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livre I (GR)
livre II
livre III
livre IV
livre V
livre VI
livre VII
livre VIII
livre IX
livre X
livre XI
livre XI (GR)
livre XII
livre XIII
livre XIV
livre XV
livre XVI
livre XVII
livre XVIII
livre XIX
livre XX

texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER

Flavius Josèphe

ANTIQUITES JUDAÏQUES

texte grec

 

 

LIVRE 1

Préambule
[1]

1. Motifs variés d’écrire l’histoire - 2. Objet du présent ouvrage. – 3. La Bible. – 4. Philosophie de Moïse.

1. [1] Ceux qui se proposent d'écrire l'histoire ne m'y semblent pas déterminés par une seule et même raison, mais par plusieurs, très différentes les unes des autres. Certains, en effet, voulant faire briller leur talent littéraire et avides du renom qu'il procure, s'adonnent avec ardeur à ce genre d'études ; d'autres, pour flatter les personnages dont il sera question dans leur récit, y dépensent une somme de travail qui va jusqu'à passer leurs forces ; d'aucuns se voient contraints par la nécessité même des événements auxquels ils ont pris part à les montrer sous leur vrai jour par une narration d'ensemble ; enfin, pour beaucoup, c'est l'ignorance où l'on est de certains grands faits utiles à connaître qui les a déterminés, dans l'intérêt général, à en publier l'histoire. Parmi les raisons que je viens de dire, ce sont les deux dernières qui m'ont moi-même entraîné. En effet, la guerre que nous, Juifs, nous avons soutenue contre les Romains, les événements de cette guerre et son issue m'étant connus par expérience, j'étais forcé de la raconter en détail[2], pour réfuter les gens qui dans leurs écrits en ont altéré le véritable caractère[3].

2. [5] Quant au présent ouvrage, si je l'ai entrepris, c'est que j'ai cru qu'il paraîtrait à tous les Grecs dignes d’attention : il contiendra, en effet, toute l'histoire de notre antiquité ainsi que l'exposé de notre constitution politique, traduits des livres hébraïques[4]. D'ailleurs, j'avais déjà médité autrefois, en écrivant l’histoire de la guerre, de montrer ce que furent au début les Juifs, quelles destinées ils eurent, quel grand législateur leur enseigna la piété et l'exercice des autres vertus, combien de luttes très longues ils durent soutenir avant cette dernière guerre où ils s’engagèrent malgré eux[5] contre les Romains. Toutefois, comme ce sujet embrassait trop de matières, j'en ai fait un tout à part, ayant son commencement et sa fin, donnant ainsi à mon ouvrage de justes proportions. Mais avec le temps et, comme il arrive souvent à ceux qui s’attaquent à une tâche difficile, il me vint des hésitations et de la paresse à traduite un si grand sujet dans une langue étrangère dont les habitudes ne nous sont pas familières.
Cependant quelques personnes curieuses de cette histoire me pressaient de l'écrire, et plus que tous Épaphrodite[6], homme passionné pour toute espèce d'érudition, mais qui goûte de préférence la science historique, mêlé comme il l'a été à de grands événements et à des fortunes très diverses, au milieu desquels il a toujours fait preuve d'une merveilleuse force de caractère et d'un attachement inébranlable à la vertu. Je me laissai donc persuader par lui, car il ne cesse d'encourager les hommes capables de faire oeuvre utile ou belle, et, tout confus de laisser supposer que mon repos m'était plus cher que l'effort d'une belle entreprise, je m’enhardis et repris courage ; au surplus, outre les raisons, ce fut pour moi une considération nullement secondaire que nos ancêtres, d'une part, aient toujours été disposés à communiquer leur histoire et que certains Grecs, de l'autre, aient été curieux de la connaître.

3. [10] Je remarquai, en effet, que le second des Ptolémées[7], ce roi qui s'est tant intéressé à la science, ce collectionneur de livres, s'occupa tout particulièrement de faire traduire en grec notre code et la constitution politique qui en découle ; d'autre part, Eléazar, qui ne le cédait en vertu à aucun de nos grands-prêtres, ne se fit pas scrupule d'accorder à ce roi la satisfaction qu'il sollicitait ; or, il eût refusé net, s'il n'eût été de tradition chez nous de ne tenir secret rien de ce qui est bien[8]. J'ai donc pensé que, pour moi, je devais imiter la conduite libérale du grand-prêtre et supposer qu'encore aujourd'hui bien des gens comme le roi Ptolémée aiment à s'instruire : celui-ci, en effet, n'eut pas le temps de recueillir toutes nos annales ; seule, la partie juridique lui fut transmise par les gens qu'on envoya à Alexandrie en faire la traduction. Or, innombrables sont les renseignements que nous donnent les saintes Écritures ; car elles embrassent l'histoire de cinq mille années, et racontent toutes sortes de péripéties imprévues, beaucoup de fortunes de guerre, de hauts faits de capitaines, et de révolutions politiques. Dans l'ensemble, on apprend surtout par cette histoire, si l'on prend la peine de la parcourir, que les hommes qui se conforment à la volonté de Dieu et redoutent d’enfreindre une législation excellente prospèrent au-delà de toute espérance et que, pour récompense, Dieu leur accorde le bonheur ; mais que, dès qu’ils s'écartent de la stricte observance de ces lois, la route qu'ils suivent devient impraticable et leurs efforts en vue de ce qu’ils pensent être le bien se tournent en d'irrémédiables malheurs. J’engage donc maintenant ceux qui liront ces livres à élever leurs pensées jusqu'à Dieu et à examiner si notre législateur a eu une conception satisfaisante de sa nature, s'il lui a toujours assigné un rôle conforme à sa toute puissance, ou gardant pour parler de lui un langage pur de ces fables inconvenantes qu'on trouve ailleurs ; encore que, traitant d'une durée si longue et si lointaine, il eût eu pleine licence de forger des fictions. Il vécut,  en effet, il y a deux mille ans, en des temps si reculés que les poètes n'ont pas même osé y rapporter la naissance des dieux, encore moins les actions des hommes et leurs lois.
Ce sont donc ces données exactes des Écritures que j'exposerai au cours de mon récit, chacune à sa place, ainsi que j'ai promis de le faire dans le présent ouvrage, sans rien rajouter ni rien omettre.
4 [18] Mais, comme presque tout ce qui nous concerne dépend des sages institutions du législateur Moïse (Môysès), il me faut d'abord parler de lui brièvement, de peur que mes lecteurs ne se demandent pourquoi, dans cet ouvrage qui doit traiter de lois et de faits historiques, je fais une si large part aux questions cosmologiques[9]. Il faut donc savoir que, selon ce grand homme, pour bien organiser sa vie et donner des lois aux autres, il importe avant tout de comprendre la nature de Dieu, puis, en considérant par l'esprit les oeuvres divines, d'imiter dans la mesure de ses forces le meilleur de tous les modèles et de tâcher de s'attacher à lui ; jamais, en effet, le législateur lui-même ne sera bien inspiré s'il néglige ces considérations, et ceux qui liront des traités sur la vertu n'en retireront aucun fruit, s'ils n'ont appris au préalable que Dieu, qui est le père et le maître de toutes choses et qui voit tout, accorde une vie heureuse à ceux qui suivent ses voies, mais accable de grandes catastrophes ceux qui marchent hors du chemin de la vertu. Telle est l'éducation que Moïse voulait donner à ses concitoyens ; aussi, lorsqu'il institua ses lois,  ne commença-t-il  pas par les contrats[10] et les droits réciproques, comme font les autres législateurs' c'est vers Dieu et l'idée de la Création du monde qu'il éleva leurs méditations ; il les persuada que de toutes les oeuvres accomplies par Dieu sur terre, nous, les hommes, nous sommes la plus belle, et lorsqu'il les eut convertis à la piété, il n'eut plus de peine à les convaincre de tout le reste. Les autres législateurs[11], on effet, s'en rapportant aux fables, attribuaient aux dieux, dans leurs écrits, les honteuses faiblesses des hommes et fournissaient ainsi aux scélérats une puissante excuse. Notre législateur, lui, avant montré que Dieu possède la vertu parfaite, voulut que les hommes s'efforçassent de participer à cette perfection et châtia inexorablement ceux qui ne méditaient point ces enseignements ou n'y ajoutaient pas foi. J'invite donc tous ceux qui me liront à examiner notre Écriture en partant de ce principe. A ceux qui se placeront à ce point de vue, rien n'y paraîtra déraisonnable ni indigne de la grandeur de Dieu et de son amour pour les hommes ; tous les traits en sont présentés avec l'expression correspondant à la nature des choses : tantôt le législateur a parlé habilement à mots couverts ; tantôt il s'est servi d'allégories pleines de majesté ; mais toutes les fois qu'il importait de parler sans ambages, il s'est exprimé ouvertement. Quant à rechercher les motifs de chacun de ces procédés, il faudrait y une étude profonde et d'un caractère tout à fait philosophique ; pour le moment, je passe outre, mais si Dieu m'en donne le loisir, je tâcherai de l'écrire[12] après le présent travail. J'arrive maintenant au récit des événements, on rappelant d'abord ce que Moïse a dit touchant la création du monde, détails que j'ai trouvés consignés dans les saints Livres, comme il suit.

Chapitre premier [13]

Constitution de l’univers et disposition des ses éléments. Naissance d’Adam.

1. Création du monde. - 2. Adam et Ève. - 3. Le paradis. - 4. Le pêché ; Adam et Ève chassés du paradis terrestre.

1[14]. [27] Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. Celle-ci n'était pas visible ; elle était cachée sous des ténèbres profondes et un souffle d'en haut courait à sa surface. Dieu ordonna que la lumière fût. Quand elle eut paru, il considéra l'ensemble de la matière et sépara la lumière des ténèbres, les appelant jour et nuit, et il nomma matin et soir l'apparition de la lumière et sa cessation. Et ce jour devrait être le premier, mais Moïse employa le terme de « un[15] jour ». Pourquoi ? Je pourrais le dire dès maintenant, mais comme je me propose de faire la recherche de toutes les causes dans un écrit[16] spécial, je diffère jusque-là l'éclaircissement de ce point.
Ensuite, le second jour, Dieu établit le ciel sur le monde; l'ayant distingué du reste, il jugea qu'il devait être organisé à part et, l'avant entouré d'une surface congelée, il le rendit humide et pluvieux, en rapport avec les besoins de la terre, qu'il féconderait de ses rosées.
Le troisième jour, il fixe la terre et répand autour d'elle les eaux de la mer ; c'est ce même jour qu'il lui fait produire d'un seul coup[17] les végétaux et les semences.
Le quatrième jour, il orne le ciel en y plaçant le soleil, la lune et les autres astres ; il prescrit leurs mouvements et leurs cours, qui devront indiquer les révolutions des saisons.
Le cinquième jour, paraissent les poissons et les oiseaux ; il lance les uns dans les profondeurs des mers, les autres à travers les airs. Il les unit par les liens de la vie en commun et la génération, pour se perpétuer et multiplier leur espèce.
Le sixième jour, il crée la race des quadrupèdes, les fait mâles et femelles ; et, ce jour-là, il forme aussi l'homme.
Ainsi, selon Moïse, le monde avec tout ce qu'il renferme fut créé en six jours seulement ; le septième, Dieu s'arrêta et se reposa de ses travaux. De là vient que, nous aussi, nous passons ce jour-là dans le repos et nous l'appelons sabbat, mot qui signifie cessation[18] dans la langue des Hébreux.

2[19]. [34] Après le septième jour, Moïse commence à parler de questions naturelles[20] ; sur la création de l'homme il s'exprime ainsi : Dieu, pour façonner l'homme, prit de la poussière de la terre, et y inspira un souffle et une âme[21]. Cet homme fut appelé Adam(os)[22], ce qui, Hébreu, signifie roux[23], parce que c'est avec de la terre rouge délayée qu'il fut formé ; c'est bien, en effet, la couleur de la vraie terre vierge. Dieu fait passer devant Adam les animaux selon leurs espèces, mâles et femelles, en les désignant[24] ; il leur donne les noms qui sont encore usités aujourd'hui. Puis, considérant qu'Adam n'a pas de compagne à qui s’unir (en effet il n'existait pas de femme), et qu'il s'étonne de voir les autres animaux pourvus de femelles, il lui enlève une côte tandis qu'il dort, et en forme la femme. Adam, quand elle lui fut présentée reconnut qu'elle était née de lui-même. La femme s'appelle essa[25] En hébreu : mais cette première femme eut nom Eve, c'est-à-dire mère de tous les vivants.

3. [37] Moïse raconte que Dieu planta du côté de l'orient un parc, foisonnant en plantes de toute espèce ; il y avait, entre autres, la plante de la vie et celle de l'entendement, par laquelle on apprenait ce que c'est que le bien et le mal ; il fit entrer dans ce jardin Adam et la femme et leur recommanda de prendre soin des plantes. Ce jardin est arrosé par un fleuve unique dont le cours circulaire environne toute la terre et se divise en quatre branches; le Phison, dont le nom signifie abondance[26], s'en va vers l'inde se jeter dans la mer : les Grecs l'appellent Gange ; puis l'Euphrate et le Tigre, qui vont se perdre dans la mer Erythrée ; l'Euphrate est appelé Phorat[27], c’est-à-dire dispersion ou fleur, et le Tigre, Diglath[28], ce qui exprime à la fois l'étroitesse et la rapidité ; enfin le Géon[29], qui coule à travers l'Egypte, dont le nom indique celui qui jaillit de l'orient ; les Grecs l'appellent Nil.

4[30]. [40] Dieu donc invita Adam et la femme à goûter de tous les végétaux, mais à s'abstenir de la plante de l'entendement, les prévenant que, s'ils y touchaient, ils s'attireraient la mort. A cette époque où tous les animaux parlaient une même langue[31], le serpent, vivant en compagnie d'Adam et de la femme, se montrait jaloux des félicités qu'il leur croyait promises[32], s'ils se conformaient aux prescriptions de Dieu, et, espérant qu'ils tomberaient dans le malheur en désobéissant, il engage perfidement la femme à goûter de la plante de l'entendement ; « on y trouve, disait-il, le moyen de discerner le bien et le mal » ; dès qu'ils le posséderaient, ils mèneraient une vie bienheureuse qui ne le céderait en rien à la vie divine. Il ébranle par ses mensonges la femme au point de lui faire négliger la recommandation de Dieu ; elle goûta de la plante, en apprécia la saveur et persuada à Adam d'en manger aussi. Alors ils se rendirent compte qu'ils étaient nus et que leur sexe était à découvert, et ils songèrent à se couvrir ; la plante, en effet, aiguisait l’intelligence. Aussi se couvrirent-ils de feuilles de figuier, et, après s'en être fait une ceinture, ils crurent leur félicité plus grande puisqu'ils avaient trouvé ce qui leur manquait auparavant. Mais, comme Dieu entrait dans le jardin, Adam, qui jusqu'alors venait souvent converser avec lui, eut conscience de sa faute et se déroba. Dieu trouva son attitude étrange et lui demanda pourquoi, tandis que naguère il se plaisait à converser avec lui, il fuyait maintenant l'entretien et se détournait. Comme Adam ne disait mot, se sentant coupable d'avoir contrevenu à l'ordre divin, Dieu lui dit : « J'avais décidé que vous mèneriez une vie heureuse, à l'abri de tout mal, sans qu'aucun souci vous torturât l'âme ; tout ce qui contribue à la jouissance et au plaisir devait s'offrir spontanément à vous, de par une providence, sans labeur, sans souffrances pour vous ; avec ces avantages, la vieillesse ne vous aurait pas atteints rapidement, et une longue vie eût été votre partage. Mais voici que tu as outragé mon dessein en méprisant mes ordres ; ce n'est pas par vertu que tu gardes le silence, c’est parce que ta conscience est troublée ». Adam cherchait à se disculper et priait Dieu de ne pas s'irriter contre lui ; il rejetait sa faute sur la femme, et disait qu'elle l'avait, par sa ruse, induit à pécher ; à son tour, la femme accusait le serpent. Dieu jugea Adam digne de punition pour avoir succombé à un conseil de femme ; il déclara que désormais pour eux la terre ne produirait plus rien d'elle-même et que, en retour d'un labeur acharné, parfois elle donnerait des fruits, parfois elle les refuserait. Quant à Eve, il la punit en lui infligeant l'enfantement et les souffrances qui l'accompagnent, parce que, s'étant laissée prendre aux tromperies du serpent, elle avait entraîné Adam dans le malheur. Il priva aussi le serpent de la parole[33], irrité de sa malice à l'égard d'Adam ; il lui mit du venin sous la langue le désigna comme un ennemi des hommes et ordonna qu'on le frappât à la tête, parce que c’est là que gît l'origine du mal qui a atteint les hommes et que c’est là aussi que ses adversaires lui porteront le plus aisément le coup mortel ; enfin il le condamna à n'avoir plus de pieds et à se traîner en se tordant sur la terre. Dieu, leur ayant infligé ces châtiments, fit sortir Adam et Eve du jardin et les transporta dans un autre lieu.

