Cicéron, de officiis

CICÉRON

ŒUVRES COMPLÈTES DE CICÉRON AVEC LA TRADUCTION EN FRANÇAIS PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE M. NISARD DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE; INSPECTEUR GÉNÉRAL DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR - TOME QUATRIÈME - PARIS - CHEZ FIRMIN DIDOT FRÈRES, FILS ET Cie. LIBRAIRES - IMPRIMERIE DE L'INSTITUT DE FRANCE - RUE JACOB,  - M DCCC LXIX

TOME IV.

CATON L'ANCIEN ou DE LA VIEILLESSE.

Œuvre numérisée et mise en page par Patrick Hoffman

 notes du de officiis - de l'amitié

 

ŒUVRES

COMPLÈTES



DE CICÉRON,


AVEC LA TRADUCTION EN FRANÇAIS,

PUBLIÉES

SOUS LA DIRECTION DE M. NISARD,

DE L'ACADÉMIE

INSPECTEUR GÉNÉRAL DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR.
 

TOME QUATRIEME






PARIS,


CHEZ FIRMIN DIDOT FRERES, FILS ET Cie, LIBRAIRES,
IMPRIMEURS DE L'INSTITUT DE FRANCE

RUE JACOB,  .

M DCCC LXIV

 

 

CATON L'ANCIEN ou DE LA VIEILLESSE.

 

PRÉFACE.

 

Cicéron écrivait ce dialogue l'an de Rome 709, quelque temps après la mort de César, au milieu des déchirements de la république et de ses propres angoisses. Il l'adressait à son ami Atticus, vieillard comme lui, pour relever son courage, lui apprendre à supporter le fardeau des années, et lui rendre rapproche de la mort moins effrayante. L'auteur avait alors soixante-trois ans, et Atticus soixante-six. Il est à remarquer que c'est pendant cette époque agitée, et alors même qu'il avait à craindre pour ses jours, que Cicéron écrivit le plus grand nombre de ses ouvrages philosophiques, et particulièrement ceux où il montre le plus de liberté d'esprit, de grâce et d'élévation.

Les principaux interlocuteurs de ce dialogue sont Lélius, Scipion Émilien, et Caton l'Ancien. Mais c'est moins un dialogue qu'un discours dans lequel Caton fait connaître à ses jeunes amis les avantages de la vieillesse, sans être interrompu ni contredit. En suivant les indications historiques qui abondent dans l'ouvrage, on voit que Cicéron avait choisi l'année 603, pour y placer l'entrevue des deux amis et de Caton, qui avait alors quatre-vingt-quatre ans, et devait assez bien connaître le fort el le faible du vieil âge. La vérité est qu'en outre des titres de Caton au respect et à la confiance aveugle de la jeunesse romaine, c'était le vieillard le plus vif, le plus actif, le plus jaloux de son autorité et du triomphe de ses idées, dont Rome ait gardé le souvenir. Ajoutez encore que ses dernières années ayant été consacrées en partie à l'étude des lettres grecques, Cicéron pouvait sans invraisemblance lui faire mêler la gravité des mœurs romaines h la sublimité de la philosophie socratique, et relever son sujet par les belles et poétiques inspirations qui n'avaient pas . toujours fait fortune auprès de Caton le Censeur.

Les reproches que les anciens adressaient à la vieillesse, et qu'on lui adressera sans doute éternellement, malgré l'éloquent plaidoyer de Cicéron, se ramenaient à quatre chefs principaux : La vieillesse éloigne l'homme des affaires ; elle lui ôte ses forces ; elle le sèvre des plaisirs; enfin elle est l'avant-coureur de la mort Caton entreprend de démontrer que tous ces griefs sont mal fondés ; il tire surtout ses preuves de son propre exemple, des mœurs romaines et de la vie des anciens Romains; enfin de ses études philosophiques. Il commence par Appius Claudius, et finit par Socrate et Platon.

Au premier chef d'accusation, il se hâte de répondre que si les vieillards ne se mêlent plus des affaires qui concernent les jeunes gens, ils en ont de plus graves à conduire. Le gouvernement des familles et des États réclame la prudence de la vieillesse ; il faut que tout y soit réglé par les bons conseils : et qu'est-ce qui fait l'homme de bon conseil, si ce n'est la maturité de l'âge? D'ailleurs, même en dehors des affaires publiques, le vieillard trouve une carrière ouverte devant lui, et qui ne peut jamais lui faire défaut : c'est celle de l'étude et des travaux de l'esprit II est toujours permis de prendre pour modèle Solon, qui se félicitait de vieillir en s'instruisant tous les jours.

Au second reproche, Caton répond que la vieillesse diminue, il est vrai, les forces du corps ; mais qu'il ne s'est jamais aperçu qu'elle altérât celles de l'esprit. Les exercices du gymnase ne conviennent pas aux vieillards, ni les lois ni les mœurs ne leur demandent de faire montre de vigueur corporelle. Mais quand la jeunesse n'a point miné nos forces par la débauche et détruit la santé, nous trouvons encore sur le déclin de l'âge assez d'énergie pour donnerons avis et les soutenir, vaquer au gouvernement des nôtres et aux affaires du pays, et surtout éclairer et diriger les jeunes gens, ce qui est le plus bel office du vieillard. Sans doute les derniers temps de la vie sont un déclin ; mais il faut lutter contre la décrépitude, et l'on trouvera toujours en soi assez de vigueur pour ne point succomber à ce prétendu fardeau, qui n'accable que les faibles.

On dit ensuite que la vieillesse nous prive des jouissances. Si l'on veut parler des jouissances physiques, c'est un grand privilège qu'on lui reconnaît là ; et loin de l'accuser, il faut lui rendre grâce de nous affranchir de cette dure tyrannie des passions, qui flétrissent l'âme, aveuglent et l'esprit, jettent l'homme dans des tourments mêlés d'opprobre. Cependant il est encore des jouissances calmes et d'une douceur exquise que peut goûter la vieillesse. Caton ne vivait point en vieillard chagrin dans ses terres de la Sabine; il avait cette gaieté et savait se donner ces plaisirs que tous les peuples ont connus avant d'en venir aux raffinements de la civilisation, et qu'on appelle en tous lieux les plaisirs du vieux temps. Du reste, il nous apprend lui-même que 522 sa rusticité n'était pas sans politesse. Mais il est pour lui des jouissances qui l'emportent sur toutes celles dont la jeunesse fait tant de cas, et qui ont le beau privilège d'appartenir à tous les âges; ce sont les plaisirs de l'esprit, qui semblent avoir plus de saveur à mesure qu'on les goûte davantage. N'oublions pas ceux qui se présentent en foule dans la vie des champs et ce charme qu'on goûte loin des affaires et du bruit, observant les merveilles de la nature, occupé, vigilant, la paix dans le cœur et appartenant à soi-même.

Enfin la vieillesse ne doit pas s'effrayer de la mort qu'elle contemple déplus près, et qui lui paraît, lorsqu'elle sait bien la juger, le terme d'un long et pénible voyage, le port longtemps souhaité. On n'est pas plus assuré de la vie à la fleur de l'âge qu'au déclin des ans : seulement la mort du vieillard a quelque chose de plus naturel et de plus doux; la vie avancée est comme un fruit mûr qui se détache sans efforts. Tout n'arrive-t-il pas au terme, et n'est-ce pas un bien de Unir quand la satiété est venue ? Mais ce qui donne surtout à l'homme la force de contempler la mort sans effroi, c'est l'espérance de l'immortalité. Caton montre à ses jeunes amis que toutes les grandes âmes ont pressenti l'immortalité, et n'ont vu la véritable vie qu'au delà du tombeau; il rappelle les arguments des philosophes socratiques, et toutes les meilleures preuves qui, dans les temps anciens, s'étaient offertes à la raison pour établir la sublime vérité enseignée par Platon et sou divin maître. « Il me tarde, dit le vieux Romain, de partir pour cette assemblée céleste, pour ce divin conseil des âmes...; d'aller rejoindre tous les grands hommes dont je vous parlais, et au milieu d'eux mon enfant chéri. » Qu'est-ce que la vieillesse, quand l'âme se voit à l'aurore d'un jour éternel?

Tel est en substance ce traité de la Vieillesse, l'un des ouvrages les plus parfaits de Cicéron, et dont la lecture justifie si bien ce que disait Érasme :

« Je ne sais point ce qu'éprouvent les autres en lisant Cicéron; mais je sais bien que toutes les fois qu'il m'arrive de le lire (ce que je fais souvent), il me semble que l'esprit qui a pu produire de si beaux ouvrages renfermait quelque chose de divin. »

 

 

 

 I. O Tite, si quid ego adiuero curamue leuasso,
Quae nunc te coquit et uersat in pectore fixa,
Ecquid erit praemi?

Licet enim mihi uersibus eisdem adfari te, Attice, quibus adfatur Flamininum

Ille uir haud magna cum re, sed plenus fidei;

quamquam certo scio non, ut Flamininum,

Sollicitari te, Tite, sic noctesque diesque;

Noui enim moderationem animi tui et aequitatem, teque non cognomen solum Athenis deportasse, sed humanitatem et prudentiam intellego. Et tamen te suspicor eisdem rebus quibus me ipsum interdum grauius commoueri, quarum consolatio et maior est et in aliud tempus differenda. Nunc autem uisum est mihi de senectute aliquid ad te conscribere. Hoc enim onere, quod mihi commune tecum est, aut iam urgentis aut certe aduentantis senectutis et te et me etiam ipsum leuari uolo; etsi te quidem id modice ac sapienter, sicut omnia, et ferre et laturum esse certo scio. Sed mihi, cum de senectute uellem aliquid scribere, tu occurrebas dignus eo munere, quo uterque nostrum communiter uteretur. Mihi quidem ita iucunda huius libri confecto fuit, ut non modo omnis absterserit senectutis molestias, sed effecerit mollem etiam et iucundam senectutem. Numquam igitur satis digne laudari philosophia poterit, cui qui pareat, omne tempus aetatis sine molestia possit degere. Sed de ceteris et diximus multa et saepe dicemus; hunc librum ad te de senectute misimus. Omnem autem sermonem tribuimus non Tithono, ut Aristo Cius, (parum enim esset auctoritatis in fabula), sed M- Catoni seni, quo maiorem auctoritatem haberet oratio; apud quem Laelium et Scipionem facimus admirantis quod is tam facile senectutem ferat, eisque eum respondentem. Qui si eruditius uidebitur disputare quam consueuit ipse in suis libris, attribuito litteris Graecis, quarum constat eum perstudiosum fuisse in senectute. Sed quid opus est plura? Iam enim ipsius Catonis sermo explicabit nostram omnem de senectute sententiam.

II. Scipio. Saepe numero admirari soleo cum hoc C. Laelio cum ceterarum rerum tuam excellentem, M. Cato, perfectamque sapientiam, tum uel maxime quod numquam tibi senectutem grauem esse senserim, quae plerisque senibus sic odiosa est, ut onus se Aetna grauius dicant sustinere. Cato. Rem haud sane difficilem, Scipio et Laeli, admirari uidemini. Quibus enim nihil est in ipsis opis ad bene beateque uiuendum, eis omnis aetas grauis est; qui autem omnia bona a se ipsi petunt, eis nihil malum potest uideri quod naturae necessitas adferat. Quo in genere est in primis senectus, quam ut adipiscantur omnes optant, eandem accusant adeptam; tanta est stultitiae inconstantia atque peruersitas. Obrepere aiunt eam citius, quam putassent. Primum quis coegit eos falsum putare? Qui enim citius adulescentiae senectus quam pueritiae adulescentia obrepit? Deinde qui minus grauis esset eis senectus, si octingentesimum annum agerent quam si octogesimum? Praeterita enim aetas quamuis longa cum effluxisset, nulla consolatio permulcere posset stultam senectutem. Quocirca si sapientiam meam admirari soletis (quae utinam digna esset opinione uestra nostroque cognomine!), in hoc sumus sapientes, quod naturam optimam ducem tamquam deum sequimur eique paremus; a qua non ueri simile est, cum ceterae partes aetatis bene descriptae sint, extremum actum tamquam ab inerti poeta esse neglectum. Sed tamen necesse fuit esse aliquid extremum et, tamquam in arborum bacis terraeque fructibus maturitate tempestiua quasi uietum et caducum, quod ferundum est molliter sapienti. Quid est enim aliud Gigantum modo bellare cum dis nisi naturae repugnare? Laelius. Atqui, Cato, gratissimum nobis, ut etiam pro Scipione pollicear, feceris, si, quoniam speramus, uolumus quidem certe senes fieri, multo ante a te didicerimus, quibus facillime rationibus ingrauescentem aetatem ferre possimus. Cato. Faciam uero, Laeli, praesertim si utrique uestrum, ut dicis, gratum futurum est. Laelius. Volumus sane, nisi molestum est, Cato, tamquam longam aliquam uiam confeceris, quam nobis quoque ingrediundum sit, istuc, quo peruenisti uidere quale sit.

III. Cato. Faciam, ut potero, Laeli. Saepe enim interfui querellis aequalium meorum -- pares autem, uetere prouerbio, cum paribus facillime congregantur -- quae C. Salinator, quae Sp. Albinus, homines consulares nostri fere aequales, deplorare solebant, tum quod uoluptatibus carerent sine quibus uitam nullam putarent, tum quod spernerentur ab eis, a quibus essent coli soliti. Qui mihi non id uidebantur accusare, quod esset accusandum. Nam si id culpa senectutis accideret, eadem mihi usu uenirent reliquisque omnibus maioribus natu, quorum ego multorum cognoui senectutem sine querella, qui se et libidinum uinculis laxatos esse non moleste ferrent nec a suis despicerentur. Sed omnium istius modi querellarum in moribus est culpa, non in aetate. Moderati enim et nec difficiles nec inhumani senes tolerabilem senectutem agunt; importunitas autem et inhumanitas omni aetati molesta est. Laelius. Est, ut dicis, Cato; sed fortasse dixerit quispiam tibi propter opes et copias et dignitatem tuam tolerabiliorem senectutem uideri, id autem non posse multis contingere. Cato. Est istuc quidem, Laeli, aliquid, sed nequaquam in isto sunt omnia. Ut Themistocles fertur Seriphio cuidam in iurgio respondisse, cum ille dixisset non eum sua, sed patriae gloria splendorem adsecutum: 'Nec hercule,' inquit, 'si ego Seriphius essem, nec tu, si Atheniensis clarus umquam fuisses.' Quod eodem modo de senectute dici potest. Nec enim in summa inopia leuis esse senectus potest ne sapienti quidem, nec insipienti etiam in summa copia non grauis. Aptissima omnino sunt, Scipio et Laeli, arma senectutis artes exercitationesque uirtutum, quae in omni aetate cultae, cum diu multumque uixeris, mirificos ecferunt fructus, non solum quia numquam deserunt, ne extremo quidem tempore aetatis (quamquam id quidem maximum est), uerum etiam quia conscientia bene actae uitae multorumque bene factorum recordatio iucundissima est.

IV. Ego Q- Maximum, eum qui Tarentum recepit, senem adulescens ita dilexi, ut aequalem; erat enim in illo uiro comitate condita grauitas, nec senectus mores mutauerat. Quamquam eum colere coepi non admodum grandem natu, sed tamen iam aetate prouectum. Anno enim post consul primum fuerat quam ego natus sum, cumque eo quartum consule adulescentulus miles ad Capuam profectus sum quintoque anno post ad Tarentum. Quaestor deinde quadriennio post factus sum, quem magistratum gessi consulibus Tuditano et Cethego, cum quidem ille admodum senex suasor legis Cinciae de donis et muneribus fuit. Hic et bella gerebat ut adulescens, cum plane grandis esset, et Hannibalem iuueniliter exsultantem patientia sua molliebat; de quo praeclare familiaris noster Ennius:

Unus homo nobis cunctando restituit rem,
Noenum rumores ponebat ante salutem:
Ergo plusque magisque uiri nunc gloria claret.

Tarentum uero qua uigilantia, quo consilio recepit! cum quidem me audiente Salinatori, qui amisso oppido fugerat in arcem, glorianti atque ita dicenti; 'Mea opera, Q- Fabi, Tarentum recepisti,' 'Certe,' inquit ridens, 'nam nisi tu amisisses numquam recepissem.' Nec uero in armis praestantior quam in toga; qui consul iterum Sp- Caruilio conlega quiescente C- Flaminio tribuno plebis, quoad potuit, restitit agrum Picentem et Gallicum uiritim contra senatus auctoritatem diuidenti; augurque cum esset, dicere ausus est optimis auspiciis ea geri, quae pro rei publicae salute gererentur, quae contra rem publicam ferrentur, contra auspicia ferri. Multa in eo uiro praeclara cognoui; sed nihil admirabilius, quam quo modo ille mortem fili tulit clari uiri et consularis. Est in manibus laudatio, quam cum legimus, quem philosophum non contemnimus? Nec uero ille in luce modo atque in oculis ciuium magnus, sed intus domique praestantior. Qui sermo, quae praecepta, quanta notitia antiquitatis, scientia iuris auguri! Multae etiam, ut in homine Romano, litterae. Omnia memoria tenebat, non domestica solum, sed etiam externa bella. Cuius sermone ita tum cupide fruebar, quasi iam diuinarem id quod euenit, illo exstincto, fore, unde discerem, neminem.

V. Quorsus igitur haec tam multa de Maximo? Quia profecto uidetis nefas esse dictu miseram fuisse talem senectutem. Nec tamen omnes possunt esse Scipiones aut Maximi, ut urbium expugnationes, ut pedestres naualesue pugnas, ut bella a se gesta, ut triumphos recordentur. Est etiam quiete et pure atque eleganter actae aetatis placida ac lenis senectus, qualem accepimus Platonis, qui uno et octogesimo anno scribens est mortuus, qualem Isocratis, qui eum librum, qui Panathenaicus inscribitur, quarto et nonagesimo anno scripsisse se dicit, uixitque quinquennium postea; cuius magister Leontinus Gorgias centum et septem compleuit annos neque umquam in suo studio atque opere cessauit. Qui, cum ex eo quaereretur, cur tam diu uellet esse in uita, 'Nihil habeo,' inquit, 'quod accusem senectutem.' Praeclarum responsum et docto homine dignum. Sua enim uitia insipientes et suam culpam in senectutem conferunt, quod non faciebat is, cuius modo mentionem feci, Ennius:

Sicut fortis equus, spatio qui saepe supremo
Vicit Olympia, nunc senio confectus quiescit.

Equi fortis et uictoris senectuti comparat suam. Quem quidem probe meminisse potestis; anno enim undeuicesimo post eius mortem hi consules T. Flamininus et M'. Acilius facti sunt; ille autem Caepione et Philippo iterum consulibus mortuus est, cum ego quinque et sexaginta annos natus legem Voconiam magna uoce et bonis lateribus suasissem. Annos septuaginta natus (tot enim uixit Ennius) ita ferebat duo, quae maxima putantur onera, paupertatem et senectutem, ut eis paene delectari uideretur. Etenim, cum complector animo, quattuor reperio causas, cur senectus misera uideatur: unam, quod auocet a rebus gerendis; alteram, quod corpus faciat infirmius; tertiam, quod priuet fere omnibus uoluptatibus; quartam, quod haud procul absit a morte. Earum, si placet, causarum quanta quamque sit iusta una quaeque, uideamus.

VI. A rebus gerendis senectus abstrahit. Quibus? An eis, quae iuuentute geruntur et uiribus? Nullaene igitur res sunt seniles quae, uel infirmis corporibus, animo tamen administrentur? Nihil ergo agebat Q- Maximus, nihil L. Paulus, pater tuus, socer optimi uiri, fili mei? Ceteri senes, Fabricii, Curii, Coruncanii, cum rem publicam consilio et auctoritate defendebant, nihil agebant? Ad Appi Claudi senectutem accedebat etiam, ut caecus esset; tamen is, cum sententia senatus inclinaret ad placem cum Pyrrho foedusque faciendum, non dubitauit dicere illa, quae uersibus persecutus est Ennius:

Quo uobis mentes, rectae quae stare solebant
Antehac, dementis sese flexere uiai?

