes que lui avait donnés son père. Alors Charlemagne lui ordonna de soulever de ses propres mains la couronne qui se trouvait sur l’autel et de la placer. sur sa tête en mémoire des conseils qu’il venait de lui donner. Louis exécuta l’ordre de son père. Après cette cérémonie, ils entendirent la solennité de la messe et retournèrent au palais. Louis soutint son père en allant et en revenant, tout le temps qu’il se trouva avec lui.

Quelques jours après, Charlemagne l’honora de présents magnifiques, et lui permit de retourner en Aquitaine. Avant de se séparer, ils se serrèrent mutuellement dans leurs bras et s’embrassèrent, commençant à pleurer à cause de leur tendre amour. Louis partit pour l’aquitaine, et le seigneur empereur maintint la gloire de son trône et de son nom d’une manière digne de lui.

Après leur séparation , le seigneur empereur ne fit plus que s’occuper de prières et d’aumônes, et corriger des livres. En effet, l’année qui précéda sa mort, il avait soigneusement corrigé, avec des Grecs et des Syriens, les quatre Évangiles de Jésus-Christ, intitulés Évangiles selon saint Mathieu, selon saint Marc, selon saint Luc et selon saint Jean. Mais l’année suivante [en 814], qui était la quarante-sixième de son règne, il fut saisi par la fièvre au sortir du bain. Chaque jour, la fièvre devenait plus forte ; il ne mangeait ni ne buvait rien, si ce n’est quelque peu d’eau pour soutenir son corps. Enfin, le septième jour de sa maladie, il fit venir auprès de lui Hildibald, celui de tous les évêques qui était le plus familier auprès de lui, pour qu’il lui donnât le sacrement du corps et du sang de Notre-Seigneur, et le fortifiât au sortir de la vie. Cela fait, le jour et la nuit qui suivirent, il tomba dans une grande faiblesse. Le lendemain, à la pointe du jour, sachant quel acte il allait faire, il recueillit ses forces, étendit la main droite, et imprima sur son front le signe sacré de la croix, puis se signa sur la poitrine et sur tout le corps. Enfin, rapprochant ses pieds, il étendit ses bras et ses mains sur son corps, et ferma les yeux en chantant à voix basse ce vers : Seigneur, je recommande et je remets mon âme entre vos mains [Ps., 39, 6]. Aussitôt après il expira en paix, plein de jours et après une vieillesse heureuse. Son corps fut enterré le même jour dans l’église qu’il avait bâtie à Aix-la-Chapelle. Il avait vécu soixante-douze ans.

Après la mort du glorieux empereur Charlemagne, Louis quitta l’Aquitaine, se rendit à Aix-la-Chapelle, et prit sans aucune contradiction tous les royaumes que Dieu avait accordés à son père : ce fut la huit cent quatorzième année de l’incarnation de Notre-Seigneur, et la première de son règne. Après son père, il demeura dans le palais d’Aix-la-Chapelle ; mais avant tout il se fit montrer tous les trésors de son père, soit en or, soit en argent, soit en pierres les plus précieuses, soit en toute espèce de richesses. Il donna à ses sœurs la portion que leur assignaient les lois, et tout ce qui restait il l’employa pour le repos de l’âme de son père. La plus grande partie du trésor, il l’envoya à Rome, où régnait alors le bienheureux pape Léon, et le reste il le distribua tout entier aux prêtres, aux pauvres, aux étrangers, aux veuves, aux orphelins, ne se réservant rien pour lui-même, si ce n’est une seule table d’argent, dont le milieu avait une triple forme, ce qui la faisait paraître l’assemblage de trois boucliers réunis ensemble ; il ne la conserva que par amour pour son père ; encore la racheta-t-il, en en distribuant la valeur pour le salut de son âme.

Des ambassadeurs vinrent ensuite le trouver de tous les royaumes et provinces, et de chez tous les autres peuples. Tous ceux qui avaient reconnu l’empire de son père lui jurèrent la fidélité et la paix, et, de leur propre mouvement, lui offrirent une soumission volontaire. Parmi eux l’on remarqua les députes des Grecs, avec Amalhaire, évêque de Trèves, qui était ambassadeur de l’empereur Charlemagne, de pieuse mémoire, auprès du prince de Constantinople, dont je n’ai point le nom présent à l’esprit[5]. A leur arrivée, ils trouvèrent l’empereur Louis assis sur le trône de son père, car Dieu en ordonnait ainsi. Il les accueillit avec bienveillance, reçut leurs présents en leur rendant des actions de grâces, et tant qu’ils restèrent avec lui, il les entretint familièrement. Quelques jours après, il leur fit de grands présents, et leur permit de retourner dans leurs divers pays ; mais auparavant il envoya des députés pour leur faire préparer tout ce qu’ils pourraient désirer pour leur usage tant qu’ils se trouveraient dans ses États.

La même année, ce prince ordonna de renouveler tous les décrets qui avaient été rendus du temps de ses ancêtres pour les églises de Dieu, et lui-même les confirma en les signant de sa propre main.

Pendant ce temps-là [en 814], il reçut les ambassadeurs des Bénéventins, qui remirent en son pouvoir tout le territoire de Bénévent, et promirent de payer chaque année plusieurs milliers de pièces d’or comme tribut : ils ont en effet rempli cet engagement jusqu’à ce jour.

Vint en même temps Bernard, fils de Pépin, son frère, qui se livra à lui comme à son seigneur, et lui jura fidélité. Louis le reçut avec bonté, l’honora de présents glorieux et magnifiques, et lui permit de retourner en Italie.

A la même époque, l’empereur envoya des commissaires dans toutes les parties de ses États pour s’informer si quelqu’un se plaignait de quelque injustice, ordonnant que quiconque formerait une plainte, et pourrait la prouver par la déposition de témoins véridiques, se présentât aussitôt devant lui avec ses témoins. Dans leur mission, les commissaires trouvèrent une foule d’opprimés dépouillés de leur patrimoine, ou privés de leur liberté ; oppressions qu’exerçaient par méchanceté d’injustes gouverneurs, comtes ou vicomtes. L’empereur fit annuler tous les actes que la méchanceté avait suggérés aux gouverneurs injustes pendant la vie de son père. Il rendit aux opprimés leur patrimoine, délivra ceux qui avaient été réduits à,une servitude inique, et fit rendre pour toutes ces choses des décrets qu’il confirma en les signant de sa main. Cela dura pendant longtemps.

