Cicéron : Correspondance

CICÉRON

 

CORRESPONDANCE (lettres 650 à 699)

600-649  700-749

 

ŒUVRES COMPLÈTES DE CICÉRON AVEC LA TRADUCTION EN FRANÇAIS PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE M. NISARD DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE; INSPECTEUR GÉNÉRAL DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR - TOME CINQUIÈME - PARIS - CHEZ FIRMIN DIDOT FRÈRES, FILS ET Cie. LIBRAIRES - IMPRIMERIE DE L'INSTITUT DE FRANCE - RUE JACOB, 56 - M DCCC LXIX

 

 

AVERTISSEMENT.

LETTRES DE M. T. CICÉRON.

NOTA. Parmi les suscriptions ou adresses de ces lettres, ainsi que les formules ordinaires de politesse qui les commencent ou les terminent, nous n'avons conservé et traduit que celles qui nous ont paru se lier au contenu des lettres, et qui marquent une intention particulière de l'auteur. Ces exceptions même serviront à appeler l'attention, plus que l'on ne l'a fait jusqu'ici, sur les passâmes qui en seront l'objet.

Il n'y avait pas de motif, ni scientifique, ni de commodité, en publiant ces lettres par ordre chronologique, d'en partager le recueil en un certain nombre de livres, comme l'a fait Wieland, dans la traduction allemande qu'il en a donnée.  Il suffit, pour la clarté, qu'on trouve, en tête de chaque page le chiffre de l'année. C'est la division la plus naturelle, et la seule qui ne soit pas arbitraire.

Chaque texte porte, outre un numéro d'ordre, un numéro de renvoi à l'ancienne division des lettres en quatre recueils distincts, subdivisés eux-mêmes en livres. Ces renvois indiquent le titre du recueil, le numéro du livre, celui de la λettre. Ainsi, A. 1,2. signifie Lettres à Atticus, livre I, lettre 2; Q. signifie Lettres à Quintus; F., Lettres dites familières, et qui seraient plus proprement appelées Lettres à divers; B., Correspondance de Brutus et de Cicéron.

Les alinéa sont indiqués par des — sauf dans la très longue lettre en forme de traité, de Cicéron à Quintus, sur l'administration de l'Asie. Les signes A. DE. R.... AV. J. C... DEC...., qui sont répétés en tête de chaque année, veulent dire An de Rome.... Avant Jésus-Christ.... Age de Cicéron.

 




 

650. — A ATTICUS. Tusculum , septembre.

A. XIII, 49. Mes compliments d'abord à Attica que je suppose maintenant à la campagne. Mille compliments aussi à Pilia. Y a-t-il du nouveau au sujet de Tigellius? Suivant ce que Gallus Fabius m'a écrit, il m'accuse le plus injustement du monde, d'avoir manqué de parole à Phaméa après avoir accepté de le défendre. J'avais effectivement accepté, malgré ma répugnance à parler contre les enfants de Cnéius Octavius. Mais je voulais faire quelque chose pour Phaméa. Il m'avait lui , si vous vous en souvenez, fait offrir par vous ses services, lors de ma demande du consulat. Je devais lui en savoir gré , comme s'ils m'eussent été utiles. Phaméa vint me trouver et me dit que !e juge avait fixé le tour de son affaire. Cela coïncidait avec celle de Sextius, à laquelle la loi de Pompée était applicable. Vous savez que, d'après cette loi, quand le jour est une fois pris, c'est irrévocable. Je lui répondis qu'il n'ignorait pas ce que je devais à Sextius, et je me suis mis de nouveau à sa disposition pour tout autre jour qu'on voudrait prendre. Il me quitta avec dépit. Je crois vous avoir conté ce détail. Je n'y pensais plus, et je m'étais mis peu en peine de l'humeur fort injuste d'un homme qui ne m'est rien. Dernièrement, étant à Rome, je fais part à Gallus de ce que je venais d'apprendre , mais sans nommer le jeune Balbus. Gallus m'écrit qu'il en fait son affaire : suivant ce qu'il me mande, Tigellius serait persuadé que je me défie de lui, par un retour de conscience, avant à me reprocher d'avoir abandonné Phaméa. Je vous mets au courant pour que vous puissiez voir si cela ne touche pas aux intérêts d'un autre ; en ce qui me concerne personnellement, n'en prenez nul souci. Il est bien quelquefois de pouvoir haïr tout à son aise, oui, de la même manière qu'il est bien de ne pas courtiser tout le monde. Mais, vous le savez du reste, c'est bien plutôt moi que l'on courtise de ce côté-là, si toutefois c'est courtiser les gens que de les ménager.

651. — A M. FABIUS GALLUS. Tusculum, septembre.

F. VII, 24. Je ne fais point un seul pas, sans trouver un preuve de votre amitié. Témoin encore l'affaire de Tigellius, car j'ai vu par vos lettres combien vous y aviez mis de chaleur. Ces bonnes dispositions me sont chères. Quant à l'affaire, quelques mots : c'était Cipius, je crois, qui disait un jour : je ne dors pas pour tout le monde. Je dis de même : je ne suis pas l'homme de tout le monde. Comment l'entendez-vous? Eh bien ! lorsque jadis ou m'accusait de régner, personne n'avait pour moi les égards que me témoignent aujourd'hui les amis de César, tous, à l'exception de cet homme. Il est vrai que c'est tout profit pour moi, de n'avoir pas sur les bras cette peste pire cent fois que l'air empesté de son pays. Au surplus les Hipponaetes de Cal us Licinius l'ont mis à son prix. Or, savez-vous un peu d'où lui vient cette belle colère? Je m'étais chargé de la cause de Phaméa, et purement par intérêt pour lui; car nous étions vraiment liés ensemble. Il vient me voir et me fait part du jour désigné par le juge. C'était précisément celui où l'on devait aller aux voix pour P. Sextius. Je lui réponds que, malgré toute ma bonne volonté, plaider m'est absolument impossible, j'ajoute qu'il peut compter sur moi pour tout autre jour. Mais, lui , tout fier apparemment d'avoir un neveu fort habile , joueur de flûte et teinturier assez distingué, partit avec une humeur visible. Voilà bien nos gens de Sardaigne, espèce vénale, rivalisant d'infamie à qui mieux mieux ! Vous savez maintenant l'affaire et le grand sujet de pique de ce nouveau Salacon. Envoyez-moi votre Caton, je veux le lire : c'est une honte pour vous et pour moi que je ne l'aie pas encore lu.

652. — A ATTICUS. Tusculum, septembre.

A. XIII, 50. Vous m'avez engagé, dans plusieurs de vos lettres, à saisir une occasion pour écrire à César d'une manière un peu moins sèche que de coutume. Voici ce que j'ai appris l'autre jour de Balbus à Lanuvium. Oppius et lui ont mandé à César que j'avais lu son Anti-Caton et que j'en étais charmé. J'ai donc écrit à César, au sujet de cet ouvrage, une longue lettre qui doit lui être plus tard remise par Dolabella. J'en ai envoyé d'abord copie à Oppius et à Balbus, et je les ai priés de ne laisser partir l'original qu'autant qu'ils approuveraient la copie. Ils m'ont répondu qu'ils n'avaient jamais rien lu de mieux, et ils ont fait passer la lettre à Dolabella. Vestorius m'écrit de remettre des pouvoirs à son esclave pour l'échange de ma part de succession contre une propriété appartenant à un certain Hétérius. Ils pourra alors régulariser le marché lui-même a Pouzzol. Si vous êtes de cet avis, envoyez-moi l'esclave. Je crois que Vestorius vous a écrit en même temps. Oppius et Balbus sont d'accord avec vous sur l'arrivée de César. Votre silence au sujet de Tigellius m'étonne; vous ne me dites pas même comment il a pris la chose : je désirerais vivement le savoir ; cependant je n'en sèche pas d'impatience. Vous me demandez jusqu'où je compte aller au devant de César.  Jusqu'à Alsium, qu'en pensez-vous? J'ai prié Muréna de me donner l'hospitalité; mais je le crois parti avec Matius. Il me faudra donc déranger Sallustius. A peine cette ligne écrite, Éros m'apporte la plus aimable réponse de Muréna. C'est donc chez lui que j'irai. Silius n'est pas meublé, et quant à Dida , sa maison tout entière est prise.

653. — A  ATTICUS. Tusculum, septembre.

A. XIII, 51. J'ai tout à fait oublié de vous envoyer une copie de ma lettre à César. N'allez pas croire, comme vous le paraissez, que j'aie eu honte de vous laisser voir quelque flatterie ridicule. Je ne lui écris pas autrement, je vous assure, que d'égal à égal. J'estime beaucoup son ouvrage: je ne m'en suis pas caché à vous-même. J'ai donc écrit ce que je pense, sans flatterie et pourtant, je le suppose, de manière à lui aller droit au cœur. L'épreuve est maintenant consommée. Attica va bien et je lui en fais tout de nouveau mon compliment. Tout ce que vous savez sur Tigellius, je vous prie, et le plus tôt possible, j'en suis impatient. — A propos, Quintus vient demain. Est-ce chez vous? Est-ce chez moi? je l'ignore. Il m'a écrit qu'il serait a Rome le 8 des kalendes. J'ai envoyé un exprès pour l'engager. Toutefois, il me faut aller à Rome, de peur qu'il n'arrive avant moi.

654. — A M. FABIUS GALLUS. Tusculum, septembre.

F. VII, 25. Cessez de vous tourmenter au sujet  de cette lettre que vous avez cru déchirée. Elle est intacte. Vous pourrez la prendre chez moi, quand il vous plaira. Je vous sais d'ailleurs un gré infini de vos observations. Veuillez m'en adresser toujours de semblables. Vous paraissez craindre que l'homme en question ne nous fasse rire que du bout des lèvres; mais chut ! garde à nous ! voilà le maître, nous ne l'attendions pas sitôt. Moi, je crains que les catoniens ne finissent à la Caton. Rien de mieux, mon cher Gallus, que le passage de votre lettre qui suit ces mots : Le reste passe. Cela soit dit entre nous, et que votre Apella même n'en sache rien ; personne au monde , excepté nous deux , n'oserait parler comme nous parlons. Faisons-nous bien? Faisons-nous mal? c'est ce qu'on verra. Toujours est-il que ce langage, quel qu'il soit, est tout à fait nôtre. Poursuivez donc et ne changez pas votre manière. L'autre est passé maître dans l'art de bien dire. Mais je m'aperçois que déjà la nuit me gagne ; adieu.