Ceteraque grauissime; notum enim uobis carmen est; et tamen ipsius Appi exstat oratio. Atque haec ille egit septimo decimo anno post alterum consulatum, cum inter duos consulatus anni decem interfuissent, censorque ante superiorem consulatum fuisset; ex quo intellegitur Pyrrhi bello grandem sane fuisse; et tamen sic a patribus accepimus. Nihil igitur adferunt qui in re gerenda uersari senectutem negant, similesque sunt ut si qui gubernatorem in nauigando nihil agere dicant, cum alii malos scandant, alii per foros cursent, alii sentinam exhauriant, ille autem clauum tenens quietus sedeat in puppi, non faciat ea quae iuuenes. At uero multo maiora et meliora facit. Non uiribus aut uelocitate aut celeritate corporum res magnae geruntur, sed consilio, auctoritate, sententia; quibus non modo non orbari, sed etiam augeri senectus solet. Nisi forte ego uobis, qui et miles et tribunus et legatus et consul uersatus sum in uario genere bellorum, cessare nunc uideor, cum bella non gero. At senatui, quae sint gerenda, praescribo et quo modo; Karthagini male iam diu cogitanti bellum multo ante denuntio; de qua uereri non ante desinam quam illam excisam esse cognouero. Quam palmam utinam di immortales, Scipio, tibi reseruent, ut aui reliquias persequare! cuius a morte tertius hic et tricesimus annus est, sed memoriam illius uiri omnes excipient anni consequentes. Anno ante me censorem mortuus est, nouem annis post meum consulatum, cum consul iterum me consule creatus esset. Num igitur, si ad centesimum annum uixisset, senectutis eum suae paeniteret? Nec enim excursione nec saltu nec eminus hastis aut comminus gladiis uteretur, sed consilio, ratione, sententia; quae nisi essent in senibus, non summum consilium maiores nostri appellassent senatum. Apud Lacedaemonios quidem ei, qui amplissimum magistratum gerunt, ut sunt, sic etiam nominantur senes. Quod si legere aut audire uoletis externa, maximas res publicas ab adulescentibus labefactatas, a senibus sustentatas et restitutas reperietis.

Cedo, qui uestram rem publicam tantam amisistis tam cito?

Sic enim percontantur in Naeui poetae Ludo. Respondentur et alia et hoc in primis:

Proueniebant oratores noui, stulti adulescentuli.

Temeritas est uidelicet florentis aetatis, prudentia senescentis.

VII. At memoria minuitur. Credo, nisi eam exerceas, aut etiam si sis natura tardior. Themistocles omnium ciuium perceperat nomina; num igitur censetis eum, cum aetate processisset, qui Aristides esset, Lysimachum salutare solitum? Equidem non modo eos noui, qui sunt, sed eorum patres etiam et auos, nec sepulcra legens uereor, quod aiunt, ne memoriam perdam; his enim ipsis legendis in memoriam redeo mortuorum. Nec uero quemquam senem audiui oblitum, quo loco thesaurum obruisset; omnia, quae curant, meminerunt; uadimonia constituta, quis sibi, cui ipsi debeant. Quid iuris consulti, quid pontifices, quid augures, quid philosophi senes, quam multa meminerunt! Manent ingenia senibus, modo permaneat studium et industria, neque ea solum in claris et honoratis uiris, sed in uita etiam priuata et quieta. Sophocles ad summam senectutem tragoedias fecit; quod propter studium cum rem neglegere familiarem uideretur, a filiis in iudicium uocatus est, ut, quem ad modum nostro more male rem gerentibus patribus bonis interdici solet, sic illum quasi desipientem a re familiari remouerent iudices. Tum senex dicitur eam fabulam, quam in manibus habebat et proxime scripserat, Oedipum Coloneum, recitasse iudicibus quaesisseque, num illud carmen desipientis uideretur. Quo recitato sententiis iudicum est liberatus. Num igitur hunc, num Homerum, Hesiodum, Simonidem, Stesichorum, num, quos ante dixi, Isocraten, Gorgian, num philosophorum principes, Pythagoram, Democritum, num Platonem, num Xenocraten, num postea Zenonem, Cleanthem, aut eum, quem uos etiam uidistis Romae, Diogenem Stoicum, coegit in suis studiis obmutescere senectus? An in omnibus studiorum agitatio uitae aequalis fuit? Age, ut ista diuina studia omittamus, possum nominare ex agro Sabino rusticos Romanos, uicinos et familiares meos, quibus absentibus numquam fere ulla in agro maiora opera fiunt, non serendis, non percipiendis, non condendis fructibus. Quamquam in aliis minus hoc mirum est; nemo enim est tam senex qui se annum non putet posse uiuere: sed idem in eis elaborant quae sciunt nihil ad se omnino pertinere.

Serit arbores, quae alteri saeclo prosint,

ut ait Statius noster in Synephebis. Nec uero dubitat agricola, quamuis sit senex, quaerenti, cui serat respondere: 'Dis immortalibus, qui me non accipere modo haec a maioribus uoluerunt, sed etiam posteris prodere.'

VIII. Et melius Caecilius de sene alteri saeclo prospiciente quam illud idem:

Edepol, senectus, si nil quicquam aliud uiti
Adportes tecum, cum aduenis, unum id sat est,
Quod diu uiuendo multa, quae non uolt, uidet.

Et multa fortasse, quae uolt; atque in ea, quae non uolt, saepe etiam adulescentia incurrit. Illud uero idem Caecilius uitiosius:

Tum equidem in senecta hoc deputo miserrimum,
Sentire ea aetate eumpse esse odiosum alteri.

Iucundum potius quam odiosum. Ut enim adulescentibus bona indole praeditis sapientes senes delectantur, leuiorque fit senectus eorum qui a iuuentute coluntur et diliguntur, sic adulescentes senum praeceptis gaudent, quibus ad uirtutum studia ducuntur; nec minus intellego me uobis quam mihi uos esse iucundos. Sed uidetis, ut senectus non modo languida atque iners non sit, uerum etiam sit operosa et semper agens aliquid et moliens, tale scilicet quale cuiusque studium in superiore uita fuit. Quid qui etiam addiscunt aliquid? ut et Solonem uersibus gloriantem uidemus, qui se cotidie aliquid addiscentem dicit senem fieri, et ego feci qui litteras Graecas senex didici; quas quidem sic auide arripui quasi diuturnam sitim explere cupiens, ut ea ipsa mihi nota essent quibus me nunc exemplis uti uidetis. Quod cum fecisse Socratem in fidibus audirem, uellem equidem etiam illud (discebant enim fidibus antiqui), sed in litteris certe elaboraui.

IX. Ne nunc quidem uires desidero adulescentis (is enim erat locus alter de uitiis senectutis), non plus quam adulescens tauri aut elephanti desiderabam. Quod est, eo decet uti et, quicquid agas, agere pro uiribus. Quae enim uox potest esse contemptior quam Milonis Crotoniatae? qui, cum iam senex esset athletasque se exercentes in curriculo uideret, aspexisse lacertos suos dicitur inlacrimansque dixisse: 'At hi quidem mortui iam sunt.' Non uero tam isti quam tu ipse, nugator; neque enim ex te umquam es nobilitatus, sed ex lateribus et lacertis tuis. Nihil Sex. Aelius tale, nihil multis annis ante Ti- Coruncanius, nihil modo P. Crassus, a quibus iura ciuibus praescribebantur, quorum usque ad extremum spiritum est prouecta prudentia. Orator metuo ne languescat senectute; est enim munus eius non ingeni solum, sed laterum etiam et uirium. Omnino canorum illud in uoce splendescit etiam nescio quo pacto in senectute, quod equidem adhuc non amisi, et uidetis annos. Sed tamen est decorus seni sermo quietus et remissus, factique per se ipsa sibi audientiam diserti senis composita et mitis oratio. Quam si ipse exsequi nequeas, possis tamen Scipioni praecipere et Laelio. Quid enim est iucundius senectute stipata studiis iuuentutis? An ne illas quidem uires senectuti relinquemus, ut adulescentis doceat, instituat, ad omne offici munus instruat? Quo quidem opere quid potest esse praeclarius? Mihi uero et Cn. et P. Scipiones et aui tui duo, L- Aemilius et P. Africanus, comitatu nobilium iuuenum fortunati uidebantur nec ulli bonarum artium magistri non beati putandi, quamuis consenuerint uires atque defecerint. Etsi ipsa ista defectio uirium adulescentiae uitiis efficitur saepius quam senectutis; libidinosa enim et intemperans adulescentia effetum corpus tradit senectuti.  Cyrus quidem apud Xenophontem eo sermone, quem moriens habuit, cum admodum senex esset, negat se umquam sensisse senectutem suam imbecilliorem factam, quam adulescentia fuisset. Ego L. Metellum memini puer, qui cum quadriennio post alterum consulatum pontifex maximus factus esset uiginti et duos annos ei sacerdotio praefuit, ita bonis esse uiribus extremo tempore aetatis, ut adulescentiam non requireret. Nihil necesse est mihi de me ipso dicere, quamquam est id quidem senile aetatique nostrae conceditur.

X. Videtisne, ut apud Homerum saepissime Nestor de uirtutibus suis praedicet? Tertiam iam enim aetatem hominum uidebat, nec erat ei uerendum ne uera praedicans de se nimis uideretur aut insolens aut loquax. Etenim, ut ait Homerus, 'ex eius lingua melle dulcior fluebat oratio,' quam ad suauitatem nullis egebat corporis uiribus. Et tamen dux ille Graeciae nusquam optat, ut Aiacis similis habeat decem, sed ut Nestoris; quod si sibi acciderit, non dubitat, quin breui sit Troia peritura. Sed redeo ad me. Quartum ago annum et octogesimum; uellem equidem idem possem gloriari quod Cyrus, sed tamen hoc queo dicere, non me quidem eis esse uiribus, quibus aut miles bello Punico aut quaestor eodem bello aut consul in Hispania fuerim aut quadriennio post, cum tribunus militaris depugnaui apud Thermopylas M. Glabrione consule; sed tamen, ut uos uidetis, non plane me eneruauit, non adflixit senectus, non curia uires meas desiderat, non rostra, non amici, non clientes, non hospites. Nec enim umquam sum adsensus ueteri illi laudatoque prouerbio, quod monet 'mature fieri senem, si diu uelis senex esse.' Ego uero me minus diu senem esse mallem quam esse senem, ante quam essem. Itaque nemo adhuc conuenire me uoluit, cui fuerim occupatus. At minus habeo uirium quam uestrum uteruis. Ne uos quidem T. Ponti centurionis uires habetis; num idcirco est ille praestantior? Moderatio modo uirium adsit, et tantum quantum potest quisque nitatur, ne ille non magno desiderio tenebitur uirium. Olympiae per stadium ingressus esse Milo dicitur, cum umeris sustineret bouem. Utrum igitur has corporis an Pythagorae tibi malis uires ingeni dari? Denique isto bono utare, dum adsit, cum absit, ne requiras, nisi forte adulescentes pueritiam, paululum aetate progressi adulescentiam debent requirere. Cursus est certus aetatis et una uia naturae, eaque simplex, suaque cuique parti aetatis tempestiuitas est data, ut et infirmitas puerorum, et ferocitas iuuenum et grauitas iam constantis aetatis et senectutis maturitas naturale quiddam habeat, quod suo tempore percipi debeat. Audire te arbitror, Scipio, hospes tuus auitus Masinissa quae faciat hodie nonaginta natus annos; cum ingressus iter pedibus sit, in equum omnino non ascendere; cum autem equo, ex equo non descendere; nullo imbri, nullo frigore adduci ut capite operto sit, summam esse in eo siccitatem corporis, itaque omnia exsequi regis officia et munera. Potest igitur exercitatio et temperantia etiam in senectute conseruare aliquid pristini roboris.

XI. Non sunt in senectute uires. Ne postulantur quidem uires a senectute. Ergo et legibus et institutis uacat aetas nostra muneribus eis, quae non possunt sine uiribus sustineri. Itaque non modo, quod non possumus, sed ne quantum possumus quidem cogimur. At multi ita sunt imbecilli senes, ut nullum offici aut omnino uitae munus exsequi possint. At id quidem non proprium senectutis uitium est, sed commune ualetudinis. Quam fuit imbecillus P- Africani filius, is qui te adoptauit, quam tenui aut nulla potius ualetudine! Quod ni ita fuisset, alterum illud exstitisset lumen ciuitatis; ad paternam enim magnitudinem animi doctrina uberior accesserat. Quid mirium igitur in senibus si infirmi sint aliquando, cum id ne adulescentes quidem effugere possint? Resistendum, Laeli et Scipio, senectuti est, eiusque uitia diligentia compensanda sunt, pugnandum tamquam contra morbum sic contra senectutem; habenda ratio ualetudinis, utendum exercitationibus modicis, tantum cibi et potionis adhibendum ut reficiantur uires, non opprimantur. Nec uero corpori solum subueniendum est, sed menti atque animo multo magis; nam haec quoque, nisi tamquam lumini oleum instilles, exstinguuntur senectute. Et corpora quidem exercitationum defatigatione ingrauescunt, animi autem exercendo leuantur. Nam quos ait Caecilius : --- comicos stultos senes, hos significat credulos, obliuiosos, dissolutos, quae uitia sunt non senectutis, sed inertis, ignauae, somniculosae senectutis. Ut petulantia, ut libido magis est adulescentium quam senum, nec tamen omnium adulescentium, sed non proborum, sic ista senilis stultitia, quae deliratio appellari solet, senum leuium est, non omnium.  Quattuor robustos filios, quinque filias, tantam domum, tantas clientelas Appius regebat et caecus et senex, intentum enim animum tamquam arcum habebat nec languescens succumbebat senectuti. Tenebat non modo auctoritatem, sed etiam imperium in suos: metuebant serui, uerebantur liberi, carum omnes habebant; uigebat in illa domo mos patrius et disciplina. Ita enim senectus honesta est, si se ipsa defendit, si ius suum retinet, si nemini emancipata est, si usque ad ultimum spiritum dominatur in suos. Ut enim adulescentem in quo est senile aliquid, sic senem in quo est aliquid adulescentis probo; quod qui sequitur, corpore senex esse poterit, animo numquam erit. Septimus mihi liber Originum est in manibus; omnia antiquitatis monumenta colligo; causarum inlustrium quascumque defendi nunc cum maxime conficio orationes; ius augurium, pontificium, ciuile tracto; multum etiam Graecis litteris utor, Pythagoreorumque more exercendae memoriae gratia, quid quoque die dixerim, audierim, egerim, commemoro uesperi. Hae sunt exercitationes ingeni, haec curricula mentis, in his desudans atque elaborans corporis uires non magno opere desidero. Adsum amicis, uenio in senatum frequens ultroque adfero res multum et diu cogitatas, easque tueor animi, non corporis uiribus. Quas si exsequi nequirem, tamen me lectulus meus oblectaret ea ipsa cogitantem, quae iam agere non possem; sed ut possim, facit acta uita. Semper enim in his studiis laboribusque uiuenti non intellegitur quando obrepat senectus. Ita sensim sine sensu aetas senescit nec subito frangitur, sed diuturnitate exstinguitur.

XII. Sequitur tertia uituperatio senectutis, quod eam carere dicunt uoluptatibus. O praeclarum munus aetatis, siquidem id aufert a nobis, quod est in adulescentia uitiosissimum! Accipite enim, optimi adulescentes, ueterem orationem Archytae Tarentini, magni in primis et praeclari uiri, quae mihi tradita est cum essem adulescens Tarenti cum Q- Maximo. Nullam capitaliorem pestem quam uoluptatem corporis hominibus dicebat a natura datam, cuius uoluptatis auidae libidines temere et ecfrenate ad potiendum incitarentur. Hinc patriae proditiones, hinc rerum publicarum euersiones, hinc cum hostibus clandestina colloquia nasci; nullum denique scelus, nullum malum facinus esse, ad quod suscipiendum non libido uoluptatis impelleret; stupra uero et adulteria et omne tale flagitium nullis excitari aliis inlecebris nisi uoluptatis; cumque homini siue natura siue quis deus nihil mente praestabilius dedisset, huic diuino muneri ac dono nihil tam esse inimicum quam uoluptatem; nec enim libidine dominante temperantiae locum esse, neque omnino in uoluptatis regno uirtutem posse consistere. Quod quo magis intellegi posset, fingere animo iubebat tanta incitatum aliquem uoluptate corporis, quanta percipi posset maxima; nemini censebat fore dubium, quin tam diu, dum ita gauderet, nihil agitare mente, nihil ratione, nihil cogitatione consequi posset. Quocirca nihil esse tam detestabile tamque pestiferum quam uoluptatem, siquidem ea, cum maior esset atque longinquior, omne animi lumen exstingueret. Haec cum C- Pontio Samnite, patre eius, a quo Caudino proelio Sp- Postumius, T. Veturius consules superati sunt, locutum Archytam Nearchus Tarentinus, hospes noster, qui in amicitia populi Romani permanserat, se a maioribus natu accepisse dicebat, cum quidem ei sermoni interfuisset Plato Atheniensis, quem Tarentum uenisse L- Camillo Ap- Claudio consulibus reperio. Quorsus hoc? Ut intellegeretis, si uoluptatem aspernari ratione et sapientia non possemus, magnam habendam esse senectuti gratiam, quae efficeret, ut id non liberet, quod non operteret. Impedit enim consilium uoluptas, rationi inimica est, mentis, ut ita dicam, praestringit oculos, nec habet ullum cum uirtute commercium. Inuitus feci, ut fortissimi uiri T. Flaminini fratrem L. Flamininum e senatu eicerem septem annis post quam consul fuisset, sed notandam putaui libidinem. Ille enim, cum esset consul in Gallia, exoratus in conuiuio a scorto est, ut securi feriret aliquem eorum, qui in uinculis essent, damnati rei capitalis. Hic Tito fratre suo censore, qui proximus ante me fuerat, elapsus est; mihi uero et Flacco neutiquam probari potuit tam flagitiosa et tam perdita libido, quae cum probro priuato coniungeret imperi dedecus.

XIII. Saepe audiui ex maioribus natu, qui se porro pueros a senibus audisse dicebant, mirari solitum C- Fabricium, quod, cum apud regem Pyrrhum legatus esset, audisset a Thessalo Cinea esse quendam Athenis, qui se sapientem profiteretur, eumque dicere omnia, quae faceremus, ad uoluptatem esse referenda. Quod ex eo audientis M. Curium et Ti. Coruncanium optare solitos, ut id Samnitibus ipsique Pyrrho persuaderetur, quo facilius uinci possent, cum se uoluptatibus dedissent. Vixerat M- Curius cum P- Decio, qui quinquennio ante eum consulem se pro re publica quarto consulatu deuouerat; norat eundem Fabricius, norat Coruncanius; qui cum ex sua uita, tum ex eius, quem dico, Deci, facto iudicabant esse profecto aliquid natura pulchrum atque praeclarum, quod sua sponte peteretur, quodque spreta et contempta uoluptate optimus quisque sequeretur. Quorsus igitur tam multa de uoluptate? Quia non modo uituperatio nulla, sed etiam summa laus senectutis est, quod ea uoluptates nullas magno opere desiderat. Caret epulis extructisque mensis et frequentibus poculis; caret ergo etiam uinulentia et cruditate et insomniis. Sed si aliquid dandum est uoluptati, quoniam eius blanditiis non facile obsistimus, -- diuine enim Plato 'escam malorum' appellat uoluptatam, quod ea uidelicet homines capiantur ut pisces, -- quamquam immoderatis epulis caret senectus, modicis tamen couiuiis delectari potest. C- Duellium M- F-, qui Poenos classe primus deuicerat, redeuntem a cena senem saepe uidebam puer; delectabatur cereo funali et tibicine, quae sibi nullo exemplo priuatus sumpserat; tantum licentiae dabat gloria. Sed quid ego alios? Ad me ipsum iam reuertar. Primum habui semper sodalis. Sodalitates autem me quaestore constitutae sunt sacris Idaeis Magnae Matris acceptis. Epulabar igitur cum sodalibus omnino modice, sed erat quidam feruor aetatis; qua progrediente omnia fiunt in dies mitiora. Neque enim ipsorum conuiuiorum delectationem uoluptatibus corporis magis quam coetu amicorum et sermonibus metiebar. Bene enim maiores accubitionem epularem amicorum, quia uitae coniunctionem haberet, conuiuium nominauerunt, melius quam Graeci, qui hoc idem tum compotationem, tum concenationem uocant, ut, quod in eo genere minimum est, id maxime probare uideantur.