Chapitre II

Les dix générations issues d’Adam jusqu’au déluge.

1. Caïn et Abel. – 2. Prospérité de Caïn. – 3. Seth et ses descendants.

1[34]. [52] Il leur naquit deux enfants mâles ; le premier s'appelait Kaïs (Caïn)[35], dont le nom se traduit par acquisition, le second, Abel(os) c’est-à-dire deuil[36]. Il leur naquit également des filles[37]. Les deux frères se plaisaient à des occupations différentes : Abel, le plus jeune, était zélé pour la justice et, dans l'idée que Dieu présidait à toutes ses actions, il s'appliquait à la vertu ; sa vie était celle d'un berger. Caïn était en tout d'une grande perversité et n'avait d'yeux que pour le lucre ; il est le premier qui ait imaginé de labourer la terre ; il tue son frère pour le motif suivant. Comme ils avaient décidé de faire des offrandes à Dieu, Caïn apporta les fruits de la terre[38], et ceux des arbres cultivés ; Abel, du lait[39] et les premiers-nés de ses troupeaux. C'est cette offrande qui plut davantage à Dieu : des fruits nés spontanément et selon les lois naturelles l'honoraient, mais non pas des produits obtenus par la cupidité d'un homme, en forçant la nature. Alors Caïn, irrité de voir Abel préféré par Dieu, tue son frère : ayant fait disparaître le cadavre, il croyait que le meurtre resterait ignoré[40]. Mais Dieu, qui savait le crime, alla trouver Caïn, et lui demanda où pouvait être son frère ; depuis plusieurs jours, il ne l'aperçoit plus, lui qu'il voyait auparavant aller et venir sans cesse avec Caïn. Celui-ci, embarrassé, n'ayant rien à répondre, déclare d'abord qu'il est très étonné lui-même de ne pas voir son frère, puis, harcelé par Dieu de questions pressantes et poussé à bout, il répond qu'il n'est pas le gouverneur de son frère, chargé de surveiller sa personne et ses actes. Dès ce moment, Dieu l'accuse d'être le meurtrier de son frère : « Je m'étonne, dit Dieu, que tu ne puisses dire ce qui est advenu d'un homme que tu as toi-même tué ». Cependant, il ne lui inflige pas la peine méritée par son meurtre, Caïn lui ayant offert un sacrifice et l'ayant supplié de ne pas lui faire sentir trop durement sa colère[41] ; mais il le maudit et menace de punir ses descendants jusqu'à la septième génération[42] ; puis, il le bannit de cette contrée avec sa femme. Comme Caïn craignait de devenir la proie des bêles féroces[43] et de périr ainsi, Dieu l'exhorte à ne pas baisser la tête d'un air morne pour un pareil motif : il n'aura rien à redouter des bêtes féroces et, par suite, il pourra errer sans crainte sur toute la terre. Dieu met un signe sur lui pour le faire reconnaître et lui enjoint de partir.

2[44]. [60] Caïn traverse beaucoup de pays et s'arrête avec sa femme dans un endroit appelé Naïs[45], où il fixe sa résidence et où des enfants lui naquirent. Loin de considérer son châtiment comme un avertissement, il n'en devint que plus pervers : il s'adonna à toutes les voluptés corporelles, dût-il maltraiter, pour les satisfaire, ceux qui étaient avec lui ; il augmente sa fortune de quantités de richesses amassées par la rapine et la violence ; il invita au plaisir et au pillage tous ceux qu'il rencontrait et devint leur instructeur en pratiques scélérates. Il détruisit l'insouciance, où vivaient précédemment les hommes, par l'invention des mesures et des poids ; la vie franche et généreuse que l'on menait dans l'ignorance de ces choses, il en fait une vie de fourberie. Le premier, il délimita des propriétés ; il bâtit une ville, la fortifia par des murs et contraignit ses compagnons à s'associer en communauté. Cette ville, il la nomme Anocha du nom de son fils aîné Anoch(os)[46]. Anoch eut pour fils Jared(ès)[47] ; de celui-ci naquit Marouêl(os)[48], lequel eut pour fils Mathousalas, père de Lamech(os) qui eut soixante-dix-sept enfants[49] de deux femmes, Sella et Ada. L'un d’eux Jôbel(os), né d'Ada, planta des tentes et se plut à la vie pastorale. Joubal(os), son frère, né de la même mère, s'adonna à la musique et inventa les psaltérions et les cithares. Thobél(os), un des fils de l'autre femme, plus fort que tous les hommes, se distingua dans l'art de la guerre où il trouva de quoi satisfaire aux plaisirs du corps ; il inventa le premier l'art de forger. Lamech devint père d'une fille, Noéma : comme il voyait, par sa grande science des choses divines, qu'il subirait la peine du meurtre commis par Caïn sur son frère, il s'en ouvrit à ses femmes[50].
Encore du vivant d’Adam, les descendants de Caïn en arrivèrent aux plus grands crimes : par les traditions et l'exemple, leurs vices allaient toujours en empirant ; ils faisaient la guerre sans modération et s'empressaient au pillage. Et ceux qui n'osaient pas verser le sang montraient, du moins, tous les emportements de l'insolence, de l'audace et de la cupidité.

3. [67] Adam, le premier-né de la terre, pour en revenir à lui, comme mon récit l'exige, après qu'Abel eut été immolé et que Caïn eut pris la fuite à cause de ce meurtre, souhaitait d'autres enfants ; il fut pris d'un vif désir de faire souche, alors qu'il avait franchi déjà 230[51] années de sa vie ; il vécut encore 700 ans avant de mourir. Il eut, avec beaucoup d'autres enfants[52], un fils Seth(os); il serait trop long de parler des autres ; je me contenterai de raconter l'histoire de Seth  et de sa progéniture. Celui-ci, après avoir été élevé, parvenu à l'âge où l'on peut discerner le bien, cultiva la vertu, y excella lui-même et resta un exemple pour ses descendants. Ceux-ci, tous gens de bien[53], habitèrent le même pays et y jouirent d’un bonheur exempt de querelles sans rencontrer jusqu'au terme de leur vie aucun fâcheux obstacle ; ils trouvèrent la science des astres et leur ordre dans le ciel[54]. Dans la crainte que leurs inventions ne parvinssent pas aux hommes et ne se perdissent avant qu'on en eût pris connaissance, - Adam avait prédit une cataclysme universel occasionné, d'une part, par un feu violent et, de l'autre, par un déluge d'eau, - ils élevèrent deux stèles[55], l'une de briques et l'autre de pierres, et gavèrent sur toutes les deux les connaissances qu'ils avaient acquises ; au cas où la stèle de brique disparaîtrait dans le déluge, celle de pierre serait là pour enseigner aux hommes ce qu'ils y avaient consigné et témoignerait qu'ils avaient également construit une stèle de brique. Elle existe encore aujourd'hui dans le pays de Siria[56].

Chapitre III

Le déluge ; comment Noé, sauvé dans une arche avec sa famille, s’établit dans la plaine de Sinar.

1. Corruption des hommes ; les fils des anges; Noé. - 2. Le déluge et l'arche. - 3. Epoque du déluge. - 4. Chronologie des patriarches. - 5. Fin du déluge. - 6. Témoignages d'auteurs païens sur le déluge. - 7. Sacrifice de Noé. - 8. L'arc-en-ciel. - 9. Longévité des patriarches.

1[57]. [72] Durant sept générations, ces hommes ne cessèrent de considérer Dieu comme le souverain de l'univers et de prendre en tout la vertu pour guide ; mais, dans la suite des temps, ils s'écartent pour malfaire des coutumes de leurs pères ; ils ne rendent plus à Dieu les honneurs qui lui sont dus et ne se préoccupent plus de justice envers les hommes ; ils font paraître par leurs actes deux fois plus d'ardeur pour le vice qu'ils n'en montraient naguère pour la vertu ; c'est ainsi qu'ils s'attirèrent l'inimitié divine. Beaucoup d'anges de Dieu s'unirent à des femmes et engendrèrent une race d'hommes violents, dédaigneux de toute vertu, tant était grande leur confiance dans leur force brutale. Les exploits que leur attribue la tradition ressemblent aux tentatives audacieuses que les Grecs rapportent au sujet des Géants[58]. Noé (Nôchos), indigné de leur conduite et voyant avec chagrin leurs entreprises, tenta de les amener à de meilleures pensées et à de meilleures actions[59] ; mais voyant que, loin de céder, ils étaient complètement dominés par le plaisir des vices, il craignit d'être tué[60] par eux et quitta le pays avec sa femme, ses fils et ses belles-filles.

2[61]. [75] Dieu l'aimait pour sa justice et non seulement condamna ces hommes à cause de leur corruption, mais il résolut d'exterminer tous les hommes qui existaient en ce temps et de créer une autre race exempte de vices, dont il abrégerait la vie, en réduisant la longévité primitive à cent vingt ans[62]. A cet effet il changea la terre ferme en mer. Tandis que tous disparaissent ainsi, Noé seul est sauvé, Dieu lui ayant fourni un moyen et un engin de salut comme il suit. Il construit une arche à quatre étages[63] de 300 coudés de long, 50 de large et 30 de profondeur ; il s'y embarque avec [ses fils][64], la mère de ses enfants et les femmes de ceux-ci ; il y met tous les objets nécessaires à leurs besoins, y introduit des animaux de toute espèce, mâles et femelles, pour conserver leurs races et, pour certains d'entre eux, il prend sept couples[65]. L'arche avait les parois, les joints et la toiture assez solides pour n'être ni submergée ni défoncée par la violence des eaux. C'est ainsi que Noé fut sauvé avec les siens. Il était le dixième descendant d'Adam, car il était fils de Lamech, qui avait pour père Mathousalas[66], fils d'Anoch, fils de Jared. Jared était fils de Marouël, que Caïnas[67], fils d'Enôs(os), avait engendré avec beaucoup de sœurs[68]. Enôs était fils de Seth, fils d'Adam.

3[69]. [80] La catastrophe eut lieu la 600ème année de la vie[70] de Noé, dans le second mois, que les Macédoniens appellent Dios, et les Hébreux Marsouan[71], suivant la façon dont ils ont arrangé le calendrier en Égypte, Moïse fit de Nisan, c'est-à-dire de Xanthicos, le premier mois pour les fêtes, parce que c'est en Nisan qu'il avait mené les Hébreux hors de l'Egypte ; il fit encore commencer l'année par ce mois pour tout ce qui concerne le culte divin ; mais pour les ventes et achats et toutes les autres affaires, il conserva l'ancien ordre[72]. Il dit que le déluge commença le vingt-septième jour[73] dudit mois. Cette époque tombe 2.262 ans[74] après la naissance d'Adam, le premier homme ; la date est inscrite dans les saints Livres ; on marquait alors avec un soin extrême la naissance et la mort des gens illustres.

4[75]. [83] Adam eut pour fils Seth à l'âge de 230 ans; celui-ci[76] vécut 930 ans. Seth à l'âge de 205 ans engendra Enôs, qui, à 905 ans, remit le soin de ses affaires à son fils Caïnas, qu'il avait eu à 190 ans. Enôs vécut en tout 912 ans. Caïnas, qui vécut 910 ans, eut son fils Malaël à l'âge de 170 ans. Ce Malaël mourut, âgé de 895 ans, laissant un fils Jared, qu'il engendra à 165 ans. Celui-ci vécut 969 ans[77] ; son fils Anoch le remplace ; il était né quand son père avait 162 ans ; à l'âge de 365 ans, il retourna vers la divinité[78]. Aussi sa mort n'a-t-elle pas même été consignée. Mathousalas, que Anoch eut à 165 ans, eut pour fils Lamech à 187 ans ; il lui remit le pouvoir, qu'il avait détenu 969 ans. Lamech le garda 777 ans et mit à la tête des affaires son fils Noé, qu'il avait eu à l'âge de 188 ans, et Noé gouverna les affaires pendant 950 ans. Ces chiffres, additionnés ensemble, donnent le total mentionné plus haut. On ne doit pas examiner l'année de la mort de ces personnages, car leur vie se prolongeait durant celle de leurs enfants et de leurs descendants ; qu'on se borne à regarder leurs dates de naissance.

5. [89] Dieu fit un signe et commença à faire pleuvoir[79] ; les eaux se mirent à tomber pendant quarante jours pleins, de manière à s’élever de 15 coudées au-dessus de la surface de la terre. Cela fut cause qu'il ne put se sauver un plus grand nombre d'hommes, faute d'endroit où s'enfuir. Quand les pluies cessèrent, l'eau se mit à baisser à peine après 150 jours ; c'est dans le 7e mois, le 7e jour du mois, que les eaux commencèrent à se retirer[80]. L'arche alors s'arrête sur la cime d'une montagne en Arménie : Noé s'en aperçoit, ouvre l'arche, voit un peu de terre qui l'environne et, renaissant déjà à l'espérance, il se rassérène. Quelques jours après, l'eau ayant baissé davantage, il lâche un corbeau, pour savoir s'il y avait sur la terre un autre endroit laissé à découvert où l'on pût débarquer avec sécurité ; mais le corbeau trouva toute la terre encore couverte d'eau et revint vers Noé. Sept jours après, il envoie une colombe[81] à la découverte. Elle revient souillée de boue, rapportant un rameau d'olivier ; Noé, voyant que la terre est délivrée du déluge, attend encore sept jours ! puis il fait sortir les animaux de l'arche, en sort lui-même avec sa progéniture, sacrifie à Dieu et célèbre un festin avec les siens. Les Arméniens donnent à cet endroit le nom de débarcadère ; c'est là que l'arche s'était échouée et que les indigènes en montrent encore les débris[82].

6. [93] Le déluge et l'arche sont mentionnés par tous ceux qui ont écrit l'histoire des barbares ; de ce nombre est Bérose le Chaldéen[83]. Dans son récit des événements du déluge, il s'exprime ainsi : « On dit qu’il reste des fragments du navire en Arménie sur le mont des Cordyéens ; quelques personnes s'en emparent en les débarrassant du bitume ; on s'en sert comme de talismans ». Il est question aussi de ces choses chez Hiéronyme l’Égyptien, l'auteur de l'Archéologie phénicienne[84], chez Mnaséas[85] et chez beaucoup d'autres. Nicolas de Damas, dans le XCVIe livre[86], raconte ces faits en ces termes : «Il y a, au-dessus du pays de Minyas[87] en Arménie, une haute montagne appelée Baris, où plusieurs réfugiés du déluge trouvèrent, dit-on, le salut ; un homme, transporté dans une arche, aurait abordé au sommet du mont et les épaves ont été conservées longtemps : cet homme pourrait bien être le même dont parle Moïse, le législateur des Juifs ».

7[88]. [96] Noé, craignant que Dieu n'inondât chaque année la terre dans le dessein arrêté d'anéantir les hommes, lui offrit des holocaustes et le supplia de conserver à l'avenir l'ordre primitif et de ne plus déchaîner un tel fléau qui vouerait à la mort tout le règne animal ; les méchants une fois punis, il devait épargner ceux que leur vertu avait sauvés et qui avaient mérité d'échapper à la catastrophe. Leur sort serait plus misérable que ceux de ces méchants, ils seraient condamnés à une peine bien pire, s'ils n'étaient pas désormais absolument à l'abri, si on les réservait pour un autre déluge ; après avoir appris l'histoire épouvantable du premier, ils seraient les victimes du second [88a]. Il le prie donc d'agréer son sacrifice, et de ne plus faire éclater sur la terre un tel courroux, afin qu'on puisse se livrer avec ardeur à l'agriculture, bâtir des villes, mener une vie heureuse, sans être privé d'aucun des biens dont on jouissait avant le déluge, arriver à une vieillesse avancée et obtenir une longévité semblable à celle des hommes d'autrefois [88b].