655. — A TRÉBATIUS; peut-être à TORQUATUS. Rome.

F. VI,  11. Jusqu'ici j'ai été l'ami de Dolabella; je n'étais pas son obligé , n'ayant jamais eu besoin de lui , tandis qu'il me devait, lui , de m'avoir trouvé dans le danger. Mais aujourd'hui qu'il vient de sauver votre fortune et notre vie, je me sens tellement entraîné par la reconnaissance qu'il n'est personne à qui je me croie plus obligé qu'à lui. Je vous félicite , et ma joie en est si grande que je vous demande aussi des félicitations plutôt que des remercîments. Des remerciements me déplairaient. Des félicitations, vous pouvez m'en adresser. A présent que vos vertus et votre considération vous rouvrent le chemin de vos foyers , il est d'un sage , il est d'une âme forte d'oublier ce que vous perdez pour ne songer qu'à ce qui vous est rendu. Vous vivrez au milieu des vôtres au milieu de nous; vous avez acquis en estime plus que vous n'avez perdu en fortune. La fortune! quelle jouissance peut-elle offrir, quand la république n'existe plus? — Notre ami Vestorius m'écrit que vous lui avez parlé dans les termes le plus vifs de votre gratitude. Ce besoin de votre cœur de s'expliquer sur moi me touche, et vous parleriez encore de vos sentiments à notre ami Syron, par exemple, que je ne saurais m'en offenser. Dans tout ce qu'on fait on tient à obtenir l'approbation des hommes graves. J'ai hâte de vous voir.

656. — A CORNIFICIUS. Rome, octobre.

F. XII, 17. Je suis vivement touché des assurances que vous me donnez de votre souvenir, et je vous prie de me le conserver toujours. Je ne vous fais pas l'injure d'en douter. Mais j'aime à vous exprimer ce vœu de politesse et d'usage. Les nouvelles de Syrie ne parlent que de troubles. Elles m'inquiètent moins pour moi que pour vous qui en êtes si près. A Rome, calme complet : mieux vaudrait un peu de mouvement et d'action qui portât remède à nos maux. Je n'en désespère point. César l'a à cœur. Sachez que pendant votre absence, j'ai saisi l'occasion et pris ma volée. J'ai écrit avec une certaine hardiesse, je vous assure , et quelquefois sur des matières que vous-même ne désapprouveriez pas. En dernier lieu, j'ai fait un traité sur ce qui constitue la perfection dans l'éloquence; c'est un sujet sur lequel je vous ai soupçonné souvent d'être en désaccord avec moi , j'entends de ce désaccord qui peut se rencontrer entre un savant homme et un homme qui n'est pas tout à fait sans instruction. Aussi je tiens à votre suffrage. Donnez-le-moi même par indulgence, si ce n'est par conviction. Je dirai chez vous qu'on ait la complaisance de copier ce traité et de vous l'envoyer. Car enfin, dût-il au fond n'être pas goûté, certes venant de moi, dans la solitude où vous êtes, il sera, je pense, bien reçu. Me recommander, comme vous le faites , votre réputation et vos intérêts, c'est vous conformer à l'usage général, mais je vous prie de croire que je connais les droits de notre vieille amitié et que, quand je songe à vos hautes qualités , à vos nobles penchants, au glorieux avenir qui vous est promis, il n'y a personne que je vous compare peut-être, personne du moins que je mette au-dessus de vous.

657. — A Q. VALÉRIUS ORCA, propréteur. Rome, octobre.

F. XIII, 4. Je me trouve en relation étroite avec les habitants de Volterre. Ils m'ont des obligations, ils en ont de la reconnaissance. J'ai
éprouvé leur sympathie aux temps prospères, comme aux jours d'épreuves. A part cette considération , je croirais encore devoir à l'amitié que je vous porte, aux sentiments que vous avez pour moi , d'appeler sur eux votre protection. Ils y ont droit en quelque sorte, et par l'heureux privilège que leur a départi la bonté des Dieux de se tenir, sous Sylla, en dehors de toute violence ; et par l'extrême intérêt que leur a témoigné le peuple romain , quand je les défendais pendant mon consulat. Les tribuns avaient proposé une loi criante , au sujet de leurs terres. Je réussis à persuader au peuple qu'il ne devait pas traiter rigoureusement des citoyens que la fortune même avait épargnés. Sous son premier consulat, César, dans sa loi agraire, maintint mes actes. Une exception fut prononcée à perpétuité en faveur du territoire de la ville de Volterre. Je me persuade que César, qui cherche à se faire de nouveaux amis, ne peut pas vouloir perdre le fruit de ces anciens bienfaits. La prudence vous commande donc de marcher dans la voie de l'homme dont vous avez honorablement adopté le parti et servi la fortune, ou d'en référer à sa décision. J'ajoute que vous ne pouvez hésiter à rendre à une ville municipale si importante, si honnête, si fidèle en amitié, un service qui va vous l'attacher à jamais. Jusqu'ici je vous montre, je vous indique ce qu'il me paraît juste que vous fassiez. Mais j'irai plus loin ; le donneur d'avis se fera auprès de vous solliciteur et suppliant. Sauvez, je vous en conjure, sauvez les Volterrans de toute atteinte, dans leurs intérêts et dans leurs personnes. Je vous en aurai une reconnaissance infinie. Habitations, domaines, argent, biens de toute espèce, préservés par la bonté des Dieux, respectés par les plus grands citoyens, avec l'approbation du peuple et du sénat ; je mets tout sous la sauvegarde de votre droiture, de votre justice et de votre bonté. Si je disposais des mêmes ressources qu'autrefois et qu'il me fût donné de défendre aujourd'hui les habitants de Volterre, comme je savais alors défendre les miens, il n'est démarche ni lutte qui me coûtassent pour leur être utile. Mais comme j'ai la confiance d'avoir encore aujourd'hui, auprès de vous, le même crédit que j'avais jadis auprès de tous , je vous demande au nom de l'amitié qui nous lie, des sentiments de bienveillance qui nous animent l'un pour l'autre, je vous demande de mériter si bien des habitants de Volterre, qu'ils regardent comme une faveur divine d'avoir pour juge de leurs intérêts le seul homme sur l'esprit duquel leur éternel défenseur ait encore quelque pouvoir.

658. — A VALÉRIUS ORCA , PROPRETEUR. Rome, octobre.

F. XIII, 5. Nous sommes amis et j'aime qu'on le sache , mais sans préjudice bien entendu de ce que vous devez de dévouement et de zèle à l'importante mission dont vous investit la confiance de César. Chacun me sollicite, dans l'opinion qu'on a de vos bonnes dispositions pour moi. Je résiste pour que vos obligations officielles n'en souffrent point. Mais entre G. Curtius et moi , l'amitié date de notre première jeunesse. J'ai eu à gémir de l'oppression qu'il a subie, comme tant d'autres , à l'époque désastreuse de Sylla ; et lorsque ceux qui avaient partagé son sort et perdu leurs biens, obtinrent du vœu public leur rentrée sur le sol de la patrie, je contribuai pour ma part à son rétablissement. Il possède dans le territoire de Volterre un bien où il a comme réuni les débris de son naufrage. César vient de l'élever au sénat. Si sa propriété lui était enlevée, il pourrait à peine soutenir son rang. Il serait bien dur de se voir d'un côté grandir en dignité et de l'autre devenir tout court d'argent ; et ne serait-ce pas la plus choquante contradiction si l'ordre de César pour le partage des terres avait pour effet de chasser de son bien un homme que la bienveillance de César vient d'appeler au sénat? Mais je ne veux pas trop insister sur la question d'équité. J'aime mieux m'adresser à votre bienveillance qu'à votre justice. Je me borne donc à vous prier avec instance de considérer l'affaire de C. Curtius comme ma propre affaire. Ce que vous feriez pour moi , faites-le pour lui; ce qu'il obtiendra me sera tout à fait personnel. C'est avec les plus vives instances que je vous adresse ma prière.

659. — A M. RUTILIUS. Rome, octobre.

F. XIII, 8. Fort de mes sentiments et de votre bienveillance , je n'hésite pas à recourir à vous dans l'occasion. Vous savez comme tout le monde combien P. Sextius a de titres à mon attachement ; mais il n'y a que moi qui sache à quel point je l'aime. On lui a dit que vous aviez de l'affection pour moi, et il me prie de vous recommander d'une manière toute particulière l'affaire de C. Albinus sénateur; il a épousé sa fille et il en a eu un fils L. Sextius, qui est le plus excellent jeune homme du monde. J'entre dans ce détail pour vous faire entendre les rapports d'intérêts qui existent de moi à Sextius et de lui à Albinus. Voici l'affaire. C. Albinus a reçu en payement de M. Labérius des terres que celui-ci avait achetées de César et qui provenaient des biens de Plotius. Si je vous disais qu'il n'est pas de l'intérêt de la république de comprendre ces terres dans les partages, j'aurais l'air de donner une leçon au lieu de solliciter une grâce. Cependant, au moment où César confirme les ventes et les assignations de Sylla pour donner une garantie aux siennes , n'est-ce pas ôter à cette garantie toute autorité, que de souffrir le partage des biens que César lui-même a vendus? Vous verrez dans votre prudence ce que vous avez à faire. Mais jamais je ne vous demanderai rien qui m'intéresse davantage, rien qui soit plus juste et dont j'aie le succès plus à cœur. Je vous conjure de ménager Albinus et de ne pas toucher aux biens de Labérius. Vous me causerez une grande satisfaction de cœur, je dirai même d'amour-propre, si, grâce à moi, dans cette occasion , P. Sextius à qui je dois tant , peut rendre ce qu'il doit lui-même à l'homme du monde qui lui touche de plus près. Entrez donc dans mes vues, je vous en supplie. Vous ne pouvez me rendre un plus grand service; c'est vous dire assez quelle sera ma reconnaissance.

660. — A CLUVIUS. Rome, octobre.