La seconde année de son règne [815], il tint son plaid général dans le pays des Saxons, où il fit une foule de bonnes choses. Une ambassade des Danois vint l’y trouver pour lui demander la paix. Il reçut aussi les députés de toutes les nations païennes qui sont dans ce voisinage. Bernard, dont nous avons déjà parlé, vint aussi auprès de lui, et il lui permit de retourner une seconde fois en Italie. Enfin, le seigneur Louis, après avoir assuré dans ces contrées les frontières de ses États, revint à Aix, sa demeure, où il passa l’hiver.

L’année suivante [816] il envoya son armée contre les Esclavons établis à l’Orient ; elle demeura victorieuse par la grâce de Dieu et accabla entièrement les ennemis. Après cette guerre chacun rentra chez soi.

La même année mourut le pape Léon. Il eut pour successeur Étienne. Celui-ci, en recevant le pontificat, ordonna au peuple romain de prêter serment de fidélité à Louis. Envoyant ensuite des députés à ce prince, il lui annonça qu’il le verrait avec plaisir dans le lieu qu’il lui plairait d’assigner. A cette nouvelle, Louis ressentit une grande joie, et, rempli d’un vif empressement, il ordonna aussitôt à ses messagers d’aller au devant du saint pontife, de lui rendre les plus grands hommages, et de préparer toutes choses pour son service. Après ses officiers, Louis marcha au devant du pontife et le rencontra dans la vaste campagne de Reims. Tous deux descendirent de leur cheval. Trois fois le prince se prosterna tout entier aux pieds du pape, et, se relevant à la troisième fois, il le salua par ces paroles : Bénissons celui qui vient au nom du Seigneur. Le Seigneur est le vrai Dieu, et il a fait paraître sa lumière devant nous [Ps., 118, 24-25]. Le pape répondit : Béni soit le Seigneur notre Dieu, qui a accordé à nos yeux de voir un second roi David. Ils s’embrassèrent, se baisèrent, et se rendirent amicalement à l’église, où ils firent de longues prières ; à la fin le pape se leva et chanta à haute voix avec son clergé les louanges de l’empereur.

Ensuite le pontife lui fit beaucoup de grands présents ainsi qu’à la reine Hermengarde, à tous ses seigneurs et ses ministres. Le dimanche suivant, avant la solennité de la messe, il le sacra empereur en présence du clergé et de tout le peuple, lui donna l’onction, et plaça sur sa tête une couronne d’or d’une beauté admirable, enrichie des pierres les plus précieuses qu’il avait apportées avec lui. Il donna à la reine Hermengarde le titre d’Auguste, et lui mit aussi sur la tête une couronne d’or. Tant que le bienheureux pape demeura auprès de l’empereur, il s’entretint chaque jour avec lui sur les intérêts de la sainte église de Dieu. A la fin de son séjour, le seigneur empereur l’honora de présents innombrables et magnifiques, trois fois plus grands au moins que ceux qu’il avait reçus de lui ; car telle était toujours sa maxime de donner plus qu’il ne recevait. Enfin il le laissa retourner à Rome, le faisant accompagner de députés auxquels il ordonna de le traiter avec distinction pendant toute la route.

Quelques jours après le retour du pape Étienne à Rome, Dieu, par plusieurs miracles, fit voir d’une manière éclatante qu’il était le véritable adorateur du Dieu vivant. Après lui régna le pape Pascal.

En quittant le pape le seigneur empereur retourna à Aix-la-Chapelle, son séjour ordinaire. De jour en jour on voyait briller en lui des vertus sacrées qu’il serait trop long d’énumérer. Il était d’une taille ordinaire ; il avait les yeux grands et brillants, le visage ouvert, le nez long et droit, des lèvres ni trop épaisses, ni trop minces, une poitrine vigoureuse, des épaules larges, les bras robustes ; aussi pour manier l’arc et lancer un javelot personne ne pouvait-il lui être comparé. Ses mains étaient longues, ses doigts bien conformés ; il avait les jambes longues et prèles pour leur longueur ; il avait aussi les pieds longs, et la voix mâle. Très versé dans les langues grecque et latine, il comprenait cependant le grec mieux qu’il ne le parlait. Quant au latin, il pouvait le parler aussi bien que sa langue naturelle. Il connaissait très bien le sens spirituel et moral des Écritures saintes ainsi que leur sens mystique. Il méprisait les poètes profanes qu’il avait appris dans sa jeunesse, et ne voulait ni les lire, ni les entendre, ni les écouter. Il était d’une constitution vigoureuse, agile, infatigable, lent à la colère, facile à la compassion. Toutes les fois que les jours ordinaires il se rendait à l’église pour prier, il fléchissait les genoux et touchait le pavé de son front ; il priait humblement et longtemps, quelquefois avec larmes ; toujours orné de toutes les pieuses vertus, il était d’une générosité dont on n’avait jamais ouï parler dans les livres anciens ni dans les temps modernes, tellement qu’il donnait à ses fidèles serviteurs, et à titre de possession perpétuelle, les domaines royaux qu’il tenait de son aïeul et de son bisaïeul. Il fit dresser, pour ces donations, des décrets qu’il confirma en y apposant son sceau et en les signant de sa propre main. Il fit cela pendant longtemps. Il était sobre dans son boire et son manger, simple dans ses vêtements ; jamais on ne voyait briller l’or sur ses habits, si ce n’est dans les fêtes solennelles, selon l’usage de ses ancêtres. Dans ces jours, il ne portait qu’une chemise et des haut-de-chausses brodés en or, avec des franges d’or, un baudrier et une épée tout brillants d’or, des bottes et un manteau couverts d’or ; enfin il avait sur la tête une couronne resplendissante d’or, et tenait dans sa main un sceptre d’or. Jamais il ne riait aux éclats, pas même lorsque dans les fêtes, et pour l’amusement du peuple, les baladins, les bouffons, les mimes défilaient auprès de sa table suivis de chanteurs et de joueurs d’instruments ; alors le peuple même en sa présence ne riait qu’avec mesure ; et pour lui il ne montra jamais en riant ses dents blanches. Chaque jour avant ses repas il faisait distribuer des aumônes, et partout où il allait il avait avec lui des hôpitaux. Au mois d’août, époque où les cerfs sont le plus gras, il s’occupait à les chasser jusqu’à ce que le temps des sangliers arrivât.