8. [99] Noé ayant fini ses supplications, Dieu, qui aimait cet homme pour sa justice, lui fit signe qu'il exaucerait ses prières ; ceux qui avaient péri n'avaient pas été ses victimes : c'est par leurs propres crimes qu'ils avaient encouru ce châtiment ; s'il avait eu le dessein d'anéantir les hommes une fois nés, il ne les aurait pas appelés à l'existence ; car il était plus sage dès le principe de ne point les gratifier de la vie, que de la retirer sitôt donnée : « C'est, dit-il, l'arrogance avec laquelle ils répondaient à ma bonté et à ma vertu qui m'a contraint à leur infliger cette peine. Mais dorénavant je m'abstiendrai de châtier les crimes avec une telle rigueur ; je m'en abstiendrai surtout à ta prière. Si d'aventure je suscite de fortes tempêtes, ne vous effrayez pas de la violence des pluies. Jamais plus l'eau ne submergera la terre[89]. Cependant je vous exhorte à ne point verser de sang humain, à vous tenir purs de tout meurtre et à punir ceux qui commettraient un tel crime ; vous pourrez faire de tous les autres animaux l'usage qui vous conviendra selon vos désirs ; car je vous ai faits maîtres d'eux tous, qu'ils vivent sur la terre, dans l'eau, ou qu'ils se meuvent parmi les airs ; je fais une réserve pour le sang, car c'est en lui que réside l'âme[90]. Je vous manifesterai la trêve que je conclus avec vous par un signe de mon arc.  C'est l'arc-en-ciel qu'il désignait ainsi, car on croit dans ces pays que c'est l'arc de Dieu[91]. Dieu, après ces paroles et ces promesses, se retire.

9. [104] Noé vécut après le déluge 350 ans, qu'il passa toujours heureusement ; il meurt âgé de 950 ans. Que personne, comparant la vie de ces anciens à la nôtre d'un nombre d'années si restreint, n'aille tenir pour faux ce qui est raconté de ces hommes : qu'on ne se figure point, parce que nul aujourd'hui n'atteint dans son existence un âge aussi avancé, que ceux-là non plus n'aient pu la prolonger à ce point. D'abord, ils étaient aimés de Dieu et nés de Dieu lui-même ; leur nourriture les rendait plus propres à durer davantage ; il est donc vraisemblable qu'ils ont pu vivre aussi longtemps. Ensuite, c'est pour leur vertu et c'est pour faciliter leurs recherches dans l'astronomie et la géométrie, inventées par eux, que Dieu leur accordait cette longévité ; ils n'auraient rien pu prédire avec certitude s'ils n'avaient vécu 600 ans, car c'est là la durée de la grande année[92]. J'ai là-dessus le témoignage de tous ceux, Grecs ou Barbares, qui ont écrit des antiquités : Manéthon, qui a fait les annales des Égyptiens ; Bérose, qui a rassemblé ce qui concerne la Chaldée ; Mochos, Hestiée ainsi que Hiéronyme l'Égyptien, auteurs d'histoires phéniciennes, sont d'accord avec moi ; Hésiode, Hécatée, Hellanicos, Acusilaos, ainsi qu'Ephore et Nicolas, rapportent que ces premiers hommes vivaient mille ans[93]. Mais sur ce sujet, que chacun décide comme il lui plaira.

Chapitre IV

La tour que les fils de Noé édifièrent en outrage à Dieu ; Dieu confond leurs langues ; l’endroit où ce fait eu lieu s’est appelé Babylone.

1. Les fils de Noé dans la plaine de Sennaar. - 2. Nemrod. - 3, La Tour de Babel.

1[94]. [109] Les enfants de Noé au nombre de trois, Sèm(as), Japheth(as) et Cham(as), étaient nés cent ans avant le déluge ; les premiers, ils descendirent des montagnes[95] vers les plaines et y établirent leur demeure. Comme les autres craignaient fort d'habiter les plaines à cause du déluge[96] et hésitaient à la pensée de descendre des hauteurs, ils leur rendirent courage et leur persuadèrent de suivre leur exemple. La plaine où ils les établirent d'abord s'appelle Sennaar[97]. Dieu leur recommanda[98], s'ils se multipliaient, d'envoyer des colonies ailleurs, pour éviter les querelles mutuelles et de cultiver de grandes terres pour jouir de leurs fruits en abondance ; mais par aveuglement ils n'écoutèrent point Dieu, et, en conséquence, ils furent précipités dans des calamités qui leur firent sentir leur erreur. En effet, comme ils avaient une floraison nombreuse de jeunes gens, Dieu leur conseilla de nouveau de détacher une colonie ; mais eux, sans songer qu'ils tenaient leurs biens de la bienveillance divine, et attribuant à leur force personnelle l'origine de toute leur abondance, n'obéissaient pas. A leur désobéissance ils ajoutèrent même le soupçon que Dieu leur tendait un piège en les poussant à émigrer, afin que, divisés, il pût les maîtriser plus aisément.

2[99]. [113] Celui qui les exalta ainsi jusqu'à outrager et mépriser Dieu fut Nemrod (Nébrôdès)[100], petit-fils de Cham, fils de Noé, homme audacieux, d'une grande vigueur physique ; il leur persuade d'attribuer la cause de leur bonheur, non pas à Dieu, mais à leur seule valeur et peu à peu transforme l'état de choses en une tyrannie. Il estimait que le seul moyen de détacher les hommes de la crainte de Dieu[101], c'était qu'ils s'en remissent toujours à sa propre puissance. Il promet de les défendre contre une seconde punition de Dieu qui veut inonder la terre : il construira[102] une tour assez haute pour que les eaux ne puissent s'élever jusqu'à elle et il vengera même la mort de leurs pères[103].

3. [115] Le peuple était tout disposé à suivre les avis de Nemrod, considérant l'obéissance à Dieu comme une servitude ; ils se mirent à édifier la tour avec une ardeur infatigable, sans se ralentir dans leur travail ; elle s'éleva plus vite qu'on n'eût supposé, grâce à la multitude des bras. Mais elle était si formidablement massive que la hauteur en semblait amoindrie. On la construisait en briques cuites, reliées ensemble par du bitume pour les empêcher de s'écrouler. Voyant leur folle entreprise, Dieu ne crut pas devoir les exterminer complètement, puisque même la destruction des premiers hommes n’avait pu assagir leurs descendants ; mais il suscita la discorde parmi eux en leur faisant parler des langues différentes, de sorte que, grâce à cette variété d'idiomes, ils ne pouvaient plus se comprendre les uns les autres. L'endroit où ils bâtirent la tour s'appelle maintenant Babylone, par suite de la confusion introduite dans un langage primitivement intelligible à tous : les Hébreux rendent « confusion » par le mot babel[104]. La Sibylle fait aussi mention de cette tour et de la confusion des langues dans ces termes[105] : « Alors que tous les hommes parlaient la même langue, quelques-uns édifièrent une tour extrêmement haute, pensant s'élever par là jusqu'au ciel. Mais les dieux envoyèrent des ouragans, renversèrent la tour et donnèrent un langage spécial à chacun ; de là vient le nom de Babylone attribué à la ville ». Quant à la plaine appelée Sennaar en Babylonie, Hestiée en parle en ces termes : « Les prêtres qui échappèrent, emportant les objets sacrés de Zeus Enyalios[106], s'en vinrent en Sennaar de Babylonie ».

Chapitre V

Les descendant de Noé se répandent par toute la terre.

1[107]. [120] A partir de ce moment, ils se dispersent par suite de la diversité des langues[108] et fondent des colonies de toutes parts : chacun prenait le pays qui s'offrait à lui et où Dieu le conduisait[109], de sorte que tous les continents furent peuplés, tant à l'intérieur des terres qu'au bord de la mer ; il en est même qui traversèrent la mer sur des vaisseaux pour peupler les îles. Quelques-unes parmi les nations conservent encore les noms qui leur viennent de leurs fondateurs, d'autres les ont changés, d'autres encore les ont modulés pour les faire mieux entendre de ceux qui venaient s'établir chez eux. Ce sont les Grecs qui ont été les auteurs de ces changements. Devenus les maîtres à des époques ultérieures, ils ont voulu s'approprier même les gloires du passé, décorant les nations de noms qui leur fussent intelligibles et leur imposant leurs formes de gouvernement, comme si ces nations étaient issues d'eux-mêmes.

Chapitre VI

Chaque race reçoit son nom d’après son fondateur.

1. Peuples issus de Japheth. - 2. Peuples issus de Cham. - 3 Malédiction de Cham. - 4. Peuples issus de Sem. - 5. Origine des Hébreux.

1[110]. [122] Les enfants de Noé[111] eurent des fils qu'on honora en donnant leurs noms aux pays[112] où l'on venait s'établir. Japheth, fils de Noé, eut sept fils ; ils commencèrent à habiter depuis les monts Tauros et Amanos et s'avancèrent en Asie jusqu'au fleuve Tanaïs et en Europe jusqu'à Gadeïra (Cadix), occupant le territoire qu'ils rencontraient et où personne ne les avait précédés ; ils donnèrent leurs noms à ces contrées. Ceux que les Grecs appellent aujourd'hui Gaulois, on les nomma Gomariens, parce qu'ils avaient été fondés par Gomar(ès)[113]. Magog(ès) fonda les Magogiens, appelés ainsi de son nom, et que les Grecs nomment Scythes. Deux autres fils de Japheth, Javan(ès) et Mados[114], donnèrent naissance, celui-ci aux Madéens, - les Mèdes selon les Grecs, - celui-là à l'Ionie et à tous les Grecs. Thobel(os) fonde les Thobéliens, qu'on appelle aujourd'hui Ibères. Les Mosochènes, fondés par Mosoch(os)[115], s'appellent aujourd'hui Cappadociens ; de leur ancienne dénomination un vestige subsiste : ils ont encore une ville du nom de Mazaca, ce qui indique, pour qui comprend, que tel était autrefois le nom de tout le peuple. Thiras[116] donna son nom aux Thiriens, qu'il gouvernait ; les Grecs en ont fait les Thraces. Telles sont les nations fondées par les fils de Japheth. Gomar(ès) eut trois fils : Aschanaz(os) fonda les Aschanaziens, que les Grecs aujourd'hui appellent Réginiens (?) ; Riphath(ès) les Riphathéens, aujourd'hui Paphlagoniens ; Thorgam(ès)[117], les Thorgaméens, qu'il plut aux Grecs d'appeler Phrygiens. Javan, fils de Japheth, eut aussi trois fils : Élisas donna son nom aux Eliséens, qu'il gouvernait, - ils s'appellent aujourd'hui Eoliens ; Tharsos[118] aux Tharsiens ; c'était le nom antique de la Cilicie : la preuve en est que la plus importante de ses villes, qui en est la capitale, s'appelle Tarse, par le changement du Th en T. Chéthim(os)[119] eut l'île de Chéthima, aujourd'hui Cypre ; de là le nom de Chéthim donné par les hébreux à toutes les îles et à la plupart des contrées maritimes ; j’invoque en témoignage l’une des villes de Cypre qui a réussi à garder cette appellation ; ceux qui l'ont hellénisée l'ont appelée Kition, ce qui diffère à peine du nom de Chetim[120]. Telles sont les contrées possédées par les fils et les petits-fils de Japhet. Une chose que les Grecs ignorent sans doute et que j’ajoute avant de reprendre mon récit où je l'ai laissé, c'est que ces noms sont arrangés à la façon des Grecs, pour l'agrément de mes lecteurs ; dans notre pays, ils n’ont pas cette forme-là : leur structure et leur terminaison reste toujours semblable à elle-même ; ainsi Nôchos se dit Noé[121], et le nom conserve la même terminaison à tous les cas.

2. [130] Les enfants de Cham occupèrent les pays qui s'étendent depuis la Syrie et les monts Amanos et Liban jusqu'à la mer (Méditerranée) d'une part, et jusqu'à l'Océan de l'astre. Les noms de quelques-uns de ces pays se sont perdus tout à fait ; d'autres, altérés ou changés en d'autres noms sont méconnaissables ; peu se sont gardés intégralement. Des quatre fils de Cham, l'un, Chous(os), a vu son nom épargné par les siècles : les Éthiopiens, ses sujets, s'appellent eux-mêmes encore aujourd'hui et sont appelés par tout le monde en Asie Chouséens. Les Mestréens, eux aussi, ont vu leur nom demeurer, car nous appelons tous, dans ces pays, l'Égypte Mestré et les Égyptiens Mestréens. Phout(ès)[122] fonda la Libye et nomma de son nom les habitants Phoutiens. Il y a même un fleuve dans le pays des Maures qui a ce nom : plusieurs historiens grecs en font mention, ainsi que du pays qu'il baigne, la Phouté. Mais ce pays a changé de nom ; celui qu'il a aujourd'hui vient d'un des fils de Mestraïm[123], Libys[124] ; je dirai prochainement pourquoi on en est venu à l'appeler aussi Afrique. Chanaan(os)[125], quatrième fils de Cham, s'établit dans le pays qui est aujourd'hui la Judée ; il l'appela de son nom Chananée. Ces fils de Cham eurent des fils à leur tour. Chous en eut six : Sabas donna naissance aux Sabéens, Évilas aux Éviléens, les Gétules d'aujourd'hui ; Sabath(ès)[126] aux Sabathéniens, que les Grecs appellent Astabariens ; Sabacathas[127] aux Sabacathéniens ; Regmos[128] fonda les Regméens ; il eut deux fils : Joudad(as)[129] qui fonda les Joudadéens, peuple de l'Éthiopie occidentale, auxquels il donna son nom ; Sabéos les Sabéens. Nemrod, fils de Chous, resta parmi les Babyloniens, dont il fut le tyran, comme je l'ai déjà indiqué antérieurement. Mestraïm eut huit fils, qui occupèrent tous les pays qui s'étendent depuis Gaza jusqu'à l'Égypte; Phylistin(os) est le seul dont le pays ait conservé le nom ; les Grecs appellent, en effet, Palestine la part qui lui échut. Quant aux autres, Loudiim(os), Enémétiim(os) et Labiim(os)[130], qui seul s'établit en Libye et donna ainsi son nom à la contrée, Nédem(os)[131], Phéthrosim(os)[132], Chesloïm(os) et Chephthorim(os)[133], on ne sait rien d'eux, hormis leurs noms ; car la guerre éthiopienne dont nous parlerons plus tard[134] a ruiné leurs villes, Chanaan eut aussi des fils : Sidon, qui bâtit en Phénicie une ville, à laquelle il donna son nom et que les Grecs encore aujourd'hui nomment Sidon ; Amathous[135], qui bâtit Amathous, que ses habitants appellent encore aujourd'hui Amathe (Hamath) ; les Macédoniens l'ont appelée Épiphanie du nom d'un des épigones. Aroudaios eut l'île d'Arados[136] ; Arucéos[137] habitait Arcé dans le Liban. Des sept autres, Evéos, Chetlaios[138], Jebouséos, Amorréos, Gergéséos, signés dans les Saintes Écritures : les hébreux détruisirent leurs villes, et voici la raison de leurs malheurs.

3[139]. [140] Après le déluge, la terre étant revenue à sa nature primitive, Noé se mit à l’œuvre et y planta la vigne. Quand les fruits parvinrent à maturité, il les vendangea au moment opportun ; le vin étant prêt, il fit un sacrifice et se livra à de grands festins. Ivre, il s’endort et reste étendu dans un état de nudité indécente. Le plus jeune de ses fils l'aperçoit et le montre en raillant à ses frères ; ceux-ci enveloppent leur père d'une couverture. Noé, ayant appris ce qui s'était passé, fait des promesses de bonheur à ses deux fils aînés ; quant à Cham, à cause de sa parenté avec lui il ne le maudit pas, mais il maudit ses descendants. La plupart des fils de Cham échappèrent cependant à cette malédiction ; seuls les fils de Chanaan furent atteints par Dieu. C'est de quoi je parlerai par la suite.

4[140]. [143] Sem, le troisième fils de Noé, eut cinq fils, qui habitèrent l'Asie jusqu'à l'océan Indien, en commençant à partir de l'Euphrate. Élam(os) eut pour descendants les Élaméens, ancêtres des Perses. Assour(as) fonde la ville de Ninos et donne son nom a son peuple, les Assyriens, qui eurent une fortune exceptionnelle. Arphaxad(ès) nomma ses sujets Arphaxadéens ; ce sont les Chaldéens d'aujourd'hui. Aram(os) fut le chef des Araméens, que les Grecs appellent Syriens ; ceux qu'ils appellent aujourd'hui Lydiens étaient autrefois les Loudiens, fondés par Loud(as)[141]. Des quatre fils d'Aram(os), l'une Ous(os), fonde la Trachonitide et Damas, située entre la Palestine et la Cœlé-Syrie. Oul(os) fonde l'Arménie, Gather(os) les Bactriens, Mésas[142] les Mésanéens; leur ville s'appelle aujourd'hui Spasinou Charax. Arphaxadès fut père de Salès[143] et celui-ci d'Hébér(os). D'après son nom, les Judéens étaient appelé Hébreux dans le principe. Hébér fut père de Jouctas et de Phaléc(os), qui fut appelé ainsi parce qu'il naquit lors du partage des territoires : phalec, Hébreu, veut dire partage. Ce Jouctas, fils d'Hébér, eut pour fils Elmôdad(os), Saléph(os), Azermôth(ès)[144], Iraês[145], Adôram(os), Aizèl(os), Déclas, Ebal(os)[146], Abimaë(los), Sabeus, Ophairès, Evilalès, Jôbab(os). Ceux-ci, à partir du fleuve Côphen, habitent quelques parties de l'Inde et de la Sérique, qui y confine.
Voilà ce qu'on peut rapporter des enfants de Sem.