F. XIII, 7. Dans la visite que vous me fîtes lors de votre départ pour les Gaules, visite où j'ai reconnu ce que vous avez d'amitié et de considération pour moi, je vous parlai du champ péager que la ville municipale d'Atella possède dans cette province; et vous avez pu remarquer avec quel intérêt. Depuis, lorsqu'il s'est agi de cette affaire, capitale pour les habitants qu'elle concerne, et qui sont à la fois les plus honnêtes gens du monde et les plus dévoués à ma personne, j'ai cru devoir intervenir plus positivement encore , et je vous ai adressé pour eux une lettre fort détaillée. Ce n'est pas je me fasse illusion sur la difficulté des circonstances et la nature de vos pouvoirs. Je sais très-bien que César vous a donné mandat pour agir et non pour juger ; aussi je ne vous demande rien que ce que vous pouvez et que ce que je suppose que vous voudrez bien faire pour l'amour de moi. D'abord mettez-vous bien dans l'esprit, et c'est un fait, que la ville d'Atella n'a que ce péage pour tout revenu; que ses charges actuelles sont énormes, que sa position est des plus embarrassées. C'est, dira-t-on, un sort que bien d'autres villes partagent avec elle. Croyez cependant que celle-ci a eu à souffrir des désastres tout particuliers. Si je ne vous les cite point, c'est que l'intérêt que m'inspirent les malheurs de mes amis pourrait, contre mon intention, avoir l'air d'une attaque envers quelques personnes; et je ne le veux point. J'ai bon espoir de faire comprendre à César la position d'Atella; sans quoi, la démarche que je fais en ce moment près de vous serait tout à fait déplacée. Mais je le répète, c'est ma confiance, ma conviction que César prendra en considération les titres de cette ville, les droits de l'équité et l'affection de ses habitants pour lui; je n'hésite donc pas à vous prier de réserver la question tout entière à César lui-même. Je vous le demanderais quand même il n'y aurait pas d'antécédents ; mais je vous le demande avec plus de confiance depuis que je sais qu'une semblable faveur a été accordée par vous aux habitants de Reggio. Ils avaient, il est vrai, pour eux leurs relations particulières avec vous. Mais vos sentiments pour moi me sont garants que vous ne refuserez pas à mes amis ce que vous accordez aux vôtres. Songez surtout que je ne vous fais qu'une demande, et que, parmi les villes avec lesquelles j'ai des liaisons , il en est plusieurs qui sont fort en peine pour la même cause. Persuadez-vous Lien aussi que je n'agis pas sans motifs, et qu'il n'y a dans ma requête aucun désir de me donner de l'importance. Je vous affirme, et vous m'en croirez sur parole, que j'ai des obligations essentielles à la ville d'Atella, et qu'il n'y a pas une époque de ma vie, au temps de mes honneurs comme au temps de mes épreuves, où elle ne m'ait donné de bien rares témoignages de dévouement. Ainsi donc, au nom de l'amitié qui nous lie, au nom de cette extrême bienveillance que vous m'avez constamment témoignée, je vous demande avec de nouvelles instances, avec une nouvelle force, de considérer qu'il s'agit de la fortune entière d'une ville, de peser ce qu'exigent de moi mes rapports avec elle , le devoir, la reconnaissance , et de céder à ma prière. Dans ce cas, voici ce qui arrivera : Si César confirme nos espérances, c'est à vous seul que nous nous en croirons redevables. S'il en est autrement, nous vous rendrons cette justice, que vous aurez fait pour nous tout ce qui vous était possible. Je vous promets, pour mon compte, une vive gratitude, et vous vous attacherez à jamais d'excellents citoyens , qui sont en même temps les plus honorables des hommes, les plus disposés à la reconnaissance et les plus dignes de votre affection.

661 . — A CORNIFICIUS , son collègue. Rome , octobre.

F. XII, 18. C'est par la fin que je commencerai, en répondant à la dernière lettre que j'ai reçue de vous. Ainsi procédez-vous quelquefois, si je ne me trompe, vous autres grands orateurs. Vous vous plaignez de mon silence. Eh bien ! je n'ai pas une seule fois manqué d'écrire , quand on m'a fait connaître le départ de quelqu'un des vôtres. Vous me dites que vous n'agirez point à la légère, et que vous n'arrêterez aucun plan avant de savoir positivement jusqu'où peut aller ce je ne sais qui qu'on appelle Cécilius Bassus. Je n'attendais pas moins de votre prudence; mais votre lettre m'a fait grand plaisir en me le confirmant. Soyez assez bon pour m'écrire le plus souvent possible, afin que je sache ce que vous faites, et ce qui se passe, et aussi ce que vous projetez ; je vous le demande en grâce. Votre départ m'avait singulièrement affligé; mais je me consolais en pensant que vous alliez au séjour du calme, et que vous vous éloigniez des orages dont nous étions menacés. Ma double prévision a été déçue. La guerre a éclaté où vous êtes, et la paix s'est maintenue ici. Il est vrai que c'est une paix avec beaucoup de choses qui ne seraient pas de votre goût si vous les voyiez , et qui même ne plaisent guère à César ; mais c'est le sort des guerres civiles : il faut non-seulement souffrir ce que veut le vainqueur, mais encore se plier aux exigences de ceux qui l'ont aidé à vaincre. J'y suis au surplus déjà tellement fait, qu'aux jeux de César je n'ai pas éprouvé la moindre émotion en voyant la figure de T. Plancus , et en écoutant les vers de Labérius et de Publius. Sachez que ce dont je souffre par-dessus tout, c'est de n'avoir pas un ami avec qui je puisse rire librement et philosophiquement de tout ceci. Soyez cet ami-là, et revenez au plus vite. C'est ce que je vous conseille autant dans votre intérêt que dans le mien.

662. — A VATINIUS, IMPÉRATOR. Rome.

F. V, 11. Vous êtes touché de ce que j'ai fait pour vous ; je ne m'en étonne point. Je sais que vous êtes le plus reconnaissant des hommes , et je ne cesse de le dire hautement; mais c'était peu de montrer de la reconnaissance, vous m'en avez comblé : aussi comptez de ma part sur les mêmes dispositions et le même zèle pour tout ce qui pourrait vous intéresser encore. Vous m'avez recommandé Pompéia, votre illustre épouse. Je me suis entendu avec Sura aussitôt après la lecture de votre lettre; il est chargé de lui dire de ma part qu'elle ait à me faire connaître ses volontés, et que je serai aussi empressé que fidèle a les accomplir. Ainsi ferai-je. Je me rendrai même auprès d'elle , s'il en est besoin. Vous me ferez plaisir de l'assurer que, pour la servir, il n'est rien que je trouve trop difficile ou trop peu digne , rien qui me semble au-dessus ou au-dessous de moi. Quand il s'agit de vos intérêts , toute peine s'allège et tout soin s'ennoblit. — Faites-moi le plaisir d'en finir avec Dionysius. Quelques promesses que vous lui donniez , je les ratifie; mais s'il continue de faire le récalcitrant, envoyez-le poings liés à mon char de triomphe. — Maudits soient ces Dalmates qui vous donnent tant de tracas ! mais vous en aurez bientôt raison , dites-vous : et ce sera un nouveau lustre sur vos belles actions; car c'est un peuple qui a toujours passé pour belliqueux.

663. — DE CURIUS A CICÉRON. 29 octobre.

F.VII, 29. Oui, vous avez sur moi droit d'usage et Atticus droit de propriété. A vous la jouissance, à lui le fonds. Mais quelle propriété! Un vieil esclave de rebut à vendre en bloc et de peu de défaite. Que l'annonce serait autre, si je disais que tout en que je suis, que tout ce que je possède, que ce qu'on m'estime, que tout cela provient de vous! Continuez-moi donc, mon cher Cicéron, votre protection tutélaire, et signalez-moi de la bonne façon aux successeurs de Sulpicius. Je me trouverai ainsi en meilleure position pour exécuter vos ordres , pour me préparer la joie de vous voir au printemps , et pour ramasser ce que j'ai et le transporter sans risque ailleurs. Mais gardez-vous, cher et illustre ami, gardez-vous de montrer ma lettre à Atticus. Laissez-lui son illusion , laissez-lui croire que je suis un honnête homme, incapable de me mettre à la fois à deux murs pour les blanchir du même pinceau. Adieu, mon cher patron , portez-vous bien, et faites mille compliments de ma part à Tiron.

664. DE VATIMUS A CICÉRON. Narone, 5 décembre.

F.V, 10, 2eme part. Aussitôt après le vote des supplications (Il y en avait de deux sortes : les unes en entrant en campagne , les autres après le succès. II s'agit ici des premières.) , je suis parti pour la Dalmatie. J'ai emporté d'assaut six villes, dont une place très-forte, qui a été , en quelque sorte , prise quatre fois. Car j'ai eu à forcer successivement quatre tours, quatre murailles , puis la citadelle tout entière, d'où le froid, la neige et la glace m'ont ensuite chassé. Oui, mon cher Cicéron, j'ai eu la mortification d'abandonner une ville conquise et une guerre on peut dire terminée. Justifiez-moi donc près de César, si le cas l'exige. Vous le pouvez hardiment sur tous les points. Pensez qu'il s'agit de l'homme qui vous aime le plus au monde.

665. A DOLABELLA. Pouzzol , décembre.

F. IX, 12. Honneur et gloire à Baies, si, comme vous le dites, le séjour en est devenu tout à coup si salutaire ! C'est peut-être que ce lieu vous aime et qu'il veut vous plaire, en oubliant sa nature propre, tant que vous serez son hôte. Mais je trouve tout simple que le sol et l'atmosphère se dépouillent pour vous de leur malignité. Ce discours pour Déjotarius, que vous me demandez, je l'avais avec moi sans le savoir; je vous l'envoie. Vous verrez une cause assez maigre, de peu d'intérêt, et qui ne méritait guère l'honneur d'être écrite. Mais précisément je voulais pour mon vieil hôte et ami quelque chose d'un peu brut, fait à la grosse, et dans le goût de ce que lui-même il m'envoie d'ordinaire. Sagesse et fermeté, voilà ce que je vous recommande, mon cher Dolabella. Que le contraste de votre modération et de votre dignité couvre les autres de honte.

666. — A ATTICUS. Pouzzol, décembre.