Agissant toujours avec prudence et circonspection, il ne faisait rien sans discernement, si ce n’est qu’il se fiait trop à ses conseillers ; ce qui avait pour cause son extrême assiduité à psalmodier ou à lire, et aussi un autre mal dont il n’était pas le premier auteur. Depuis longtemps existait la détestable coutume d’élever les plus vils serviteurs au rang d’évêques ; il eut le tort de ne point la faire cesser. C’est pourtant un des plus grands maux qui puissent affliger un peuple chrétien, comme l’atteste le livre des Rois au sujet de Jéroboam, fils de Nabath, qui était serviteur du roi Salomon, et régna après lui sur dix des tribus d’Israël. En effet l’Écriture parle de lui en ces termes : Jéroboam ne revint point du dérèglement de sa voie toute corrompue ; mais il prit au contraire des derniers du peuple pour les faire les prêtres des hauts lieux…… Ce fut là le péché de la maison de Jéroboam, et c’est pour cela qu’elle a été détruite et exterminée de dessus la terre [III Rois, 13, 33-34]. Après que de tels hommes ont atteint le faite, ils ne sont jamais, comme auparavant, assez doux ni assez familiers pour ne point devenir aussitôt colères, querelleurs, médisants, obstinés, orgueilleux, prodigues de menaces envers tous les sujets ; et c’est par de tels moyens qu’ils cherchent à se faire craindre et jouer des hommes. Ils s’efforcent d’arracher leurs ignobles parents au joug d’une servitude faite pour eux, et de leur assurer la liberté. Ils font instruire les uns dans les sciences libérales ; ils donnent aux autres des épouses d’une naissance illustre, et forcent les fils des nobles à recevoir la main de leurs parentes. Personne ne peut vivre en paix avec eux, si ce n’est ceux qui ont contracté de pareilles alliances. Les autres passent leurs jours dans la plus grande tristesse, dans les gémissements et les pleurs. Les parents de ces hommes, aussitôt qu’ils savent quelque chose, se jouent des vieillards nobles et les méprisent ; ils sont hautains, légers, sans pudeur ; cependant il reste bien peu de bon à l’homme lorsqu’il a dépouillé toute pudeur. Les seigneurs de ces gens-là ne veulent point se conformer à l’Écriture canonique, appelée Concile des Apôtres, car elle donne ce précepte : Si un évêque a des parents pauvres, qu’il leur soit donné comme à des pauvres, pour que les biens de l’Église ne périssent pas. Ils ne veulent pas non plus écouter le livre de saint Grégoire, intitulé le Pastoral[6]. Personne ne peut savoir comment ces hommes se conduisent, si ce n’est ceux qui souffrent sans relâche de ce triste mal. Aussitôt que ces parents ont appris quelque chose, on les traîne dans les ordres sacrés ; ce qui est le péril le plus grand pour l’âme de ceux qui reçoivent ou donnent ainsi cet honneur. Quelques uns, il est vrai, sont instruits ; mais la multitude de leurs crimes surpasse encore leur instruction ; aussi il arrive la plupart du temps que le pasteur d’une église n’ose poursuivre, selon la justice des canons, beaucoup de coupables, à cause des crimes de ses parents ; et ce saint ministère devient l’objet d’un mépris presque général, parce qu’il est exercé par de tels hommes. Daigne donc le Dieu tout-puissant, ainsi que les rois et les princes, déraciner et étouffer, maintenant et dans la suite, cet abus funeste, pour qu’il n’exerce plus son influence parmi les chrétiens ! Amen !

L’empereur Louis désigna son fils Lothaire pour succéder, après sa mort, à toutes les couronnes que Dieu lui avait accordées par les mains de son père [en 817], et pour porter le nom d’empereur. A cause de cela, ses autres fils entrèrent en courroux.

La même année Bernard, fils de Pépin, né d’une concubine, écoutant les exhortations d’hommes pervers, se révolta contre son oncle, et voulut le détrôner. De tous côtés, il était entouré de conseillers impies. A cette nouvelle, l’empereur partit d’Aix-la-Chapelle, et arriva à Châlons. Là, vint au devant de lui Bernard avec tous ses coupables conseillers, et ils se recommandèrent à sa bonté. Dans cette même ville, l’empereur célébra la fête de Noël, et de là il retourna à Aix. Après Pâques, il tint une assemblée générale de ses peuples, et rechercha toutes les menées perfides des traîtres dans cette conspiration. On trouva que, parmi les Francs comme parmi les Lombards, plusieurs s’étaient laissés entraîner à la séduction. Ils furent tous jugés et condamnés à mort, à l’exception des évêques, qui plus tard furent déposés sur leurs propres aveux. De ce nombre fut Anselme, évêque de Milan, Wolvod de Crémone, et Théodulf d’Orléans[7]. L’empereur ne voulut point faire exécuter lui-même la sentence capitale portée contre les criminels. Mais ses conseillers firent crever les yeux à Bernard [en 818], et de même à ceux qui l’avaient exhorté à la rébellion, Éggidéon, Reginhard et Reginhaire. Celui-ci était fils de la fille de Hardrad, duc d’Austrasie, perfide qui longtemps avant avait déjà voulu se révolter contre son souverain Charlemagne, et qui subit le même supplice que son petit-fils et ses partisans.

Bernard mourut trois jours après avoir perdu les veux. A cette nouvelle l’empereur s’abandonna à une vive douleur, pleura pendant longtemps, se confessa en présence de tous les évêques, et, d’après leur jugement, s’imposa une pénitence pour la seule faute de n’avoir point empêché ses conseillers de commettre cette cruauté. C’est pourquoi il donna beaucoup aux pauvres pour le salut de son âme.

A la même époque, il fit tonsurer ses frères, Drogon, Hugues et Théodoric, afin de prévenir la discorde, et les fit instruire dans les sciences libérales. Dans la suite il les établit d’une manière honorable. Il donna à Drogon un évêché, et à Hugues un monastère.