5[147]. [148] Je vais maintenant parler des Hébreux. Phalec, fils d'Hébér, eut pour fils Ragav(os)[148] ; de Ragav naquit Séroug(os), de Séroug Nachôr(ès), de Nachôr Tharros[149] ; celui-ci devint père d'Abram (Abramos)[150], qui est le dixième à partir de Noé et qui naquit 992 ans[151] après le déluge. Tharros fut père d'Abram à 70 ans ; Nachôr avait 120 ans quand il engendra Tharros et Séroug, 132 quand il eut Nachôr ; Ragav engendra Séroug à 130 ans ; Phalec avait le même âge quand il eut Ragav ; Hébér, à l'âge de 434 ans, engendra Phalec ; il était né lui-même de Salès quand celui-ci avait 130 ans. Salès naquit d'Arphaxad quand celui-ci était âgé de 135 ans; Arphaxad était fils de Sem et était né 12 ans après le déluge[152].
Abram eut des frères, Nachôr(ès) et Aran(ès). Aran laissa un fils, Lôt(os), et des filles, Sarra[153] et Melcha ; il mourut en Chaldée dans la ville d'Our dite des Chaldéens[154] ; on montre encore son sépulcre aujourd'hui. Nachôr épousa sa nièce Melcha, Abram sa nièce Sarra[155]. Tharros ayant conçu de l'aversion pour la Chaldée à cause de la mort d'Aran, ils vont tous s'établir à Charran en Mésopotamie ; Tharros y meurt ; on l'y enterre ; il avait vécu 205 ans. La durée de la vie des hommes se raccourcissait déjà ; elle diminua jusqu'à la naissance de Moïse, avec lequel la limite de l'existence fut fixée par Dieu à 120 ans ; c'est précisément l'âge que vécut Moïse[156], Nachôr[157] eut huit fils de Melcha, Oux(os), Baoux(os)[158], Mathouël(os)[159], Chazam(os)[160], Azav(os), Iadelphas, Iadaphas[161], Bathouël(os) : ce sont les fils légitimes de Nachôr. Tabéos[162], Gadam(os), Taavos et Machas[163] lui naquirent de sa concubine Rouma. Bathouël, un des fils légitimes de Nachôr, eut une fille, Rébecca, et un fils, Laban(os).

Chapitre VII

Comment Abram, notre ancêtre, sorti du pays des Chaldéens, occupa le pays qui s’appelait alors le Chananée, aujourd’hui la Judée.

1. Sagesse d'Abraham ; il s'établit en Canaan - 2. Témoignages païens sur Abraham.

1[164]. [154] Abram, n'ayant pas d'enfant légitime, adopte Lôt, fils d'Aran[165] son frère et frère de sa femme Sarra ; il quitte la Chaldée à l'âge de soixante-quinze ans ; Dieu lui ayant enjoint de se rendre en Chananée, il s'établit là et laissa le pays à ses descendants. Ce fut un homme d'une vive intelligence dans toutes les matières, sachant persuader ceux qui l'écoutaient et infaillible dans ses conjectures. Ces qualités exaltèrent son sentiment de supériorité morale et il entreprit de renouveler et de réformer les idées qu’on avait alors communément au sujet de la divinité. Le premier il osa montrer que Dieu, créateur de l'univers, est un ; quant à tous les autres êtres, tout ce qui de leur part vient contribuer à notre prospérité, ils l'accomplissent en vertu des décrets divins, et nullement en vertu d'une puissance propre. Ces conceptions lui sont inspirées par les révolutions de la terre et de la mer, par le cours du soleil et de la lune et tous les phénomènes célestes si tous ces corps avaient une puissance propre, ils sauraient pourvoir eux-mêmes à leur bon ordre ; que si cette puissance leur fait défaut, il apparaît que tous les avantages que ces corps nous procurent, ils n'ont pas en eux-mêmes la force de les produire, mais qu'ils n'agissent que par les ordres souverains d'un maître, auquel seul il convient d'adresser nos hommages et nos actions de grâce.
Ce furent ces idées précisément qui soulevèrent contre lui les Chaldéens et les autres peuples de la Mésopotamie ; il crut donc bon d'émigrer[166] et, avec la volonté et l'appui de Dieu, il occupa le pays de Chananée[167]. Établi là, il bâtit un autel et offrit un sacrifice à Dieu.

2. [158] Bérose fait mention de notre ancêtre Abram sans le nommer ; il en parle en ces termes : « Après le déluge, dans la dixième génération, il y eut chez les Chaldéens un homme juste, illustre et versé dans la connaissance des choses célestes[168] ». Hécatée, lui, fait plus que de le mentionner : il a laissé tout un livre, composé sur lui[169]. Nicolas de Damas, dans le quatrième livre de ses Histoires, s'exprime ainsi : « Abram(ès) régna à Damas ; il était venu en conquérant avec une armée de la contrée située au-dessus de Babylone, appelée Chaldée. Peu de temps après, il quitta également cette contrée avec tout son peuple et se fixa dans la Judée d'aujourd'hui, qu'on appelait alors Chananée : c'est là qu'il habita ainsi que ses descendants qui s'y multiplièrent et dont je raconterai l'histoire ailleurs. Le nom d'Abram est encore célébré aujourd'hui dans la Damascène ; on y montre un village qui s'appelle en souvenir de lui demeure d'Abram[170] ».

Chapitre VIII

Une famine sévissant en Chananée, Abram part en Égypte, et, y ayant séjourné quelque temps, retourne dans son pays.

1. - Abraham en Égypte. - 2. Il communique sa science aux Égyptiens. - 3. Son partage avec Lôt.

1[171]. [161] Quelque temps plus tard, une famine sévissant en Chananée, Abram, informé de la prospérité des Égyptiens, eut envie de se rendre chez eux pour profiter de leur abondance et pour entendre ce que leurs prêtres disaient des dieux ; s'il trouvait leur doctrine meilleure que la sienne, il s'y conformerait ; au contraire, il corrigerait leurs idées, si les siennes valaient mieux. Comme il emmenait Sarra et qu'il craignait la frénésie dont les Égyptiens font preuve à l'égard des femmes, pour empêcher que le roi ne le fit périr à cause de la beauté de son épouse, il imagina l'artifice suivant il feignit d'être son frère et, disant que leur intérêt l'exigeait, lui apprit à jouer son rôle. Quand ils arrivèrent en Égypte, tout se passa pour Abram comme il l'avait prévu ; la beauté de sa femme fut partout vantée ; aussi Pharaôthès[172], roi des Égyptiens, ne se contenta pas de l'entendre célébrer ; il désira vivement la voir et fut sur le point de s'emparer d'elle. Mais Dieu fait obstacle à cette passion coupable par une peste et des troubles politiques. Comme il sacrifiait pour savoir le remède à employer, les prêtres lui déclarèrent[173] que celte calamité était l'effet de la colère divine, parce qu'il avait voulu faire violence à la femme de son hôte. Terrifié, il demanda à Sarra qui elle était et qui l'accompagnait. Il apprit la vérité et alla s'excuser auprès d'Abram : c'est dans la supposition qu'elle était sa sœur et non sa femme qu'il s'était occupé d'elle ; il avait voulu contracter une alliance avec lui et non pas lui faire injure dans l'emportement de la passion. Puis il lui donne de grandes richesses et le fait entrer en relation avec les plus savants d'entre les Égyptiens ; sa vertu  et sa réputation trouvèrent là une occasion de briller davantage.

2. [166] En effet, comme les Égyptiens avaient différentes manières de vivre et se moquaient mutuellement de leurs propres usages, de sorte que leurs rapports étaient fort tendus, Abram s'entretenant avec chacun d'eux et examinant les arguments qu'ils faisaient valoir en faveur de leurs opinions particulières, leur en montra clairement l'inanité et le manque absolu de fondement. Très admiré par eux dans leurs réunions comme un homme extrêmement intelligent et fort habile non seulement à concevoir, mais aussi à con-vaincre ceux qu'il tentait d'instruire, il leur fait connaître l'arithmétique et leur transmet ses notions en astronomie[174], car avant l’arrivée d’Abram, les Égyptiens étaient dans l’ignorance de ces sciences : elles passèrent donc des Chaldéens à l’Égypte, pour parvenir jusqu’aux Hellènes.

3[175]. [169] Revenu en Chananée, il partage le pays avec Lôt, car leurs bergers se querellaient à propos de terrains de pâture, mais il laissa choisir Lôt à son gré. Ayant pris la vallée que l’autre lui abandonne, il vient habiter la ville de Nabrô (Hébron) : elle est plus ancienne de sept ans que Tanis en Égypte. Quant à Lôt, il occupait le pays vers la plaine et le fleuve Jourdain, non loin de la ville des Sodomites, alors florissante, aujourd’hui anéantie par la volonté divine ; j’en indiquerai la raison en son lieu.

Chapitre IX

Défaite des Sodomites, attaqués par las Assyriens.

Guerres des Sodomites et des Assyriens ; Lôt prisonnier[176].

[171] A cette époque où les Assyriens étaient maîtres de l’Asie, les Sodomites se trouvaient dans une situation florissante ; leurs richesses étaient considérables[177], et leur jeunesse nombreuse ; des rois, au nombre de cinq, gouvernaient le pays : Balac(os)[178], Baléas[179], Synabar(ès)[180], Symobor(os)[181] et le roi Balènôn[182] ; chacun avait sa part de royaume à gouverner. Les Assyriens marchèrent contre eux et, divisant leur armée en quatre corps, les assiégèrent ; un chef était placé à la tête de chacun de ces corps. Un combat a lieu, les Assyriens vainqueurs imposent tribut aux rois des Sodomites. Pendant douze ans ils restèrent soumis et payèrent patiemment les tributs qu'on leur imposa, mais, la treizième année, ils se soulevèrent ; une armée d'Assyriens marcha contre eux sous les ordres d’Amarapsidès[183], d'Arioucb(os), de Chodolamôr(os)[184] et de Thadal(os)[185]. Ceux-ci ravagèrent toute la Syrie et domptèrent les descendants des Géants ; arrivés dans le pays de Sodome, ils campent dans la vallée appelée les Puits de Bitume[186]. A cette époque-là, en effet, il y avait des puits dans cet endroit ; maintenant que la ville des Sodomites a disparu, cette vallée est devenue le lac Asphaltite ; quant à ce lac, nous aurons bientôt à en reparler. Les Sodomites en vinrent donc aux mains avec les Assyriens et le combat fut acharné : beaucoup périrent, le reste fut fait prisonnier : on emmena, entre autres, Lôt qui était venu combattre en allié des Sodomites.

Chapitre X

Abram, ayant marché contre les Assyriens, les défait, délivre les prisonniers sodomites et reprend le butin que l’ennemi avait emporté.

1. Victoire d'Abraham sur les Assyriens. - 2. Rencontre avec Melchisédech. -3. Promesses de Dieu à Abraham. - 4. Agar et Ismaël. - 5. Naissance d'Isaac. La circoncision.

1[187]. [176] Abram, à la nouvelle de leur défaite, éprouva de la crainte pour Lôt, son parent, et de la pitié pour les Sodomites, ses amis et ses voisins. Avant résolu de leur porter secours, sans différer, il se met en route, atteint la cinquième nuit les Assyriens près de Dan(os) (tel est le nom d’une des deux sources du Jourdain), les surprend avant qu'ils se mettent en armes ; ceux qui se trouvaient au lit, il les tue sans qu’ils se rendent compte de ce qui se passe ; et ceux qui ne s'étaient pas encore livrés au sommeil[188], mais que l'ivresse rendait incapables de combattre, prennent la fuite. Abram les poursuit, les serre de près jusqu'au jour suivant, où il les refoule dans Ob, du pays des Damascéniens ; ce succès fit voir que la victoire ne dépend pas du nombre ni de la multitude des bras, mais que l'ardeur résolue des combattants et leur valeur à raison du nombre, puisque c'est avec trois cent dix-huit de ses serviteurs et trois amis qu'Abram vint à bout d'une si grande armée. Tous ceux qui purent s'échapper s'en retournèrent sans gloire.

2. [179] Abram, ayant délivré les captifs Sodomites qui avaient été pris par les Assyriens, ainsi que son parent Lôt, s'en revint en paix. Le roi des Sodomites vint à sa rencontre dans l’endroit qu'on appelle Plaine royale. Là, le roi de Solyme, Melchisédech(ès), le reçoit ; ce nom signifie roi juste[189] ; il était, en effet, réputé tel partout : c'est même pour cette raison qu'il devint prêtre de Dieu ; quant à cette Solyma, elle s’appela ultérieurement Hiérosolyma[190] (Jérusalem). Ce Melchisédech traita avec hospitalité l'armée d'Abram, pourvut avec abondance à tous leurs besoins et, au milieu du festin, se mit à faire l'éloge d'Abram et à rendre grâce à Dieu d'avoir livré les ennemis entre ses mains. Abram lui offrit la dîme du butin, et il accepta ce cadeau. Quant au roi des Sodomites, il consentit à ce qu'Abram emportât le butin ; mais il désirait emmener ceux de ses sujets qu'Abram avait sauvés des mains des Assyriens. Abram lui dit qu'il n'en ferait rien et qu'il n'emporterait d'autre avantage ce butin que les provisions de bouche nécessaires à ses serviteurs ; cependant il offrit une part à ses amis qui avaient combattu avec lui : ils s'appelaient, le premier, Eschôl(ès), les autres, Ennèr(os)[191] et Mambrès.

3. [183] Dieu loua sa vertu : « Tu ne perdras pas, dit-il, la récompense que tu mérites pour ces belles actions ». Et comme il demandait quel serait le bienfait d'une telle récompense, s'il n'y avait personne pour la recueillir après lui (car il était encore sans enfant), Dieu lui annonce qu'un fils lui naîtra dont la postérité sera si grande que l'on en comparera le nombre à celui des étoiles. Après avoir entendu ces paroles, Abram offre un sacrifice à Dieu sur son ordre. Voici comment ce sacrifice eut lieu : il se composait d'une génisse de trois ans, d'une chèvre de trois ans et d’un bélier du même âge, d'une tourterelle et d'une colombe ; Abram reçut l'ordre de les diviser en morceaux, sauf les oiseaux qu'il ne divisa pas. Ensuite[192], avant l'érection de l'autel, comme les oiseaux tournoyaient, attirés par le sang, une voix divine se fit entendre, annonçant que ses descendants auraient de méchants voisins pendant quatre cents ans en Egypte, qu'après y avoir souffert extrêmement, ils triompheraient de leurs ennemis, vaincraient à la guerre les Chananéens et prendraient possession de leur pays et de leurs villes.

4[193]. [186] Abram habitait près du chêne appelé Ogygé[194], - c'est un endroit de la Chananée, non loin de la ville des Hébroniens -. Affligé de la stérilité de sa femme, il supplie Dieu de lui accorder la naissance d'un enfant mâle. Dieu l'engage à se rassurer ; c'est pour son bonheur en toute chose qu'il lui a fait quitter la Mésopotamie et, de plus, des enfants lui viendront. Sarra, sur l'ordre de Dieu, lui donne alors pour concubine une de ses servantes, nommée Agar(é), de race égyptienne, afin qu'il en ait des enfants. Devenue enceinte, cette servante osa prendre des airs d'insolence envers Sarra, faisant la reine parce que le pouvoir devait être attribué au rejeton qui naîtrait d'elle. Abram l'ayant remise à Sarra pour la châtier, elle résolut de s'enfuir, incapable d'endurer ses humiliations et pria Dieu de la prendre en pitié. Tandis qu'elle va à travers le désert, un envoyé divin vient à sa rencontre, l'exhorte à retourner chez ses maîtres sa condition sera meilleure, Si elle fait preuve de sagesse, car présentement, c'était son ingratitude et sa présomption à l'égard de sa maîtresse qui l'avaient conduite à ces malheurs. Si elle désobéissait à Dieu en poursuivant son chemin, elle périrait ; mais si elle rebroussait chemin, elle deviendrait mère d'un enfant, futur roi de ce pays. Ces raisons la convainquent, elle rentre chez ses maîtres, et obtient son pardon ; elle met au monde, peu après, Ismaël(os) : ce nom peut se rendre exaucé par Dieu, à cause de la faveur avec laquelle Dieu avait écouté sa prière.