A. XIII, 52. Eh bien ! cet hôte si incommode, je suis loin de m'en plaindre, en vérité. Il a été charmant. Lorsqu'il arriva chez Philippe, le second jour des Saturnales, la maison était tellement remplie de soldats, qu'à peine le triclinium où César devait souper se trouva libre. Il y avait avec lui deux mille hommes. Cela me fit trembler pour le lendemain ; mais Barba Cassius y pourvut et me donna des gardes. Ses soldats campaient dans mon jardin , et la maison n'avait rien à craindre. Le troisième jour des Saturnales, il resta chez Philippe jusqu'à la septième heure et ne reçut personne. Je suppose qu'il réglait des comptes avec Balbus. Il fit une promenade sur le rivage. A la huitième heure, il prit un bain : on lui lut les vers sur Mamurra; mais il ne sourcilla point, se fit oindre, et se mit à table. Comme il avait pris un vomitif, il but et mangea avec autant d'appétit que de gaieté. Services magnifiques et somptueux; de plus, propos de bon goût et d'un sel exquis. Enfin, si vous voulez tout savoir, la plus aimable humeur du monde. Trois tables abondamment servies étaient préparées dans trois salles pour les intimes de sa suite. Rien ne manquait au commun des affranchis et aux esclaves. Les affranchis principaux furent mieux traités encore. Qu'ajouter de plus ? On disait: Voila un homme qui sait vivre. L'hôte que je recevais n'est pourtant pas de ces gens à qui l'on dit : au revoir, cher ami , et ne m'oubliez pas à votre retour. C'est assez d'une fois. D'ailleurs, pas un mot d'affaires sérieuses. Conversation toute littéraire. Enfin que voulez-vous? Il a paru charmé, et il était le plus aimable qu'on puisse imaginer. Il a dit qu'il passerait un jour à Pouzzol et un autre à Baies. — Telle a été cette journée d'hospitalité ou d'auberge, si vous l'aimez mieux , cette journée qui m'effrayait tant, vous le savez , et qui n'a rien eu de fâcheux. Je resterai peu de moments ici; je me rendrai à Tusculum. Lorsqu'il passa devant la maison de Dolabella, toutes les troupes marchèrent en colonnes a droite et a gauche de son cheval , évolution qui ne s'est faite que là. Je le tiens de Nicias.

667. — A ATTICUS. Tusculum , décembre.

A. XIII, 42. Il est venu (son neveu); il est fort triste. Pourquoi cet air sombre, lui dis-je? — Vous me le demandez, reprit-il, quand il me faut partir, et partir pour une guerre où il y aura beaucoup de dangers a courir et rien de bon à gagner! — Mais vous le voulez bien, je pense ? — Non ; ce sont mes dettes qui m'y obligent, et je n'ai pas même d'argent pour me mettre en route. — Ici, j'empruntai quelque chose à un langage qui vous est familier : je me tus. Ce qui me fait le plus de peine, reprit-il, c'est mon oncle. — En quoi, dis-je? — Il m'en veut. — Pourquoi le laissez-vous dans cette disposition ? Je ne voulais pas dire : Pourquoi l'y avez-vous mis? — Je ne l'y laisserai pas. Je ferai cesser la cause de son mécontentement. — Et vous ferez fort bien ; mais si vous n'y répugnez pas trop, veuillez m'en expliquer le motif. — Je ne voulais pas me marier. Ma mère s'est fâchée, et par suite mon oncle aussi. A présent, peu m'importe, je ferai tout ce qu'on voudra. — Allons,
vous vous en féliciterez , et je vous approuve fort. Quand le mariage ? -  L'époque m'est indiflërente, j'ai donné mon consentement. Ce sera, je pense, avant votre départ; par la vous contenterez aussi votre père. — Puisque tel est votre avis, je veux le suivre. Là s'est terminée notre conversation. Mais, à propos, vous savez que le troisième jour des noues de janvier est l'anniversaire de ma naissance. Vous viendrez, n'est-ce pas? Je fermais ma lettre, et voilà que Lépide m'engage à venir. Je ne crois pas qu'il y ait assez d'augures pour la consécration de ce temple. Allons; je vous verrai donc bientôt (On n'a pas traduit les deux mots grecs qui n"offrent aucun sens).

668. — A TIRON.

F, XVI, 18. Quoi donc! Cela ne convient pas dites-vous. Au contraire; et même il faut mettre: A SON CHER TIRON. Cependant je l'effacerai si vous craignez l'envie, dont, pour mon compte, je me suis toujours fort peu soucié. Je suis charmé que la transpiration vous ait réussi. Si le séjour de Tusculum vous fuit le même bien, bons Dieux, que j'en serai plus aise encore ! Si vous avez de l'amitié pour moi, comme vous en avez en effet ou comme vous en faites semblant à merveille, et de façon à y réussir, je vous conjure de soigner votre santé, cette santé que jusqu'a présent vous avez si mal servie, pour vouloir trop bien me servir moi-même. Vous n'ignorez pas ce qu'elle exige : " des digestions faciles, point de fatigue, un exercice modéré, du repos d'esprit, le ventre libre. .."  Je vous en prie, revenez-moi beau garçon; je vous en aimerai mille fois davantage, vous et Tusculum. Engagez Parhédrus à traiter lui-même du jardin. Cela fera peut-être impression sur le jardinier. Ce misérable faquin donnait cent mille sesterces pour un jardin mal abrité, sans eau, sans clôture, sans habitation. N'est-ce pas se moquer de moi que de me proposer une telle dépense? Mettez-lui le feu sous le ventre, comme j'ai fait à Mothon. Je m'en trouve maintenant comme sur un lit de roses. Quoique je n'aie que trop d'eau , où en est , je vous prie , l'affaire de la fontaine Crabra ? Je vous enverrai une horloge et des livres, s'il fait beau. Mais êtes-vous donc absolument sans livres?  Ne composez-vous pas quelque chose de Sophocléen? En ce cas, montrez-le. A. Ligurius, client de César, vient de mourir. C'était un homme de bien, et entièrement dans mes intérêts. Mandez-moi quand je puis compter sur vous, et ayez bien soin de votre santé. Adieu.

669. — A QUINTIUS GALLUS.

F. XIII, 43. J'aurai bientôt, je le sais, des occasions de voir (ce dont en vérité je ne doute guère) si vous avez réellement de l'attachement pour moi; et je vous offre dès aujourd'hui un moyen facile de me le prouver. L. Oppius,  fis de Marcus, fait le commerce à Philomélium. Il est de mes amis; je vous le recommande particulièrement, et je mets d'autant plus d'intérêt à cette recommandation qu'outre l'affection que j'ai pour lui , il est chargé des affaires de L. Egnatius Aufus, le seul des chevaliers romains avec lequel je sois intimement lié, que je vois tous les jours, et qui m'a rendu nombre d'importants services. Je veux donc a la fois  que vous aimiez Oppius qui est près de vous, et que vous veilliez aux intérêts d'Egnatius qui est absent , le tout comme s'il s'agissait de moi-même. Je voudrais que, pour aider votre mémoire, vous me fissiez un mot de lettre qui pût vous être représenté quand vous serez dans la province , et qui fut conçu de manière à vous rappeler avec précision ce que je vous recommande. Je vous en prie instamment.

670. — A QUINTIUS GALLUS.

F. XIII, 44. J'ai vu par vos lettres et par celles de L. Oppius , mon intime ami , que vous n'aviez pas oublié ma recommandation. Je n'en suis pas surpris, connaissant votre extrême bienveillance et votre amitié. Cependant je veux une seconde fois encore vous parler de L. Oppius , en ce moment auprès de vous, et vous recommander les intérêts de L. Egnatius absent. Entre Oppius et moi l'intimité est si étroite, que je n'aurais pas plus de sollicitude pour ce qui me serait personnel. Aussi ne pouvez-vous me faire un plus grand plaisir que de lui témoigner que vous avez en effet pour moi tout autant d'amitié que je vous en crois. Bien , je vous le répète , ne peut me toucher davantage : ne me refusez pas , je vous le demande en grâce.

671. — A APULÉIUS.

F. XIII, 45. Egnatius est le seul chevalier romain avec lequel je sois intimement lié. Il a envoyé Anchialus, l'un de ses esclaves, en Asie, pour y suivre des affaires qui le concernent. Je vous recommande l'homme et les affaires aussi instamment que s'il s'agissait de mes propres intérêts. Remarquez , je vous prie , qu'entre Egnatius et moi , ce sont des rapports de tous les jours , de la nature la plus intime, et un échange continuel de services. Faites qu'il s'aperçoive que je vous ai écrit d'une manière toute particulière. Il sait d'avance vos bonnes dispositions; mais prouvez-les-lui, je vous en conjure. Adieu.

672. — A APULÉIUS.

F. XIII, 46. L. Nostius Zoïlus est mon cohéritier : cette double qualité vous dira pourquoi je lui porte intérêt; et vous comprendrez qu'il n'y a qu'un honnête homme que son patron puisse enrichir ainsi. Je vous le recommande comme s'il était de ma maison. Vous me ferez grand plaisir en le traitant de manière à lui faire voir que ma recommandation lui a été très-utile.

673. — A SILIUS.

F. XIII, 47. A quoi bon vous recommander qui vous est si cher ? Pour que vous sachiez que je l'aime aussi, non pas d'un intérêt ordinaire, mais de la plus tendre affection. C'est pour cela que je vous écris. De tous les services que vous m'avez rendus ( et vous m'en avez rendus beaucoup et de fort importants) , rien ne me touchera plus que si vous avez pour Egnatius des procédés qui lui prouvent combien je l'aime et combien vous m'aimez. Je vous demande avec instance ce nouveau témoignage de votre amitié. Nous avons été cruellement frappés dans notre existence. Tout est peut-être pour le mieux. Voila la consolation qui court les rues, et qu'il faut nous appliquer. Nous causerons de tout cela à la première rencontre. En attendant , continuez de m'aimer tendrement , et de penser que je vous
aime de même.

674. — A SEXTILIUS RUFUS, QUESTEUR.