Le seigneur empereur se porta alors dans le pays des Bretons à la tête d’une armée. Leur duc Morman fut tué, et toute sa terre fut soumise au pouvoir de l’empereur. A son retour il trouva la reine Hemengarde, malade de la fièvre, et peu de jours après elle mourut en paix.

L’année suivante [819], il épousa la fille du duc Guelf, de la plus illustre race des Bavarois. Elle se nommait Judith, et sortait par sa mère d’une famille très noble parmi les Saxons. Louis la couronna reine : elle était très belle. La même année, il tint son plaid général à Ingelsheim, maison royale.

L’année suivante [820], il envoya son armée contre les Esclavons qui habitaient à l’Orient. Leur duc nommé Lindewit fut réduit à fuir, et son territoire fut dévasté. L’armée rentra ensuite dans ses foyers.

L’année suivante [821], il tint son plaid général. Là, Lothaire, son fils, premier né de la reine Hermengarde, épousa la fille du comte Hugues, de la race d’un certain duc nommé Édith, qui était timide par-dessus tous les hommes. En effet, ses domestiques l’avaient tellement effrayé par leurs discours qu’il n’osait quelquefois mettre le pied hors de l’enceinte de sa maison. Déjà se préparait pour Lothaire la rébellion où il devait se laisser entraîner contre son père, par les suggestions de son beau-père et de plusieurs hommes pervers. A cette époque, il se rendit à Worms avec sa femme.

L’année suivante [822], Louis tint son plaid général à Attigny. De là il fit partir pour l’Italie son fils Lothaire avec sa femme Hermengarde. L’empereur quitta aussi Attigny, et vint à Francfort, où il célébra la fête de Noël.

Ensuite il envoya à Rome ses ambassadeurs [en 823], Adalung, vénérable abbé, et Hunfried, duc de Rhétie, à cause d’une insulte que le peuple romain avait faite au pape Pascal, en l’accusant d’avoir fait périr plusieurs personnes. Pascal se purifia par le serment dans l’église patriarcale de Saint Jean de Latran, en présence des envoyés de l’empereur et du peuple romain, et accompagné de trente-trois évêques ou prêtres, et de cinq diacres. Aussitôt après le départ des ambassadeurs, Pascal mourut [en 824]. Le peuple romain ne voulut pas célébrer ses funérailles dans l’église du bienheureux apôtre Saint-Pierre. Enfin le pape Eugène, qui lui succéda, ordonna lui-même d’ensevelir son corps dans le monument qu’il avait fait élever de son vivant.

L’année suivante, l’empereur se porta une seconde fois en Bretagne, et la mit toute entière à feu et à sang, à cause de l’infidélité de ses habitants.

L’année d’après [825], il se trouvait à Aix-la-Chapelle avec une puissante armée ; des députés des Bulgares vinrent lui apporter des présents. Il les accueillit avec bienveillance, et les renvoya dans leur patrie.

L’année suivante [826], il était au château d’Ingelsheim. Le danois Hériold vint l’y trouver. L’empereur le tint sur les fonts baptismaux ; l’auguste impératrice Judith y tint également sa femme. Alors l’empereur lui donna une partie du territoire des Frisons, le gratifia de présents honorables, et le renvoya en paix, suivi de ses députés.

L’année d’après [827], il fit marcher sou armée contre les Sarrasins. L’année suivante, il partit d’Ingelsheim, et, après la tenue dit plaid général, il se rendit à Commercy.

L’année d’après [829], il alla à Worms, où, en présence de ses deux fils, Lothaire et Louis, il fit donation à son fils Charles, né de l’impératrice Judith, du territoire des Allemands, de la Rhétie et d’une partie de la Bourgogne. Ses deux premiers fils s’irritèrent de ce don, ainsi que Pépin, leur frère.

L’année suivante [830], l’empereur se rendit d’Aix-la-Chapelle à Compiègne. Là, Pépin, son fils, marcha contre lui avec les premiers seigneurs de la cour de son père, Hilduin, archichapelain, Jessé, évêque d’Amiens, Hugues, Mathfrid et une foule d’autres traîtres. Ils voulaient détrôner l’empereur ; mais son fils chéri, qui avait le même nom que lui, déjoua leur conspiration. Ces rebelles impies répandirent contre l’empereur beaucoup de mauvais bruits : ils dirent que la reine Judith avait été violée par un certain duc Bernard, de la famille impériale, et filleul de l’empereur ; mais toutes leurs assertions étaient des impostures. Ils s’emparèrent de la reine Judith, la contraignirent à prendre le voile, l’enfermèrent dans un cloître, et, faisant tonsurer ses frères Conrad et Rodolphe, ils les enfermèrent aussi dans un cloître[8]....

La même année, l’empereur se rendit à Nimègue, ville située sur le fleuve appelé Wahal ; une multitude de personnages de tous ses États vint l’y trouver. Parmi eux étaient ses ennemis ; il les surmonta tous, les renvoya et leur pardonna. Son fils Lothaire lui jura fidélité, et s’engagea à ne plus commettre jamais de telles choses. Dans cette même ville, Jessé fut déposé par le juste jugement des évêques. Le fils de l’empereur, celui qui portait le même nom que lui, y était aussi, et il fut toujours le soutien de son père dans tous ses malheurs. De Nimègue, l’empereur revint à Aix. Son épouse Judith vint au devant de lui ; il la reçut avec honneur [en 831], conformément aux instructions du pape Grégoire et au jugement des autres évêques.

L’année suivante[9], il se rendit à Thionville avec ses fils Lothaire et Louis. Là, le duc Bernard se purgea de l’accusation d’adultère, personne ne s’étant présenté pour soutenir par les armes cette imputation.

L’année suivante [832], après Pâques, l’empereur apprit que son fils Louis avait voulu, par le conseil de Lothaire, venir le voir en ennemi. Il vint en effet jusqu’à l’abbaye de Saint-Nazaire, et y resta quelque temps, jusqu’à ce que son père, venant à Mayence , rassemblât son armée et le poursuivît. Alors il retourna dans son palais, et y attendit l’arrivée de son père, résolu de se défendre. Son père, lorsqu’il fut arrivé, le fit venir auprès de lui, le reçut avec bonté, et eut avec lui un entretien pacifique. Quelques jours après, ils se séparèrent pleins de joie et de tendresse. Le fils resta chez lui ; le père retourna en France.