5[195]. [191] Abram avait atteint sa quatre-vingt-sixième année, quand ce premier fils lui naquit ; quand il eut quatre-vingt-dix-neuf ans, Dieu lui apparut pour lui annoncer qu'il aurait également un fils de Sarra ; il lui ordonne de l'appeler Isac(os), lui révèle que de grands peuples et des rois sortiront de lui, qu’après des guerres, ils occuperont la Chananée tout entière depuis Sidon jusqu'à l'Egypte. Il lui prescrivit aussi, pour que sa race ne se mêle pas avec les autres[196] de pratiquer la circoncision et cela, le huitième jour après la naissance. Quant à la raison de notre pratique de la circoncision, je l'indiquerai ailleurs[197]. Comme Abram s'informait aussi d'Ismaël, demandant s'il vivrait, Dieu lui fit savoir qu'il deviendrait très âgé et serait le père de grandes nations. Abram en rendit grâce à Dieu et se circoncit aussitôt, ainsi que tous les siens et aussi son fils Ismaël, qui eut ce jour-là treize ans, tandis que lui-même accomplissait sa quatre-vingt-dix-neuvième année.

Chapitre XI

Comment Dieu anéantit la race des Sodomites, dont les péchés avaient excité sa colère.

1. Impiété des Sodomites. - 2. Abraham et les anges. - 3. Les anges à Sodome. – 4. Destruction de Sodome. - 5. Lôt et ses fils, Moab et Ammon.

1. [194] A la même époque, les Sodomites, tout fiers de leur nombre et de l'étendue de leurs richesses, se montraient arrogants envers les hommes et impies à l'égard de la divinité[198], si bien qu'ils ne se souvenaient plus des bienfaits qu'ils en avaient reçus ; ils haïssaient les étrangers[199] et fuyaient toute relation avec autrui. Irrité de cette conduite[200] Dieu décida de châtier leur insolence, de détruire leur ville et d'anéantir le pays au point qu'aucune plante, aucun fruit n'en pût naître désormais.

2[201]. [196] Après que Dieu eut rendu ce jugement contre les Sodomites, Abram, étant assis auprès du chêne de Mambré, devant la porte de sa cour, aperçut un jour trois anges : s'imaginant que c'étaient des étrangers, il se leva, les salua, et les invita à entrer chez lui pour jouir de son hospitalité. Ceux-ci acceptèrent, et il fit préparer sur-le-champ du pain de fleur de farine ; il immola un veau, qu'il fit rôtir et porter à ses hôtes, attablés sous le chêne ; ceux-ci lui donnèrent à croire qu'ils mangeaient[202]. Ils s'informèrent aussi de sa femme et demandèrent où était Sarra ; comme il leur dit qu'elle était dans la maison, ils assurèrent qu'ils reviendraient un jour et la trouveraient mère. La femme sourit à ces mots[203] et se dit impropre à la maternité puisqu'elle avait quatre-vingt-dix ans et son mari cent ; alors ils cessèrent de dissimuler et révélèrent qu'ils étaient des messagers de Dieu, que l'un d'entre eux était envoyé pour annoncer l'enfant et les deux autres[204] pour anéantir les Sodomites.

3. [199] A cette nouvelle, Abram plaignit les Sodomites ; il se leva et fit une prière à Dieu, le suppliant de ne point faire périr les justes et les bons avec les méchants. Dieu lui répondit qu'aucun Sodomite n'était bon, que, s'il s'en trouvait dix, il remettrait à tous le châtiment de leurs crimes. Là-dessus, Abram se tut. Les anges[205] arrivèrent dans la ville des Sodomites, et Lôt leur offrit l'hospitalité, car il était fort bienveillant pour les étrangers et avait pris pour exemple la bonté d'Abram[206]. Les Sodomites, ayant aperçu ces jeunes hommes d'une remarquable beauté que Lôt avait fait descendre chez lui, complotèrent de faire violence à leur jeunesse. Lôt les conjure de se contenir, de ne point déshonorer leurs hôtes, mais de respecter leur séjour chez lui ; s'ils ne pouvaient maîtriser leur passion, il leur livrerait plutôt ses propres filles, disait-il, pour racheter ces jeunes gens ; mais cela même ne les fit pas céder.

4[207]. [202] Dieu, indigné de leur audace, aveugla les criminels de manière qu'ils ne purent trouver l'entrée de la demeure de Lôt, et il décida la perte de tout le peuple des Sodomites, Lôt, à qui Dieu annonce la ruine prochaine des Sodomites, part en emmenant sa femme et ses deux filles, qui étaient vierges ; quant à leurs prétendants, ils se moquaient de ce départ et traitaient de niaiserie ce que Lôt leur disait. Alors Dieu lance ses traits sur la ville et la brûle avec ses habitants, anéantissant tout le pays dans un même embrasement, comme je l'ai rapporté antérieurement dans mon récit de la guerre judaïque[208]. La femme de Lôt, pendant la fuite, ne cessant de se retourner vers la ville et de regarder indiscrètement ce qui s'y passait malgré la défense expresse de Dieu, fut changée en une colonne de sel ; j'ai vu cette colonne qui subsiste encore aujourd'hui[209]. Lôt s'enfuit seul avec ses filles et va occuper un petit endroit resté intact au milieu des ravages du feu ; il porte encore le nom de Zoôr[210] : les hébreux appellent ainsi ce qui est petit. Il y vécut misérablement par suite de l'absence d'habitants et du manque de ressources.

5[211]. [205] Ses filles, croyant que tout le genre humain avait péri, s'unissent à leur père en prenant garde de ne pas se laisser voir ; elles agissaient ainsi, afin que la race ne s'éteignit pas. Des enfants leur naissent : l'aînée eut Môab(os), qu'on pourrait traduire du père[212]. La seconde met au monde Amman(os) ; ce mot signifie fils de la race[213]. Le premier fonde les Moabites, qui forment aujourd'hui encore une très grande nation ; le second, les Ammanites. Ces deux peuples appartiennent à la Cœlé-Syrie. Telles furent les circonstances dans lesquelles Lôt se sépara des Sodomites.

Chapitre XII

D’Ismaël, fils d’Abram, et de ses descendants, les Arabes

1. Abraham chez Abimélech - 2. Naissance et circoncision d'Isaac. - 3. Expulsion d'Agar. - 4. Prospérité d'Ismaël.

1[214]. [207] Abram émigra à Gérare en Palestine, accompagné de Sarra, qu'il faisait passer pour sa sœur ; c'était le même subterfuge que naguère, inspiré par la crainte, car il redoutait Abimélech, roi de ce territoire, qui, lui aussi, épris de Sarra, était capable de violence. Mais sa passion fut dérangée par une grave maladie dont Dieu l'accabla ; déjà les médecins désespéraient de lui, quand il eut un songe et vit qu’il ne devait pas outrager la femme de son hôte ; se sentant mieux, il déclare à ses amis que Dieu lui inflige cette maladie pour défendre les droits de son hôte et garder la femme de celui-ci à l'abri de toute violence (car ce n'était pas sa sœur qu’il avait emmenée, mais sa femme légitime), et que Dieu lui promet          dorénavant sa clémence, si Abram est rassuré au sujet de sa femme. Cela dit, il mande Abram, sur le conseil de ses amis, et l'exhorte à ne plus craindre pour sa femme aucune tentative déshonnête, car Dieu prenait souci de lui et, conformément à l'alliance qu'il avait conclue, il la lui rendrait inviolée. Prenant à témoin Dieu et la conscience de Sarra, il déclara qu'il ne l'aurait même pas recherchée au début s'il l'avait sue mariée ; croyant prendre la sœur d'Abram, il n'avait point mal agi. Il le prie, en outre, de lui montrer de la bienveillance et de lui concilier la faveur divine : s'il désirait demeurer chez lui, il lui fournirait tout en abondance ; s'il préférait partir, il lui accorderait une escorte et tout ce qu'il était venu chercher chez lui. A ces mots, Abram répond qu'il n'a pas menti en alléguant sa parenté avec sa femme, car elle était l'enfant de son frère, et, sans le subterfuge dont il avait usé, il aurait cru manquer de sécurité durant son voyage. Il n'était pas responsable de la maladie du roi, il souhaitait ardemment sa guérison et se déclarait prêt à demeurer chez lui. Alors[215] Abimélech lui attribue une part de son pays et de ses richesses ; ils conviennent ensemble de gouverner loyalement et prêtent serment au-dessus d'un puits qu'ils nomment Bersoubai[216], c'est-à-dire le puits du serment : c'est encore le nom que lui donnent aujourd'hui les habitants.

2[217]. [213] Abram, peu de temps après, eut également un fils de Sarra, ainsi qu'il lui avait été annoncé par Dieu ; il l'appela Isac[218], ce qui signifie rire ; il lui donna ce nom parce que Sarra avait souri quand Dieu lui eut dit qu'elle enfanterait, elle qui ne s'attendait pas à devenir enceinte à son âge ; elle avait, en effet, quatre-vingt-dix ans et Abram cent. Leur enfant naît donc l'année après (la prédiction des anges)[219] ; on le circoncit le huitième jour. De là vient la coutume pour les Hébreux de pratiquer la circoncision après huit jours ; les Arabes attendent la treizième année, car Ismaël leur ancêtre, qui naquit d'Abram par la concubine, fut circoncis à cet âge : je vais présenter à son sujet les détails les plus précis.

3. [215] Sarra, au début, chérissait cet Ismaël, né de sa servante Agar, avec toute la tendresse qu'elle eût témoignée à son propre fils ; on l'élevait, en effet, pour succéder au commandement ; mais quand elle eut mis au monde Isac, elle ne crut pas devoir élever avec lui Ismaël, qui était l'aîné et pouvait lui nuire après que leur père serait mort. Elle persuade donc à Abram de l'envoyer s'établir ailleurs avec sa mère. Mais lui, dans le principe, ne donnait pas son adhésion aux projets de Sarra ; il estimait qu'il n'y avait rien de si inhumain que de congédier un enfant en bas âge et une femme dénuée de toutes les ressources nécessaires à la vie. Mais plus tard, - aussi bien Dieu approuvait-il les desseins de Sarra -, il cède, remet Ismaël à sa mère, car il ne pouvait encore cheminer tout seul, et la congédie, avec une outre pleine d'eau et un morceau de pain ; la nécessité lui servirait de guide. Elle s'en fut et quand le nécessaire vint à manquer, elle se trouva dans une situation cruelle ; comme l'eau s'épuisait, elle posa son enfant mourant sous un pin et, pour n'être pas là quand il rendrait l'âme, elle alla un peu plus loin. Un ange de Dieu la rencontre, lui indique une source dans le voisinage et lui recommande de veiller à la nourriture de son enfant ; car le salut d'Ismaël serait pour elle la source de grands biens. Elle reprend courage à ces promesses, et rencontre des bergers dont la sollicitude la tire de peine. 

4[220]. [220] Quand son enfant eut atteint l'âge d'homme, elle lui fit prendre une femme de cette race égyptienne dont elle était elle-même originaire : Ismaël eut de cette femme en tout douze fils : Nabaïôth(ès), Kédar(os), Abdéel(os)[221], Massam(as)[222], Idoum(as)[223], Masmas(os)[224], Massès[225], Chodad(os)[226], Théman(os), Jétour(os), Naphais(os), Kedmas(os)[227]. Ceux-ci occupent tout le pays qui s'étend depuis l’Euphrate jusqu'à la mer Erythrée et qu'ils appelèrent Nabatène. Ce sont eux dont les tribus de la nation arabe ont reçu les noms en l'honneur de leurs vertus et en considération d'Abram.

Chapitre XIII

D’Isac, fils légitime d’Abram

1. Dieu ordonne à Abraham le sacrifice d'Isaac. - 2. Préparatifs du sacrifice. - 3. Discours d'Abraham. - 4. Isaac sauvé. Bénédiction de Dieu.

1[228]. [222] Isac était aimé par-dessus tout de son père Abram, comme un fils unique qu'il avait eu sur le seuil de la vieillesse, par une faveur de Dieu. De son côté, l'enfant méritait cette tendresse et se faisait chérir de plus en plus de ses parents en pratiquant toutes les vertus, en montrant une piété filiale assidue et beaucoup de zèle dans le culte de Dieu. Abram mettait tout son bonheur à laisser un fils florissant après qu'il aurait fini de vivre. Cependant voici ce qui lui arriva par la volonté divine : comme Dieu voulait faire l'épreuve de sa piété envers lui, il lui apparut, lui énuméra tous les bienfaits dont il l'avait comblé, lui parla de la supériorité qu'il lui avait conférée sur ses ennemis, de sa félicité présente qu'il devait à la bienveillance divine et de la naissance de son fils Isac ; il lui demanda de lui offrir ce fils en sacrifice et en victime et lui ordonna de l'amener sur le mont Môrion[229] pour en faire un holocauste après avoir élevé un autel  ainsi seulement il témoignerait de sa piété envers lui, si le salut de son enfant lui importait moins que le souci d'être agréable à Dieu.

2. [225] Abram, estimant que rien ne justifiait une désobéissance à Dieu et qu'il fallait le servir en tout, puisque c'est sa providence qui fait vivre tous ceux qu'il protège, dissimule à sa femme l'ordre de Dieu et ses propres desseins au sujet de l'immolation de son fils ; sans en rien découvrir à personne de sa maison[230], car on eût pu l'empêcher d'obéir à Dieu, il prend Isac avec deux serviteurs, et, ayant chargé sur un âne les objets nécessaires au sacrifice, il se met en route vers la montagne. Deux jours, les serviteurs firent route avec lui ; le troisième jour, quand la montagne fut en vue, il laissa dans la plaine ses compagnons, et s'avança avec son fils seul sur la hauteur où le roi David bâtit plus tard le temple[231].
Ils portaient avec eux tout ce qu'il fallait pour le sacrifice, hormis la victime. Comme Isac, qui avait vingt-cinq ans, édifiait l'autel et demandait ce qu'on allait immoler puisqu'il n'y avait pas là de victime, Abram lui dit que Dieu y pourvoirait, car il avait le pouvoir de procurer aux hommes ce qui leur manquait et de dépouiller de leurs biens ceux qui s'en croyaient assurés : il lui donnerait donc aussi une victime, s'il devait accueillir favorablement son sacrifice.

3. [228] Lorsque l'autel fut prêt, qu'il y eut disposé les morceaux de bois et que tout fut dans un bel ordre, il dit à son fils : « Mon enfant, dans mille prières, j'ai demandé ta naissance à Dieu ; après que tu es venu au monde, il n'est aucune peine que je ne me sois donnée pour ton éducation, rien qui me parût plus heureux que de te voir parvenir à l'âge d'homme et te laisser en mourant héritier de mon pouvoir. Mais, puisque c'est la volonté de Dieu qui m'a fait ton père, et qu’il lui plaît maintenant que je te perde, supporte vaillamment le sacrifice ; c'est à Dieu que je te cède, à Dieu qui a voulu avoir de moi ce témoignage de vénération en retour de la bienveillance avec laquelle il s'est montré mon appui et mon défenseur. Puisque tu as été engendré d'une façon peu commune[232], tu vas aussi quitter la vie d'une façon peu ordinaire ; c'est ton propre père qui t'envoie d'avance à Dieu, père de toutes choses, selon les rites du sacrifice ; il n'a pas, je crois, jugé à propos que la maladie ni la guerre, ni aucun des fléaux qui assaillent naturellement les hommes, t'enlève à la vie : c'est au milieu de prières et de cérémonies sacrées qu'il recueillera ton âme et qu'il la gardera près de lui ; tu seras pour moi un protecteur et tu prendras soin de ma vieillesse - car c'est surtout vers cette fin que je t'ai élevé -, mais au lieu de toi, c'est Dieu dont tu me procureras l'appui[233]. »

4. [232] Isac - d'un tel père il ne pouvait naître qu'un fils magnanime - accueille avec joie ces paroles et s'écrie qu'il ne mériterait pas même d'être venu au monde, s'il voulait s'insurger contre la décision de Dieu et de son père et ne pas se prêter docilement à leur volonté à tous deux, alors que, son père seul eût-il pris cette résolution, il eût été impie de ne point s'y soumettre ; il s'élance donc vers l'autel et la mort. Et l'acte s'accomplissait, si Dieu n’eût été là pour l'empêcher ; il appelle Abram par son nom et lui défend d'immoler son fils : ce n'était pas le désir de sang humain, lui dit-il, qui lui avait fait ordonner le meurtre de son fils et il ne l'avait pas rendu père pour le lui enlever avec cette cruauté, il ne voulait qu'éprouver ses sentiments et voir si même de pareils ordres le trouveraient docile. Sachant maintenant l'ardeur et l'élan de sa piété, il était satisfait de tout ce qu'il avait fait pour lui, et il ne cesserait jamais de veiller de toute sa sollicitude sur lui et sur sa race ; son fils atteindrait un âge avancé et, après une vie de félicité, transmettrait à une postérité vertueuse et légitime une grande puissance. Il lui prédit aussi que leur race donnerait naissance à de grandes et opulentes nations dont les chefs auraient une renommée éternelle, et qu'ayant conquis par les armes la Chananée, ils deviendraient un objet d'envie pour tous les hommes. Après avoir ainsi parlé, Dieu fit sortir d'un lieu invisible un bélier pour le sacrifice ; quant à eux, se retrouvant ensemble contre toute espérance, après avoir entendu ces magnifiques promesses, ils s'embrassèrent, et, une fois le sacrifice accompli, s'en retournèrent auprès de Sarra, et menèrent une vie heureuse, car Dieu les assistait dans toutes leurs entreprises.