F. XIII, 48. Je vous recommande tous les Cypriens en général, et les Paphiens en particulier; je vous saurai un gré infini de ce que vous ferez pour eux. J'insiste d'autant plus qu'il me paraît importer à votre honneur, dont je suis jaloux, que le premier questeur romain dans l'ile laisse sa trace et marque la voie à ses successeurs. Ce vous sera chose facile, je m'en flatte, si vous suivez les directions et les lois de votre intime ami Lentulus, et les institutions diverses que j'ai moi-même établies. Ou je me trompe, ou vous vous feriez par là un honneur infini.

675. — A Q. REX.

F. XIII, 52. A. Licinius Aristote de Malte a été très-anciennement mon hôte. Une étroite liaison existe entre lui et moi. Cela suffit, je n'en doute pas, pour exciter votre intérêt. Je connais par expérience l'accueil que vous faites à mes recommandations. Grâce à mes soins, il n'a plus rien à craindre du côté du César. Il avait été fort mêlé à nos affaires, et il est même, resté plus longtemps que moi dans le parti, Je sais que vous l'en estimerez davantage. Faites donc, mon cher Rex , faites qu'il apprenne tout ce qu'on gagne près de vous avec une lettre de moi.

AN. DE R. 710 — AV. J. C. 43. — A. DE C. 63.

 

C. Julius César, pour la cinquième fois, et M. Antoine, consuls.

 

676. -- QUINTUS A SON CHER TIRON.

F. XVI, 26. Je vous ai dit à part moi bien des injures, quand j'ai vu pour la seconde fois les dépêches arriver sans lettre de vous. C'est un crime dont vous ne pouvez en conscience refuser de subir la peine. Prenez Marcus pour avocat, et voyez, je vous le conseille, si en mettant beaucoup de temps à élucubrer, à revoir, à commenter votre défense, il parviendra à démontrer que vous n'êtes pas coupable. Je me rappelle une ancienne habitude de notre mère : elle cachetait les bouteilles vides comme les pleines, afin qu'on ne pût pas en boire à la dérobée de pleines qu'on eût ensuite rangées parmi les vides. Eh bien! je vous en prie, faites votre profit de cet exemple. Si vous n'avez rien à mettre dans votre lettre, ne laissez pas de m'écrire encore, sans quoi c'est un vol trop à découvert que vous me faites. Oui un vol , car vos lettres ne sont jamais vides pour moi. Elles exhalent toujours un parfum exquis. Aimez-moi et portez-vous bien.

677. — A TRÉBATIUS.

F.VII, 21. Je vous ai expliqué l'affaire de Silius : depuis, il est venu me voir. Je lui ai dit que, dans votre opinion, nous ne courrions aucun risque à consigner, en le faisant dans ces termes : Si l'édit du préteur Q. Cépion ne l'a pas envoyé en possession des liens de Turpilia. Il prétend, sur l'autorité de Servius, que tout testament est nul quand son auteur n'a pas droit de tester. Oflilius, dit-il, est du même avis. Du reste, il a ajouté qu'il ne vous en avait pas encore dit un mot , et il m'a prié de vous recommander lui et son affaire. Il n'y a pas, mon cher Testa, d'homme meilleur ni plus mon ami que Silius, vous excepté toutefois. Je vous saurai un gré infini si vous avez la bonté de prévenir vous-même sa démarche el de lui donner de bonnes paroles, le plus tôt possible, je vous prie. Je vous le demande avec les plus vives instances.

678. A TRÉBATIUS.

F.VII, 22. Vous m'avez plaisanté hier à table pour avoir dit que c'était une question de savoir si un héritier a le droit de poursuivre pour un vol commis avant l'ouverture de la succession. Quoique rentré fort tard et ayant bu raisonnablement, j'ai voulu rechercher le chapitre qui contient la discussion à ce sujet. Je l'ai noté et je vous l'envoie; vous y verrez que l'opinion qui , à vous entendre , n'était celle de personne , est défendue par Sex. Elius, M'. Manilius et M. Brutus. Néanmoins , je me range à l'avis de Scévola et de Testa.

679. -- AUX QUATUORVIRS ET AUX DÉCURIONS.

F. XIII, 76. J'ai tant de raisons pour aimer Q. Hippius, qu'il ne peut exister de liaison plus intime que la nôtre. Cela vous explique pourquoi je m'écarte de la loi que je m'étais faite de ne pas vous importuner. Et vous savez si j'y étais resté fidèle , alors même que j'avais la certitude de tout obtenir de vous; mais aujourd'hui, je vous prie avec instance d'avoir, à ma recommandation, tous les égards possibles pour Q. Valgius Hippianus, et de lui assurer notamment la jouissance libre et sans charge du bien qu'il a acheté de vous dans le canton de Frégelles. C'est un service que je considérerai comme personnel , et j'y mets le plus haut prix.

680. — A CURION. Rome.

F. VII, 30. Ce n'est pas moi qui vous conseillerai, qui vous solliciterai de revenir. Que n'ai-je plutôt des ailes pour aller moi-même au bout du monde, là où on n'entende plus parler des Pélopides et de tout ce qu'ils font! Vous ne sauriez imaginer à quel point je rougis d'assister à ce qui se passe. Ah! que vous avez été pénétrant de voir les choses venir de si loin et de vous retirer à temps! Le seul récit de tant d'excès est odieux; mais combien n'est-il pas plus supportable que la vue même des choses? Vous n'étiez pas, par exemple, au champ de Mars, lorsqu'à la deuxième heure, les comices étant ouverts pour l'élection des questeurs, on apporta le siège de Q. Maximus, le prétendu consul, et qu'on le remporta un moment après, en annonçant qu'il était mort. Le grand homme qui avait pris les auspices pour les comices par tribus, ne laissa pas de tenir les comices par centuries; et à la septième heure il proclama un consul qui ne devait rester en charge que jusqu'aux kalendes de janvier, c'est-à-dire jusqu'au lendemain malin. Vous saurez donc que sous le consulat de Caninius personne n'a dîné. Cependant voilà un consul à qui l'on n'aura pas de mal à reprocher. Sa vigilance a été si prodigieuse, qu'il n'a pas fermé l'œil un seul instant pendant toute la durée de sa magistrature. Cela vous paraît risible. C'est tout simple: vous n'êtes pas ici. Mais si vous y étiez , vous auriez peine à ne pas pleurer; et si je vous contais le reste! Les faits de ce genre abondent. Pour moi , je n'y tiendrais pas sans ma philosophie , dont je me fais comme un port dans la tempête ; et sans notre cher Atticus, le fidèle compagnon de mes études. A propos d'Atticus , vous lui appartenez, dites-vous, en propre; mais pour le fonds et la nue-propriété seulement, et vous m'attribuez à moi la jouissance et les fruits. Eh bien ! soit. Mon lot n'est pas mauvais. Je ne connais de propriété que ce dont on peut user et jouir; je reviendrai plus tard sur ce sujet. — Aeilius, qu'on envoie en Grèce avec des légions me doit beaucoup. Deux fois je l'ai défendu et sauvé dans des accusations capitales. Ce n'est point un ingrat. Il est impossible de m'être plus attaché. Je viens de lui écrire pour vous, et je vous envoie ma lettre. Vous me direz comment il l'aura reçue, et les paroles qu'il vous aura données.

681. — A  ACILIUS, PROCVONSUL. Rome.

F. XIII, 50. Vous avez eu les meilleurs procédés pour moi pendant mon séjour à Brindes, et je m'en autorise pour vous demander en ami et comme de plein droit un service qui me touche de très-près. M'. Curius, qui fait le commerce à Patras, est mon intime autant qu'on peut l'être. Il m'a obligé mille et mille fois; je l'ai obligé à mon tour. Enfin nous nous aimons l'un et l'autre le plus tendrement du monde, c'est tout dire. Cela étant, si mon amitié a quelque prix pour vous; si à tout ce que vous m'avez prodigué de soins et d'égards à Brindes, vous voulez ajouter un témoignage qui me touche plus encore, s'il est possible; si vous voulez bien vous rappeler de plus que je suis cher à tous vos amis; accordez-moi de tenir M. Curius clos et couvert, comme on dit : c'est-à-dire faites que, grâce à votre protection, il n'éprouve tort, dommage, ni vexation d'aucune sorte. Je vous réponds, et j'ai tous vos amis pour garants, que vous n'aurez ni à vous plaindre de ma gratitude, ni à vous repentir de votre déférence. Portez-vous bien.

682. — DE VATINUS A CICÉRON. Mitylène.

F. V 10, 1ere part. Aucun indice encore de votre Dionysius. Je suis arrêté, il est vrai, par le froid de Dalmatie, qui, après m'avoir chassé d'où j'étais, se fait sentir même ici. Mais je n'aurai de cesse que je ne l'aie déterré. D'un autre côté, vos exigences sont bien dures. Qu'est-ce qu'une si chaude intercession, par exemple, pour un Catilius? Fi de vos recommandations à vous et à Servilius, que j'aime pourtant beaucoup aussi ! Sont-ce là vos clients? sont-ce la vos causes? Un homme dont la cruauté est sans égale; qui partout a tué, enlevé, ruiné par  milliers les hommes libres, les mères de famille, les citoyens romains; qui a porté la désolation dans tous les pays! un horrible singe qui n'appartient qu'à demi à la nature humaine! Il me fait la guerre, et je le prends les armes à la main. Maintenant , mon cher Cicéron , que puis-je faire? vos désirs, vous le savez, sont pour moi des ordres. Eh bien ! quoiqu'il soit mon prisonnier, je dépose entre vos mains ma juste indignation, et je renonce à lui infliger le supplice qui lui est dû. Mais que répondrai-je à ceux qui demandent justice et réparation pour la spoliation de leurs biens, le pillage de leurs vaisseaux, le meurtre de leurs frères, de leurs enfants, de leurs pères? Non , je le jure , quand j'aurais le front d'Appius mon prédécesseur, je ne soutiendrais pas leur présence. N'importe ! je ferai exactement ce que je sais être votre volonté. Il aura pour défenseur votre élève Volusius. Puisse cette circonstance faire tomber les accusations! c'est là ma seule espérance. En retour, si j'ai besoin qu'on me défende à Rome, je compte sur vous. — César est toujours injuste pour moi. Le voilà qui retarde son rapport sur mes supplications et sur mes opérations en Dalmatie, comme si je n'avais pas, des ce moment, d'incontestables droits à l'honneur du triomphe. Est-ce qu'on veut attendre que la guerre soit absolument terminée? Mais il y a en Dalmatie vingt villes antiques, avec lesquelles sont liguées plus de soixante autres. Exiger que je les prenne toutes avant qu'on ne m'accorde des supplications , c'est me traiter comme on n'a jamais traité un général.