Lorsqu’il fut arrivé à Francfort, son fils Lothaire vint au devant de lui, lui demandant d’être admis à se justifier, et affirmant que ce n’était ni par sa volonté ni par ses conseils, que son frère avait tourmenté son père ; mais plusieurs personnes ont su à quel point ceci était vrai.

Tandis que le roi demeurait à Francfort, il apprit que son fils Pépin voulait faire un soulèvement contre lui ; aussitôt il marcha contre Pépin, et, arrivé à Limoges, il lui ordonna de se rendre en France avec sa femme et ses enfants. En recevant l’ordre de son père, Pépin se rendit d’abord jusqu’au palais de Théotwad ; mais de cette ville il retourna en Aquitaine. L’empereur quitta Limoges, et retourna à Aix, sa demeure ordinaire ; il y demeura peu de temps, et se rendit à Worms avant le saint temps de Carême.

Après Pâques [en 833], il apprit de nouveau que ses fils voulaient venir à lui avec des intentions peu pacifiques. Il assembla une armée, et marcha contre eux jusqu’à cette vaste plaine qui se trouve entre Bâle et Strasbourg, et qui jusqu’à ce jour a été appelée le Champ du Mensonge, parce que là périt la fidélité de bien des sujets. Les fils de l’empereur allèrent au devant de lui avec le pontife Grégoire ; mais Louis ne voulut consentir à aucune demande de ses fils. Quelques jours après, le pape et l’empereur en vinrent à une entrevue. Elle ne dura pas longtemps. Le pontife fit à Louis des présents innombrables et magnifiques. Lorsque l’un et l’autre fut retourné dans sa tente, l’empereur envoya au pontife de riches présents par le vénérable abbé Adalung. Alors quelques-uns des serviteurs de l’empereur formèrent le dessein de l’abandonner, et de passer du côté de ses fils, d’abord ceux qui l’avaient déjà offensé, ensuite les autres. Une certaine nuit, la plupart d’entre eux quittèrent le père, et, abandonnant leurs tentes, ils se rendirent auprès des fils. Le lendemain, le petit nombre de ceux qui étaient restés auprès de l’empereur allèrent le trouver, et il leur dit : Allez à mes fils ; je ne veux pas que personne perde pour moi la vie ni même un membre. Ceux-ci le quittèrent en versant un torrent de larmes. Déjà ses fils l’avaient séparé de sa femme, et la retenaient, protestant que ce n’était ni pour la mettre à mort, ni pour lui faire aucun mal. Ils envoyèrent aussitôt Judith en Italie, dans la ville de Tortone, et l’y firent garder. Peu de temps après, ils s’emparèrent de la personne de leur père, et l’emmenèrent avec eux ; ensuite ils se séparèrent : Pépin se rendit en Aquitaine, Louis en Bavière.

Lothaire conduisit son père au palais de Compiègne, et là, réuni aux évêques et à plusieurs autres seigneurs, il le persécuta cruellement. En effet, les évêques lui ordonnèrent de s’enfermer dans un monastère, et d’y passe le reste de ses jours. Il s’y refusa et résista à leur volonté. Tous les évêques lui furent ennemis, et surtout ceux qu’il avait tirés d’une condition servile pour les élever aux honneurs, ainsi que ceux qui, nés de nations barbares, étaient parvenus à cette haute dignité.

Alors ils choisirent un homme aussi impudent que cruel, nommé Ebbon, évêque de Reims, sorti d’une famille de serfs, pour affliger cruellement le malheureux empereur par les calomnies des autres rebelles. Ils dirent des paroles, ils firent des choses inouïes, chaque jour ils l’accablaient de reproches. Ils lui enlevèrent du côté son épée, et par le jugement de ceux qui étaient ses serviteurs, le couvrirent d’un cilice. Ce fut alors que s’accomplit la parole du prophète Jérémie qui dit : Des esclaves nous ont dominés [Lamentations, 5, 8]. Oh ! de quelle manière, Ebbon, tu récompensas ton empereur ! il t’a donné la liberté, non la noblesse, car cela est impossible pour qui a reçu la liberté ; il t’a revêtu de la pourpre et du manteau épiscopal, et tu le revêts du cilice ; il t’a élevé au faîte des honneurs pontificaux, et tu veux, par un inique jugement, le faire descendre du trône de ses pères ! Cruel, que n’as-tu connu le précepte du Seigneur ! L’esclave n’est point au dessus de son seigneur [Math., 10, 24]. Pourquoi as-tu méprisé les préceptes de cet apôtre qui fut ravi au troisième ciel pour apprendre parmi les anges ce qu’il devait ordonner aux hommes, en ces termes : Que tout le monde soit soumis aux puissances supérieures, car il n’y a point de puissance qui ne vienne de Dieu ? [Rom., 13, 1] Un autre apôtre dit aussi : Craignez Dieu, honorez le roi ; serviteurs, soyez soumis à vos maîtres avec toute sorte de respect, non seulement à ceux qui sont bons et doux, mais même à ceux qui sont rudes et fâcheux, car cela est agréable à Dieu [I Pierre, 2, 17-18]. Mais toi, tu n’as point craint Dieu, tu n’as point honoré ton roi. Si, en observant ces préceptes, on acquiert la grâce de Dieu, assurément on s’attirera sa colère en les méprisant. Cruel, quel fut ton conseiller ou ton guide ? N’était-ce point celui qui est le roi de tous les enfants de l’orgueil, celui qui dit à son Créateur : Je vous donnerai toutes ces choses si, en vous prosternant devant moi, vous m’adorez ? [Math., 4, 9] Ô Seigneur Jésus, où était ton ange exterminateur qui, dans une seule nuit, fit périr tous les premiers nés de l’Égypte, ou celui qui, d’après le témoignage du prophète Isaïe, extermina cent quatre-vingt-cinq mille infidèles dans le camp des assyriens, commandés par l’impie Sennachérib ; ou celui qui frappa le jeune Hérode au milieu de son discours, et fit aussitôt fourmiller la vermine dans son corps ? Et toi terre qui portais le traître à cette époque, que n’as-tu entrouvert tes gouffres pour l’engloutir, comme tu l’avais fait jadis pour Dathan et Abiron ? Tu n’as point connu la loi de ta propre Église, qui dit : Le fourrage, le bâton et la charge à l’âne ; le pain, la correction et le travail à l’esclave [Ecclés., 33, 25]. Le prophète Zacharie [13, 3] t’a fait une prédiction en disant : Vous mourrez, parce que vous vous êtes servis du nom du Seigneur pour proférer des mensonges. Dieu a fait voir ta méchanceté, et a conservé à l’empereur son trône et sa gloire. Cruel, ton jugement canonique est encore imparfait ; il devait être plus rigoureux pour augmenter ton ignominie. Des chevriers furent tes parents, et non des conseillers de roi. Par ton jugement conforme à celui des autres, tu avais déposé Jessé du sacerdoce ; tu le rappelles maintenant à son ancien rang. Ou ton jugement était faux alors, ou il l’est maintenant ; tu as imité celui dont le poète dit au sixième livre de l’Énéide : Phlégyas, le plus malheureux de tous, avertit ces hommes, et au milieu des ténèbres, répète ce    précepte à haute voix : Apprenez par mon exemple à respecter la justice et les dieux : celui-ci a vendu sa patrie, et fait peser sur elle le joug d’un tyran ; celui-là fit et abrogea les lois, au prix de l’or.