Chapitre XIV

Mort et sépulture de Sara.

[237] Sarra[234], peu de temps après, meurt à l'âge de cent vingt-sept ans. On t'enterre à Hébron ; les Chananéens offraient de lui donner la sépulture publique, mais Abram acheta la terre pour quatre cents sicles à un certain Ephraïm(os)[235] de Hébron. C'est là qu'Abram et ses descendants bâtirent leurs tombeaux.

Chapitre XV

Prospérité d'Abraham et de Chetoura.

[238] Abram[236] épouse plus tard Chetoura, qui lui donne six fils d'une grande vigueur au travail et d’une vive intelligence : Zambran(ès)[237], Jazar(ès)[238], Madan(ès), Madian(ès), Lousoubac(os)[239], Soùos[240]. Ceux-ci engendrèrent aussi des enfants : de Soùos[241] naissent Sabakan(ès)[242] et Dadan(ès)[243] et de celui-ci Latousim(os), Assouris et Lououris[244]. Madan[245] eut Ephâs, Ophrès[246], Anôch(os), Ebidâs[247], Eldâs[248]. Tous, fils et petits-fils, allèrent, à l'invitation d'Abram, fonder des colonies ; ils s'emparent de la Troglodytide et de la partie de l'Arabie heureuse qui s'étend vers la mer Erythrée. On dit aussi que cet Ophren fit une expédition contre la Libye, s'en empara et que ses descendants s'y établirent et donnèrent son nom au pays qu'ils appelèrent Afrique. Je m'en réfère à Alexandre Polyhistor, qui s'exprime ainsi[249] : « Cléodème le prophète, surnommé Malchos, dans son histoire des Juifs, dit, conformément au récit de Moïse, leur législateur, que Chetoura donna à Abram des fils vigoureux. Il dit aussi leurs noms ; il en nomme trois : Aphéras, Sourîm, Japhras. Sourîm donna son nom à l'Assyrie, les deux autres, Aphéras et Japhras, à la ville d'Aphra et à la terre d'Afrique. Ceux-ci auraient combattu avec Hercule contre la Libye et Antée ; et Hercule, ayant épousé la fille d'Aphra, aurait eu d'elle un fils Didôros, duquel naquit Sophôn ; c'est de lui que les Barbares tiennent le nom de Sophaques ».

Chapitre XVI

1. Abraham envoie demander la main de Rébecca pour Isaac. - 2. La scène du puits. - 3. Mariage d'Isaac.

1[250]. [242] Quand Isac eut environ quarante ans, Abram, ayant décidé de lui donner pour femme Rébecca, fille du fils de Nachôr[251], son frère, envoie pour la demander en mariage le plus ancien de ses serviteurs après l'avoir lié par de solennels serments. Ces serments se font de la façon suivante : les contractants se mettent réciproquement la main sous la cuisse ; ensuite ils invoquent Dieu comme témoin de leurs actes à venir. Il envoya également aux gens de là-bas des présents que leur rareté ou l'impossibilité absolus de les avoir rendait inestimables. Ce serviteur resta longtemps en route, vu la difficulté qu'on avait à traverser la Mésopotamie, en hiver, à cause des boues profondes, en été, à cause de la sécheresse ; en outre, elle était infestée de voleurs, qu'il était difficile aux voyageurs d'éviter, quand ils n'avaient pas pris leurs précautions. Il arrive enfin à la ville de Charran et, comme il en atteignait le faubourg, il rencontre plusieurs jeunes filles qui allaient puiser de l'eau. Alors il demande à Dieu que Rébecca, celle qu'Abram l'avait envoyé demander en mariage pour son fils, s'il lui plaisait que ce mariage s'accomplit, se trouvât parmi ces jeunes filles et qu'elle se fit connaître à lui en lui donnant à boire, tandis que les autres refuseraient.

2. [246] Au milieu de ces pensées, il arrive près du puits et il prie les jeunes filles de lui donner à boire ; celles-ci refusent, prétextant qu'elles devaient apporter l'eau à la maison et non pas la lui donner, car elle n'était pas facile à puiser ; une seule les réprimande de leur malveillance à l'égard de l'étranger : comment jamais partager la vie des hommes, quand elles ne consentaient même pas à partager un peu d'eau ? Et elle lui en offre avec bonté. Celui-ci, plein d'espérance pour toute sa mission, mais désireux de savoir la vérité, se met à vanter la jeune fille pour sa noblesse et son bon cœur, elle qui, au prix de ses propres fatigues, ne laissait pas de secourir ceux qui l'invoquaient ; il lui demande quels étaient ses parents, fait des vœux pour qu'une telle enfant leur fasse honneur et profit : « Puissent-ils la marier, dit-il, à leur gré, en la faisant entrer dans la famille d'un homme vertueux à qui elle donnera des enfants légitimes ! » La jeune fille ne lui refusa pas non plus cette satisfaction et elle lui révéla quelle était sa famille. « Rébecca, dit-elle, est mon nom ; mon père était Bathouël : il est mort[252], mais Laban est notre frère et il dirige toute la maison avec ma mère et prend soin également de ma jeunesse ».
A ces mots, le serviteur se réjouit de cet incident et de cette conversation, preuve manifeste que Dieu l'avait secondé dans son voyage. Il présente à Rébecca un collier et de ces parures qui conviennent aux jeunes filles, les offrant en retour et en récompense de la grâce qu'elle lui avait faite de lui donner à boire : il lui dit qu'il était juste qu'elle obtînt ces présents pour s'être montrée généreuse, seule de toutes ces jeunes filles. Il lui demande aussi de le mener chez elle, la nuit lui interdisant de poursuivre sa route, et comme il avait avec lui des parures de femme d'un grand prix, il disait qu'il ne pouvait se confier à des gens plus sûrs qu'à ceux dont il jugeait d'après elle. Ce qui attestait à ses yeux les sentiments d'affabilité de sa mère et de son frère et lui faisait croire qu'ils n'éprouveraient aucune contrariété, c'étaient les qualités mêmes de la jeune fille ; d'ailleurs, il ne leur serait pas à charge, il paierait le prix de leur hospitalité et ses dépenses lui seraient personnelles. Elle lui répondit qu'à l'égard des sentiments de bienveillance de ses parents ses conjectures étaient exactes, mais elle lui reprocha de les suspecter de mesquinerie ; il aurait tout sans bourse délier ; mais elle dit qu'elle en parlerait cependant d'abord à son frère Laban et que, sur son avis favorable, elle l'emmènerait.

3. [252] La démarche faite, elle amène l'étranger ; ses chameaux sont reçus par les serviteurs de Laban, qui en prennent soin, et lui-même s’en va manger en compagnie de Laban. Après le repas, il s'adresse à lui et à la mère de la jeune fille : « Abram est le fils de Tharros et votre parent ; car Nachôr, ô femme, le grand-père des enfants que voici, était frère d'Abram : ils avaient même père et même mère. Eh bien ! cet Abram m'envoie vers vous dans le désir de prendre cette jeune fille comme femme pour son fils : c'est son fils légitime ; il est seul élevé pour avoir tout l'héritage. Alors qu'il pouvait choisir parmi les femmes de là-bas la plus fortunée, dédaigneux d'une telle alliance, il entend faire honneur à sa race en combinant le mariage en question. Ne faites point fi de son empressement et de son choix, car c'est grâce à la volonté divine que j'ai fait toutes ces rencontres sur ma route et que j'ai trouvé cette enfant et votre demeure : en effet, lorsque je fus près de la ville, je vis plusieurs jeunes filles arriver près du puits et je souhaitai de rencontrer celle-ci, ce qui arriva. Un mariage qui se conclut ainsi sous les auspices de Dieu, ratifiez-le, et accordez la jeune fille pour honorer Abram, qui a mis tant d'empressement à m'envoyer ici ». Eux alors, comme cette proposition était avantageuse et leur agréait, pénétrèrent l'intention divine ; ils envoient donc leur fille aux conditions requises. Isac l'épouse, déjà maître de l'héritage ; car les enfants nés de Chetoura étaient partis fonder des colonies ailleurs.

Chapitre XVII

Mort d'Abraham.

[256] Abram[253] meurt peu après ; c'était un homme qui avait toutes les vertus à un degré éminent, et qui fut particulièrement estimé de Dieu pour l'ardeur qu'il avait mise à le servir. Il vécut en tout cent soixante-quinze ans, et fut enterré à Hébron avec sa femme Sarra par ses fils Isac et Ismaël.

Chapitre XVIII

Naissance et éducation d’Ésaü et de Jacob, fils d’Isac.

1. Naissance d'Ésaü et de Jacob. - 2. Isaac à Gérare ; les trois puits. - 3. Réconciliation avec Abimélech. - 4. Mariages d'Ésaü. - 5.   Vieillesse d'Isaac. - 6. Jacob béni par Isaac. - 7. Prédiction pour Ésaü. - 8. Ésaü épouse Basemmathé.

1[254]. [257] Après la mort d'Abram[255], la femme d'Isac se trouva enceinte, et, comme sa grossesse prenait d'excessives proportions, il s'inquiéta et alla consulter Dieu. Dieu lui répond[256] que Rébecca enfantera deux fils jumeaux, que des nations porteront leurs noms et que la plus faible en apparence l'emportera sur la plus grande. Il lui naît, en effet, quelque temps après, selon la prédiction de Dieu, deux enfants jumeaux, dont l'aîné était extraordinairement velu depuis la tête jusqu'aux pieds ; le plus jeune tenait l'autre, qui le précédait, par le talon. Le père aimait l'aîné, Esaü (Esavos), appelé aussi Séîros[257], du nom dont on désigne la chevelure, car les Hébreux appellent la chevelure séîr(os) ; Jacob (Jacôbos), le plus jeune, était particulièrement cher à sa mère.

2[258]. [259] Comme la famine régnait dans le pays, Isac résolut d'aller en Égypte, car cette contrée était prospère ; il s'en fut à Gérare sur l'ordre de Dieu. Le roi Abimélech le reçoit en vertu de l'amitié et de l'hospitalité conclue avec Abram ; mais, après qu'il lui eut témoigné une entière bienveillance, l'envie l'empêcha de demeurer toujours dans ces sentiments. Voyant l'assistance que Dieu prêtait à Isac et les grandes faveurs dont il l'entourait, il le repoussa. Celui-ci s'aperçut de ce revirement dû à la jalousie d'Abimélech, et se retira alors dans un endroit appelé Pharanx[259] non loin de Gérare ; comme il creusait un puits, des bergers tombèrent sur lui et le provoquèrent au combat pour empêcher le travail. Comme Isac ne se souciait pas de lutter avec eux, ils s'estimèrent vainqueurs. Il céda la place et creusa un autre puits, mais d'autres bergers d'Abimélech lui firent violence ; il l'abandonna également et dut sa sécurité à ce sage calcul. Ensuite, le hasard lui fournit le moyen de creuser un puits sans en être empêché : il appela ce puits Roôbôth[260], ce qui veut dire large emplacement. Quant aux précédents, le premier s'appelle Eskos[261], c'est-à-dire combat, et le second Syenna[262], mot qui signifie haine.

3. [263] Il advint qu'Isac atteignit au comble de la prospérité par la grandeur de ses richesses, et, comme Abimélech croyait qu’Isac lui était hostile, car la défiance s'était mise dans leurs rapports et Isac s'était retiré dissimulant sa haine, il craignit que la primitive amitié ne servît de rien quand Isac songerait à se venger de ce qu'il avait souffert et il s'en alla renouer avec lui en emmenant un de ses généraux, Philoch(os)[263]. Ayant réussi pleinement dans son dessein, grâce à la générosité d'Isac, qui sacrifie son ressentiment récent de l'antique entente qui avait régné entre lui et son père, il s'en retourne dans son pays.

4[264]. [265] Quant aux enfants d'Isac, Ésaü, pour qui son père avait une prédilection, épouse à quarante ans Ada, fille de Hélon, et Alibamé[265], fille d’Eusébéon[266], deux souverains chananéens ; il fit ces mariages de sa propre autorité sans consulter son père ; car Isac n'y eût pas consenti s'il avait eut à donner son avis : il ne lui était pas agréable que sa famille s'unit aux indigènes. Mais il ne voulut pas se rendre odieux à son fils en lui commandant de se séparer de ses femmes et prit le parti de se taire.

5[267]. [267] Devenu vieux, et tout à fait privé de la vue, il mande Esaü, lui parle de son âge, lui représente qu'outre ses infirmités et la privation de la vue, la vieillesse l'empêche de servir Dieu, et il lui demande d'aller à la chasse, d'y prendre ce qu'il pourrait et de lui préparer un repas, afin qu'ensuite il pût supplier Dieu de protéger son fils et de l'assister durant toute sa vie : il ajoutait qu'il ne savait pas exactement quand il mourrait, mais auparavant il voulait appeler sur lui la protection divine par des prières dites en sa faveur.

6. [269] Ésaü s'empressa de sortir pour aller à la chasse ; mais Rébecca, qui entendait appeler sur Jacob les faveurs de Dieu, même contrairement à l'intention d'Isac, ordonne à Jacob d'égorger des chevreaux et de préparer un repas. Jacob obéit à sa mère, car il faisait tout sous son inspiration. Quand le mets fut prêt, il mit la peau d'un chevreau autour de son bras, afin de faire croire à son père, grâce à son aspect velu, qu'il était Esaü il lui ressemblait, d'ailleurs, complètement puisqu'ils étaient jumeaux, et n'avait avec lui que cette seule différence. Comme il craignait qu'avant les bénédictions la supercherie ne fût découverte et n'irritât son père au point de lui faire dire tout l'opposé, il alla lui apporter le repas. Isac, distinguant le son particulier de sa voix, appelle son fils ; mais Jacob lui tend le bras autour duquel il avait enroulé la peau de chèvre ; Isac la tâte et s'écrie : « Tu as bien la voix de Jacob, mais, à en juger par l'épaisseur du poil, tu me parais être Esaü ». Et ne soupçonnant aucune espèce de fraude, il mange et se met en devoir de prier et d'invoquer Dieu : « Maître de toute éternité, dit-il, et créateur de tout l'univers, tu as donné à mon père une profusion de biens, et moi, tout ce que j'ai présentement, tu as daigné me l'accorder, et à mes descendants tu as promis ton aide bienveillante et la faveur constante de tes plus grands bienfaits. Ces promesses, confirme-les, et ne me méprise pas pour ma débilité actuelle, qui fait que je me trouve avoir besoin de toi encore davantage ; protège moi cet enfant dans ta bonté, garde-le à l'abri de tout mal ; donne-lui une vie heureuse et la possession de tous les biens que tu as le pouvoir d'accorder, rends-le redoutable à ses ennemis, précieux et cher à ses amis ».

7. [274] C'est ainsi qu'il invoquait Dieu, s'imaginant prononcer ces bénédictions en faveur d'Esaü. Il venait de les terminer quand Esaü arrive, au retour de la chasse. Isac, s'avisant de son erreur, demeure calme ; mais Esaü voulait obtenir de son père les mêmes bénédictions que Jacob ; comme son père refusait parce qu'il avait épuisé toutes ses prières pour Jacob, il se désolait de cette méprise. Son père, affligé de ses larmes, lui promit qu'il s'illustrerait à la chasse et par sa vigueur dans les armes et tous les exercices corporels, et que de là lui et sa race tireraient renommée à travers les siècles, mais qu'il serait asservi à son frère.