683. — A CORNIFICIUS. Rome, février.

F. XII, 19. Votre lettre me charme d'autant plus que j'y vois la preuve que vous avez reçu la mienne. Je savais le plaisir qu'elle vous ferait, et j'appréhendais qu'elle ne vous parvînt pas. C'est par vous que j'apprends que la guerre est en Syrie , et que César vous a donné le gouvernement de cette province. Je fais bien des vœux pour que vous vous en tiriez heureusement et à votre honneur. Vos talents et votre prudence me défendent d'en douter. Seulement je m'alarme de la possibilité d'une guerre avec les Parthes. Ce que vous me dites de vos forces confirme l'opinion que je m'en étais faite par aperçu. Aussi je souhaite ardemment que cette nation ne remue pas avant l'arrivée des légions que je sais qu'on vous envoie. Si vos troupes sont comparativement trop faibles pour tenter la fortune d'un combat, n'oubliez point ce qu'a fait Bibulus dans une situation pareille: il s'est enfermé dans une place bien défendue et bien approvisionnée, et il n'eu est pas sorti tant que les Parthes sont demeurés dans la province. C'est le moment et les circonstances qui doivent décider du parti à prendre. Je serai inquiet jusqu'à ce que je sache vos déterminations. Je n'ai jamais laissé passer d'occasions sans vous écrire. Faites de même à mon égard, je vous en prie, et surtout dites bien à tous les vôtres que je suis entièrement à vous.

684. -- A CURIUS.  Rome, février.

F. VII, 31. Votre lettre prouve deux choses que j'ai toujours eues fort à cœur : que je suis haut placé dans votre estime , et que vous savez combien je vous aime. Au point où nous en sommes, il ne nous reste plus qu'à faire l'un et l'autre assaut de bons procédés; et, dans ce combat, peu m'importe d'être vainqueur ou vaincu. Vous avez pu vous dispenser de remettre ma recommandation à Acilius, tant mieux. Je vois aussi que vous n'avez pas eu besoin de recourir à Sulpicius, votre bagage étant si bien arrangé, qu'on n'y voyait, comme vous le dites , sortir ni pieds ni tête. Mais à propos de pieds , que n'en avez-vous qui vous ramènent ici ! car vous voyez que toute urbanité disparait chez nous. C'est au point que le conseil d'Atticus est plus applicable que jamais: Conservons du moins entre quelques-uns de nous les glorieuses traditions attiques. En fait d'hommes attiques , après vous c'est Atticus, et moi après lui. Arrivez donc, je vous prie, pour que la semence de l'atticisme ne se perde pas avec la république.

685. — A CORNIFICIUS.

F. XII, 21. Caius Anicius, mon ami, homme doué de tous les dons , va partir, avec une mission libre, pour l'Afrique, où ses affaires l'appellent. Je vous demande pour lui vos bons offices en toute chose, notamment dans le principal objet de son voyage. Je vous recommande surtout beaucoup d'égards. C'est son côté sensible. Faites, par exemple, ce que j'ai toujours fait spontanément pour les sénateurs qui passaient dans ma province. Donnez-lui des licteurs. Cette tradition me vient des hommes les plus éminents, qui n'avaient garde d'y manquer : n'y manquez pas , mon cher Cornificius; enfin n'oubliez rien de ce que peuvent réclamer le rang d'Anieius ou le soin de ses intérêts , et comptez sur ma reconnaissance. Portez-vous bien.

686. — A PÉTUS.

F. IX,  21. L'ai-je bien entendu! quoi dites-vous , Pétus , c'est folie à vous de vouloir imiter ce que vous appelez les foudres de mon style! Oui, ce serait folie, si vous n'y pouviez atteindre; mais quand je trouve en vous mon maître, c'est de moi et non pas de vous qu'il faut vous moquer. Ne citez donc point Trabéa, je vous prie; c'est de mon côté qu'est l'impuissance. Au fond, que pensez- vous de moi comme épistolaire? mon langage ne vous semble-t-il pas bien commun? On ne peut pourtant pas toujours être sur le même ton ; et quel rapport y a-t-il entre une lettre et un discours politique ou judiciaire? Même aux débats du forum, ou varie les tons suivant les causes. S'agit-il d'intérêts privés de peu d'importance, je me garde de m'élever trop haut. Est-ce une question de vie ou d'honneur, je parle avec plus de pompe. Quand j'écris une lettre, au contraire, j'emploie ces mots dont je me sers tous les jours. — Mais je vous le demande en grâce, mon cher Pétus, où avez-vous pris qu'il n'y a pas eu un seul Papirius au monde qui ne fût plébéien? Cette famille a eu ses patriciens de second ordre , il est vrai , dont le premier est Papirius Mugillanus, lequel a été censeur avec L. Sempronius Atratinus, après avoir été d'abord consul avec lui, l'an 312 de la fondation de Rome. On a[)pelait alors vos ancêtres Papisius. Ils ont occupé treize fois la chaire curule depuis Mugillanus jusqu'à L. Papirius Crassus, qui cessa le premier d'être appelé Papisius; il fut créé dictateur avec L. Papirius Cursor, général de la cavalerie l'an de Rome 415, et quatre ans après il fut consul avec K. Duillius. Un homme qui a laissé un nom respecté, Cursor, lui succéda. Après Cursor, vint L. Mason, l'édile qui est la souche des nombreux patriciens de son nom dont j'exige absolument que vous ayez chez vous les images. Plus tard, il y eut les Carbons et les Turdus. Ceux-là étaient plébéiens , et je ne vous chicane point sur votre mépris pour eux. Car excepté le C. Carbon qui fut tué par Damasippus, la république ne compte pas en eux un seul citoyen. Nous avons connu Cn. Carbon et son bouffon de frère. Y eut-il jamais race pire? Je ne dis rien du fils de Rubrias, qui est mon ami; mais de Caius, Cnéius et Marcus Carbon ses trois frères, l'un, Marcus, sur la poursuite de P. Flaccus, a été condamné pour des vols considérables en Sicile; l'autre, Caïus, s'empoisonna, dit-on, avec des cantharides, à la suite d'une accusation de P. Crassus. Il avait été tribun du peuple fort turbulent , et on l'a soupçonné de n'être pas innocent de la mort de P. l'Africain. Quant à Cnéus qui fut mis à mort par Pompée a Lilybée, je n'ai jamais connu de plus malhonnête homme. Son père, accusé par Antonius, fut absous; mais c'était la bouteille à l'encre. Revenez-en donc aux patriciens, je vous le conseille. Ces plébéiens, vous le voyez, sont de trop mauvaise compagnie.

687. — A PÉTUS.

F. IX, 22. J'aime la retenue, et vous, vous voulez de la liberté dans le langage. C'était aussi l'avis de Zénon, homme de goût assurément, quoiqu'au plus mal avec notre Académie. Mais les Stoïciens veulent qu'on appelle chaque chose par son nom, et voici leur raisonnement : Il n'y a rien d'obscène, rien d'indécent, car le mal de l'obscénité est dans la chose ou dans le mot; il n'y a pas de milieu. Or, il n'est pas dans la chose. Voyez les comédies : on y dit tout. Vous savez le couplet dans le Démiurge : «  Un mouvement rapide. » Vous vous rappelez aussi Roscius :  «  Elle me laissa si sot dans ma nudité : » si les mots sont décents, le fond est bien hardi. Voyez même la scène tragique : que dites-vous de ce trait : « Cette femme seule, etc.? » Et de cet autre : «  Il lui faut les droits de deux lits? » Que dites-vous aussi de ces morceaux : « C'est de ce Phéréen.  Il ose se glisser dans la couche du Phéréen? »  Et de celui-ci encore : « Vierge pudique, je résistais; Jupiter m'a violée? » Violée, passe; c'est un mot pour un autre : mais qui eût supporté le mot propre? — Vous le voyez, c'est bien dire la chose. Mais par cela seul qu'on ne dit pas le mot, la pudeur n'est pas alarmée. Il n'y a donc rien d'obscène dans la chose ; dans les mots bien moins encore. Car si ce qu'on exprime n'est pas honteux , l'expression ne saurait être indécente. Vous n'osez appeler l'orifice postérieur du corps par son nom. Pourquoi cela? si la chose est malhonnête , ne la nommez pas du tout; si elle ne l'est point, laissez-lui son nom. Nos pères désignaient le membre viril par le nom de pénis, d'où est venu penicilllus (pinceau), à cause de la ressemblance. Aujourd'hui penis est obscène; cependant le fameux Pison Frugi s'en sert dans ses annales, en disant de jeunes gens débauchés qu'ils sont esclaves de leur pénis. Ce que vous appelez par son nom dans votre lettre, il l'exprimait par ce mot, un peu moins crûment; mais depuis on s'en est tant servi , qu'il est devenu précisément aussi obscène que le terme que vous avez employé. Ne dit-on pas tous les jours : cum nos te voluimus convenire? Est-ce que c'est obscène? Je me souviens qu'un éloquent consulaire dit un jour en plein sénat : Hanc culpam majorem, an illam dicam? n'est-ce pas le comble de l'obscénité? Non , direz-vous, car il n'y entendait pas malice. L'obscénité n'est donc pas dans les mots ; j'ai démontré qu'elle n'est pas dans les choses. Conséquemment elle n'est nulle part. Y a-t-il rien de plus décent que cette phrase : Vouloir devenir père. Les pères eux-mêmes y exhortent leurs enfants; mais ils n'osent pas prononcer le mot par lequel on exprime l'action qui rend père. Socrate eut un très-habile joueur de flûte pour maître. Il s'appelait Connus. Ce nom était-il obscène? Lorsque nous parlons de trois personnes, il n'y a pas de mal, parce que nous disons terni; il y en a si nous disons bini , et ne parlons que de deux personnes. Pour les Grecs, direz-vous. Le mot n'a donc rien d'obscène, car je sais le grec, et je n'hésite pas à dire bini. Vous faites de même , comme si je parlais grec et non latin. Rufa et menta sont deux mots également fort honnêtes. Si je veux mettre menta au diminutif, comme ruta, dont je fais rutula, je ne le puis pas. J'emploie encore très bien le diminutif tectoriola; mais essayez de prononcer le diminutif de pavimenta, c'est impossible. Ne voyez-vous donc pas que l'importance qu'on attache aux mots n'est que niaiserie; qu'il n'y a indécence ni dans l'expression ni dans la chose exprimée, et que par conséquent l'indécence n'est nulle part? — On attache souvent une idée obscène à des mots décents. Le mot divisio est tout ce qu'il y a de plus innocent au monde; cependant il s'y mêle une idée obscène, à laquelle répond le mot intercapedo. Est-ce que toutes ces expressions sont obscènes, et ne sommes- nous pas ridicules de le prétendre? Si nous disons. Un tel a étranglé son père, nous ne demandons point d'excuse : c'est une précaution nécessaire en parlant d'Aurélia ou de Lollia. Que dis-je? A des mots honnêtes on fait signifier des turpitudes. Batuit est devenu effronté. Depsit est une ordure , et rien n'est plus innocent que ces mots dans leur sens primitif. Les sots se fourrent partout. Testes est très-convenable en justice; ailleurs il n'est guère de mise. Colei est honnête à Lanuvium: à Cliternum il ne l'est pas. Ainsi voilà le même mot tour à tour décent et indécent. Suppedit est horrible; mais qu'on dise, il sera nu dans le bain, personne n'y trouvera à reprendre. — Tel est le système des Stoïciens : le sage doit parler librement. Mais qu'en voilà long, bons Dieux , sur un seul mot de vous ! Vous risquez tout avec moi, et je vous en sais gré. Moi , je reste et resterai fidèle à Platon. La retenue qu'il recommande dans le langage est devenue chez moi une habitude : aussi je mets un léger voile là où les stoïciens disent les gros mots tout à découvert. Ne prétendent-ils pas aussi qu'il ne faut jamais se gêner pour certaines flatuosités ou éructations en compagnie? Mais chut! Respect aux kalendes de mars. C'est aujourd'hui la fête! Adieu; et ne cessez pas de m'aimer.