Que puis-je te dire de plus ? Eusse-je une langue de fer ou des lèvres d’airain, je ne pourrais encore exposer ni dénombrer tes méchancetés. Quiconque entreprendrait de chanter tes crimes dans ses vers, pourrait peut-être surpasser le chantre de Smyrne, l’antique Homère, ou le poète du Mincio, Virgile, ainsi qu’Ovide. Mais les épreuves que ce pieux monarque eut à subir de la part des plus pervers des hommes, semblent n’avoir eu pour objet que de prouver sa bonté, comme jadis la patience de Job. Il y avait pourtant une grande différence entre les persécuteurs de l’un et de l’autre. Ceux qui insultaient à Job étaient des rois, comme on le lit au livre de Tobie ; mais ceux qui affligèrent l’empereur étaient, d’après les lois, ses serviteurs, et l’avaient été de ses pères.

De Compiègne, ils conduisirent ce prince si pieux à Aix-la-Chapelle. A cette nouvelle, son fils qui portait le même nom que lui, quitta la Bavière, vivement indigné des affronts faits à son père. A son arrivée à Francfort , il envoya aussitôt des députés, l’abbé Gombaud et le comte palatin Murhard, pour demander et ordonner que l’on rendît envers son père une sentence plus humaine. Son frère Lothaire n’accueillit point sa députation avec bienveillance. Au retour de ses députés, Louis aussitôt en envoya d’autres à son père ; mais il leur fut défendu de le voir.

Lothaire partit ensuite d’Aix-la-Chapelle et se rendit à Mayence, où son frère vint le trouver. Ils eurent ensemble un entretien, où régna bien peu d’accord, parce que tous ceux que Lothaire avait à sa suite étaient rebelles à l’empereur ; au contraire, ceux qui étaient avec Louis étaient aussi fidèles à son père qu’à lui-même. De Mayence, Lothaire retourna à Aix-la-Chapelle, et y célébra la fête de Noël en retenant toujours son père prisonnier.

Après le saint jour de l’Épiphanie [en 834], Louis envoya de nouveau des députés à son père : c’étaient le vénérable Grimoald, abbé et prêtre ; et Gebhard, duc aussi illustre que fidèle. Ils se rendirent à Aix. Lothaire consentit à leur laisser voir son père, mais en présence d’espions, dont l’un s’appelait l’évêque Otgar ; l’autre était le perfide Richard. En présence de l’empereur, les députés se prosternèrent humblement à ses pieds, et le saluèrent au nom de son fils Louis. Ils ne voulurent point lui dire les choses secrètes dont ils étaient chargés, à cause de la présence des espions ; mais par quelques signes ils lui firent comprendre que son fils ne consentirait jamais au supplice de son père.

Aussitôt après le départ de ces envoyés, Lothaire força son père à l’accompagner à Compiègne. Celui-ci se conformant à la volonté de son fils le suivit. En apprenant cette violence Louis rassemble une armée et les poursuit. Il les avait presque atteints, lorsque Lothaire rendit la liberté à son père, et s’éloigna de lui avec ses conseillers impies. Louis se rendit alors auprès de l’empereur, le traita avec distinction, le ramena à Aix dans son palais, et, par la volonté de Dieu, le rétablit sur son trône et dans son pouvoir. Ils célébrèrent ensemble la sainte fête de Pâques. A cette nouvelle, Ebbon prit aussitôt la fuite ; mais il fût arrêté et amené de force en présence de l’empereur qui le fit mettre en prison.

La même année, qui était la vingt et unième de son règne, l’empereur accorda son pardon à tous ceux qui avaient été forcés de l’abandonner. Et il l’accorda sans peine ni chagrin, lui qui était le plus pieux des empereurs ; car, en pardonnant à ses ennemis, il accomplit ce précepte de l’Évangile, qui dit : Pardonnez, et on vous pardonnera. Dieu prépare de grandes et glorieuses récompenses à celui qui obéit à ce précepte. En effet, il châtie ceux qu’il aime, et envoie des afflictions à celui qu’il veut recevoir comme son fils ; et quiconque ne supporte point avec patience ses châtiments, ne peut devenir son fils.