XIV. Ego uero propter sermonis delectationem tempestiuis quoque conuiuiis delector, nec cum aequalibus solum, qui pauci admodum restant, sed cum uestra etiam aetate atque uobiscum, habeoque senectuti magnam gratiam, quae mihi sermonis auiditatem auxit, potionis et cibi sustulit. Quod si quem etiam ista delectant, (ne omnino bellum indixisse uidear uoluptati, cuius est fortasse quidam naturalis modus), non intellego ne in istis quidem ipsis uoluptatibus carere sensu senectutem. Me uero et magisteria delectant a maioribus instituta et is sermo, qui more maiorum a summo adhibetur in poculo, et pocula, sicut in Symposio Xenophontis est, minuta atque rorantia, et refrigeratio aestate et uicissim aut sol aut ignis hibernus; quae quidem etiam in Sabinis persequi soleo, conuiuiumque uicinorum cotidie compleo, quod ad multam noctem quam maxime possumus uario sermone producimus. At non est uoluptatum tanta quasi titillatio in senibus. Credo, sed ne desideratio quidem; nihil autem est molestum, quod non desideres. Bene Sophocles, cum ex eo quidem iam adfecto aetate quaereret, utereturne rebus ueneriis, 'Di meliora!' inquit; ' libenter uero istinc sicut ab domino agresti ac furioso profugi.' Cupidis enim rerum talium odiosum fortasse et molestum est carere, satiatis uero et expletis iucundius est carere quam frui. Quamquam non caret is, qui non desiderat; ergo hoc non desiderare dico esse iucundius. Quod si istis ipsis uoluptatibus bona aetas fruitur libentius, primum paruulis fruitur rebus, ut diximus, deinde eis, quibus senectus, etiamsi non abunde potitur, non omnino caret. Ut Turpione Ambiuio magis delectatur, qui in prima cauea spectat, delectatur tamen etiam, qui in ultima, sic adulescentia uoluptates propter intuens magis fortasse laetatur, sed delectatur etiam senectus procul eas spectans tantum quantum sat est. At illa quanti sunt, animum, tamquam emeritis stipendiis libidinis, ambitionis, contentionis, inimicitiarum cupiditatum omnium, secum esse secumque, ut dicitur, uiuere! Si uero habet aliquod tamquam pabulum studi atque doctrinae, nihil est otiosa senectute iucundius. Videbamus in studio dimetiendi paene caeli atque terrae C. Galum, familiarem patris tui, Scipio. Quotiens illum lux noctu aliquid describere ingressum, quotiens nox oppressit, cum mane coepisset! Quam delectabat eum defectiones solis et lunae multo ante nobis praedicere! Quid in leuioribus studiis, sed tamen acutis? Quam gaudebat bello suo Punico Naeuius! quam Truculento Plautus, quam Pseudolo! Vidi etiam senem Liuium; qui, cum sex aniis ante quam ego natus sum fabulam docuisset Centone Tuditanoque consulibus, usque ad adulescentiam meam processit aetate. Quid de P- Licini Crassi et pontifici et ciuilis iuris studio loquar aut de huius P. Scipionis qui his paucis diebus pontifex maximus factus est? Atque eos omnis, quos commemoraui, his studiis flagrantis senes uidimus. M- uero Cethegum, quem recte 'Suadae medullam' dixit Ennius, quanto studio exerceri in dicendo uidebamus etiam senem! Quae sunt igitur epularum aut ludorum aut scortorum uoluptates cum his uoluptatibus comparandae? Atque haec quidem studia doctrinae, quae quidem prudentibus et bene institutis pariter cum aetate crescunt, ut honestum illud Solonis sit, quod ait uersiculo quodam, ut ante dixi, senescere se multa in dies addiscentem, qua uoluptate animi nulla certe potest esse maior.

XV. Venio nunc ad uoluptates agricolarum, quibus ego incredibiliter delector; quae nec ulla impediuntur senectute et mihi ad sapientis uitam proxime uidentur accedere. Habent enim rationem cum terra, quae numquam recusat imperium nec umquam sine usura reddit, quod accepit, sed alias minore, plerumque maiore cum faenore. Quamquam me quidem non fructus modo, sed etiam ipsius terrae uis ac natura delectat. Quae cum gremio mollito ac subacto sparsum semen excepit, primum id occaecatum cohibet, ex quo occatio, quae hoc efficit, nominata est, deinde tepefactum uapore et compressu suo diffundit et elicit herbescentem ex eo uiriditatem, quae nixa fibris stirpium sensim adulescit culmoque erecta geniculato uaginis iam quasi pubescens includitur; ex quibus cum emersit, fundit frugem spici ordine structam et fcontra auium minorum morsus munitur uallo aristarum. Quid ego uitium ortus, satus, incrementa commemorem? Satiari delectatione non possum, ut meae senectutis requiem oblectamentumque noscatis. Omitto enim uim ipsam omnium, quae generantur e terra; quae ex fici tantulo grano aut ex acini uinaceo aut ex ceterarum frugum aut stirpium minutissimis seminibus tantos truncos ramosque procreet. Malleoli, plantae, sarmenta, uiuiradices, propagines, nonne efficiunt, ut quemuis cum admiratione delectent? Vitis quidem, quae natura caduca est et, nisi fulta est, fertur ad terram, eadem, ut se erigat clauiculis suis quasi manibus quicquid est nacta, complectitur; quam serpentem multiplici lapsu et erratico ferro amputans coercet ars agricolarum, ne siluescat sarmentis et in omnis partis nimia fundatur. Itaque ineunte uere in eis, quae relicta sunt, exsistit tamquam ad articulos sarmentorum ea, quae gemma dicitur, a qua oriens uua se ostendit, quae et suco terrae et calore solis augescens primo est peracerba gustatu, deinde maturata dulcescit, uestitaque pampinis nec modico tepore caret et nimios solis defendit ardores. Qua quid potest esse cum fructu laetius, tum aspectu pulchrius? Cuius quidem non utilitas me solum, ut ante dixi, sed etiam cultura et natura ipsa delectat, adminiculorum ordines, capitum iugatio, religatio et propagatio uitium, sarmentorum ea, quam dixi aliorum amputatio, aliorum immissio. Quid ego irrigationes, quid fossiones agri repastinationesque proferam, quibus fit multo terra fecundior? Quid de utilitate loquar stercorandi? Dixi in eo libro, quem de rebus rusticis scripsi; de qua doctus Hesiodus ne uerbum quidem fecit, cum de cultura agri scriberet. At Honerus, qui multis, ut mihi uidetur, ante saeculis fuit, Laeten lenientem desiderium, quod capiebat e filio, colentem agrum et eum stercorantem facit. Nec uero segetibus solum et pratis et uineis et arbustis res rusticae laetae sunt, sed hortis etiam et pomariis, tum pecudum pastu, apium examinibus, florum omnium uarietate. Nec consitiones modo delectant sed etiam insitiones, quibus nihil inuenit agri cultura sollertius.

XVI. Possum persequi permulta oblectamenta rerum rusticarum, sed haec ipsa, quae dixi, sentio fuisse longiora. Ignoscetis autem; nam et studio rusticarum rerum prouectus sum, et senectus est natura loquacior, ne ab omnibus eam uitiis uidear uindicare. Ergo in hac uita M'. Curius, cum de Samnitibus, de Sabinis, de Pyrrho triumphasset, consumpsit extremum tempus aetatis. Cuius quidem ego uillam contemplans (abest enim non longe a me) admirari satis non possum uel hominis ipsius continentiam uel temporum disciplinam. Curio ad focum sedenti magnum auri pondus Samnites cum attulissent, repudiati sunt; non enim aurum habere praeclarum sibi uideri dixit, sed eis qui haberent aurum imperare. Poteratne tantus animus efficere non iucundam senctutem? Sed uenio ad agricolas, ne a me ipso recedam. In agris erant tum senatores, id est senes, siquidem aranti L- Quinctio Cincinnato nuntiatum est eum dictatorem esse factum; cuius dictatoris iussu magister equitum C- Seruilius Ahala Sp- Maelium regnum adpetentem occupatum interemit. A uilla in senatum arcessebatur et Curius et ceteri senes, ex quo, qui eos arcessebant uiatores nominati sunt. Num igitur horum senectus miserabilis fuit, qui se agri cultione oblectabant? Mea quidem sententia haud scio an nulla beatior possit esse, neque solum officio, quod hominum generi uniuerso cultura agrorum est salutaris, sed et delectatione, quam dixi, et saturitate copiaque rerum omnium, quae ad uictum hominum, ad cultum etiam deorum pertinent, ut, quoniam haec quidem desiderant, in gratiam iam cum uoluptate redeamus. Semper enim boni assiduique domini referta cella uinaria, olearia, etiam penaria est, uillaque tota locuples est, abundat porco, haedo, agno, gallina, lacte, caseo, melle. Iam hortum ipsi agricolae succidiam alteram appellant. Conditiora facit haec superuacaneis etiam operis aucupium atque uenatio. Quid de pratorum uiriditate aut arborum ordinibus aut uinearum oliuetorumue specie plura dicam? Breui praecidam: agro bene culto nihil potest esse nec usu uberius nec specie ornatius; ad quem fruendum non modo non retardat, uerum etiam inuitat atque adlectat senectus. Ubi enim potest illa aetas aut calescere uel apricatione melius uel igni, aut uicissim umbris aquisue refrigerari salubrius? Sibi habeant igitur arma, sibi equos, sibi hastas, sibi clauam et pilam, sibi natationes atque cursus, nobis senibus ex lusionibus multis talos relinquant et tesseras, id ipsum ut lubebit, quoniam sine eis beata esse senectus potest.

XVII. 59. Multas ad res perutiles Xenophontis libri sunt, quos legite, quaeso, studiose, ut facitis. Quam copiose ab eo agri cultura laudatur in eo libro, qui est de tuenda re familiari, qui Oeconomicus inscribitur! Atque ut intellegatis nihil ei tam regale uideri quam studium agri colendi, Socrates in eo libro loquitur cum Critobulo Cyrum minorem, Persarum regem, praestantem ingenio atque imperi gloria, cum Lysander Lacedaemonius, uir summae uirtutis, uenisset ad eum Sardis eique dona a sociis adtulisset, et ceteris in rebus communem erga Lysandrum atque humanum fuisse et ei quendam consaeptum agrum diligenter consitum ostendisse. Cum autem admiraretur Lysander et proceritates arborum et derectos in quincuncem ordines et humum subactam atque puram et suauitatem odorum, qui adflarentur ex floribus, tum eum dixisse mirari se non modo diligentiam, sed etiam sollertiam eius, a quo essent illa dimensa atque discripta; et Cyrum respondisse: 'Atqui ego ista sum omnia dimensus; mei sunt ordines, mea discriptio, multae etiam istarum arborum mea manu sunt satae.' Tum Lysandrum intuentem purpuram eius et nitorem corporis ornatumque Persicum multo auro multisque gemmis dixisse; 'Recte uero te, Cyre, beatum ferunt, quoniam uirtuti tuae fortuna coniuncta est.' Hac igitur fortuna frui licet senibus, nec aetas impedit, quo minus et ceterarum rerum et in primis agri colendi studia teneamus usque ad ultimum tempus senectutis. M- quidem Valerium Coruinum accepimus ad centesimum annum perduxise, cum esset acta iam aetate in agris eosque coleret; cuius inter primum et sextum consulatum sex et quadraginta anni interfuerunt. Ita, quantum spatium aetatis maiores ad senectutis initium esse uoluerunt, tantus illi cursus honorum fuit; atque huius extrema aetas hoc beatior quam media, quod auctoritatis habebat plus, laboris minus; apex est autem senectutis auctoritas. Quanta fuit in L- Caecilio Metello, quanta in A- Atilio Calatino! in quem illud elogium: 'Hunc unum plurimae consentiunt gentes populi primarium fuisse uirum.' Notum est carmen incisum in sepulcro. Iure igitur grauis, cuius de laudibus omnium esset fama consentiens. Quem uirum nuper P- Crassum, pontificem maximum, quem postea M- Lepidum eodem sacerdotio praeditum, uidimus! Quid de Paulo aut Africano loquar aut, ut iam ante, de Maximo? quorum non in sententia solum, sed etiam in nutu residebat auctoritas. Habet senectus, honorata praesertim, tantam auctoritatem, ut ea pluris sit quam omnes adulescentiae uoluptates.

XVIII. Sed in omni oratione mementote eam me senectutem laudare, quae fundamentis adulescentiae constituta sit. Ex quo efficitur id quod ego magno quondam cum assensu omnium dixi, miseram esse senectutem quae se oratione defenderet. Non cani, nec rugae repente auctoritatem arripere possunt, sed honeste acta superior aetas fructus capit auctoritatis extremos. Haec enim ipsa sunt honorabilia quae uidentur leuia atque communia, salutari, adpeti, decedi, adsurgi, deduci, reduci, consuli; quae et apud nos et in aliis ciuitatibus, ut quaeque optime morata est, ita diligentissime obseruantur. Lysandrum Lacedaemonium, cuius modo feci mentionem, dicere aiunt solitum Lacedaemonem esse honestissimum domicilium senectutis: nusquam enim tantum tribuitur aetati, nusquam est senectus honoratior. Quin etiam memoriae proditum est, cum Athenis ludis quidam in theatrum grandis natu uenisset, magno consessu locum nusquam ei datum a suis ciuibus; cum autem ad Lacedaemonios accessisset, qui legati cum essent, certo in loco consederant, consurrexisse omnes illi dicuntur et senem sessum recepisse. Quibus cum a cuncto consessu plausus esset multiplex datus, dixisse ex eis quendam Atheniensis scire, quae recta essent, sed facere nolle. Multa in nostro collegio praeclara, sed hoc de quo agimus in primis, quod, ut quisque aetate antecedit, ita sententiae principatum tenet, neque solum honore antecedentibus, sed eis etiam, qui cum imperio sunt, maiores natu augures anteponuntur. Quae sunt igitur uoluptates corporis cum auctoritatis praemiis comparandae? Quibus qui splendide usi sunt, ei mihi uidentur fabulam aetatis peregisse nec tamquam inexercitati histriones in extremo actu corruisse. At sunt morosi et anxii et iracundi et difficiles senes. Si quaerimus, etiam auari; sed haec morum uitia sunt, non senectutis. Ac morositas tamen et ea uitia, quae dixi, habent aliquid excusationis non illius quidem iustae, sed quae probari posse uideatur; contemni se putant, despici, inludi; praeterea in fragili corpore odiosa omnis offensio est. Quae tamen omnia dulciora fiunt et moribus bonis et artibus; idque cum in uita, tum in scaena intellegi potest ex eis fratribus, qui in Adelphis sunt. Quanta in altero diritas, in altero comitas! Sic se res habet; ut enim non omne uinum, sic non omnis natura uetustate coacescit. Seueritatem in senectute probo, sed eam, sicut alia, modicam, acerbitatem nullo modo. Auaritia uero senilis quid sibi uelit, non intellego; potest enim quicquam esse absurdius quam, quo uiae minus restet, eo plus uiatici quaerere?

XIX. Quarta restat causa, quae maxime angere atque sollicitam habere nostram aetatem uidetur, adpropinquatio mortis, quae certe a senectute non potest esse longe. O miserum senem qui mortem contemnendam esse in tam longa aetate non uiderit! quae aut plane neglegenda est, si omnino exstinguit animum, aut etiam optanda, si aliquo eum deducit, ubi sit futurus aeternus; atqui tertium certe nihil inueniri potest. Quid igitur timeam, si aut non miser post mortem aut beatus etiam futurus sum? Quamquam quis est tam stultus, quamuis sit adulescens, cui sit exploratum se ad uesperum esse uicturum? Quin etiam aetas illa multo pluris quam nostra casus mortis habet; facilius in morbos incidunt adulescentes, grauius aegrotant, tristius curantur. Itaque pauci ueniunt ad senectutem; quod ni ita accideret, melius et prudentius uiueretur. Mens enim et ratio et consilium in senibus est; qui si nulli fuissent, nullae omnino ciuitates fuissent. Sed redeo ad mortem impendentem. Quod est istud crimen senectutis, cum id ei uideatis cum adulescentia esse commune? Sensi ego in optimo filio, tu in exspectatis ad amplissimam dignitatem fratribus, Scipio, mortem omni aetati esse communem. At sperat adulescens diu se uicturum, quod sperare idem senex non potest. Insipienter sperat. Quid enim stultius quam incerta pro certis habere, falsa pro ueris? At senex ne quod speret quidem habet. At est eo meliore condicione quam adulescens, quoniam id, quod ille sperat, hic consecutus est; ille uult diu uiuere, hic diu uixit. Quamquam, O di boni! quid est in hominis natura diu? Da enim summum tempus, exspectemus Tartessiorum regis aetatem (fuit enim, ut scriptum uideo, Arganthonius quidam Gadibus, qui octoginta regnauit annos, centum uiginti uixit) -- sed mihi ne diuturnum quidem quicquam uidetur in quo est aliquid extremum. Cum enim id aduenit, tum illud, quod praeteriit, effluxit; tantum remanet, quod uirtute et recte factis consecutus sis; horae quidem cedunt et dies et menses et anni, nec praeteritum tempus umquam reuertitur, nec quid sequatur sciri potest; quod cuique temporis ad uiuendum datur, eo debet esse contentus. Neque enim histrioni, ut placeat, peragenda fabula est, modo, in quocumque fuerit actu, probetur, neque sapientibus usque ad 'Plaudite' ueniendum est. Breue enim tempus aetatis satis longum est ad bene honesteque uiuendum; sin processerit longius, non magis dolendum est, quam agricolae dolent praeterita uerni temporis suauitate aestatem autumnumque uenisse. Ver enim tamquam adulescentiam significat ostenditque fructus futuros, reliqua autem tempora demetendis fructibus et percipiendis accommodata sunt. Fructus autem senectutis est, ut saepe dixi, ante partorum bonorum memoria et copia. Omnia autem quae secundum naturam fiunt sunt habenda in bonis. Quid est autem tam secundum naturam quam senibus emori? Quod idem contingit adulescentibus aduersante et repugnante natura. Itaque adulescentes mihi mori sic uidentur, ut cum aquae multitudine flammae uis opprimitur, senes autem sic, ut cum sua sponte nulla adhibita ui consumptus ignis exstinguitur; et quasi poma ex arboribus, cruda si sunt, uix euelluntur, si matura et cocta, decidunt, sic uitam adulescentibus uis aufert, senibus maturitas; quae quidem mihi tam iucunda est, ut, quo propius ad mortem accedam, quasi terram uidere uidear aliquandoque in portum ex longa nauigatione esse uenturus.