688. — A BASILIUS. Rome , mars.

F. VI, 15. Très-bien! très-bien! Que je suis aise ! je vous aime ! Je suis à vous , à tout ce qui vous appartient; et vous, m'aimez-vous ? que devenez-vous? que fait-on? je veux le savoir.

689. — DE BITHYNICUS A CICÉRON. Sicile.

F. VI, 16. Si je n'avais mille raisons meilleures les unes que les autres pour compter sur votre amitié, je remonterais à l'amitié de nos pères pour m'en faire un titre auprès de vous; mais je laisse cette ressource à ceux qui n'ont cimenté par aucun témoignage personnel d'attachement l'héritage des affections paternelles. Pour moi, je m'en tiens à nos sentiments propres , et je vous demande avec confiance de veiller, pendant mon absence, à tous mes intérêts. Soyez bien persuadé, que jamais la reconnaissance d'un service rendu ne s'éteint dans mon cœur.

690. — A ATTICUS. Campagne de Rome, avril.

A. XIV, 1. J'ai vu celui dont nous parlions ce matin (Matius). A l'entendre, la situation est désespérée, elle est sans issue. Où un si grand
homme a succombé (César), qui peut se flatter de réussir? Enfin s'il faut vous le dire , il voit tout perdu ; il pourrait bien dire vrai , et il affirmait avec un air de satisfaction qu'avant vingt jours les Gaules seraient sens dessus dessous : qu'au reste , excepté Lépide , il n'avait parlé à personne depuis les ides de mars, mais qu'en somme les choses ne peuvent rester sur le pied où elles sont. Oppius ne regrette pas moins César : mais quelle réserve dans ses paroles ! Jamais un mot dont l'oreille d'un homme de bien puisse être choquée. Je m'arrête. — De votre côté , mon cher Atticus, pas de négligence , je vous en prie, à m'avertir s'il y a du nouveau , et il y en aura sans doute. Les nouvelles de Scxtius se confirment-elles? surtout parlez-moi de Brutus , de Brutus , dont César, suivant la personne que je viens de voir, avait coutume de dire : Son avis n'est jamais indifférent; car ce qu'il veut, il le veut bien. César s'en était aperçu à Nicée, au langage de Brutus pour Déjotarus , langage dont la passion et la liberté le frappèrent vivement. Voici encore une circonstance que je tiens de la même source et qui m'est personnel le . Je vous raconte les choses dans l'ordre où elles me reviennent. J'étais allé solliciter César à la demande de Sextius; je m'étais assis en attendant que l'on m'introduisit. César le sut : Puis-je douter, s'écria-t-il , de l'aversion de Cicéron, quand je le vois attendre à ma porte, au lieu d'entrer? S'il y a pourtant quelqu'un sans façon, c'est lui. Je ne puis donc pas douter de sa mauvaise disposition. On me cita plusieurs autres traits. Je reviens à ma prière; instruisez-moi de tout, des grandes choses et des petites. De mon côté, je ne vous laisserai rien ignorer.

691 . — A ATTICUS. Campagne de Rome, avril.

A. XIV, 2. J'ai reçu hier vos deux lettres. Vous me parlez dans la première du théâtre et de Publius. C'est un bon signe de la faveur du public. Des applaudissements donnés à L. Cassius me paraissent même une chose plaisante. Dans l'autre lettre vous me parlez de Madarus (Sobriquet de Matius, qui était chauve. Madarus est un mot grec latinisé qui veut dire chauve), dont la tête nue n'offre rien qui attire , vous le savez. Aussi ai-je passé outre; mais sans aller bien loin, car il m'avait arrêté longtemps à causer avec lui. Je vous ai répété le propos qu'il m'a dit avoir été tenu par César le jour où, venant le solliciter pour Sextius, j'attendais audience. Je crains de l'avoir rapporté inexactement. Le voici tel qu'il est : Serais-je encore assez sot pour croire à son amitié, quand un homme sans façon comme lui attend cérémonieusement à ma porte pour entrer? Ne doutez pas que la tête nue ne soit un ennemi mortel de la paix publique, autrement dit de Brutus. Je vais à Tusculum aujourd'hui. Demain je serai à Lanuvium. Puis, je pense aller à Asture. Tout est disposé pour recevoir Pilia. Je voudrais bien aussi qu'Attica... Mais je dois vous pardonner la préférence. Mille compliments à l'une et à l'autre.

692. — A ATTICUS. Tusculum , avril.

A. XIV, 3. Votre lettre est tranquillisante. Veuille le ciel que cela dure ! Matius ne le croit point. Mais voici que les ouvriers qui étaient allés à Rome chercher du blé reviennent les mains vides, et m'annoncent (grande rumeur !) qu'Antoine a accaparé l'approvisionnement tout entier. Il faut que ce soit une panique , car vous m'en auriez parlé. Jusqu'ici pas le plus petit mot de Corumbus; c'est l'affranchi de Balbus. Son nom m'est bien connu, et on le dit fort habile architecte. On a un motif, je le suppose , pour réclamer l'honneur de votre signature. On veut nous faire croire qu'on est bien poumons, et en vérité je ne sais pourquoi on ne le serait point en effet : mais qu'importe? Tâchez de découvrir le fond de la pensée d'Antoine. Je le crois bien plus occupé de faire bonne chère que de songer à mal. S'il survient quelques événements, mandez-les-moi. Sinon, parlez-moi des manifestations populaires et des allusions du théâtre. Mes compliments à Pilia et à Attica.

693. — A ATTICUS. Lanuvium , avril.

A. XIV, 4. Que pouvez-vous espérer de moi à Lanuvium ? C'est où vous êtes qu'il y a tous les jours du nouveau , je me le figure. Le temps se charge. D'après l'échantillon de Matius, que pensez-vous des autres ? Pour moi , je déplore ce qui est sans exemple dans le monde , la liberté recouvrée et point encore de république. On frémit en songeant à tout ce qu'on dit , à tout ce  qu'on machine. Je redoute aussi la guerre dans les Gaules. Sextus lui-même, que deviendra-t-il ? Mais en dépit de tant d'éléments conjurés, les ides de mars me consolent. Nos héros ont fait ce qui dépendait d'eux. Ils l'ont fait glorieusement et avec un courage sublime; mais pour achever l'œuvre il faut de l'argent cl des troupes, et nous n'en avons pas. Ce peu de mots a pour objet de vous demander des nouvelles, car je suis dans une attente continuelle. Si vous n'aviez rien à me dire, n'en continuons pas moins, je vous prie, le doux commerce de nos lettres. J'y serai, de mon côté, fidèle.

694. — A ATTICUS. Asture, 11 avril.

A. XIV, 5. J'espère que vous êtes mieux. La diète aura suffi contre une attaque si légère. Mais je veux savoir positivement comment vous vous : trouvez. C'est un bon signe que l'inquiétude de Calvéna sur les dispositions de Brutus à son égard. ! Mais que c'en serait un mauvais, si les enseignes des Gaules se déployaient contre nous ! Que pensez-vous des légions qui étaient en Espagne? n'auront-elles pas les mêmes prétentions? et celles à qui Annius a fait passer la mer? Quand je dis Annius, c'est Caninius. Ma mémoire est en défaut. Tout le mal vient de ce débauché. Supposez Antoine de franc jeu, la sédition des affranchis de César n'eût pas été une affaire. Quelle sotte honte à moi de n'avoir pas pris de mission avant la prorogation du sénat ! Je ne voulais pas avoir l'air de me sauver quand l'orage grondait; et certes j'aurais tort si je pouvais l'empêcher de crever. Mais voyez quels sont nos magistrats, si magistrats il y a; voyez tous les commandements livrés aux satellites de la tyrannie ; voyez les forces dont elle dispose; voyez les vétérans qui sont là à nos portes : quels éléments volcaniques ! D'un autre côté, ceux dont la vie devrait être sous la sauvegarde de l'univers, et dont l'univers devrait révérer la gloire, ceux-là, privés d'honneurs et de popularité, se cachent entre quatre murailles. N'importe, ils sont heureux, et Rome seule est misérable. Mais quel sera l'effet de l'armée d'Octave? Ya-t-il devenir un centre? Peut-on espérer de lui quelque favorable péripétie? Malheureusement je ne le pense pas. Toutefois dites-moi ce qui en est. C'est au moment de quitter Asture, le 3 des ides, que je vous écris.