8. [276] Comme Jacob craignait que son frère ne voulût se venger d'avoir été trompé au sujet des bénédictions, sa mère le tire de peine. Elle persuade à son mari d'envoyer Jacob en Mésopotamie pour épouser une femme de leur famille. Déjà[268] Esaü avait pris pour nouvelle femme la fille d'Ismaël, Basemmathé, car Isac et son entourage n'étaient pas favorables aux Chananéens : aussi les voyant hostiles à ses précédentes unions, il s'était conformé à leurs préférences et avait épousé Basemmathé, qu'il chérissait particulièrement.

Chapitre XIX

Jacob s’enfuit en Mésopotamie, par crainte de son frère ; il s’y marie, engendre douze fils et revient en Chananée.

1. Songe de Jacob. - 2. Consécration de Béthel - 3. Le puits de Charran. - 4. Rencontre avec Rachel - 5. Jacob et Laban. – 6. Servitude et mariages de Jacob. - 7. Enfants de Jacob. - 8. Fuite de Jacob et des siens. - 9. Dispute entre Jacob et Laban. - 10. Leur réconciliation.

1. [278] Jacob est envoyé par sa mère en Mésopotamie pour y épouser la fille de Laban, son frère, mariage autorisé par Isac, qui obéissait aux intentions de sa femme. Il traversa la Chananée et, par haine pour les habitants, ne jugea à propos de descendre chez aucun d'eux ; il passait la nuit en plein air, posant sa tête sur des pierres qu'il rassemblait et voici la vision qu'il eut durant son sommeil[269]. Il lui parut qu'il voyait une échelle qui allait de la terre au ciel et par laquelle descendaient des figures d'un caractère trop imposant pour être humaines ; enfin, au-dessus de l'échelle, Dieu se montrait à lui en personne, l'appelait par son nom et lui tenait ce langage : « Jacob, fils d'un père vertueux, petit-fils d'un aïeul illustré par sa grande valeur, il ne faut pas succomber aux fatigues du présent, mais espérer un avenir meilleur ; de très grands biens t'attendent qui te seront prodigués en abondance par mes soins. J'ai fait venir Abram de Mésopotamie jusqu’ici, chassé qu'il était par sa famille ; j’ai exalté ton père dans la prospérité ; la part que je t'attribuerai ne sera pas inférieure. Courage donc, et poursuis ce voyage où tu m'auras pour guide ; il s'accomplira, le mariage que tu recherches, et il te naîtra des enfants vertueux qui laisseront après eux une postérité innombrable[270]. Je leur donne la domination de ce pays à eux et à leur postérité qui rempliront tout ce que le soleil éclaire de terres et de mers. Ainsi ne crains aucun danger et ne te mets pas en peine de tes nombreuses fatigues, car c'est moi qui veillerai sur tout ce que tu feras dans le présent et bien davantage dans l'avenir ».

2. [284] Voilà ce que Dieu prédit à Jacob ; celui-ci, tout joyeux de ces visions et de ces promesses, lave les pierres sur lesquelles il reposait au moment de l'annonce de si grands     biens et fait vœu d'offrir sur elles un sacrifice, si, une fois qu'il aurait gagné sa vie, il revenait sain et sauf, et de présenter à Dieu la dîme de ce qu'il aurait acquis, s'il effectuait ainsi soit retour ; de plus, il juge cet endroit vénérable et lui donne le nom de Béthel, ce qui signifie foyer divin[271] dans la langue des Grecs.

3[272]. [285] Continuant de s'avancer en Mésopotamie, au bout de quelque temps, il se trouve à Charran. Il rencontre des bergers dans le faubourg ; des enfants, jeunes garçons et jeunes filles, étaient assis sur le bord d'un puits ; désireux de boire, il se mêle à eux, engage avec eux la conversation et leur demande s’ils ont connaissance d'un certain Laban et s'il vit encore. Et tous de répondre qu'ils le connaissent, car ce n'était pas un homme dont on pût ignorer l'existence, et que sa fille conduisait les troupeaux en leur compagnie et ils s'étonnaient qu'elle n'eût pas encore paru : « C'est d'elle, disaient-ils, que tu apprendras plus exactement tout ce que tu désires savoir à leur endroit ». Ils parlaient encore que la jeune fille arrive avec les bergers de sa compagnie. Ils lui montrent Jacob en lui disant que cet étranger venait s'informer de son père. Elle se réjouit ingénument de la présence de Jacob et lui demande qui il est, d'où il leur arrive et quelle nécessité le conduit ; elle souhaite qu'il leur soit possible de lui procurer ce qu'il est venu chercher.

4. [288] Jacob ne fut pas aussi touché de sa parenté avec la jeune fille, ni de la bienveillance mutuelle qui en résultait, qu'il ne s'éprit d'amour pour elle ; il demeura stupéfait de l'éclat de sa beauté, qui était tel qu'on eût trouvé peu de femmes de ce temps à lui comparer. Il s'écrie : « En vérité, la parenté qui me lie à toi et à ton père, puisque tu es fille de Laban, date d'avant ma naissance et la tienne : car Abram et Arran et Nachôr étaient fils de Tharros ; de Nachôr naquit ton aïeul Bathouël ; d'Abram et de Sarra, fille d'Arran, Isac mon père. Mais nous avons un autre gage, plus récent, dd parenté qui nous unit : Rébecca ma mère, est sœur de ton père Laban ; ils eurent même père et même mère ; et nous sommes cousins germains, moi et toi. Et maintenant je viens ici pour vous saluer et renouveler cette alliance qui existait déjà auparavant entre nous ». Elle se souvient alors, comme il arrive souvent aux jeunes gens, de ce qu'elle avait déjà entendu dire à son père touchant Rébecca et, comme elle savait ses parents désireux d'entendre parler de celle-ci, dans sa tendresse filiale, elle fond en larmes et se jette au cou de Jacob ; elle l'embrasse affectueusement et lui dit qu’il allait procurer la plus désirable et la plus vive des joies à son père et à tous les gens de la maison, car Laban vivait dans le souvenir de la mère de Jacob et ne pensait qu'à elle ; sa visite lui paraîtrait digne des plus grandes récompenses. Elle le prie de venir chez son père où elle allait le conduire ; il ne fallait pas qu'il le privât davantage de ce plaisir en tardant trop longtemps.

5. [293] Elle dit et le conduit chez Laban. Reconnu par son oncle, il se trouvait pour sa part en sécurité parmi des amis et leur apportait à eux une grande satisfaction par son apparition inopinée. Après quelques jours, Laban lui dit qu'il se félicitait de sa présence plus qu'il ne pouvait l'exprimer ; mais il lui demandait, d'autre part, pour quelle raison il était venu, laissant sa mère et son père dans un âge avancé où ses soins leur étaient nécessaires ; il s'offrait à l'aider et à le secourir à toute épreuve. Jacob lui expose toute l'histoire en disant qu'Isac avait deux fils jumeaux, lui et Esaü. Comme il avait frustré ce dernier des bénédictions paternelles, que l'artifice de sa mère détourna à son profit, Esaü cherchait à le tuer pour l'avoir privé du pouvoir souverain issu de Dieu et des biens que lui avait souhaités son père ; et voilà pourquoi il se trouvait là conformément aux instructions maternelles. « Car, dit-il, nous avons pour aïeuls des frères et ma mère est proche de vous à un degré plus étroit encore que celui-là. Je place mon voyage sous la protection de Dieu et sous la tienne ; c'est ce qui me donne confiance dans l'heure présente.

6. [297] Laban, au nom de leurs ancêtres, lui promet de l'assister de toute son amitié, au nom aussi de sa mère à qui il témoignera son affection même à distance en entourant son fils de sollicitude. Il déclare qu'il l'établira surveillant de ses troupeaux et, en échange, lui accordera la préséance au pâturage ; et s'il veut s'en retourner chez ses parents, il rentrera comblé de présents et de tous les honneurs qu'on doit à un parent aussi proche. Jacob l'écouta avec joie et dit que, pour lui faire plaisir, il demeurerait chez lui et supporterait toutes les fatigues ; mais en récompense, il demandait à avoir Rachel (Rachèla) pour femme : à tous égards elle méritait son estime, et puis elle lui avait rendu le service de l'introduire chez Laban ; c'était son amour pour la jeune fille qui lui inspirait ces discours. Laban, charmé de ces paroles, consent au mariage avec sa fille, disant qu'il ne pouvait souhaiter un meilleur gendre ; pourvu qu'il restât quelque temps chez lui, c'était une affaire faite ; car il n'enverrait pas sa fille chez les Chananéens ; même il avait regret du mariage qu'on avait fait conclure là-bas à sa propre sœur. Comme Jacob acceptait ces conditions, on convient d'une période de sept ans ; c'est le temps pendant lequel on estime qu'il doit servir son beau-père, afin de donner la preuve de son mérite et de faire mieux connaître qui il est. Laban agrée ce langage, et le temps écoulé, il se met à préparer le festin nuptial. La nuit venue, sans que Jacob se doute de rien, il place à ses côtés son autre fille, l'aînée de Rachel, qui était dépourvue de beauté[273]. Jacob s'unit à elle, trompé par l'ivresse et l'obscurité ; puis, avec le jour, il s'en aperçoit et reproche sa fourberie à Laban. Celui-ci, pour s'excuser, alléguait la nécessité où il avait été d'en user ainsi ; ce n'était pas par méchanceté qu'il lui avait donné Lia ; un autre motif plus fort l'avait déterminé[274] ... Cela n'empêchait nullement, d'ailleurs, son mariage avec Rachel ; s'il la désirait, il la lui donnerait après une autre période de sept ans. Jacob se résigne : son amour pour la jeune fille ne lui permettait pas un autre parti, et à l'issue d'une nouvelle période de sept ans, il épouse aussi Rachel.

7. [303] Les deux sœurs avaient chacune une servante que leur avait donnée leur père ; Zelpha appartenait à Lia et Balla[275] à Rachel ; ce n'étaient pas des esclaves, mais des subordonnées. Lia était cruellement mortifiée de l'amour que son mari portait à sa sœur ; elle espérait qu'en ayant des enfants, elle lui deviendrait chère et priait Dieu continuellement. Un enfant mâle lui naît et comme cet événement lui ramène son mari, elle appelle son fils Roubèl(os)[276] (Ruben) parce qu'il lui venait de la compassion divine ; c'est là ce que signifie ce nom. Il lui naît encore trois fils plus tard : Syméon[277] ; ce nom indique que Dieu l'a exaucée, puis Lévis[278], c'est-à-dire le garant de la vie en commun ; après lui Joudas[279], c'est-à-dire action de grâces.    
Rachel[280], craignant que l'heureuse fécondité de sa sœur n’amoindrit sa propre part dans l'affection de son époux, donne comme concubine à Jacob sa servante Balla. Un enfant naît d'elle, Dan, qu'on traduirait en grec par Théocritos (décerné par Dieu) ; après lui vient Nephthalîm[281], c'est-à-dire machiné, parce que cela avait contrebalancé la fécondité de sa sœur. Lia en use de même, opposant artifice à artifice ; elle donne aussi sa servante pour concubine; et il naît de Zelpha, un fils nommé Gad(as), ce qui équivaut à fortuit[282] ; ensuite Aser(os), autrement dit qui donne le bonheur[283], à cause de la gloire qu'elle en tirait. Roubèl, l'aîné des fils de Lia, apportant à sa mère des pommes de mandragore[284], Rachel s'en aperçoit et la prie de lui en céder, car elle avait un vif désir d'en manger. Mais celle-ci refuse, disant qu'elle devait se contenter de l'avoir dépossédée des faveurs de son mari ; Rachel calme l'irritation de sa sœur et lui dit qu'elle lui cédera ses droits, car son mari devait venir chez elle cette nuit-là. Celle-ci accepte l’offre et Jacob s'unit à Lia, en croyant favoriser Rachel. De nouveau donc elle a des enfants : Issachar(ès), c'est-à-dire celui qui provient d'un salaire[285], et Zaboulon[286], gage de l’affection [285a] , témoignée à elle, et une fille, Dîna. Plus tard, Rachel obtient un fils, Joseph (lôsèpos), c'est-à-dire « addition d'un futur surcroît [285b] ».

8. [309] Durant tout ce temps, à savoir pendant vingt années, Jacob garda les troupeaux de son beau-père ; mais ensuite il demanda à emmener ses femmes et à s'en retourner chez lui ; son beau-père n'y consentant pas, il résolut de le faire secrètement. Il éprouva d'abord le sentiment de ses femmes sur ce départ ; celles-ci se montrèrent satisfaites ; Rachel enleva même les images des dieux que la religion de ses pères commandait de vénérer, et s'échappa avec sa sœur ainsi que les enfants des deux femmes, les servantes avec leurs fils et tout ce qu'elles possédaient. Jacob emmenait aussi la moitié des troupeaux, sans que Laban y eût donné son consentement. Rachel, qui emportait les idoles des dieux, avait sans doute appris de Jacob à mépriser un tel culte, mais son but était, au cas où son père les poursuivrait et les surprendrait, d'en tirer parti pour se faire pardonner[287].

9[288]. [312] Laban, au bout d'un jour[289], ayant appris le départ de Jacob et de ses filles, très courroucé, se met à sa poursuite en hâte avec des forces et, le septième jour, les rejoint sur une colline où ils s'étaient campés ; alors, comme c'était le soir, il se repose. Dieu lui apparaît en songe et l'exhorte, maintenant qu'il a atteint son gendre et ses filles, à agir en douceur, à ne rien tenter contre eux par colère et à faire un pacte avec Jacob ; lui-même, dit-il, combattrait en faveur de celui-ci, si Laban, méprisant son infériorité numérique, venait s'attaquer à lui. Laban, après cet avis préalable, le jour venu, appelle Jacob à un entretien, lui fait part de son rêve et quand celui-ci confiant vient à lui, il commence à l'accuser, alléguant qu'à son arrivée chez lui, il l'avait recueilli, pauvre et dénué de tout, et qu'il lui avait sans compter fait part de tout ce qu'il possédait. « J'ai été, dit-il, jusqu'à te faire épouser mes filles, pensant par là augmenter ton affection pour moi. Mais toi, sans égard ni pour ta mère ni pour la parenté qui te lie à moi, ni pour mes filles que tu as épousées, sans songer à ces enfants dont je suis l'aïeul, tu m'as traité comme en guerre, emportant mon bien et persuadant mes filles de fuir celui qui les a engendrées, et tu t'en vas, en me dérobant en cachette les objets sacrés de ma famille que mes ancêtres ont vénérés et que j'ai cru devoir entourer du même culte ; et ces procédés qui, même en état de guerre on n'emploierait pas contre des ennemis, toi, un parent, le fils de ma propre sœur, le mari de mes filles, l'hôte et le familier de ma maison, tu t'en es servi à mon égard ». Quand Laban eut ainsi parlé, Jacob allégua pour se disculper qu'il n'était pas le seul à qui Dieu eût mis au cœur l'amour de la patrie, que tout le monde éprouvait ce sentiment, et qu'après si longtemps il convenait qu'il revînt dans la sienne. « Quant[290] à cette accusation de larcin, dit-il, c'est toi au contraire qui serais convaincu de m'avoir fait tort devant tout autre juge. Quand tu devrais me savoir gré d'avoir géré et fait prospérer ta fortune, n'est-ce pas déraisonner que de venir me reprocher la faible part que nous en avons prise ? Quant à tes filles, sache que ce n'est pas une perfidie de ma part qui les a fait accompagner ma fuite, c'est ce sentiment légitime d'affection que les épouses ont coutume d'avoir pour leurs maris ; et c'est moins moi qu'elles suivent que leurs enfants ». Voilà comment il se défendit d'avoir eu aucun tort; il fit au surplus des reproches à Laban et l'accusa : bien qu'il fût le frère de sa mère et qu'il lui eût donné ses filles en mariage, il l'avait épuisé en lui imposant des tâches pénibles et en l'y retenant vingt ans ; et, sans doute, ajoutait-il, ce qu'il l'avait fait souffrir sous prétexte de mariage, encore que cruel, était supportable ; mais les maux qui avaient suivi étaient pires et tels qu'un ennemi s'y fût soustrait. Et, en effet[291], c'était avec une excessive méchanceté que Laban en avait usé avec Jacob voyant que Dieu lui venait en aide dans tout ce qu'il désirait, il lui promettait de lui donner parmi les animaux qui naîtraient tantôt tous ceux qui seraient blancs, tantôt, au contraire, les noirs. Mais comme ceux qui étaient destinés à Jacob naissaient en grand nombre, il ne tenait pas sa parole sur l’heure, mais lui promettait de s'acquitter l'année suivante, car il considérait avec convoitise cette fortune abondante ; il promettait ainsi, parce qu'il n'y avait pas lieu de supposer une telle production ; et il trompait Jacob une fois que les bêtes étaient nées.