XX. Senectutis autem nullus est certus terminus, recteque in ea uiuitur, quoad munus offici exsequi et tueri possit mortemque contemnere; ex quo fit, ut animosior etiam senectus sit quam adulescentia et fortior. Hoc illud est quod Pisistrato tyranno a Solone responsum est, cum illi quaerenti, qua tandem re fretus sibi tam audaciter obsisteret, respondisse dicitur: 'Senectute.' Sed uiuendi est finis optimus, cum integra mente certisque sensibus opus ipsa suum eadem quae coagmentauit, natura dissoluit. Ut nauem, ut aedificium idem destruit facillime, qui construxit, sic hominem eadem optime quae conglutinauit natura dissoluit. Iam omnis conglutinatio recens aegre, inueterata facile diuellitur. Ita fit ut illud breue uitae reliquum nec auide adpetendum senibus nec sine causa deserendum sit; uetatque Pythagoras iniussu imperatoris, id est dei, de praesidio et statione uitae decedere.  Solonis quidem sapientis est elogium, quo se negat uelle suam mortem dolore amicorum et lamentis uacare. Volt, credo, se esse carum suis; sed haud scio an melius Ennius:

Nemo me lacrumis decoret neque funera fletu faxit.

Non censet lugendam esse mortem, quam immortalitas consequatur. Iam sensus moriendi aliquis esse potest, isque ad exiguum tempus, praesertim seni; post mortem quidem sensus aut optandus aut nullus est. Sed hoc meditatum ab adulescentia debet esse mortem ut neglegamus, sine qua meditatione tranquillo animo esse nemo potest. Moriendum enim certe est, et incertum an hoc ipso die. Mortem igitur omnibus horis impendentem timens qui poterit animo consistere? De qua non ita longa disputatione opus esse uidetur, cum recorder non L- Brutum, qui in liberanda patria est interfectus, non duos Decios, qui ad uoluntariam mortem cursum equorum incitauerunt, non M- Atilium, qui ad supplicium est profectus, ut fidem hosti datam conseruaret, non duos Scipiones, qui iter Poenis uel corporibus suis obstruere uoluerunt, non auum tuum L- Paulum, qui morte luit conlegae in Cannensi ignominia temeritatem, non M- Marcellum, cuius interitum ne crudelissimus quidem hostis honore sepulturae carere passus est, sed legiones nostras, quod scripsi in Originibus, in eum locum saepe profectas alacri animo et erecto, unde se redituras numquam arbitrarentur. Quod igitur adulescentes, et ei quidem non solum indocti, sed etiam rustici, contemnunt, id docti senes extimescent? Omnino, ut mihi quidem uidetur, studiorum omnium satietas uitae facit satietatem. Sunt pueritiae studia certa; num igitur ea desiderant adulescentes? Sunt ineuntis adulescentiae: num ea constans iam requirit aetas quae media dicitur? Sunt etiam eius aetatis; ne ea quidem quaeruntur in senectute. Sunt extrema quaedam studia senectutis: ergo, ut superiorum aetatum studia occidunt, sic occidunt etiam senectutis; quod cum euenit, satietas uitae tempus maturum mortis adfert.

XXI. Non enim uideo cur, quid ipse sentiam de morte, non audeam uobis dicere, quod eo cernere mihi melius uideor, quo ab ea propius absum. Ego uestros patres, P- Scipio, tuque, C- Laeli, uiros clarissimos mihique amicissimos, uiuere arbitror, et eam quidem uitam, quae est sola uita nominanda. Nam, dum sumus inclusi in his compagibus corporis, munere quodam necessitatis et graui opere perfungimur; est enim animus caelestis ex altissimo domicilio depressus et quasi demersus in terram, locum diuinae naturae aeternitatique contrarium. Sed credo deos immortalis sparsisse animos in corpora humana, ut essent, qui terras tuerentur, quique caelestium ordinem contemplantes imitarentur eum uitae modo atque constantia. Nec me solum ratio ac disputatio impulit, ut ita crederem, sed nobilitas etiam summorum philosophorum et auctoritas. Audiebam Pythagoram Pythagoreosque, incolas paene nostros, qui essent Italici philosophi quondam nominati, numquam, dubitasse, quin ex uniuersa mente diuina delibatos animos haberemus. Demonstrabantur mihi praeterea, quae Socrates supremo uitae die de immortalitate aminorum disseruisset, is qui esset omnium sapientissimus oraculo Apollinis iudicatus. Quid multa? Sic persuasi mihi, sic sentio, cum tanta celeritas animorum sit, tanta memoria praeteritorum futurorumque prudentia, tot artes, tantae scientiae, tot inuenta, non posse eam naturam, quae res eas contineat, esse mortalem, cumque semper agitetur animus nec principium motus habeat, quia se ipse moueat, ne finem quidem habiturum esse motus, quia numquam se ipse sit relicturus; et, cum simplex animi esset natura, neque haberet in se quicquam admixtum dispar sui atque dissimile, non posse eum diuidi; quod si non posset, non posse interire; magnoque esse argumento homines scire pleraque ante quam nati sint, quod iam pueri, cum artis difficilis discant, ita celeriter res innumerabilis arripiant, ut eas non tum primum accipere uideantur, sed reminisci et recordari. Haec Platonis fere.

XXII. Apud Xenophontem autem moriens Cyrus maior haec dicit: 'Nolite arbitrari, O mihi carissimi filii, me, cum a uobis discessero, nusquam aut nullum fore. Nec enim, dum eram uobiscum, animum meum uidebatis, sed eum esse in hoc corpore ex eis rebus quas gerebam intellegebatis. Eundem igitur esse creditote, etiamsi nullum uidebitis. Nec uero clarorum uirorum post mortem honores permanerent, si nihil eorum ipsorum animi efficerent, quo diutius memoriam sui teneremus. Mihi quidem numquam persuaderi potuit animos, dum in corporibus essent mortalibus, uiuere, cum excessissent ex eis, emori, nec uero tum animum esse insipientem, cum ex insipienti corpore euasisset, sed cum omni admixtione corporis liberatus purus et integer esse coepisset, tum esse sapientem. Atque etiam cum hominis natura morte dissoluitur, ceterarum rerum perspicuum est quo quaeque discedat; abeunt enim illuc omnia, unde orta sunt, animus autem solus nec cum adest nec cum discedit, apparet. Iam uero uidetis nihil esse morti tam simile quam somnum. Atqui dormientium animi maxime declarant diuinitatem suam; multa enim, cum remissi et liberi sunt, futura prospiciunt. Ex quo intellegitur quales futuri sint, cum se plane corporis uinculis relaxauerint. Qua re, si haec ita sunt, sic me colitote,' inquit, 'ut deum; sin una est interiturus animus cum corpore, uos tamen, deos uerentes, qui hanc omnem pulchritudinem tuentur et regunt, memoriam nostri pie inuiolateque seruabitis.'

XXIII. Cyrus quidem haec moriens; nos, si placet, nostra uideamus. Nemo umquam mihi, Scipio, persuadebit aut patrem tuum Paulum, aut duos auos, Paulum et Africanum, aut Africani patrem, aut patruum, aut multos praestantis uiros quos enumerare non est necesse, tanta esse conatos, quae ad posteritatis memoriam pertinerent, nisi animo cernerent posteritatem ad se ipsos pertinere. Anne censes, ut de me ipse aliquid more senum glorier, me tantos labores diurnos nocturnosque domi militiaeque suscepturum fuisse, si eisdem finibus gloriam meam, quibus uitam, essem terminaturus? Nonne melius multo fuisset otiosam et quietam aetatem sine ullo labore et contentione traducere? Sed nescio quo modo animus erigens se posteritatem ita semper prospiciebat, quasi, cum excessisset e uita, tum denique uicturus esset. Quod quidem ni ita se haberet, ut animi inmortales essent, haud optimi cuiusque animus maxime ad inmortalitatem et gloriam niteretur. Quid, quod sapientissimus quisque aequissimo animo moritur, stultissimus iniquissimo, nonne uobis uidetur is animus qui plus cernat et longius, uidere se ad meliora proficisci, ille autem cuius obtusior sit acies, non uidere? Equidem efferor studio patres uestros, quos colui et dilexi uidendi, neque uero eos solos conuenire aueo quos ipse cognoui, sed illos etiam de quibus audiui et legi et ipse conscripsi; quo quidem me proficiscentem haud sane quid facile retraxerit, nec tamquam Peliam recoxerit. Et si quis deus mihi largiatur, ut ex hac aetate repuerascam et in cunis uagiam, ualde recusem, nec uero uelim quasi decurso spatio ad carceres a calce reuocari.
84. Quid habet enim uita commodi? Quid non potius laboris? Sed habeat sane, habet certe tamen aut satietatem aut modum. Non lubet enim mihi deplorare uitam, quod multi, et ei docti, saepe fecerunt, neque me uixisse paenitet, quoniam ita uixi, ut non frustra me natum existimem, ut ex uita ita discedo tamquam ex hospitio, non tamquam e domo. Commorandi enim natura deuorsorium nobis, non habitandi dedit. O praeclarum diem, cum in illud diuinum animorum concilium coetumque proficiscar cumque ex hac turba et conluuione discedam! Proficiscar enim non ad eos solum uiros, de quibus ante dixi, uerum etiam ad Catonem meum, quo nemo uir melior natus est, nemo pietate praestantior; cuius a me corpus est crematum, quod contra decuit ab illo meum, animus uero, non me deserens sed respectans, in ea profecto loca discessit, quo mihi ipsi cernebat esse ueniendum. Quem ego meum casum fortiter ferre uisus sum, non quo aequo animo ferrem, sed me ipse consolabar existimans non longinquum inter nos digressum et discessum fore.  His mihi rebus, Scipio (id enim te cum Laelio admirari solere dixisti), leuis est senectus, nec solum non molesta sed etiam iucunda. Quod si in hoc erro, qui animos hominum inmortalis esse credam, libenter erro; nec mihi hunc errorem, quo delector, dum uiuo, extorqueri uolo; sin mortuus, ut quidam minuti philosophi censent, nihil sentiam, non uereor, ne hunc errorem meum philosophi mortui irrideant. Quod si non sumus inmortales futuri, tamen exstingui homini suo tempore optabile est. Nam habet natura, ut aliarum omnium rerum, sic uiuendi modum. Senectus autem aetatis est peractio tamquam fabulae, cuius defatigationem fugere debemus, praesertim adiuncta satietate. Haec habui, de senectute quae dicerem, ad quam utinam perueniatis, ut ea, quae ex me audistis, re experti probare possitis.

CATON L'ANCIEN.

I. « Ο Titus, si je viens à ton aide et dissipe les soucis cuisants qui t'agitent, quelle sera ma récompense? » Je puis, Atticus, vous tenir le même langage qu'adressait à Flamininus « cet homme sans fortune, mais de si grand cœur; » quoique je sache bien que vous n'êtes pas, comme Flamininus, « assiégé la nuit et le jour de soins dévorants. » Je connais le juste tempérament de votre esprit et l'égalité de votre caractère, et je sais que vous avez emporté d'Athènes non pas seulement un surnom, mais encore les grâces et la sagesse. Il est cependant de tristes choses dont j'imagine que vous gémissez comme moi, Atticus; fermer de telles plaies n'est pas une entreprise facile, ni dont je veuille me charger aujourd'hui. C'est de la vieillesse que Je me propose maintenant de vous entretenir. Je veux nous soulager tous deux de ce fardeau commun de la vieillesse qui nous menace ou qui nous presse déjà; quoique je sache bien que vous supportez ce fardeau, comme tous les autres, libéralement et sans ennui, et que vous aurez toujours cette sagesse: Mais comme je me proposais d'écrire sur la vieillesse, cherchant qui je trouverais digne de lui consacrer un travail dont nous pussions tirer un fruit commun, c'est vous qui vous êtes présenté à mon esprit La composition de ce livre a été pour moi chose si agréable, que non-seulement elle a fait évanouir à mes yeux tous les inconvénients de la vieillesse, mais encore me Ta rendue aimable et douce. Jamais on ne pourra faire un assez bel éloge de la philosophie, qui ôte, pour ceux qui l'écoutent, toute amertume à tous les âges de la vie. J'ai déjà parlé beaucoup et souvent encore j'aurai l'occasion de parler des autres âges; la vieillesse est le sujet de ce livre que je vous envoie. Je n'ai pas mis, comme Ariston de Chios, mon discours dans la bouche de Tithon, car il n'eut rien gagné à cette feinte : mais j'ai fait parler le vieux Caton, qui lui donnera tant d'autorité. Je suppose que Lélius et Scipion témoignent à Caton leur étonnement de ce qu'il supporte si facilement la vieillesse, et que le vieillard leur répond. S'il vous semble mettre dans son discours plus d'art que ses écrits n'en témoignent, attribuez-le à l'étude des lettres grecques, dont nous savons tous qu'il s'éprit dans sa vieillesse. Mais à quoi bon tout ceci? les paroles de Caton vous montreront tout ce que je pense de la vieillesse.

523 II SCIPION. Bien souvent, Caton, nous vous admirons, moi et Lélius, de déployer en tout une haute et admirable sagesse, et surtout de ne montrer jamais que la vieillesse vous soit à charge ; elle, si odieuse à la plupart des vieillards, qu'ils en trouvent, à leur dire, le fardeau plus dur que celui de l'Etna. — CATON. Vous admirez là, Scipion et Lélius, un mérite qui certes ne me coûte pas beaucoup. Tous les âges sont insupportables à ceux qui ne trouvent en eux-mêmes aucune ressource pour orner et remplir leur existence ; mais pour qui sait trouver en soi tous ses biens, les diverses conditions de notre nature où le cours des choses nous amène ne sont jamais des maux. Telle est en première ligne la vieillesse, que tous souhaitent d'atteindre et qu'ils accusent dès qu'ils y sont parvenus, tellement est inconstante et inique l'humeur insensée des hommes! Ah! disent-ils, la vieillesse est arrivée plus vite que nous n'avions compté : mais d'abord, qui les a forcés à mal compter? Est-ce que la vieillesse remplace la fleur de l'âge plus vite que celle-ci ne succède à l'enfance? Ensuite comment la vieillesse leur serait-elle moins insupportable à l'âge de huit cents ans, par exemple, qu'à celui de quatre-vingts? Le passé, quelque long qu'il soit, une fois écoulé, ne peut donner aucune consolation à des sots vieillis. Si vous admirez ma sagesse ( et plût aux dieux qu'elle fût digne de l'estime que vous en faites et du surnom que l'on me donne ! ), je vous dirai qu'elle consiste tout entière à tenir la nature pour le meilleur des guides, à la suivre et à lui obéir comme à un Dieu. Il n'est pas vraisemblable qu'après avoir si bien disposé les autres âges de la vie, elle en ait, comme un mauvais poète, négligé le dernier acte. Il fallait bien qu'il y eût un terme, et que la vie, mûrie comme le fruit de l'arbre ou le grain de la terre, s'amollit et se courbât sous le poids du temps. Cette nécessité doit être douce au sage. Faire comme les géants la guerre aux Dieux, qu'est-ce autre chose, si ce n'est s'irriter contre les lois de la nature? — LELIUS. Vous ne pourriez, Caton, nous rien faire de plus agréable à Scipion et à moi, car je parle pour tous deux, que de nous apprendre ainsi d'avance, à nous qui avons le désir et le ferme espoir de parvenir à la vieillesse, comment nous pourrons le plus facilement supporter le fardeau de cet âge. — CATON. Je le ferai volontiers, Lélius, surtout si, comme vous le dites, ce vous est une chose agréable à tous deux. — LELIUS. Nous souhaitons certainement, Caton, à moins que ce ne soit une peine pour vous, qu'après avoir parcouru cette longue route où nous sommes engagés à notre tour, vous nous fassiez connaître le terme où vous êtes arrivé.

III. CATON. Je le ferai, je l'essaierai du moins, Lélius. J'ai souvent entendu les plaintes de mes contemporains ( car on se trouve volontiers dans la société des gens de son âge ), j'ai entendu C. Salinator, Sp. Albinus, tous deux 538 consulaires, et à peu près du même âge que moi, gémir de ce qu'ils ne pouvaient plus goûter les voluptés, sans lesquelles, disaient-ils, on n'existait pas, et de ce qu'ils se voyaient méprisés par ceux dont ils avaient coutume de recevoir les déférences. Selon moi, ils accusaient ce qu'ils ne devaient pas accuser. Car si c'eût été là la faute de la vieillesse, j'aurais souffert les mêmes choses qu'eux, moi et tous les vieillards; mais j'en ai connu beaucoup qui ne se plaignaient pas, qui se voyaient avec plaisir affranchis du joug des passions, et que les respects environnaient. Le véritable sujet de toutes ces plaintes, c'est le caractère et non pas l'âge. Un vieillard dont l'humeur est douce, qui n'a ni aigreur ni violence, jouit d'une commode vieillesse; mais un esprit difiicile et chagrin ne connaît le bonheur à aucun âge. — LELIUS. Cela est parfaitement juste, Caton; mais ne pourrait-on pas dire que la vieillesse vous parait supportable à cause de vos biens, de l'abondance où l'on vous voit, des honneurs dont vous êtes revêtu; et qu'il n'en peut être ainsi du grand nombre ? — CATON. Sans doute, Lélius, ce dont vous parlez est quelque chose; mais tout n'est point là. Un certain habitant de Sériphe disait à Thémistocle, dans une querelle, que ce n'était point à son mérite, mais à la gloire de sa patrie, qu'il devait sa célébrité; l'Athénien répondit : « Par Hercule, si j'étais né à Sériphe, je ne serais point célèbre; et si tu étais né à Athènes, tu ne le serais pas davantage. » On en peut dire autant de la vieillesse. Dans l'extrême misère, elle ne peut être supportable même au sage ; l'insensé ne s'y peut accommoder, même dans la profusion de tous les  biens. Les véritables armes de la vieillesse, Scipion et Lélius, ce sont les lettres et la pratique de la vertu; cultivées à tout âge, elles portent à la fin d'une longue carrière des fruits merveilleux , en ce que d'abord elles ne nous abandonnent jamais, même à nos derniers jours (et je ne vois rien au-dessus de cela ), et qu'ensuite nous trouvons les plus douces jouissances dans le souvenir du bien que nous avons fait et dans le témoignage de notre conscience.

IV. Dans ma jeunesse, je m'attachai à un vieillard, Q. Maximus, celui qui reprit Tarente, avec la même affection que s'il eût été de mon âge. II y avait en lui un heureux mélange de sévérité et de grâce, que sa vieillesse n'avait point altéré. Quand notre amitié commença, Fabius, quoique avancé en âge, n'était pas encore tout à fait un vieillard. J'étais né un an avant son premier consulat : sous son quatrième consulat, je partis avec lui pour faire mes premières armes au siège de Capoue, et cinq ans après je l'accompagnai à Tarente. Je fus ensuite, au bout de quatre ans, élu questeur, et je rompus ces fonctions sous le consulat de Tuditanus et de Céthégus, alors que Fabius, dans une extrême vieillesse, parla en faveur de la loi Cincia sur les présents et les dons. Malgré son grand âge, il faisait la guerre comme un jeune homme, et par sa patience il tenait en échec la fougue juvénile d'Annibal; c'est de lui que notre Ennius a si bien dit : « Un seul homme, en temporisant, releva notre fortune. Il ne plaçait point les rumeurs publiques avant le salut de l'Etat. Aussi sa gloire grandit-elle après lui, et s'accroît-elle tous les jours. » Quelle vigilance, quelle habileté ne dé- 525  ploya-il pas pour reprendre Tarente? Salinator, qui, après avoir perdu la ville, s'était réfugié dans la citadelle, se glorifiait du succès de Fabius, et lui disait, moi présent : « Vous avez repris Tarente, grâce à mes soins. » — « Sans doute, répondit Fabius en riant ; car si vous ne l'aviez perdue, je ne l'aurais jamais reprise. » Il ne fît pas éclater plus de courage sur les champs de bataille qu'au Forum : consul pour la seconde fois, tandis que son collègue Sp. Carvilius gardait le silence, il s'opposa de toutes ses forces au tribun du peuple G. Flaminius, qui partageait au peuple par tête, et contre l'autorité du sénat, les champs du Picénum et de la Gaule ; augure, il osa dire que tout ce qui servait la république était accompli sous de bons auspices ; tout ce qui lai portait atteinte, sous de mauvais. Que de qualités, que de vertus admirables il réunissait ! Mais rien n'approche de l'héroïsme avec lequel il supporta la mort de son fils, homme distingué et personnage consulaire. Il prononça lui-même l'éloge funèbre qui nous est conservé; en le lisant, comme nous trouvons misérables tous les discours des philosophes ! Ce n'était pas seulement aux yeux du monde et en public qu'il avait cette grandeur ; à l'ombre du foyer domestique, je le trouvais plus grand encore. Quelle conversation ! quels conseils ! quelle connaissance de l'antiquité ! quelle science du droit augurai I ajoutez-y beaucoup plus de littérature que n'en a d'ordinaire un Romain. Il savait par cœur toutes les guerres non-seulement domestiques, mais étrangères; j'étais avide et charmé de l'entendre; il semble que je pressentais qu'après lui, je ne trouverais plus personne pour m'instruire.