695. — A ATTICUS. Fondi, avril.

Α. XIV, 6. J'étais à souper à Fondi, la veille des ides, lorsque j'ai reçu votre lettre. Vous allez mieux ; c'est le principal. Puis les nouvelles sont meilleures. C'eût été une cruelle chose que l'arrivée des légions. Quant à Octave, on verra plus tard. Je voudrais bien apprendre quelque chose de Marius. J'étais persuadé que César s'était débarrassé de lui. Après ce qui est arrivé, je ne suis pas taché de l'entrevue d'Antoine avec nos héros; mais, sauf les ides de mars, je ne vois vraiment rien dont je puisse encore me réjouir. Depuis que je suis à Fondi avec Ligus, j'ai la douleur de voir les biens de Sextilius entre les mains de ce misérable Curtilius. Ce que je dis de celui-ci, je le pense de toute la clique. Ο douleur ! il faut que ce soit nous qui maintenions les spoliations pour lesquelles nous avions voué notre haine au tyran ! Ne nous faudra-t-il pas encore pendant deux ans avoir les consuls et les tribuns de son bon plaisir? Je n'aperçois pour moi aucun moyen de me mêler des affaires. Quelle absurde contradiction! On porte aux nues ceux qui ont tué le tyran, et on maintiennes actes de sa tyrannie ! Vous voyez ses consuls, vous voyez ses magistrats, si magistrats il y a; vous voyez la torpeur des gens de bien. Toutefois, dans toutes les villes municipales, la joie tient du délire. On ne peut en donner une idée. Il y a foule chez moi : on est avide d'entendre de ma bouche ce qui s'est passé ; et cependant on ne prend aucune mesure ! A voir la politique du jour, on dirait qu'on tremble devant les vaincus. C'est au second service que je vous écris. Une autre fois j'aurai plus de loisir, et vous aurez une lettre moins décousue. En attendant, que faites-vous? que se passe-t-il?

696. — D. BRUTUS A M. BUTUS ET A C. CASSIUS. Rome, avril.

F. XI, 1 . Il faut vous dire où nous en sommes. Hirtius vint hier soir. Il m'a fait connaître les dispositions d'Antoine; on n'est pas plus pervers ni plus traître. Il dit qu'il ne peut point me donner mon gouvernement, et qu'il n'y a de sûreté à Rome pour aucun de nous, avec l'effervescence des soldats et du peuple. Tout cela est faux , vous n'en doutez pas , je pense. Ce qui est vrai et ce que m'a démontré Hirtius, c'est qu'Antoine a des craintes, et voit bien que, pour peu que nous trouvions d'appui , c'en est fait de sa prépondérance. Néanmoins, au milieu des difficultés qui nous entourent, je pense qu'il convient de demander pour moi et nos amis des légations libres, afin d'avoir un prétexte honnête de nous éloigner. Hirtius s'est engagé à l'obtenir. Je ne réponds pas qu'il réussisse, tant ces gens-là ont de front et tant ils sont animés contre nous ! Mais en admettant même qu'il n'y aura pas de difficulté, il n'en arrivera pas moins, je le crois, qu'à peine partis, on nous déclarera ennemis publics, ou qu'on nous interdira l'eau et le feu. A quoi songez-vous donc alors, allez-vous dire? Je veux laisser passer les premiers moments , et attendre hors de l'latine,  à Rhodes, par exemple, ou en tout autre coin, que la fortune nous revienne. Si les chances tournent, nous reviendrons à Rome; si rien ne se déclare, soit en bien soit en mal, nous resterons dans l'exil ; enfin si la position cesse d'être tenable , nous tenterons les moyens extrêmes. Pourquoi attendre le dernier moment, va me dire encore l'un de vous peut-être, au lieu d'essayer sur-le-champ un grand coup? Parce que nous manquons de point d'appui, sauf Sextus Pompée et Bassus Cécilius, qui , à la nouvelle du sort de César, se prononceront infailliblement. Or, nous serons toujours à temps de les rejoindre quand nous saurons exactement leurs forces. Si vous voulez que je m'engage pour Cassius et pour vous, je suis prêt à le faire. Hirtius m'en presse. Répondez-moi sans délai; car indubitablement j'aurai de lui quelque chose de positif avant la quatrième heure. Que je sache ou nous pouvons nous voir, où vous voulez que je me rende. D'après mon dernier entretien avec Hirtius, j'ai cru devoir demander qu'il nous fût permis de rester à Rome avec une garde publique; c'est ce que nous n'obtiendrons point; notre présence les rendrait trop odieux : mais je ne puis pas m'abstenir de réclamer ce que je regarde comme une justice.

697. — A ATTICUS. Formies, 15 avril.

A. XIV, 7. J'ai vu Paullus à Caiète le lendemain des ides. Il m'a parlé de Marius et des affaires. Ce qu'il y a de pire. Je n'ai encore rien de vous. I! est vrai qu'aucun de mes gens n'est arrivé. On prétend ici avoir vu notre Brutus dans les environs de Lanuvium. Ou veut-il donc se fixer? Je suis fort en peine de nouvelles, des siennes surtout. Je vous écris au moment de quitter Formies, aujourd'hui 17 des kalendes , pour arriver demain à Pouzzol. Cicéron vient de m'envoyer une lettre fort bien tournée et raisonnablement longue. Il peut me tromper sur le reste, mais son style prouve ses progrès Aussi je vous conjure maintenant, comme je vous le disais l'autre jour, de veiller à ce que rien ne lui manque. Le devoir l'exige; la réputation et l'honneur n'y sont pas moins intéressés. Et j'ai bien vu que c'était tout à fait votre avis. Désormais ainsi je puis aller eu Grèce , et je compte partir en juillet. Toutes les difficultés s'aplanissent. Cependant, comme au temps où nous vivons il n'y a jamais rien de certain, que je ne sais pas aujourd'hui ce qu'il me sera demain honorable, licite ou nuisible de faire, veuillez provisoirement mettre mon fils en état de se soutenir d'une manière très-digne et très-large. Je compte en cette occasion sur votre bienveillance habituelle pour tout ce qui me regarde. Puis donnez-moi des nouvelles; sinon écrivez-moi ce qui vous passera par la tête.

698. — A ATTICUS. Sinuesse, avril.

A. XIV, 8. Vous me croyiez déjà sur le bord de la mer; et le 17 des kalendes votre lettre m'a trouvé encore à mon pied à terre de Sinuesse. Pour ce qui est de Marius, c'est justice. Mais je plains le petit-fils de L. Crassus. Je suis ravi que notre Brutus soit si content d'Antoine. Junia, dites-vous, lui a remis des lettres pleines de modération et même d'amitié; mais Paullus m'en a montré d'autres de son frère. Il y est question, à la fin, d'embûches préparées contre sa vie : on en a des indices certains. Cela ne me plaît guère, et plaît bien moins encore à Paullus. Je ne suis pas fâché du brusque départ de la reine (Cléopâtre s'enfuit de Rome après la mort de César.). Mandez-moi ce qu'a fait Clodia. Occupez-vous aussi, je vous prie, des Byzantins comme du reste ; et faites appeler Pelops. Je vous tiendrai au courant de Baies; et quand j'aurai bien vu ces réunions dont vous voulez que je vous parle , vous aurez des détails. Que se passe-t-il dans les Gaules, en Espagne? Ou en est Sextus? J'en suis inquiet : veuillez me parler de lui et de tout. Je ne suis pas fâché que votre migraine vous ait forcé à prendre un peu de repos. Je m'aperçois , en lisant vos lettres , que vous êtes plus calme. Ne me cachez rien sur Brutus. Où est-il? quels sont ses projets? Je me flatte qu'aujourd'hui il pourrait seul et sans crainte se promener dans toutes les rues de Rome. Et pourtant....

699. — A ATTICUS. Pouzzol, avril.

A. XIV, 9. Vos lettres sont arrivées de compagnie; l'affranchi de Vestorius m'en a remis à la fois plusieurs, où j'ai trouvé beaucoup de lumières sur la situation. Je réponds en peu de mots à ce que vous désirez savoir. D'abord l'héritage de Cluvius fait mes délices. Vous demandez ensuite pourquoi j'ai envoyé chercher Chrysippe. Deux de mes boutiques ont croulé; les autres sont remplies de lézardes. Les locataires et même les rats ont délogé. Ou appellerait cela un malheur : pour moi, ce n'est pas même une contrariété. O Socrate! ô enfants de Socrate! je ne saurai jamais vous exprimer assez ma reconnaissance. Vous savez, Dieux immortels, s'il y a rien de tout cela qui me touche! D'ailleurs le projet de reconstruction que me conseille Vestorius, et qu'il a conçu, me rendra cet accident profitable — Il y a ici grand monde, et on parle de plus grand monde encore; par exemple, de deux consuls quasi désignés. Grands Dieux! la tyrannie vit, et le tyran est mort. Nous nous réjouissons de son trépas et nous soutenons ses actes! Aussi voyez le langage sévère de M. Curtius ! il nous fait honte de vivre, et il n'a pas tort. N'eût-il pas mieux valu mourir mille fois, que de souffrir ce qui a bien l'air de vouloir durer plus que nous? Balbus est ici, et nous sommes souvent ensemble. Vêtus lui mande , à la date de la veille des kalendes de janvier, qu'après avoir enveloppé Cécilius, il allait se rendre maître de lui, quand le Parthe Pacorus, accourant avec une force imposante, dégagea Cécilius, non sans avoir fait perdre beaucoup de monde à Vétus. Vétus accuse Volcatius de ce malheur. Ainsi la guerre serait imminente. Mais Dolabella et Nicias y pourvoiront, Balbus a de meilleures nouvelles des Gaules à vingt et un jours de date. En apprenant la mort de César, les Germains et les nations de ces contrées ont envoyé des ambassadeurs à Aurelius, lieutenant d'Hirtius, pour faire leur soumission. Qu'en dites-vous ? Tout est donc à la paix de ce côté : ce n'est pas ce que disait Calvéna.