Mais ce que l’empereur doit surtout empêcher, c’est que des esclaves ne deviennent ses conseillers. S’ils y parviennent, toutes leurs manœuvres ont pour but d’abaisser les nobles, tous leurs efforts de s’élever eux-mêmes avec leurs vils parents. Cet abus ne convient point à la sainte dignité impériale ; aussi du temps de son auguste père, arrivait-il rarement qu’un homme de cette sorte parvînt arts honneurs : qui plus est, ce prince déployait la plus grande sévérité pour comprimer leur orgueil. Et il faut maintenant imiter son exemple, d’autant que l’empereur s’est montré le plus doux des princes. Si ces hommes l’ont persécuté ainsi, lui qui leur avait prodigué toute sa bonté, lorsqu’ils en étaient indignes, est-il besoin de demander quelle doit être leur conduite envers leurs inférieurs

Louis, après son rétablissement, envoya des députés fidèles en Italie pour lui ramener sa femme, si souvent opprimée par des calomnies. Ils allèrent la trouver, la traitèrent avec honneur, et, au milieu des fêtes et de la joie, la ramenèrent auprès de l’empereur qui était alors dans le palais d’Aix-la-Chapelle.

Cependant Lothaire demeurait dans la ville de Châlons. Là, il commettait toute sorte de crimes, dépouillant les églises de Dieu, arrêtant partout où il pouvait les sujets fidèles de son père, excepté les ambassadeurs, et les faisant conduire au supplice. Qui plus est, il fit enfermer dans un tonneau une religieuse nommé Gerbich, sœur du duc Bernard, et la fit jeter dans la Saône ; fleuve dont Virgile dit : le Parthe boira les eaux de la Saône, ou le Germain celles du Tigre. Après avoir fait longtemps subir de mauvais traitements à cette femme, il la fit périr d’après le jugement de ses conseillers impies ; accomplissant cette prophétie des psaumes : Vous serez saint avec celui qui est saint, et pervers avec celui qui est pervers[10].

L’empereur envoya ensuite comme députés à Lothaire, le vénérable abbé Markward et d’autres fidèles, porteurs de lettres d’exhortation, dans lesquelles il l’avertissait de se souvenir surtout du Dieu tout-puissant et de ses préceptes, afin de se détourner de la voie de perdition où il marchait, et de comprendre combien il est insensé de mépriser les préceptes de Dieu ; car, entre autres commandements, Dieu donne celui-ci : Honorez votre père et votre mère [Exode, 20, 12] ; et celui qui aura maudit son père ou sa mère sera puni de mort [Ibid., 21, 17]. Et il ne nous a pas donné ce commandement par les prophètes ou les apôtres ; mais en l’écrivant lui-même, il a ordonné de l’observer, et à montre dans le livre du Deutéronome [21, 18-21] combien il est grave de le négliger. Si un homme a un fils rebelle ou insolent, qui ne se rende au commandement ni de son père ni de sa mère, et qui, en ayant été repris, refuse avec mépris de leur obéir, ils le prendront, le mèneront aux anciens de la ville et à la porte où se rendent les jugements ; et ils leur diront : Voici notre fils qui est un rebelle et un insolent ; il méprise et refuse d’écouter nos remontrances, et il passe sa vie dans les débauches, dans la dissolution et dans la bonne chère : alors le peuple de cette ville le lapidera, et il sera puni de mort, afin que vous ôtiez le mal du milieu de vous.

Lothaire après avoir parlé à ces envoyés, accueillit leur députation avec dureté et les menaça ; mais l’effet de ses menaces ne s’est pas encore accompli et ne s’accomplira pas. Les députés le quittèrent et revinrent vers l’empereur lui annonçant ce qu’ils avaient vu et entendu. Alors son père, gémissant sur lui, rassembla une suite nombreuse, et se dirigea vers le lieu qu’il connaissait comme sa demeure. Ses autres fils vinrent au devant de lui, Pépin de l’Occident, Louis de l’Oient, l’un et l’autre suivis d’une troupe nombreuse, par égard pour leur père. Louis s’approcha de la ville d’Orléans où était Lothaire avec ses séducteurs impies, dont nous ayons parlé plus haut ; celui-ci ne voulut point se rendre aux exhortations de son père, et pendant la nuit il s’éloigne comme en prenant la fuite. L’empereur envoya des députés après lui, Baradad évêque saxon, Gebhard noble duc, et Bérenger, homme sage, son proche parent. Ils allèrent le trouver, et aussitôt l’évêque Baradad lui ordonna, au nom de Dieu et des saints, de renoncer à la société de ses séducteurs, pour qu’il fût permis aux fidèles de l’empereur de lui montrer quelle était, au sujet de ces discordes, la volonté de Dieu. Lorsque l’évêque eut accompli sa mission, les ducs signifièrent à Lothaire les ordres dont ils étaient chargés. Lothaire les pria de sortir un moment, mais les rappela aussitôt, leur demandant leurs conseils, sur toute sa conduite. Ils l’engagèrent à se rendre avec ses séducteurs en présente de son père, lui garantissant la paix. Lothaire leur promit de s’y rendre avec eux. Les députés revinrent ensuite vers l’empereur et lui annoncèrent ce qui s’était passé.

Lothaire se rendit au lieu, où l’empereur son père était assis dans son pavillon, qui s’élevait dans une vaste plaine, à la vue de toute l’armée ; ses fils qui lui étaient restés fidèles étaient assis à côté de lui. Il se prosterna aux pieds de Louis, et après lui ainsi fit son beau-père Hugues le Peureux. Alors Mathfried et tous les autres chefs de la rébellion imitèrent leur exemple, et en se relevant ils avouèrent qu’ils étaient grandement coupables. Lothaire jura ensuite fidélité à son père, s’engageant à obéir à tous ses ordres, à se rendre en Italie, à y demeurer, et à ne point en sortir sans la permission de son père. Tous les autres répétèrent son serment, et Louis, le plus pieux des hommes, leur accorda un pardon entier, s’ils voulaient l’observer. Il leur permit de posséder leur patrimoine et tout ce qu’ils avaient, excepté ce qu’il leur avait donné de sa propre main. Ils se séparèrent alors, et Lothaire se rendit en Italie avec ses partisans ; aussitôt Mathfried, qui avait attisé le feu de ces discordes, mourut ainsi que plusieurs autres ; ceux qui survécurent furent attaqués de la fièvre.

L’empereur s’en retourna ensuite, et vint à Thionville où il passa tout l’hiver. L’année suivante [835], après la fête de Noël, il tint une assemblée générale des peuples. L’on y vit venir Ebbon, le plus grossier des paysans, que les autres évêques n’osèrent écarter avec fermeté, craignant qu’il ne les trahit. Ils lui conseillèrent de convenir qu’il était absolument incapable du ministère sacerdotal. Il le fit, et fut simplement renvoyé. Il est nécessaire de blâmer cette conduite, parce qu’il valait mieux exécuter sur cet homme le juste jugement des saints pères, que de montrer une fausse piété sous le voile de la religion.