V. Mais pourquoi tant insister sur Maximus? parce que je veux vous montrer que ce serait une impiété de déclarer une telle vieillesse malheureuse. II est vrai que tous les vieillards ne peuvent être des Scipions et des Fabius, ni avoir à se rappeler leurs prises de villes, leurs combats sur terre et sur mer, leurs guerres et leurs triomphes. Le soir d'une vie calme, élégante et pure, a sa douceur aussi et son charme : telle fut la vieillesse de Platon, que la mort vint chercher au milieu de ses travaux à quatre-vingt-un ans ; celle d'Isocrate, qui nous dit avoir écrit, à quatre-vingt-quatorze ans, son livre intitulé Panathenaicus, et qui vécut encore cinq ans après. Gorgias de Léontium, son maître, accomplit sa cent septième année, et jamais il ne renonça à l'étude ni au travail. On lui demandait pourquoi il voulait tellement prolonger sa vie : « Je n'ai aucune raison d'accuser la vieillesse, » répondit-il. Belle réponse, et digne d'un homme aussi docte. Les fous accusent la vieillesse de leurs défauts, et lui reprochent ce dont la faute est à eux seuls : Ennius, que je citais tout à l'heure, n'agissait pas ainsi. « Gomme le coursier généreux qui souvent, dans la carrière olympique, a brillé le premier au terme de l'espace, repose aujourd'hui arrêté par le poids des ans. » A la vieillesse d'un coursier généreux et victorieux, Ennius compare la sienne; vous pouvez facilement vous la rappeler. T. Flamininus et M'. Acilius, nos consuls, ont été nommés vingt-un ans après sa mort, arrivée sous le second consulat de Philippe, qui avait Cépion pour collègue, à l'époque où, âgé de soixante-cinq ans, je soutenais la loi Voconia d'une voix assez puissante et, je crois, avec de bons poumons. A l'âge de soixante-dix ans 526 (car Ennius vécut jusque-là), il supportait de telle sorte les deux fardeaux réputés les plus lourds, à savoir, la pauvreté et la vieillesse, qu'il semblait presque y trouver des jouissances. Quand j'y réfléchis, je trouve quatre motifs de l'opinion répandue sur l'importunité de la vieillesse : le premier est qu'elle nous interdit l'action; le second, qu'elle enlève nos forces; le troisième, qu'elle nous sèvre de presque tous les plaisirs; le quatrième enfin, qu'elle est le prélude de la mort. Examinons, si vous le voulez, ta valeur et la justesse de chacun de ces motifs.

VI. La vieillesse nous interdit l'action. Quelle sorte d'action ? est-ce celle qui convient à la jeunesse et à la vigueur de l'âge? Mais n'est-il pas des affaires réservées à la vieillesse, et que la prudence de l'esprit peut seule traiter même lorsque les forces défaillent? Q. Maximus n'agissait donc pas, non plus que Paul-Émile votre père, Scipion, et beau-père en même temps de mon excellent fils? Et tous ces vieillards, les Fabricius, les Curius, les Coruncanius, lorsque leur prudence et leur autorité défendaient la république, n'agissaient-ils pas ? Appius Claudius était vieux et aveugle, lorsqu'au milieu du sénat, qui inclinait vers la paix et penchait à traiter avec Pyrrhus, il eut le courage de prononcer ces belles paroles reproduites par Ennius dans ces vers : « Jusqu'où vos esprits, si droits jusqu'ici, « ont-ils fléchi dans leur démence? » Et la suite de la même force; vous savez les vers, et le discours lui-même nous est conservé. Appius le prononça dix-sept ans après son second consulat; dix ans s'étaient écoulés entre son premier consulat et le second, et il avait été censeur avant d'être consul. Nous en pouvons conclure qu'il était fort âgé lors de la guerre de Pyrrhus ; et c'est en effet ce que nous ont appris nos pères. Soutenir que la vieillesse n'agit point, est donc une vaine opinion; autant vaudrait dire que le pilote n'agit pas en conduisant le vaisseau : en effet, tandis que les autres se lussent au mât, s'agitent sur les ponts, vident la sentine, lui, le gouvernail en main, se tient immobile à la poupe. La vieillesse ne fera pas ce que fait la jeunesse : non, mais elle fera des choses bien plus utiles et plus grandes. Ce n'est point par la force, la prestesse ou l'agilité du corps, que les grandes choses s'accomplissent, mais par le conseil, l'autorité, la sage maturité dont la vieillesse, loin d'être dépouillée, est au contraire plus abondamment pourvue. A moins toutefois que moi, qui, tour à tour soldat, tribun, lieutenant et consul, ai vu la guerre sous toutes ses formes, je ne vous paraisse inactif parce que je ne manie plus les armes. Mais j'apprends au sénat ce que doit faire la république, et de quelle manière ; je déclare la guerre depuis longtemps déjà à cette Carthage qui nourrit contre nous de dangereux projets, et je ne cesserai de la craindre que lorsque je la verrai détruite. Puissent, Scipion, les Dieux immortels vous réserver la gloire d'achever l'ouvrage commencé par votre aïeul ! Voilà trente-trois ans qu'il est mort, mais son souvenir vivra dans tous les âges. Il mourut un an avant ma censure et neuf ans après mon consulat, sous lequel il fut nommé consul pour la seconde fois. 527 Est-ce que s'il lui avait été donné de vivre cent I ans, sa vieillesse lui serait à charge? Sans doute il ne pourrait plus courir, ni sauter, ni lancer le javelot, ni manier le glaive; mais il penserait, il prévoirait, il conseillerait; et si ce n'était là le propre de la vieillesse, nos ancêtres n'auraient pas donné au conseil suprême de l'État le nom de sénat. A Lacédémone, ceux qui occupent la première magistrature sont nommés les Anciens, et ils le sont en effet. Si vous voulez vous informer de ce qui s'est passé chez les autres peuples, vous verrez que les États ont toujours été ruinés par les jeunes gens, sauvés ou restaurés par les vieillards. « Dites-moi : comment votre république si florissante a-t-elle péri si vite? » Voilà ce que l'on demande, comme dans la fable du poète Névius. Entre autres réponses, on fait d'abord celle-ci : « Il se produisait des orateurs nouveaux, jeunes et insensés. » La témérité est en effet le caractère de la jeunesse, la prudence celui de la vieillesse.

VII. Mais la mémoire s'affaiblit. Je le crois, si vous ne l'exercez pas, ou si vous avez un esprit ingrat. Thémistocle savait les noms de tous ses concitoyens : croyez-vous que, dans sa vieillesse, Il ait été donner à Aristide le nom de Lysimaque? Je connais non-seulement tous les Romains, mais encore leurs pères et leurs aïeux ; et je ne crains pas de perdre la mémoire, comme on dit, en lisant les inscriptions tumulaires; tout au contraire, elles me remettent les morts en mémoire. Je n'ai jamais entendu dire qu'un vieillard ait oublié où il avait enfoui son trésor. Ils se souviennent parfaitement de tout ce qui les touche, du jour fixé pour les payements, du nom de leurs débiteurs et de leurs créanciers. Que de choses renferme la mémoire des jurisconsultes, des pontifes, des augures, des philosophes parvenus à la vieillesse ! Le vieillard conserve tout son esprit, pourvu qu'il ne renoncent à l'exercer ni à l'enrichir ; et je ne parle pas seulement d'une vieillesse des grands citoyens et des hommes d'État, mais de celle qui s'écoule dans la tranquillité delà vie privée. Sophocle, dans son extrême vieillesse, composait encore des tragédies; on l'accusait de négliger son patrimoine pour cultiver ta poésie, et ses fils l'appelèrent en justice pour le faire interdire comme fou, au nom d'une loi semblable à celle de Rome, qui ôte la gestion de leurs biens aux pères qui les dissipent. On dit que le vieillard lut aux juges son Œdipe à Colon e, qu'il tenait à la main et qu'il avait tout récemment composé, et leur demanda ensuite si c'était là l'œuvre d'un fou. Il fut renvoyé absous après cette lecture. Est-ce que la vieillesse paralysa le génie de ce grand poète ou celui d'Homère, d'Hésiode, de Simonide, de Stésichore? Est-ce qu'elle flétrit le talent d'Isocrate et de Gorgias que je vous citais, ou de ces princes de la philosophie , Pythagore, Démocrite, Platon, Xénocrate, Zénon, Cléanthe, ou àe Diogène le stoïcien, que vous-mêmes avez vir à Rome? Est-ce que le mouvement de leur esprit s'arrêta avant le terme de leur vie? Mais quoi ! sans plus vous parler de ces études divines, je puis vous citer un grand nombre de cultivateurs romains de la Sabine, mes voisins et mes amis, qui ne souffriraient pas qu'aucun des grands travaux des 528  champs se fit sans eux, soit les semailles, soit la . récolte, soit la rentrée des grains ou des fruits. Il n'y a là sans doute rien de bien étonnant; on n'est jamais assez vieux pour ne pas espérer vivre encore une année; mais les vieillards dont je vous parle donnent leurs soins à des travaux dont ils savent bien que le fruit ne sera pas pour eux. « Il sème des arbres dont jouira le siècle à venir, » comme dit Statius dans les Synéphèbes. Le laboureur, si vieux qu'il soit, à qui l'on demandera : Pour qui semez-vous donc? n'hésitera point à répondre : Pour les Dieux immortels, qui n'ont pas voulu seulement que je reçusse ces biens de mes aïeux, mais encore que je les transmisse à mes descendants.

VIII. Le mot de Cécilius sur le vieillard qui songe au siècle à venir, est beaucoup plus juste que ces autres vers du même poète : « Par Jupiter, ô vieillesse, quand bien même tu n'entraînerais pas d'autres désagréments à ta suite, c'en serait un assez grand dans une vie qui se prolonge, que de voir mille événements contraires à ses vœux. «Mais ne peut-il pas y en avoir mille conformes à nos désirs? et la jeunesse voit-elle tout succéder à sa guise? Je n'approuve pas non plus Cécilius quand il dit : « Ce que je trouve de plus déplorable dans la vieillesse, c'est de sentir qu'à cet âge on est odieux aux jeunes gens. » Il fallait mettre agréable, au lieu d'odieux. De même que de sages vieillards chérissent les jeunes gens généreusement nés, et trouvent de grandes douceurs dans leur affection et leurs hommages; à leur tour, les jeunes gens goûtent avec empressement les préceptes de la vieillesse, qui les guide dans le chemin de la vertu. Je ne crois pas vous être moins agréable que vous ne me l'êtes. Vous voyez donc que la vieillesse n'est point languissante et imbécile, mais qu'elle est ouvrière, agissant et entreprenant toujours; ce qu'on a fait à la fleur de la vie, on le fait dans son vieil âge. Et mieux encore, le vieillard ne s'instruit-il pas? Nous voyons Solon se vanter, dans ses vers, de vieillir en apprenant tous les jours quelque chose; ainsi ai-je fait, moi qui tout dernièrement ai appris les lettres grecques ; et certes je m'y suis appliqué avec tout le zèle d'un homme qui étancherait une soif ardente, avide de connaître tous ces enseignements que je vous cite maintenant comme exemples. Lorsque j'appris que Socrate s'exerçait à jouer de la lyre, j'aurais en vérité voulu l'imiter, et avec lui tous les anciens; au moins n'ai-je rien négligé pour m'instruire dans leurs écrits.

IX. Pour en venir au second chef d'accusation contre la vieillesse, je ne regrette nullement les forces de mon jeune âge, non plus qu'alors je n'ambitionnais les forces d'un éléphant ou d'un taureau. Il faut user de ce que l'on a, et en tout agir selon ses forces. Où trouver rien de plus méprisable que ce cri de Milon de Crotone, qui, voyant dans sa vieillesse des athlètes s'exercer au milieu de la carrière, jette un regard sur ses bras et dit tout en, pleurs : « Ah ! ils sont déjà morts? » Ce ne sont pas eux, c'est toi, bateleur, qui es mort; car ta célébrité ne vient pas de toi, mais de tes poignets et de tes reins. Un tel langage n'était pas celui de S. Aelius, ni, dans des temps plus anciens, de Tib. Coruncanlus, ni tout récemment de P. Crassus, de ces savants juris- 529 consultes qui nous initiaient au droit, et dont l'habile sagesse brilla jusqu'à leur dernier jour. L'orateur, Je le crois bien, doit pâlir dans sa vieillesse; car, pour parler en public, il faut non-seulement de l'esprit, mais encore des poumons et de la vigueur. Quelquefois cependant la voix garde, je ne sais comment, tout son éclat dans la vieillesse; la mienne ne l'a nullement perdu, et vous connaissez mon âge; mais un ton calme et doux est bienséant aux vieillards, et leur éloquence, tout empreinte de modération et de suavité, s'ouvre facilement les esprits. S'il ne vous est plus permis de vous faire entendre d'une assemblée entière, vous pouvez du moins instruire Scipion et Lélius. Quoi de plus touchant qu'un vieillard entouré déjeunes et fervents élèves? N'accorderons-nous pas au moins à la vieillesse les forces suffisantes pour enseigner, instruire, former au bien la jeunesse? et connaissez-vous au monde quelque office supérieur à celui-là? Cn. et P. Scipion, et vos deux aïeux, L. Émilius et P. l'Africain, me semblaient trouver un véritable bonheur dans l'empressement des jeunes patriciens auprès d'eux. Quelle que soit la faiblesse et la langueur d'un homme qui donne des leçons de sagesse et de vertu, je le tiendrai toujours pour fortuné. Cette langueur elle-même est bien plus souvent l'œuvre de la jeunesse que de la vieillesse ; une jeunesse intempérante et corrompue livre au vieil âge un corps énervé. Nous lisons dans Xénophon un discours où Cyrus, mourant à un âge tout à fait avancé, déclare que jamais il n' a senti qu'il eût moins de vigueur dans sa vieillesse que dans sa jeunesse. Je me souviens d'avoir connu tout enfant L. Métellus, qui, nommé grand pontife quatre ans après son deuxième consulat, fut pendant vingt-deux ans à la tête du sacré collège, et de lui avoir vu dans les derniers jours assez de forces pour qu'il ne regrettât point son jeune temps. Je pourrais parler de moi-même, mais à quoi bon? quoiqu'il me soit bien permis, je pense, d'user de ce privilège de mon âge.

X. Vous voyez comme, dans Homère, Nestor fait souvent l'éloge de ses propres vertus. Il avait déjà vécu plus de deux âges d'homme, et ne craignait point, en se donnant de justes éloges, de passer pour un arrogant ou un bavard. En effet, comme le dit Homère, « de ses lèvres coulaient des paroles plus douces que le miel. » Pour cette suavité les forces du corps ne lui eussent été d'aucune aide, et cependant le chef des Grecs ne souhaite pas d'avoir dix compagnons comme Ajax, mais bien comme Nestor; il ne doute pas que, s'il les avait, Troie ne périt bientôt. Mais je reviens à moi : j'ai quatre-vingt-quatre ans; je voudrais pouvoir faire de mes forces le même éloge que Cyrus des siennes; mais s'il est vrai que j'avais plus de vigueur, soldat ou questeur en Afrique, consul en Espagne, ou quatre ans après tribun militaire au combat des Thermopyles, sous le consulat d'A. Glabrion, cependant, comme vous le voyez, la vieillesse ne m'a pas complètement énervé ni abattu ; je ne fais défaut ni au sénat, ni au Forum, ni à mes amis, ni à mes clients, ni à mes hôtes. Je n'ai jamais donné les mains à ce vieux et célèbre proverbe qui nous en* gage à vivre de bonne heure en vieillards, si nous voulons être vieux longtemps. Pour moi, j'aimerais mieux être vieux moins longtemps que de l'être avant le temps. Aussi tous ceux qui 530 ont eu affaire à moi m ont-ils toujours trouvé prêt et dispos. Mais j'ai moins de forces que l'un ou l'autre de vous. Et vous, avez-vous la force du centurion T. Pontius? et valez-vous pour cela moins que lui? Modérons nos forces; que chacun n'entreprenne que ce dont il est capable; et personne ne regrettera beaucoup la vigueur qu'il n'a pas. On dit qu'aux jeux olympiques Milon parcourut le stade en portant sur ses épaules un bœuf vivant : aimeriez-vous donc mieux avoir cette vigueur corporelle que la force d'esprit de Pythagore? Enfin la sagesse dit qu'il faut user de ses forces quand on les a, et ne point les regretter quand on ne les a plus, à moins qu'il ne soit raisonnable au jeune homme de regretter l'enfance, et à l'homme mûr de pleurer la perte de la jeunesse. Le cours de notre vie est réglé ; elle suit invariablement une route naturelle et partout la même. Chaque saison de la vie a son caractère particulier; la nature a donne la faiblesse ù l'enfance, la fierté aux jeunes gens, la gravité à l'âge viril, la maturité à la vieillesse ; chaque époque nous offre des fruits à cueillir, et qui ne viennent qu'en leur temps. Vous savez sans doute, Scipion, ce que l'hôte de votre famille, Massinissa, fait encore tous les jours, malgré ses quatre-vingt-dix ans : lorsqu'il commence une route à pied, il la termine sans monter un seul moment à cheval ; lorsqu'il part à cheval, il ne met jamais pied à terre; quelque temps qu'il fasse, pluie ou bise, il va toujours tête découverte ; il a le corps le plus dispos du monde ; aussi remplit-il avec une exactitude scrupuleuse tous les devoirs de la royauté. L'exercice et la tempérance peuvent donc conserver au vieillard  quelque chose de la vigueur du jeune homme.

XI. La vieillesse n'a plus de forces? — Mais on ne lui demande pas d'en avoir. Ni les lois ni les mœurs n'imposent à notre âge des fonctions qui ne puissent s'accomplir sans vigueur corporelle ; bien loin d'exiger de nous l'impossible, on ne nous demande pas même tout ce que nous pouvons. Mais il y a une foule de vieillards tellement impuissants qu'ils ne pourraient vaquer à aucun emploi, et qui ne sont, dans toute la force du terme, propres à rien. — Cette impuissance n'est pas particulière à la vieillesse, elle est partout attachée à la mauvaise santé. Les forces n'ont-elles pas toujours manqué au fils de P. l'Africain, qui devint votre père adoptif? N'avait-il pas une santé continuellement chancelante? ou, pour mieux dire, il n'avait point de santé. Sans cette dure infirmité, il eût été comme son père la gloire de Rome ; car il joignait à la grandeur d'âme paternelle un esprit plus cultivé. Qu'y a-t-il donc d'étonnant à ce que les vieillards soient quelquefois arrêtée par leur santé débile, quand on voit les jeunes gens eux-mêmes subir cette dure nécessité? Il faut lutter contre la vieillesse, Lélius et Scipion ; il faut disputer le terrain à la décrépitude et combattre l'envahissement de ce mal, comme on combat toute autre maladie. Nous devons, nous autres vieillards, donner des soins à notre santé, faire quelques exercices modérés, manger et boire avec discrétion, réparer nos forces, mais non les étouffer. Et ce n'est pas à la santé du corps que nous devons veiller seulement, mais aussi et surtout à celle de l'esprit et de l'âme; car il en est de la vie de l'esprit comme de la flamme d'une lampe : 521 il faut l'entretenir et y verser de l'huile, autre* ment à la longue elle s'éteint L'exercice finit par appesantir le corps. mais il donne toujours plus de ressort à l'esprit. Et quand Cécilius nous parle de ces imbéciles vieillards de comédie, il faut entendre les vieillards crédules, radoteurs, dont le cerveau déloge; et certes ce ne sont pas là les défauts de la vieillesse, mais ceux des vieilles gens qui tombent dans l'inertie, la caducité, et une sorte de léthargie morale. L'effronterie et le libertinage se rencontrent plutôt dans le jeune âge que dans la vieillesse, et cependant on ne peut les reprocher à tous les jeunes gens, mais seulement à ceux dont la nature est gâtée; en même façon cette imbécillité de la vieillesse, qu'on appelle vulgairement seconde enfance, ne se voit pas dans tous les vieillards, mais dans ceux qui ont naturellement un pauvre esprit. Appius avait quatre fils grands garçons, cinq filles, une légion d'esclaves, des clients sans nombre, et il gouvernait ce monde, tout vieux et aveugle qu'il était; car il tenait toujours son esprit tendu comme un arc, et ne fléchissait pas sous le fardeau de la vieillesse. Il avait su conserver non pas seulement de la considération, mais un véritable empire sur les siens ; ses esclaves le craignaient, ses enfants le vénéraient , tous le chérissaient; et dans sa maison la discipline ancienne et les traditions de ses pères avaient conservé toute leur vigueur. Un vieillard est toujours honoré quand il sait faire compter avec lui, quand il maintient ses droits, ne se rend l'esclave de personne, et conserve jusqu'à son dernier souffle toute son autorité sur les siens. Comme j'aime le jeune homme qui a quelque chose du vieillard, j'aime le vieillard qui a quelque chose du jeune homme; en lui le corps peut être vieux, mais l'esprit ne l'est jamais. Je travaille au septième livre de mes Origines, je recueille tous les monuments de l'antiquité, je rédige avec une ardeur toute nouvelle les plaidoyers que j'ai prononces dans une foule de causes célèbres, j'écris sur le droit des augures, des pontifes , et sur le droit civil ; je cultive beaucoup les lettres grecques, et, suivant l'usage des Pythagoriciens, pour exercer ma mémoire, je passe en revue chaque soir tout ce que j'ai dit, entendu et fait pendant le jour. Voilà mes travaux, voilà la carrière où s'exerce mon esprit; je la trouve assez sérieuse, et j'y déploie assez d'énergie pour ne pas regretter beaucoup l'ancienne vigueur de mon corps. Je suis toujours l'homme de mes amis; je vais souvent au sénat, j'y ouvre encore plus d'un avis longtemps et profondément médité, et je sais le défendre non pas avec les forces de mon corps, mais avec celles de mon esprit. Si je ne pouvais ainsi m'employer activement, je me consolerais sur mon lit en faisant courir ma pensée, puisque je n'aurais plus qu'elle à mettre en œuvre; mais je dois à ma vie passée le bonheur de n'en être pas réduit là. Quand on vit au milieu de ces études libérales et de ces grands travaux, la vieillesse arrive sans qu'on s'en aperçoive. L'âge décline insensiblement, on se trouve au terme de sa carrière sans qu'on y pense; la vie ne nous est point brusquement retirée, mais peu à peu elle se consume et s'éteint d'elle-même.

XII. Vient maintenant le troisième reproche adressé à la vieillesse; elle est, dit-on, sevrée de tout plaisir. Mais c'est un admirable privilège de notre âge, que de retrancher ce qu'il y a de plus vicieux dans la jeunesse ! Écoutez, mes jeunes amis, ce que disait Archytas de Tarente, un si grand homme et si justement célèbre; voici ses 532 propres paroles, telles qu'elles me furent rapportées à Tarente même, lorsque j'y accompagnai Q. Maximus, dans mon jeune temps : « Il n'est pas dans toute la nature, disait Archytas, de peste plus dangereuse que les voluptés du corps; ce sont elles qui allument les passions, déchirent et bouleversent l'homme. C'est pour elles que l'on trahit son pays, qu'on ruine les États, qu'on entretient de secrètes intelligences avec les ennemis ; il n'est point de crime, point de forfait où n'entraîne la séduction des voluptés. Le viol, l'adultère, et toutes ces abominations dont rougit la nature humaine, qui les fait commettre, si ce n'est l'ascendant des voluptés? Le plus beau présent que la nature ou la divinité elle-même ait fait à l'homme, c'est la raison; et cette divine raison n'a pas d'ennemi plus redoutable que la volupté. Quand les passions règnent sur l'âme, la tempérance en est bannie, et toutes les vertus ! avec elle. » Pour rendre cette vérité plus sensible, Archytas ajoutait : « Imaginez un homme ! plongé dans la volupté la plus vive qu'il soit j donné à notre nature de sentir, et dites-moi, qui que vous soyez, s'il n'est pas démontré pour vous qu'un tel homme, dans cet excès de jouissance, : est absolument incapable de penser, de juger, d'entendre? Il n'y a donc rien de plus dangereux et de plus détestable que la volupté, puisque, tou-es les fois qu'elle est vive et quelle dure, elle éteint toute lumière dans l'esprit. » C'était là le discours que tenait Archytas à C. Pontius le Samnite, le père de celui qui battit les consuls Sp. Postumius et T. Vélurius, à la journée des Fourches-Caudines; la mémoire en avait été conservée à Tarente, et Néarque, notre hôte, qui était demeuré fidèle au peuple romain, nous en parlait comme d'une tradition constante. II nous disait aussi que ce discours avait été prononcé en présence de Platon l'Athénien, qui, selon mes calculs, est venu à Tarente sous le consulat de L. Camille et d'Appius Claudius. Mais à quoi bon cette digression? Pour vous faire entendre que si l'homme ne pouvait, par la raison et la sagesse, en venir à dédaigner les voluptés, il faudrait rendre grâces à la vieillesse, qui nous tire* rait seule de cette honteuse sujétion; car la volupté trouble le sens, est l'ennemie déclarée de la raison , offusque, pour ainsi dire, les yeux de l'esprit, et ne peut souffrir la société de la vertu. Je ne me suis décidé que bien malgré moi à exclure du nombre des sénateurs, sept ans après son consulat, L. Flamininus, frère d'un très-vaillant homme, T. Flamininus; mais sa coupable faiblesse devait être flétrie. Lorsqu'il était consul et occupé dans la Gaule, il se rendit, au milieu d'un festin, à la prière d'une courtisane qui voulait voir frapper de la hache devant elle un des condamnés à mort. Flamininus échappa à la vindicte publique pendant que Titus, sou frère et mon prédécesseur, exerçait la censure. Mais Flaccus et moi ne pûmes laisser impunie une si odieuse condescendance, arrachée à une passion infâme, et dont l'opprobre rejaillissait sur la dignité consulaire et sur Rome elle-même.

XIII. J'ai souvent entendu dire à mes ancêtres, qui le tenaient eux-mêmes de leurs pères, que C. Fabricius étant en ambassade près du roi Pyrrhus, avait appris avec grand étonnement, du Thessalien Cinéas que l'on voyait à Athènes un homme faisant profession de sagesse, et qui enseignait 533 que toutes les actions humaines doivent avoir pour but la volupté. A cette nouvelle, rapportée par Fabricius, M*. Curius et T. Coruncanius se mirent à souhaiter que le philosophe d'Athènes pût avoir pour disciples les Samnites et Pyrrhus lui-même, car rien n'eût été plus facile que de vaincre des gens abandonnés à la volupté. Cinq ans avant le consulat de M'. Curius, P. Décius, avec qui il avait longtemps vécu et qui était alors consul pour la quatrième fois, s'était dévoué pour la république. Fabricius aussi avait connu Décius. Coruncanius l'avait connu; et ils jugeaient tous, soit en se rappelant leur vie entière, soit en songeant à l'héroïsme de Décius, qu'il y a dans le monde quelque chose de noble et d'admirable qui est recherché pour sa propre beauté, et que tous les grands cœurs poursuivent, au mépris des jouissances du corps. Pourquoi parler si longtemps de la volupté? Pour montrer que ce n'est pas décrier la vieillesse, mais en faire l'éloge, que de dire qu'elle a peu de goût et d'inclination pour les plaisirs. — Mais un vieillard ne peut faire honneur à une belle table, et les fréquentes libations lui sont interdites. — C'est dire qu'il ne connaît ni l'ivresse, ni les indigestions, ni les insomnies. Mais s'il est vrai qu'il faille donner quelque chose à l'agrément et qu'on ne puisse résister tout à fait aux charmes du plaisir, que Platon nomme l'appât du mal, parce que les hommes s'y laissent prendre comme les poissons à l'amorce, avouons que les vieillards, tout prives qu'ils sont des grands festins, peuvent encore trouver quelque jouissance dans leurs modestes repas. J'ai vu souvent dans mon enfance le vieux C. Duilius, celui qui vainquit le premier les Carthaginois sur mer, revenir de souper, avec un cortège de joueurs de flûte et précédé d'un grand nombre de flambeaux; c'était une pompe inouïe pour un particulier, mais sa gloire lui donnait tous les privilèges. Je parie des autres et je n'eu ai pas besoin, je suis ici assez riche de mon fonds ; d'abord, j'ai toujours eu des compagnons de table. Cet usage s'introduisit à Rome sous ma questure, à l'époque même où l'on établit le culte de Cybèle. Je réunissais donc une compagnie à ma table, qui était toujours fort modeste, mais où le feu de la jeunesse pétillait souvent. Avec l'âge, tout se tempère. Ce qui faisait l'agrément de mes repas, ce n'était pas tant la saveur des mets que la société et la conversation de mes amis. Nos ancêtres ont fort bien nommé convives des amis qui se réunissent à une même table, car alors on se rassemble et la vie coule en commun; je n'adresserai pas le même éloge aux Grecs, qui, au lieu de les appeler les convives, disent tantôt les buveurs, tantôt les mangeurs réunis; parler ainsi c'est donner, en apparence du moins, la première importance à ce que l'on doit reléguer sur le dernier plan.

XIV. Le plaisir que j'éprouve à converser me fait aimer les festins qui se prolongent, non-seulement dans la société des hommes de mon âge, qui sont maintenant bien clairsemés, mais dans la compagnie des jeunes gens, et surtout avec vous; et j'ai vraiment une grande obligation à la vieillesse, qui m'a rendu fort avide d'écouter et de parler, et très-peu de servir mon palais ou mon estomac Mais si l'on veut à toute force qu'il soit ici question des plaisirs de table, comme je ne prétends pas déclarer une guerre d'extermination à la volupté, qui a peut-être quelquefois la nature de son parti, ie dirai volontiers que je ne 534 vois pas comment la vieillesse nous ôterait le sens des plaisirs de cette espèce. D'abord je suis très-partisan des royautés de table, établies par nos ancêtres, et du discours prononcé le verre en main, et selon l'usage du vieux temps, par le roi du festin. J'aime ces petites coupes dont il est parlé dans le Banquet de Xénophon, qui distillent la liqueur goutte à goutte; j'aime à prendre mon repas au frais pendant l'été, et en hiver aux rayons du soleil ou devant un bon foyer. Je ne me fais faute d'aucune de ces jouissances dans mes terres de la Sabine : tous les jours j'appelle mes voisins à ma table, aucune place n'est vide, et de propos en propos nous prolongeons le festin et le plaisir jusque fort avant dans la nuit. — Mais les voluptés ne chatouillent pas un vieillard comme un jeune homme. — Je le crois volontiers, et je vous assure qu'un vieillard n'a pas grande envie d'être ainsi chatouillé. Quand on est privé de ce dont on n'a pas envie, véritablement la privation n'est pas fort douloureuse. On demandait à Sophocle, que la vieillesse avait atteint déjà, s'il usait encore des plaisirs de l'amour; il fit cette belle réponse : « Que les Dieux m'en préservent ! Je m'en suis affranchi de bon cœur, comme d'un maître furieux et sauvage. » Ceux qui sont sous le joug de cette passion s'estiment sans doute fort malheureux de ne pouvoir la satisfaire; pour ceux qui ont goûté les plaisirs et en sont rassasiés, la privation est plus agréable que la jouissance : quand je dis privation , c'est absence de désir qu'il faut entendre, car on n'est point privé de ce qu'on ne désire pas. Que si, dans la fleur de l'âge, l'on goûte plus volontiers ces sortes de plaisirs, d'abord, comme je l'ai déjà dit, on prend là des jouissances qui ne sont pas très-relevées ; ensuite on boit à une coupe qui, pour être moins pleine dans la vieillesse, n'est pas, il s en faut, entièrement épuisée. Quand Ambivius Turpio est sur la scène, ceux qui sont placés au premier rang jouissent mieux de son jeu, mais ceux qui sont au dernier en jouissent encore : tout pareillement la jeunesse qui voit les voluptés de près y trouve sans doute plus d'agrément, mais la vieillesse, qui les regarde d'un peu loin, sait encore les goûter d'une manière suffisante. N'est-ce pas un grand bonheur que d'avoir en quelque sorte fait son temps au service de l'amour, de l'ambition, de la rivalité, de l'inimitié, de toutes les passions, et de pouvoir être à soi, et de vivre, comme on dit, avec soi-même? Si l'on joint à ce privilège le gout de l'étude et la science qui nourrit l'esprit, il n'est rien de plus délicieux que les loisirs du vieillard. Nous avons vu mourir, les instruments à la main, un ami de votre père, Scipion, ce Gallus qui mesurait avec tant d'ardeur la terre et le ciel. Combien de fois la lumière ne le sur-prit-elle pas au milieu de ses observations astronomiques? combien de fois, livré au travail dès le point du jour, n'y fut-il pas arraché par l'arrivée inattendue de la nuit? Quel bonheur n'é¬prouvait-il pas à nous prédire longtemps à l'avance les éclipses de soleil et de lune? Et, sans s'élever jusqu'à ces graves études, ne trouve-t-on pas du charme dans les mille travaux des lettres? Combien Névius ne se complaisait-il pas dans son poème de la Guerre Punique, et Plaute dans son Truculentus et son Pseudolus. J'ai vu aussi dans sa vieillesse notre Livius; il avait fait représenter une pièce six ans avant ma naissance, sous les consuls Centon et Tuditanus, et il vécut jusqu'au temps de ma jeunesse. Faut-il parler du zèle de P. Licinius Crassus pour l'étude du droit pontifical et civil, ou des recherches infatigables de P. Scipion, que l'on a tout 535 récemment nommé grand pontife? Tous ceux que je viens de citer ont porté jusque dans la vieillesse l'ardeur de leurs goûts et de leurs travaux. Et ce M. Céthégus, qu'Ennius a si bien nommé un foyer vivant de persuasion, tout vieux qu'il était, ne s'exerçait-il pas devant nous avec un feu extraordinaire dans l'art de la parole? Pensez-vous que la table, le jeu et les courtisanes nous offrent des plaisirs comparables à ceux-là? Telles sont les jouissances de l'étude; pour les sages et pour les esprits bien cultivés, elles croissent avec l'âge : rappelez-vous ce beau vers de Solon que je vous citais il n'y a qu'un instant, et où il nous dit qu'il vieillit en s'instruisant tous les jours. Pour moi, je ne vois rien au-dessus des plaisirs de l'esprit.

XV. Je viens maintenant aux jouissances de l'agriculture, auxquelles je trouve un prix incroyable, que l'on peut goûter jusque dans l'extrême vieillesse, et qui me paraissent s'accorder parfaitement avec la vie du sage. Nous devons ces jouissances â la terre, qui, toujours soumise à notre légitime empire, rend avec usure ce qu'on lui confie, tantôt plus retenue, tantôt prodigue de ses dons. Et ce n'est pas seulement à recueillir les fruits de la terre que je trouve mes délices, mais à étudier son travail et les merveilles qu'elle produit D'abord elle reçoit dans son sein amolli, et ouvert par le soc, les grains que la main du laboureur y répand; la herse passe sur les sillons et recouvre les semences, qui, bientôt réchauffées et tiédies par la douce moiteur du sol, se fendent et poussent au dehors une jeune tige verdoyante; peu à peu les racines se développent, l'herbe grandit, un tuyau noueux s'élève, et la plante, dont la formation s'achève mystérieusement, demeure enveloppée dans sa gaine flexible; enfin elle en sort, s'élance, et présente à la lumière ses fruits artistement disposés en épi, et que leurs barbes protègent contre les attaques des petits oiseaux. La culture de la vigne, sa naissance, ses progrès, n'offrent pas moins de merveilles. Je ne puis me lasser de les contempler ; et il faut bien que je vous initie à toutes les jouissances et aux délicieux loisirs de ma vieillesse. Je ne dirai rien de la force productive de la terre, qui d'une si petite graine de figuier, d'un pépin de raisin, ou de la semence à peine visible de tant d'autres arbustes, fait sortir des troncs si puissants et des rameaux si étendus. Mais les marcottes, les plants, les sarments, les racines vivaces, les boutures ne méritent-ils pas d'être étudiés, suivis avec le plus grand intérêt, et, pour tout dire, admirés? Vous voyez la vigne, si faible de sa nature et qui rampe à terre quand elle ne trouve point d'appui, saisir par ses vrilles, comme par des mains tenaces, tout ce qu'elle rencontre, et s'y attacher pour s'élever ; elle court, se replie, et pousse à l'aventure ses jets que le fer de l'agriculteur émonde prudemment, pour qu'elle ne se perde pas en une forêt stérile. Au retour du printemps, on voit, sur les sarments que la faucille, n'a point retranchés, poindre à l'articulation des rameaux le bourgeon qui bientôt devient la grappe. Celle-ci, nourrie par les sucs de la terre, fécondée par la chaleur du soleil, est d'abord âpre au goût ; mais elle s'adoucit en mûrissant, et, sous le pampre qui la recouvre, elle conserve une tiède chaleur et se défend contre les ardeurs de l'été. Est-il rien de plus divin que le fruit de la vigne, rien de plus beau que ces grappes dorées ? Et ce n'est pas seulement sa liqueur qui me plaît; mais j'aime, comme 536  je vous l'ai dit, à la cultiver, à la suivre dans son travail ; j'aime à disposer les longues files de supports, à lier les sarments, à recueillir et propager les boutures, à émonder les ceps trop chargés, à retrancher ou replanter les rameaux. Que dirai-je encore des irrigations habilement pratiquées, des seconds labours qui remuent si profondément les terres et les rendent plus fertiles? Parlerai-je de l'utilité des engrais? Mais j'ai dit tout ce qu'il en fallait dans mes livres sur l'agriculture. Le docte Hésiode ne leur a pas consacré une seule ligne dans son poème sur la culture des champs; mais Homère, qui vivait, à ce que je pense, plusieurs siècles avant lui, nous représente Laërte, pour adoucir le regret de l'absence de son fils, cultivant lui-même et fumant ses terres. Et ce ne sont pas seulement les moissons, les prés, les vignes, les arbustes qui font l'agrément des campagnes, il faut y joindre les jardins, les vergers, les troupeaux, les abeilles, et l'infinie variété des fleurs. Nous n'avons pas d'ailleurs le seul agrément des plantations, mais encore la ressource des greffes, ce chef-d'œuvre de l'agriculture.