La même année l’empereur se rendit à Lyon où ses deux plus jeunes fils, Pépin et Louis, vinrent au devant de lui. Il y demeura avec ses fils jusqu’à ce que ses envoyés se fussent rendus en Italie auprès de Lothaire. L’empereur revint ensuite de Lyon à Aix-la-Chapelle, Pépin retourna en Aquitaine, Louis se rendit du côté de l’Austrasie.

La même année Bérenger, ce duc aussi fidèle que sage, mourut en voyage. L’empereur le pleura longtemps avec ses fils. Cette année est la vingt-troisième du règne du puissant empereur Louis le Pieux. Daigne le Dieu dont le nom est béni dans tous les siècles, le conserver et le protéger longtemps dans cette vie où il restera pour le bonheur du monde, et l’admettre dans les temps suivants à la société de tous ses saints ! Ainsi soit-il ! [11]

 

La vingt-troisième année de son règne l’empereur eut, au mois de mai, une conférence avec ses fidèles dans le château royal de Thionville. On y vit venir d’Italie les députés de Lothaire, l’abbé Vala, le perfide Richard et le fidèle Eberhard avec plusieurs autres, pour lui annoncer que son fils viendrait avec plaisir auprès de lui, s’il pouvait le faire en sûreté. Alors quelques évêques et d’autres seigneurs lui promirent sécurité, sous la foi du serment, si ses fautes n’y mettaient obstacle. L’empereur annonça une assemblée générale qui devait avoir lieu dans la ville de Worms, et ordonna à Lothaire de s’y rendre au milieu du mois de septembre. Lorsqu’au jour marqué, l’empereur arriva à Worms avec une cour nombreuse et suivi de ses deux fils, Pépin et Louis, avec leur armée, les députés de Lothaire vinrent de nouveau le trouver, pour lui annoncer que, dans l’intervalle, leur maître avait été violemment attaqué de la fièvre, et qu’il lui avait été impossible devenir. La même année Wala mourut ainsi que plusieurs traîtres. La même année aussi, Hetti, le bienheureux archevêque de Trèves, inspiré par un ordre divin, transporta le corps de saint Castor du lieu où il reposait auparavant, et qui se nommait Caradona, vers un nouveau lien appelé Conflans [Coblentz], où la Moselle se jette dans le Rhin, et le déposa dans un monastère qu’il y avait fondé d’après l’ordre que saint à la terre lui en avait donné dans un songe. Ce fut le jour de la Saint-Martin que le corps arriva en grande cérémonie à Conflans. Le lendemain, qui était un dimanche, l’archevêque consacra l’église eu l’honneur de saint Castor et de tous les saints confesseurs. Après la consécration, il prit le saint corps et le plaça dans l’église avec tous les honneurs qu’il méritait. Le huitième jour après la consécration, qui était le 19 novembre, et aussi un dimanche, l’empereur vint au monastère arec sa femme et ses enfants, et, après la solennité de la messe, y fit de riches offrandes en or et en argent. Il y resta deux jours et deux nuits. L’archevêque l’honora lui, sa femme, ses enfants et toute sa suite, de présents innombrables. Le seigneur Louis retourna à Aix-la-Chapelle et y resta tout l’hiver.

La vingt-quatrième année de son règne, l’empereur annonça qu’il voulait se rendre en Italie, à la tête de toute son armée, avec ses fils Pépin et Louis, et il plaça en plusieurs endroits des garnisons contre les Danois. Mais ces mêmes Danois s’avancèrent sur une flotte contre une des garnisons, et massacrèrent une foule innombrable de chrétiens. Là périrent Hemmin, duc très chrétien, issu du sang Danois, Ecchard, autre duc, et une foule de seigneurs de l’Empire. Quelques uns furent aussi faits prisonniers, mais rachetés plus tard. A la nouvelle de ce désastre, l’empereur renonça au voyage qu’il avait annoncé, et retournant au château de Gondolf, il se rendit avec toute son armée à Nimègue, ville située sur le Wahal.

 

FIN DE LA VIE DE LOUIS LE DÉBONNAIRE.

 

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[1] On appelait chorévèque les vicaires chargés de suppléer l’évêque dans l’administration et la surveillance des églises et monastères du diocèse, villani episcopi. En l’absence de l’évêque, ils le suppléaient aussi souvent dans la ville épiscopale.

[2] Archevêque de Trèves, de 814 à 851.

[3] On ne doute point, dit dom Rivet, que notre chorévèque ne soit ce Thégambert, qualifié évêque, qui fit, le 25 octobre 844, à l’abbaye de Pruim, la cérémonie de la translation des reliques de saint Chrysanthe et sainte Darie, martyrs, rapportés de Rome par l’abbé Markward (Hist. littéraire de la France, tom. 5, p. 46).

[4] C’est le surnom qu’on lui donna de son temps et qui a été remplacé, dans les temps modernes, par celui de Débonnaire.

[5] Léon l’Arménien.

[6] Traité des devoirs d’un évêque, composé par saint Grégoire à son avènement à la papauté.

[7] L’évêque Théodulf soutint toujours qu’il était innocent ; en vain Modouin, évêque d’Autun, dans des vers qui nous ont été conservés, lui promit le pardon s’il voulait s’avouer coupable ; il persista dans sa dénégation.

[8] Il manque ici quelques phrases.

[9] Ce fut la même année.

[10] Thégan fait ici une fausse application de ce passage où le psalmiste dit, en parlant de Dieu : Vous serez, Seigneur, saint avec celui qui est saint, et innocent avec l’homme qui est innocent, vous serez pur et sincère avec celui qui est pur et sincère ; et à l’égard de celui dont la conduite n’est pas droite, vous userez d’une espèce de dissimulation et de détour. Psaume 17, v. 28-29.

[11] Ce qui suit est un appendice qui se trouve à la fin d’un manuscrit de l’ouvrage de Thégan, écrit de la même main.