XVI. Je pourrais vous détailler sans fin toutes les jouissances de la vie des champs; mais je m aperçois que déjà j'ai été trop long. Vous me le pardonnerez, car je me suis laissé entraîner par mon goût pour les travaux de la campagne ; d'ailleurs la vieillesse aime è parler, elle en a le renom, et je ne voudrais pas faire croire qu'on la calomnie en tout. M'. Curius, après avoir triomphé des Samnites, des Sabins, de Pyrrhus, passa le reste de ses jours à cultiver les champs. Sa maison de la Sabine n'est pas loin de chez moi ; je la vois souvent, et je ne puis me lasser d'admirer le désintéressement de ce grand homme et les mœurs de son siècle. Curius étant assis près de son foyer, les Samnites lui vinrent offrir de l'or à pleines mains; il les renvoya en leur disant : « Ce qui me paraît digne d'envie ce n'est pas d'avoir de l'or, mais de commander à ceux qui en ont. » Avec une si grande âme, la vieillesse pouvait-elle être un fardeau? Mais je reviens aux agriculteurs, pour ne pas aller prendre mes exemples trop loin de moi. Les sénateurs, c'est à-dire les vieillards, vivaient alors à la campagne. L. Quinctius Cincinnatus conduisait la charrue, quand on lui annonça que le peuple l'avait nommé dictateur; et, c'est par l'ordre de ce dictateur que C Servilius Ahala, maître de la cavalerie, surprit et mit à mort Sp. Mélius, qui aspirait à la royauté. C'est de leurs campagnes que l'on appelait au sénat Curius et les autres sénateurs; ce qui explique le nom de voyageurs que l'on donnait à ceux qui allaient les convoquer. Croyez-vous donc que ces anciens Romains qui s'amusaient à cultiver leurs champs aient eu une vieillesse misérable? Pour moi, je ne pourrais en imaginer une plus heureuse, non-seulement parce que l'on remplit un devoir en vaquant aux travaux de l'agriculture, qui est pour tout le genre humain une source de bienfaits, mais parce que, grâce à ces labeurs, on goûte des jouissances nombreuses, et l'on se trouve dans l'abondance de toutes les choses nécessaires à la vie des hommes et au culte des Dieux : à ce compte, puisque la volupté a des partisans déclarés, je ne demande pas mieux que de faire ma paix avec elle. Un maître de maison vigilant et économe a toujours ses celliers remplis de vin et d'huile, ses offices bien garnis, une abondance de toutes sortes^de provisions dans sa campagne; il a des porcs, des chevreaux, des agneaux, des 537 poules, du lait, du fromage, du miel. Le jardin est pour les habitants de la campagne un second office, comme ilsle nomment eux-mêmes ; et, dans les moments de loisir, la chasse vient ap- j porter les dernières pièces à ce service digne des rois. Que dire de la verdure des prairies, des longues allées d'arbres, de la beauté des vignes et des oliviers? En deux mots, il n'y a rien de plus riche et de plus magnifique au monde ; qu'une campagne bien cultivée; et, loin que la vieillesse nous empêche d'en jouir, elle nous appelle aux champs et nous en montre tout l'attrait. N'est-ce pas là que les vieillards peuvent le mieux se réchauffer aux rayons du soleil, à la flamme du foyer, ou se rafraîchir à l'ombre des grands arbres et sur le bord des eaux ? Que la jeunesse garde pour elle les armes, les chevaux, les javelots, le bâton et la paume, la nage et la course; qu'elle nous laisse de tant de jeux différents les osselets et les dés; et encore qu'elle ne se contraigne pas, cor la vieillesse peut s'en passer et être heureuse.

XVII. Les livres de Xénophon sont pleins d'enseignements utiles ; vous les connaissez déjà, relisez-les sans cesse, et méditez-les. Avez-vous vu quel grand éloge il fait de l'agriculture dans son livre sur le gouvernement des maisons, intitulé l'Économique? Pour bien nous faire entendre que rien ne lui paraît aussi royal que la culture des champs, Xénophon met dans la bouche de Socrate, qui s'entretient avec Critobule, le récit j suivant : « Cyrus le jeune, roi de Perse, qui réunissait à l'excellence de l'esprit la gloire des armes, reçut à Sardes le Lacédémonien Lysandre, homme d'un rare mérite, qui lui apportait des présents de la part de ses alliés. Cyrus fit à son hôte les honneurs de son palais avec une grâce parfaite, et lui montra un parc planté avec beaucoup d'art. Lysandre admira la beauté des arbres, la symétrie des allées, disposées en quinconce, la régularité, la finesse et le moelleux du terrain, le choix des fleurs, l'harmonie et la suavité de leurs parfums ; il dit à Cyrus qu'il était ravi non-seulement du soin qu'il voyait briller partout, mais encore du génie qui se montrait dans la conception et le plan de ce délicieux jardin. — Eh bien, répondit Cyrus, c'est moi qui ai tout inventé; c'est moi qui ai tracé le plan, dessiné les allées, et un grand nombre de ces arbres ont été plantés de ma main. » Lysandre alors, reportant ses regards sur les vêtements magnifiques, sur la pourpre , l'or et les pierreries qui relevaient la beauté naturelle de Cyrus : « C'est à juste titre, lui dit-il, qu'on vous croit heureux, puisque vous réunissez à un tel degré la fortune et la vertu. »

C'est là une fortune dont la vieillesse peut certainement jouir, et jamais l'âge ne nous empêchera de nous livrer à nos travaux favoris, et surtout de cultiver les champs jusqu'au dernier de nos jours. Nous savons que M. Valérius Corvus vécut jusqu'à cent ans , et que la dernière partie de sa vie se passa à la campagne et dans les travaux de l'agriculture. Quarante-six ans s'étaient écoulés entre son premier et son sixième consulat ; ainsi la carrière des honneurs fut aussi longue pour lui que l'était, suivant nos ancêtres, la vie entière de l'homme jusqu'aux abords de la vieillesse; et son âge lui donna ce privilège, qu'avec moins de travaux il eut plus d'autorité. L'autorité est la couronne de la vieillesse. Vous savez quelle était l'extrême considération d'un 538 Métellus, d'un Atilius Calatinus. C'est ce dernier qui mérita cet éloge unique : « Les nations s'ac¬cordent à le proclamer le premier citoyen de Rome. » Vous connaissez cette inscription, elle est gravée sur son monument. C'était certes un homme d'une grande autorité, que celui dont tous les peuples faisaient un tel éloge. Que dirons-nous de P. Crassus, le grand pontife ; de M. Lépidus, qui fut revêtu du même sacerdoce? Quels hommes! quelle dignité ! Et Paul-Émile, et l'Africain, et Maximus que je vous ai déjà cité, avaient-ils besoin de parler pour donner la loi dans Rome? un geste ne leur suffisait-il pas? Un vieillard, surtout quand il a passé par les honneurs, a tant d'autorité, que tous les plaisirs de la jeunesse sont peu de chose en comparaison.

XVIII. Mais souvenez-vous que la vieillesse dont je fais ici l'éloge est celle qui est préparée par les vertus de la jeunesse. C'est ainsi que j'ai pu dire autrefois, aux grands applaudissements de tous ceux qui m'entendaient, qu'un vieillard est bien misérable quand il se croit réduit à se défendre par des paroles. Ni les cheveux blancs ni les rides ne donnent tout à coup de la considération à un homme : c'est une vie entière honorablement écoulée qui peut seule recueillir sur son déclin ce doux fruit de la vénération publique. Ce sont des marques de déférence fort précieuses pour nous, quoique bien légères aux yeux du monde, que de nous saluer, de venir au-devant de nous, de nous céder la place, de se lever en notre présence, de nous accompagner, de nous reconduire, de nous consulter; tous ces respects sont rendus très-religieusement aux vieillards dans notre république, et chez tous les peuples où les mœurs sont bien réglées. Lysandre, dont je  parlais tout à l'heure, disait souvent que Lacédémone était le séjour le plus honorable pour la vieillesse ; nulle part en effet on ne témoigne plus de respect à cet âge, nulle part la vieillesse n'est en plus grande vénération. On rapporte qu'à Athènes, pendant les jeux publics un vieillard vint au théâtre, que la foule avait déjà rempli, et ne put trouver aucune place parmi ses concitoyens; mais que s'étant approché des députés lacédémoniens qui siégeaient en cette qualité sur des gradins à part, tous se levèrent et lui firent place. L'assemblée tout entière battit des mains. « Il paraît, dit alors l'un des envoyés, que les Athéniens savent ce qu'il faut faire, mais qu'ils n'en font pas davantage. » On trouve consacrés dans notre collège beaucoup d'usages excellents ; mais le plus remarquable et qui a trait à notre sujet, c'est que les plus âgés y donnent leur opinion les premiers; et ce n'est pas seulement sur ceux qui ont de plus grandes dignités que l'âge donne la préséance aux augures, mais sur ceux mêmes qui sont revêtus du pouvoir. Quelles sont donc les voluptés du corps que l'on puisse comparer à ces prérogatives de la vieillesse? Ceux qui en ont joui avec éclat me semblent avoir mené jusqu'au bout avec le plus grand succès la pièce de la vie, et n'avoir pas fait comme les mauvais acteurs une chute honteuse au dernier acte. Mais les vieillards sont moroses, chagrins, colères, difficiles. Cherchez encore, vous trouverez qu'ils sont avares Ne voyez-vous pas que ce sont là les défauts du caractère et non de la vieillesse? Encore ces défauts peuvent-ils sinon se justifier, du moins s'expliquer. Ceux à qui on les reproche se croient méprisés, dédaignés, joués; ajoutez que, dans un corps débile, la moindre offense est pleine d'amertume. Mais la vertu et l'étude adoucissent singulièrement tou¬tes ces incommodités; l'expérience de chaque jour nous le prouve assez, et le théâtre nous en donne un exemple frappant dans ces deux frères des Adelphes. Quelle rudesse dans l'un, quelle amabilité dans l'autre! Ainsi va le monde ; il en est des caractères comme des vins, qui ne s'aigrissent pas tous en vieillissant. J'aime la sévérité dans la vieillesse, mais je la veux tempérée ; l'excès ne me plaît nulle part : pour l'aigreur, je ne la puis souffrir. Quant à l'avarice des vieillards, j'avoue que je ne la comprends pas. Y a-t-il rien de plus absurde que d'augmenter les provisions de route à mesure que l'on avance vers le terme du voyage?

XIX. Reste enfin le quatrième sujet de tourments et d'angoisses pour notre âge, et le plus cruel de tous, à ce que l'on croit; je veux dire rapproche de la mort, qui, de fait, ne peut être fort éloignée de nous. Malheureux cent fois le vieillard qui, pendant sa longue carrière, n'a pas appris à mépriser la mort ! La vérité est, ou qu'elle nous doit être indifférente, si elle éteint notre âme; ou que nous devons la souhaiter, si elle nous conduit dans une région où notre esprit vivra éternellement. L'un ou l'autre est certain. Qu'ai-je donc à craindre, si je dois trouver après la mort le repos des souffrances ou la félicité? Est-il un homme assez insensé, même dans la fleur de l'âge, pour se croire sûr de vivre tout un jour? et ne voyons-nous pas la jeunesse courir bien plus souvent que nous le péril de la mort? Elle est exposée à plus de maladies, elle les éprouve beaucoup plus violentes, elle se remet plus difficilement. Bien peu arrivent jusqu'à la vieillesse; et si Ton comptait plus de vieillards, il y aurait dans le monde plus de sagesse et de prudence. Car c'est à notre âge qu'appartiennent la raison, la prévoyance, le bon conseil ; sans les vieillards, il n'y aurait jamais eu ni sociétés ni politique. Mais je reviens à l'imminence de la mort. Pourquoi en faire un crime à la vieillesse, quand vous voyez le jeune âge perpétuellement sous ses coups? J'ai bien reconnu, Scipion, à la perte démon excellent fils et à celle de vos frères, destinés aux premiers honneurs de la république, que la mort ne fait point de distinction d'âge. — Mais au moins le jeune homme peut-il espérer vivre longtemps encore, tandis que cet espoir n'est plus permis au vieillard. — C'est là une espérance folle; car il n'est rien de plus insensé que de tenir l'incertain pour le certain, et de prendre l'erreur pour la vérité. — Le vieillard n'a plus rien à espérer ! — C'est ce qui rend sa condition meilleure que celle du jeune homme, puisqu'il possède déjà ce que ce dernier espère. Le jeune homme désire vivre longtemps; le vieillard a longtemps vécu. Mais, à tout prendre, qu'est-ce que peut être la durée de la vie humaine? Imaginez la carrière la plus longue possible, prenez pour exemple celle du roi des Tartessiens; car j'ai lu quelque part que l'on vit à Gadès un certain Arganthonius régner quatre-vingts ans, et en vivre cent vingt. Pour moi, je ne puis reconnaître de durée lù où je rencontre une fin. Quand le dernier moment arrive, tout ce qui a précédé s'évanouit ; il ne vous reste que les fruits de la vertu et des bonnes actions. Les heures s'en vont, et avec elles les jours, les mois, les années; le temps écoulé ne revient pas, et l'on ne peut connaître ce que 540  l'avenir nous prépare. Chacun doit être satisfait du temps qu'il lui est donné de vivre. Un bon comédien n'a pas besoin, pour plaire, d'aller jusqu'au bout de la pièce; qu'il se montre dans un des premiers actes, et on l'applaudira : ainsi du sage, il n'est pas nécessaire qu'il demeure sur la scène jusqu'à la chute du rideau. La vie est toujours assez longue pour y pratiquer la vertu ; si elle se prolonge, il ne faut pas plus s'en désoler que les gens de la campagne ne se désolent de voir le printemps et ses fêtes céder la place à l'été, et celui-ci à l'automne. Le printemps est comme la jeunesse de la nature; il nous promet des fruits dont la récolte est réservée à d'autres saisons. Les fruits de la vieillesse, je l'ai déjà dit souvent, sont le souvenir de nos belles actions et la jouissance des biens que nous a faits notre vertu. D'ailleurs , nous devons compter parmi les biens tout ce qui est dans l'ordre de la nature : est-il rien qui soit plus dans l'ordre que de mourir quand on est vieux? Quand la mort frappe un jeune homme, il semble au contraire que ce soit en dépit de la nature. On pourrait comparer la vie qui est enlevée au jeune homme au feu que l'on étouffe sous une montagne d'eau ; tandis que le vieillard expire doucement, comme une flamme qui se consume et s'éteint sans effort. Les fruits encore verts ne se détachent de l'arbre qu'avec peine, mais ils tombent d'eux-mêmes quand ils sont mûrs : la vie est comme un fruit, il faut la violence pour l'arracher au jeune homme; mais elle quitte naturellement le vieillard. Cette maturité de la vieillesse a beaucoup de charmes pour moi ; à mesure que j'approche de la mort, il me semble que je découvre la terre après une longue navigation, et que je vais enfin toucher au port.

XX. Les autres âges ont un terme marqué, la vieillesse seule n'en a pas. On peut vivre et bien vivre tout chargé d'ans; savez-vous par quel secret? en remplissant ses devoirs et en méprisant la mort. Aussi arrive-t-il souvent qu'un vieillard est plus courageux et plus ferme qu'un jeune homme. On en voit un exemple dans Solon : le tyran Pisistrate lui ayant demandé sur quel espoir il se fondait pour lui résister si audacieusement, le sage répondit : Sur la vieillesse. La plus belle manière de mourir, c'est quand on voit, en conservant tout son esprit et toutes ses facultés, la nature dissoudre elle-même, l'ouvrage qu'elle avait composé. Personne mieux que l'architecte ne sait démolir un édifice ou mettre en pièces un vaisseau ; ainsi la nature a l'art de dissoudre avec une facilité incomparable le corps humain qu'eue a cimenté Tout ce qui est cimenté nouvellement résiste, tout ce qui l'est d'ancienne date se décompose facilement. De tout cela il faut conclure que les vieillards ne doivent pas s'attacher trop avidement à ce reste d'existence, mais aussi qu'ils ne doivent pas le répudier sans motif. Pythagore nous défend de quitter le poste de la vie sans un ordre du chef, c'est-à-dire de Dieu. Nous avons une épitaphe de Solon, où il demande que sa mort soit pleurée par ses amis; il voulait sans doute ne jamais être effacé du souvenir des siens. Mais je ne sais trop s'il ne faut pas donner la préférence à Ennius , qui nous dit : " Je ne veux pour mon trépas ni deuil ni larmes. » Le poète ne pense pas qu'il faille pleurer la mort que l'immortalité doit suivre. Peut-être le i passage de la vie à la mort est-il sensible pendant 541 un court instant, et surtout au vieillard; mais après la mort, ou nous n'aurons plus de sentiment, ou nous goûterons une pure félicité. Ce sont là des pensées qu'il faut méditer dès son enfance pour apprendre à mépriser la mort : sans cette méditation, la paix fuira toujours notre esprit. Nous devons mourir, voilà qui est certain, et nous ne savons si ce n'est pas aujourd'hui même. La mort est à toute heure suspendue sur nos têtes; si vous la redoutez, comment aurez-vous un seul moment de repos? Mais je ne crois pas qu'un long discours soit nécessaire pour nous armer contre elle, quand je me remets en mémoire, non pas seulement L. Brutus, qui fut tué en combattant pour la liberté de sa patrie ; les deux Décius, qui lancèrent leurs chevaux dans les rangs ennemis pour y chercher la mort ; M. Atilius, qui alla s'offrir aux supplices, pour tenir la parole qu'il avait donnée aux ennemis ; non pas seulement les deux Scipions, qui voulurent que les Carthaginois ne pussent s'avancer vers Rome qu'en passant sur leurs corps; ou L. Paul-lus, votre aïeul, qui paya de sa tète la témérité de son collègue à l'ignominieuse journée de Cannes; ou bien encore M. Marcellus, à qui le plus cruel de tous nos ennemis ne put refuser les honneurs de la sépulture ; mais des légions entières, comme je lai rapporté dans mes Origines, qui couraient avec enthousiasme se jeter dans des périls d'où elles pensaient ne jamais revenir. Cette mort que des jeunes gens, des esprits incultes et grossiers savent si bien mépriser, des vieillards éclairés la redouteraient-ils? C'est, selon moi, la satiété de tous les goûts qui fait la satiété de la vie. L'enfance a ses goûts à elle ; voyons-nous que la jeunesse les partage? La jeunesse à son tour a les siens; l'âge mûr les lui envie-t-il? et ceux de l'âge viril sont-ils regrettés par la vieillesse? Nous enfin, nous avons nos goûts ; ils s'épuisent et passent comme ceux des autres âges; et alors la satiété de la vie fait l'opportunité de la mort.

XXI. Je ne vois pas pourquoi je ne m'enhardirais pas à vous dire tout ce que je pense de la mort; j'en suis si près, que je crois pouvoir en bien juger. Ma pensée est donc que votre père, Scipion, et le vôtre aussi, Lélius, ces deux hommes illustres et que j'aimais tendrement, vivent | aujourd'hui, et de la seule vie qui mérite de porter ce nom. Tant que nous sommes renfermés dans les liens du corps, nous avons à remplir de dures fonctions, et nous sommes en quelque façon sous la verge de la nécessité ; car notre âme, d'origine céleste, est déchue de sa première gloire et comme précipitée sur la terre, dans la condition la plus indigne de sa divine nature, la moins faite pour un être éternel. Mais je crois que les Dieux ont attaché des âmes aux corps humains pour donner à la terre des génies protecteurs, et pour qu'il y eût des intelligences capables de contempler l'ordre des sphères célestes, et de l'imiter par la parfaite régularité de leur vie. Ce ne sont pas seulement mes réflexions qui m'ont conduit à cette croyance, mais l'autorité des plus célèbres philosophes. J'avais appris que Pythagore et les Pythagoriciens, qui étaient presque nos compatriotes, et que l'on appelait autrefois philosophes italiques, tenaient pour certain que nos âmes sont des parcelles divines d'une grande âme universelle; je lisais tout ce 542 que Socrate, près de quitter la vie, enseignait à ses amis sur l'immortalité de l'âme , et je me rappelais qu'au jugement d'Apollon, c'était là le plus sage de tous les hommes. Que vous dirai-je? Je me suis persuadé, je crois fermement que cette activité prodigieuse de l'esprit, cette mémoire admirable du passé, cette prévoyance de l'avenir, tous nos arts, toutes nos sciences, toutes les inventions des hommes ne décèlent pas une nature périssable, un génie mortel. Notre âme est sans cesse en mouvement; mais le mouvement de l'âme n'a point eu de commencement, puisqu'elle se meut elle-même; et il n'aura pas de fin, puisque l'âme ne se manquera jamais à elle-même. D'ailleurs, l'âme, de sa nature, est simple, et ne porte en elle aucun mélange d'éléments hétérogènes ; elle ne peut donc être divisée, et par conséquent elle ne peut périr. Il faut reconnaître aussi que les hommes apportent en naissant une foule de connaissances reçues dans une vie antérieure : ce qui le prouve, c est que les enfants, appliqués à des études difficiles, saisissent tout un monde de vérités avec une telle promptitude qu'ils paraissent bien ne pas les entendre pour la première fois, mais seulement se les rappeler et en avoir la réminiscence. Voilà à peu près comme Platon prouve l'immortalité de l'âme.

XXII. Dans les livres de Xénophon, l'ancien Cyrus dit en mourant :« N'allez pas croire, mes enfants chéris, que lorsque je vous aurai quittés, je ne serai nulle part ou que je ne serai plus. Tandis que j'étais avec vous, vous ne voyiez pas mon âme; vous compreniez seulement par mes actions que ce corps était animé par elle. Croyez donc qu'elle existera encore lors même qu'elle vous sera devenue entièrement invisible. Les hommages que l'on rend aux grands hommes après leur mort ne seraient pas de longue durée, et leur souvenir s effacerait bientôt, si l'on ne croyait honorer leurs âmes, instruites de ce qui se fait en ce monde. Je n'ai jamais pu me persuader que les âmes trouvent la vie dans ces corps périssables, et la mort quand elles en sortent; je ne puis croire qu'elles perdent toute intelligence en quittant des corps essentiellement dépourvus d'intelligence; mais je suis convaincu que, libres alors de tout commerce avec la matière, recouvrant leur pureté et leur beauté originelles, les âmes naissent à la vraie sagesse Lorsque la nature de l'homme est frappée de dissolution par la mort, on peut voir où retourne chacun des autres éléments qui la composaient; car tout dans l'univers revient à sa source : l'âme seule est invisible, et lorsqu'elle s'unit au corps et lorsqu'elle l'abandonne. Vous savez, mes enfants, que rien ne ressemble plus à la mort que le sommeil. Or, pendant le sommeil, les âmes nous manifestent leur divinité; détachées alors et indépendantes, elles s'élancent dans l'avenir qui leur est ouvert, et nous montrent ce qu'elles doivent être lorsqu'elles se trouveront pour jamais affranchies des liens du corps. Si telle est ma destinée, quand vous ne m'aurez plus, mes enfants, honorez-moi comme un dieu; mais si mon âme doit périr avec ce corps, vou? offrirez vos adorations aux Dieux qui gouvernent et conduisent cet admirable uni-vers, et cependant vous conserverez de votre père un pieux et inaltérable souvenir. »

XXIII. Voilà ce que dit Cyrus mourant : pour nous, voyons ce que nous devons croire et de nous-mêmes et des nôtres. Jamais on ne me persuadera, Scipion, que Paul -Emile votre père, Paul et l'Africain , vos deux aïeux, le père de l'Afri- 543 cain, son oncle, et tous ces grands hommes qu'il serait trop long de nommer, ont fait tant de nobles actions adressées directement à la postérité , sans voir certainement que la postérité ne serait pas un néant pour eux. Et pour me vanter un peu moi-même, selon l'usage des vieillards, croyez-vous que j'aurais entrepris et supporté tant de travaux et tant de veilles à Rome et dans les camps, si j'eusse pensé que ma gloire ne dût pas s'étendre au delà de ma vie mortelle? N'eût-il pas mieux valu couler mes jours dans le repos et le loisir, sans fatigues ni sueurs? Mais je ne sais par quel ressort mon esprit, se rehaussant toujours, portait ses regards vers la postérité, et semblait attendre le terme de ma carrière mortelle pour commencer à vivre. Si nous ne sommes pas immortels, comment donc expliquer cet élan des grandes âmes, qui ne poursuivent au monde que l'immortalité de la gloire? Voyez la sérénité du sage dans la mort, voyez le trouble de l'insensé : ne vous semble-t-ilpas que l'âme du premier, dont le regard est plus sûr et plus perçant, a découvert au delà du tombeau une vie meilleure, que l'insensé, tout enveloppé de ténèbres, ne sait pas apercevoir? Pour moi, je suis transporté du désir d'aller revoir vos pères, que j'honorais et que je chérissais ; il me tarde de me trouver dans la société non-seulement de ceux que j'ai connus, mais de ceux dont j'ai ouï parler, dont j'ai lu ou écrit moi-même les belles actions. Je vais arriver, le chemin s'avance ; je crois qu'il serait bien difficile de me faire revenir sur mes pas: qui voudrait me rajeunir comme Pélias, s'adresserait mal. Un dieu lui-même me proposerait de renaître, et s'offrirait à me remettre au  sein de ma nourrice, que je le remercierais très-résolument. Je touche au terme de la carrière, et je n'ai nullement l'envie d'être rappelé de la borne au point de départ. Qu'a donc la vie de tellement agréable? N'est-elle pas une longue école de souffrance? Admettons qu'elle ait des plaisirs; il "doit venir un jour où l'homme en sera rassasié et détaché. Je ne veux pourtant pas médire de la vie, comme Font fait tant de philosophes ; je ne me repens point d'avoir vécu, parce que je crois que je n'ai point été inutile au monde; et je quitte la vie comme on sort d'une hôtellerie et non de sa maison paternelle. La nature nous a mis sur cette terre pour y séjourner, mais non pour l'habiter toujours. Ο le beau jour que celui où je partirai pour cette assemblée céleste, pour ce divin conseil des âmes, et où je m'éloignerai de cette tourbe et serai délivré de son contact impur ! J'irai rejoindre tous les grands hommes dont je vous parlais, et au milieu d'eux mon enfant chéri, le meilleur des hommes, le plus pieux des fils. J'ai mis son corps sur le bûcher, et c'est lui qui aurait dû rendre ce triste devoir à son père ; mais son âme ne m'a pas abandonné, et, me regardant d'en haut, elle a pris place dans ces demeures éternelles où elle voyait bien que je la rejoindrais un jour. J'ai paru supporter mon malheur avec courage, non pas qu'il n'eût déchiré mon cœur, mais je me consolais en pensant que cet adieu et cette séparation ne seraient pas de longue durée. Voilà les convictions qui me donnent la force que vous admiriez tant, Scipion et Lélius ; grâce à elles, je ne sens pas le fardeau des années , et, bien loin que la vieillesse me soit importune, j'y trouve des agréments nombreux. Si je 544 me trompe en croyant que les âmes sont immortelles, je me trompe avec plaisir; et tant que je vivrai, je ne veux pas qu'on m'arrache une erreur qui m'est si précieuse. Après ma mort, si je ne dois plus rien sentir, comme le prétendent quelques philosophes de bas étage, je n'ai pas à craindre que l'esprit de ces philosophes, anéantis comme moi, se raille de mon erreur. Quand même nous ne serions pas immortels, ce serait toujours un bienfait pour l'homme que de s'éteindre en son temps. Tout est compte dans la nature, tout prend fin, les jours de l'homme comme tout le reste. La vieillesse est le dernier acte de la vie. Un drame qui est trop prolongé fatigue ; quittons la scène, fuyons la satiété et l'ennui. Voilà ce que j'avais à vous dire de la vieillesse. Fassent les Dieux que vous y parveniez un jour, et que votre expérience puisse justifier ce que je viens de vous en apprendre !

NOTES SUR LE TRAITÉ DE LA VIEILLESSE.

LIVRE PREMIER.

I. O Tite, si quid ego. Le dialogue de la Vieillesse est souvent désigné par ces premiers mots dans les lettres de Cicéron et dans quelques autres. C'est ainsi qu'on nommait le poème de Lucrèce : Aeneadum genitrix.

Ille vir, haud magna cum re. Le poète Ennius, qui supportait si bien sa pauvreté, qu'il semblait en faire son bonheur. Gallon-la-Bastïde.

Teque non cognomen solum Athenis. Atlicus était resté plus de vingt ans à Athènes, au rapport de Cornélius Népos, qui dit de lui : « Principum philosophorum ita percepta habuit prœcepta, ut bis ad vitara agendam, non ad ostentationem uteretur. »

Iisdem rebus te, quibus me ipsum.... commoveri. Cicéron veut parler de l'état d'oppression où César avait réduit la république, et surtout des alarmes et des inquiétudes qui suivirent la mort du dictateur. Gal-la-B.

Non Tithono, ut Aristo Chius. Philosophe stoïcien qui avait fait un livre sur la vieillesse, où il faisait parler le vieux Tithon, personnage fabuleux. Gai--la-B.-Cet Ariston était stoïcien; il y eut un péripatéticien du même nom, qui ne laissa, selon le témoignage de Diogène Laërce, d'autre ouvrage qu'une lettre philosophique.

II. Scipio... sœpe numero admirari. Le Scipion qui est introduit ici est le second Africain, fils de Paul-Émile, et adopté par l'un des fils du vainqueur d'Annibal.

III. Quœ C. Salinalor, quœ Sp. Albinus. C. Livius Salinalor, consul en 565 avec M. Valérius Messala, et qui mourut grand pontife en 585 — Sp. Postumius Albinus fut consul en 567 avec Q. Marcius Philippus; il faisait partie du collège des augures quand il mourut, en 573.

IV. Familiaris noster Ennius. Caton, en revenant d'Afrique et passant par la Sardaigne, avait emmené avec lui à Rome le poète Ennius; plus lard, lorsqu'il fut nommé préteur en Sardaigne, il prit Ennius dans sa compagnie, et fut initié par lui aux lettres grecques. — Aurelius Victor, de Vir. iii. 47.

Salinatori, qui amisso oppido. Annibal prit Tarente en 541, mais M. Livius Salinator défendit la citadelle jusqu'en 544. Voyez Tite-Live, xxv, 9-10.

Et Gallicum viritim contra senatus.... Les Gaulois Sénonais avaient été chassés de ces terres par L. Cornélius en 516, neuf ans avant le consulat de Fabius.

V. Legem Voconiam voce magna.Voyez, sur le discours de Caton, Aulu-Gelle, vii, 13.

VI. L. Paullus, pater tuus. Paul-Émile triompha de Persée Fan de Rome 585; il mourut en 589, remplissant alors les fonctions de censeur. —Tib. Coruncanius, homme nouveau, fut le premier grand pontife.

Ad App. Claudii senectutem. C'est lui qui fit construire la voie Appienne, qui porte son nom.

Carthagini.... bellum multo ante denuntio. On connaît le delenda Carthago du vieux Caton. La ville d'Annibal fut détruite trois ans après la mort de cet ennemi infatigable.

VII. Nec sepulcra legens vereor. C'était une opinion parmi le peuple, que la lecture des épitaphes faisait pedre la mémoire. Gall-la-B.

Quo loco thesaurum obruisset. « Il m'est advenu plus d'une fois d'oublier où j'avois caché ma bourse, quoi qu'en die Cicero. » Montaigne, Essais, ii, 171.

Tum senex dicitur eam fabulam recitasse. Lucien (in Macrobiis) raconte ainsi le même fait : « Sophocle, dans ses dernières années, accusé de démence par son fils Iophon, lut aux juges son Œdipe à Colone, et leur prouva si bien par cette pièce qu'il avait toute sa raison, que, pénétrès pour lui d'une admiration nouvelle, ils déclarerait qu'il n'y avait de folie que du côté de l'accusateur. » Mais un fait assez ignoré, c'est que la même chose arriva à l'abbé Cotin. Quelques-uns de ses parents voulurent le faire interdire : il invita ses juges à venir l'entendre prêcher; et 545 son éloquence, quelle qu'elle fût, produisit tant d'effet sur eux, qu'ils condamnèrent les accusateurs aux dépens et à une amende. (Mélanges historiques, Amsterdam 1728. (Note empruntée à M. J. V. Le Clerc.)

VIII. Diogenem Stoicam. Diogène de Séléucie, sur le Tigre, qui fut envoyé à Rome par les Athéniens en 598, avec Caméade l'Académicien et le Péripatéticien Critolaùs,et qui vécut quatre-vingts ans, au rapport de Lucien.

Serit arbores, quœ alieri seculo prosint

« Mes arrière-neveux me devront cet ombrage.
Eh bien, défendez vous au sage
De se donner des soins pour le plaisir d'autrui?
Cela même est un fruit que je goûte aujourd'hui. »

la Fontaine.

VIII. Ut Solonem versibus gloriantem. Platon cite dans le Timée un vers de Solon,qui faisait probablement partie de ceux dont Cicéron parle en cet endroit.

IX. Nihil modo P. Crassus. P. Licinius Crassus, qui fut consul en 583 avec C Cassius Longius, vingt et un ans avant la mort de Caton, et qui était très-versé dans le droit civil et le droit pontifical

Cyrus quidem apud Xenophontem. Dans les Mémorab. de Xénophon, ιι, I, 31.

X. Tertiam enim jam œtatem hominum. Τρί γρ δὴ μίν φασιν νάξασθαι γένε' νδρν. Iliade., ι, 250. —Ex ejus lingua melle dulcior. Το κα ἀπὸ γλώσσης μέλιτος γλυκίων ῥέεν αδή. Iliade, I, 249.

Depugnavi apud Thermopylas. Voyez sur le combat des Thermopyles contre les armes d'Antiochus, Tite-Live, xxxvi, 16.

Olympiœ per stadium ingressus. Le stade, carrière mi les Grecs s'exerçaient à la course, et qui était d'environ cent vingt-cinq pas géométriques de longueur. Gall-la-B.

XI. Quos ait Cœcilius comicos stultos senes. Cicéron cite ailleurs (de Amicit., 26) les vers de Cécilius, qui se trouvaient dans l'Epiclerus : «  Hodie me ante omnes comicos stultos senes versaris, atque unxeris lautissime. »

Tantas clïentelas Appius regebat. Les clients à Rome étaient des plébéiens pauvres, qui choisissaient pour patrons les membres des familles patriciennes. Ceux-ci les protégeaient, défendaient leurs intérêts, et les dirigeaient dans leurs affaires. Gall-la-B.

XII. Quum quidem ei sermoni interfuisset Plato Atheniensis. L. Furius Camillus et Appius Claudius furent consuls l'an de Rome 404, et l'on ne peut douter que Platon ne soit venu à Tarente bien des années avant ce consulat. On trouve dans cet ouvrage quelques autres fautes de chronologie. Platon mourut vers l'époque même où Cicéron place son séjour en Italie; il y avait longtemps qu'il ne voyageait plus. (Note empruntée à Μ.Le Clerc.)

XII. Fortissimi viri T. Flaminini fratrem. T. Quintus Flamiuinus, qui vainquit Philippe de Macédoine.

XIII. Sacris Ideis magnae Matris. Cybèle était d'abord adorée en Phrygie, où sont les monts Ida, Bérécynthe et Dindyme, d'où ont été tirées ces épilhètes ordinaires de la mère des Dieux. C'est en 549 que P. Cornélius Nasica fit transporter en grande pompe l'image de cette déesse dans le temple de la Victoire. Voyez Tite Live, xxix, 14.

XIV. Quœ quidem in Sabinis etiam persequi soleo. Horace a dit avec assez de raison, s'il faut en croire cette joyeuse description :

Narratur et prisci Catonis
Sœpe mero caluisse virtus.

J.-B. Rousseau imite ainsi les vers d'Horace :

La vertu du vieux Caton,
Chez les Romains tant prônée,
Était souvent, nous dit-on,
De Falerne enluminée.

Odes, ιι, 2

Ut Turpione Ambivio magis delectatur. Ambivius Turpion, acteur fort célèbre, que Cicéron mettait sur le môme rang que Roscius, et dont Symmaque, plusieurs siècles après, parlait encore avec des éloges qui témoignent de la durée de sa gloire. Voyez Symmaque, Epist. x, 2.

C. Gallum familiarem patris tui, C. Sulpicius Gallus, dont Cicéron parle souvent, et dont il fait surtout l'éloge dans le premier livre de la République.

P. Scipionis, qui his paucis diebus. P. Sçipion Nasica, surnommé Corculon, qui fut consul avec C. Figulus en 591, et mourut grand pontife en 603.

XVII. Socrates in eo libro loquitur cum Critobulo. Voyez sur Critobuleles Memor. Xénophon t., 2. ii, 6, et le Banquet du même philosophe. — Tout ce récit est traduit de l'Economique de Xénophon, iv, 20.

In quem illud elogium. On voyait celte inscription sur le tombeau de Calatinus, à la porte de Capène. Il en est encore question dans les Tusculanes, ι, 7, et dans les Académiques.

XVIII. Non illius quidem justœ, sed quœ probari posse videatur. Arislote, Rhét., ii, 13, donne à cette observation un tour plus philosophique: « L'expérience d'une longue vie, la fourberie de la plupart des hommes, leurs propres erreurs, leurs disgrâces plus nombreuses que leurs succès, empochent les vieillards de prononcer sur rien affirmativement.... Ils sont moroses, car le propre d'un tel caractère est de tout voir sous un jour défavorable ; soupçonneux, parce qu'ils sont incrédules ; incrédules, parce qu'ils ont de l'expérience.... S'ils sont compatissants, ce n'est pas qu'ils soient humains comme les jeunes gens, mais c'est qu'ils sont faibles, et se voient exposés à tout souffrir. Ce caractère porté à la pitié, les rend chagrins, ennemis du rire et de la gaieté...» (Note empruntée à M. Le Clerc.)

XIX. In exspectatis ad amplissimam dignitatem fratribus tuis. Les deux fils de Paul-Émile, qui moururent, l'un peu de jours avant le triomphe de son père, l'autre immédiatement après.

XX. Solonis quidem sapientis elogium. Voici les vers de Solon où ce désir était exprimé :

Μηδ' ἐμοὶ κλαυστος θάνατος μόλοι, λλ φίλοισι,
Καλλείποιμι θανν λγεα καὶ στοναχάς.

Non duo Scipiones. Cnéus et Publius, l'un père de Scipion Nasica, et l'autre du premier Africain. Ils périrent en Espagne, dans la seconde guerre Punique. Gall-la-B.

Cujus interitum ne crudelissimus quidem hostis. Annibal, qui lui rendit les derniers honneurs, et envoya à son fils ses cendres, renfermées dans une urne d'argent, couverte d'une couronne d'or. Gall-la-B.

XXII. Apud Xenephontem autem moriens Cyrus. Cyropédie, viii, 17 sqq. Cicéron traduit le passage de Xénophon assez librement. On peut comparer les Tusculanes, ι, 12, et le dialogue de l'Amitié, c. 4.

XXIII. Quod multi et ii docti sœpe fecerunt. Cicéron nous dit dans les Tusculanes qu'Hégésias le Cyrénaïque avait écrit un livre où il énumérait tous les inconvénients de la vie humaine. On connaît ce vers d'Euripide :

βίος ληθς ο βίος, λλ συμφορά.

Voyez encore Pline, Hist. N, prœf. vιι, et Sénèque, Ep. 99.

rt, ou nous n'aurons plus de sentiment, ou nous