10[292]. [322] Quant aux objets sacrés, Jacob l'invite à faire une perquisition ; Laban accepte avec empressement ; Rachel, informée, cache les images dans le bât de la chamelle qu'elle montait ; elle y reste assise, prétextant qu'elle était incommodée par l'indisposition naturelle aux femmes. Laban ne cherche pas davantage, n'osant supposer que Rachel, dans l'état où elle se trouvait, s'approchât des images ; il s'engage par serment avec Jacob à ne pas lui garder rancune du passé, et Jacob, de son côté, jure d'aimer ses filles. Ces engagements, ils les prirent sur des collines où ils érigèrent une stèle en forme d'autel ; de là vient le nom de Galad(ès) donné à la colline[293], ce qui fait qu'on appelle encore aujourd'hui ce pays la Galadène. Un festin suivit ces serments et Laban s'en retourna.

Chapitre XX

1. Retour de Jacob en Canaan. - 2. Jacob et l'ange. - 3. Rencontre avec Esaü.

1. [325] Jacob, en poursuivant sa route vers la Chananée, eût des visions qui lui firent concevoir d'heureuses espérances pour l'avenir ; l'endroit où elles lui apparurent, il l'appela Camp de Dieu. Voulant connaître les sentiments de son frère à son égard, il envoya des gens en avant s'assurer de tout avec exactitude ; car il le craignait encore, à cause des soupçons d'autrefois. Il chargea ses messagers de dire à Esaü que Jacob avait quitté volontairement son pays, parce qu'il lui semblait inadmissible de vivre avec lui tant qu'il était en colère ; mais qu'à présent, estimant que le temps passé suffisait à les réconcilier, il revenait avec ses femmes et ses enfants et toutes les ressources qu'il s'était procurées et se remettait à lui avec ce qu'il avait de plus précieux, n'estimant aucun bien plus désirable que de jouir avec son frère des richesses que Dieu lui avait données. Les messagers[294] rapportèrent ces paroles ; Esaü s'en réjouit vivement et vient à la rencontre de son frère avec quatre cents hommes armés. Jacob, apprenant qu'il arrive au-devant de lui avec une si grande troupe, est très effrayé, mais il met en Dieu son espoir de salut et prend les mesures que comporte la situation, afin de ne pas être atteint, de sauver les siens et de triompher de ses ennemis, s'ils voulaient lui nuire. Il divise donc son monde, envoie les uns en avant et recommande au restant de les suivre de près, afin que, si l'avant-garde était assaillie par une subite agression de son frère, elle trouve un refuge parmi ceux qui suivent. Ayant rangé de la sorte les siens, il envoie quelques-uns apporter des présents à son frère : cet envoi consistait en bêtes de somme et en une quantité de quadrupèdes d'espèces diverses qui seraient très estimés de ceux qui les recevraient à cause de leur rareté. Les messagers marchaient espacés afin de paraître plus nombreux en arrivant les uns après les autres. A la vue des présents on espérait qu'Esaü laisserait s'apaiser sa colère, s'il était encore irrité ; d'ailleurs, Jacob recommanda encore aux messagers de l'aborder d'un ton affable.

2[295]. [331] Ces dispositions prises durant toute la journée, il met, la nuit venue, sa troupe en marche et quand ils eurent passé un torrent nommé Jabacchos[296], Jacob, demeure seul, rencontre un fantôme qui commence à combattre avec lui, et il en triomphe ; ce fantôme prend alors la parole et lui, conseille de se réjouir de ce qui lui est advenu et de se persuader que ce n'est pas d'un médiocre adversaire qu'il a triomphé ; il a vaincu un ange divin et doit voir là un présage de grands biens à venir, l'assurance que sa race ne s'éteindra jamais et qu'aucun homme ne le surpassera en force. Il l'invita à prendre le nom d'Israël(os) ; ce mot signifie, en hébreu, celui qui résiste à l’envoyé de Dieu[297] ; voilà ce qu'il révéla sur la demande de Jacob ; par celui-ci, ayant deviné que c'était un envoyé divin, lui avait demandé de lui dire ce que la destinée lui réservait. L'apparition, après avoir ainsi parlé, s'évanouit ; Jacob, tout heureux, nomme l'endroit Phanouël(os), c'est-à-dire la face de Dieu[298]. Et comme, dans le combat, il avait été blessé près du nerf large[299], il s'abstint lui-même de manger ce nerf, et à cause de lui il ne nous est pas permis non plus de le manger.
3[300]. [335] Apprenant que son frère approchait, il ordonne à ses femmes de s'avancer, chacune à part, avec leurs servantes, afin qu'elles vissent de loin les mouvements des combattants, si Esaü voulait en arriver là; lui-même salue en se prosternant son frère, qui arrive près de lui sans songer du tout à mal. Esaü, l'ayant embrassé, le questionne sur cette foule d'enfants et sur ces femmes et, une fois au courant de tout ce qui les concerne, il voulait les conduire lui-même chez leur mère ; mais Jacob alléguant la fatigue des bêtes de somme, Esaü se retira à Saira[301] ; c'est là qu'il passait sa vie, ayant nommé ce pays d’après son épaisse chevelure.

Chapitre XXI

1. Rapt de Dina ; massacre des Sichémites. - 2. Purification des Israélites. - 3. Mort de Rachel.

1. [337] Jacob arriva en un lieu qu'on appelle encore aujourd'hui les Tentes[302] ; de là, il s'en vint à Sikim(os) (Sichem) ; cette ville est aux Chananéens. Comme les Sikimtes étaient en fête, Dîna, fille unique de Jacob, s'en alla[303] dans la ville pour voir les atours des femmes du pays[304]. Sychém(ès)[305], fils du roi Emmôr(os)[306], l'ayant aperçue, la déshonore après l'avoir enlevée, et, devenu amoureux d'elle, il supplie son père de demander pour lui la jeune fille en mariage ; celui-ci y consent, et s'en va demander à Jacob de donner Dîna en mariage légitime à son fils Sychem. Jacob, qui ne pouvait refuser vu le rang du solliciteur et qui, d'autre part, estimait qu'il lui était défendu de marier sa fille à un homme d'une autre race, demande la permission de réunir un conseil au sujet de sa requête. Le roi s'en retourne alors, espérant que Jacob consentirait au mariage, mais Jacob, ayant instruit ses fils du déshonneur de leur sœur et de la demande d'Emmôr, les consulte sur la conduite à tenir. Ceux-ci restent muets pour la plupart, ne sachant que penser ; mais Siméon et Lévi, qui avaient la même mère que leur sœur, décident ensemble l'expédition suivante : au moment d'une fête, tandis que les Sikimites se livraient aux plaisirs et aux festins, ils surprennent, de nuit, les premiers gardes qu'ils tuent pendant leur sommeil, pénètrent dans la ville et tuent tous les mâles et le roi avec eux ainsi que son fils ; ils épargnent les femmes ; tout cela accompli à l'insu de leur père, ils ramènent leur sœur.

2. [341] Tandis que Jacob était bouleversé devant l'énormité de ces actes et très irrité contre ses fils, Dieu lui apparaît, l'engage à se rassurer, à purifier les tentes et à accomplir les sacrifices que jadis, en s'en allant en Mésopotamie, il avait fait vœu d'offrir, après ce qu'il avait vu en songe. En purifiant sa troupe, il met la main sur les dieux de Laban ; il ne savait pas que Rachel les avait dérobés. Il les cacha à Sichem sous le chêne dans la terre ; ensuite il partit de là et fit des sacrifices à Béthel où il avait eu le songe jadis quand il allait en Mésopotamie.

3. [343] De là[307] il alla plus loin et arriva dans l'Ephratène ; là Rachel meurt dans les douleurs de l'enfantement et il l'enterre ; seule de sa famille, elle n'eut point les honneurs de la sépulture à Hébron. Il mena pour elle un grand deuil et donna à l'enfant le nom de Benjamin[308] à cause des souffrances qu’il avait causées à sa mère. Ce furent là tous les enfants de Jacob, douze fils et une fille. De ces fils, huit étaient légitimes, six de Lia, deux de Rachel ; quatre étaient nés des servantes, deux de chacune d'elles ; j'ai déjà donné leurs noms à tous.

Chapitre XXII

Mort d’Isaac ; il est enseveli à Hébron.

1. Mort de Rébecca et d'Isaac.

1. [345] Il arriva de là dans la ville d'Hébron située chez les Chananéens ; c'est là qu'Isac demeurait. Ils vécurent peu de temps ensemble, car Jacob ne retrouva pas Rébecca vivante et Isac meurt aussi peu après la venue de son fils ; il est enseveli par ses enfants auprès de sa femme à Hébron, où ils avaient le sépulcre de leurs ancêtres. Isac avait été aimé de Dieu et jugé digne par lui de toutes les faveurs après son père Abram ; il vécut même plus longtemps que celui-ci, car il avait atteint la cent quatre-vingt-cinquième année[309] de cette vie si vertueuse quand il mourut.

 

 

livre II


[1] La traduction littérale de l'ouvrage est Archéologie judaïque. L'ouvrage, divisé en 20 livres, a été terminé par Josèphe vers l'an 93 ou 94 de l'ère chrétienne, d'après les indications chronologiques qu'il donne lui-même, Antiquités, XX, § 267.

[2] Allusion à un autre ouvrage Περὶ τοῦ Ἰουδαικοῦ πολέμου, terminé avant 79.

[3] Il s’agit surtout de Justus de Tibériade qui prit part à la guerre et en composa ensuite une histoire, où il jugeait sévèrement le rôle que Josèphe avait joué. Josèphe lui réplique dans son Autobiographie (voir Vita, passim Josèphe fait encore allusion dans le préambule de Guerre à d’autres historiens inexacts  ou passionnés de ces évènements.

[4] Josèphe a dû, en effet, avoir la Bible sous les yeux pour composer ses Antiquités. On sait par son propre témoignage (Vita, § 418) qu'il emporta des Livres saints du siège de Jérusalem.

[5] Ici comme ailleurs (voir. entre autres, Ant., IV, § 207 et note) Josèphe atténue ce qui peut paraître répréhensible aux yeux des Romains dans l'hostilité des Juifs à leur égard ; il déguise cette hostilité et fait d'eux des adversaires involontaires de la domination romaine.

[6] Cet Épaphrodite, auquel Josèphe sa Vie et Contre Apion, paraît être identique à un grammairien qui vécut à Rome depuis l’époque de Néron jusqu’à celle de Nerva, et réunit une bibliothèque de 30 000 volumes (Suidas). D’autres ont pensé, mais à tort, à un affranchi et secrétaire de Néron, mis à mort par Domitien ; cf. Schürer, Geschiche des jüd. Volkes I (2ème éd.) p. 62 T.R.

[7] Ptolémée II Philadelphe (285-247 av. J.-C.)

[8] Il s'agit, dans tout ce passage, de la version dite des Septante et plus particulièrement du Pentateuque, partie juridique de la Bible. L'histoire de la Septante est rapportée tout au long du livre XII. On estime généralement que Josèphe a utilisé cette version. Cependant il diffère assez souvent des LXX, soit dans la transcription des noms propres, soit dans l'interprétation de certains passages bibliques. Nous signalerons les divergences importantes. Voir sur les rapports entre Josèphe et les LXX : Bloch, Die Quellen des Fl. Josephus, Leipzig. 1879; Siegfried, Die hebräischen Worterklärungen des Josephus, dans la Zeitschrift de Stade, 1883, p. 32 sqq.

[9] Josèphe entend par là des explications sur la naissance du monde et l’origine des choses.

[10] Dans le Midrasch (Tanhouma sur Bereschit), Rabbi Isaac Nappaha (Amora palestinien de la fin du IIIème siècle ap. J.-C.) se demande pourquoi la Tora ne commence pas par l'exposé des lois de Moïse (Exode, XII, 2). Il pense que le récit de la création est destiné à faire éclater la grandeur et la puissance divines. Philon (préface du De opificio mundi, 1. Mangey, I, 1) s'exprime d'une façon tout analogue μήτ' εὐθὺς ἃ χρὴ πράττειν ἢ τὸ ἐναντίον ὑπείπων  « il (Moïse) ne prescrivit pas tout de suite ce qu'il faut faire ou ne pas faire ». Des opinions diverses ont été émises sur la question de savoir si Josèphe a utilisé ou non les oeuvres de Philon, qu'il a, d'ailleurs, connu, comme il ressort de Ant., XVIII, § 259. Voir à ce sujet Siegfried, Philo von Alexandria, Iéna, 1875, et Bloch, Die Quellen des Fl. Josephus. Même en refusant d'admettre que Josèphe ait suivi Philon, on peut penser qu’il a puisé aux mêmes sources que lui, à savoir les traditions agadiques. Philon dit, en effet (De vita Moysis, M. II, 82, §1) : μαθὼν αὐτὰ οαρά τινων ἀπὸ τοῦ ἔθνους πρεσβυτέρων « ayant appris ces détails de quelques anciens de la nation ».

[11] Philon, ibid. : οἱ δὲ πολὺν ὄγκον τοῖς νοήμασι προσπεριλαβόντες ἐξετύρωσαν τὰ πλήθη, μυθικοῖς πλάσμασι τὴν ἀλήθηιαν ἐπικρύψαντες  « les autres (législateurs), mettant beaucoup d’emphase dans leurs inventions, ont jeté de la poudre aux yeux et caché la vérité sous des fictions fabuleuses ».

[12] Cet ouvrage ne nous est pas parvenu, ou plutôt Josèphe ne l'a sans doute pas composé. On peut qu’il eut été analogues aux écrits de Philon sur le même sujet. Josèphe fait maintes fois allusion à cet ouvrage qu'il se proposait d'écrire.

[13] La division du texte en chapitres, sections et sommaires ne sont pas l’œuvre de Josèphe.

[14] Genèse, I

[15] Josèphe, conformément à l'exégèse traditionnelle, remarque l'emploi du mot « un » dans la Bible au lieu de l'ordinal « premier », qu'on attendrait. Mais il se réserve de donner plus tard les raisons de cette singularité. Le Talmud (Nazir, 7 a) l'explique en disant que l'expression « un jour » signifie un jour complet, d'où il résulte qu'on doit compter avec le jour la nuit qui précède. Philon, De mundi opificio, § 9, M. I, p. 7, dit aussi καὶ ἡμέραν οὐχὶ πρώτην, ἀλλὰ μίαν  « non pas premier jour, mais un jour » ; mais il donne, lui, une explication allégorique. Il voit dans le terme de « un » l'unité intelligible, incorporelle du monde, κόσμος νοητός, ἀσώματος, comme il dit plus loin.

[16] Le même dont il parle à la fin du préambule.

[17] Cf. Rosch-haschana, 11 a, et Houllin, 60 a : R. Josué ben Lévi (Amora palestinien du IIIème siècle de l'ère chrétienne) dit que toute l’œuvre de la création est apparue en plein développement. Philon dit de même, dans le De mundi opificio, 12, M1, p.9 : « il chargea tout de fruits, dès le début de la création, au rebours de ce qui se passe maintenant ».

[18] Philon (De Cherub., 26, M. I, p. 54) traduit également par cessation. C'est, en effet, le sens de la racine hébraïque.

[19] Genèse, II

[20] Voir préambule. On ne voit pas très bien pourquoi le ch. II de la Genèse serait plus « physiologique » que le premier [T. R.].

[21] Cette distinction de trois éléments dans l'homme - corps, souffle et âme - se retrouve dans plusieurs écrits contemporains de Josèphe, par exemple Saint Paul, Ire aux Thessaloniciens, V, 23 [T. R.]

[22] Ἄδαμος dans le texte; les LXX ont  Ἄδαμ : Josèphe, pour ne pas effaroucher ses lecteurs romains et grecs, hellénise presque tous les noms propres en les déclinant, comme il le dit lui-même plus loin ; il arrive ainsi à modifier parfois singulièrement le nom qu'il transcrit. En français, nous garderons l'orthographe de Josèphe pour les noms peu importants ; pour ceux qui reviennent très souvent, nous conservons la forme traditionnelle en indiquant, entre parenthèses, à la première mention, la transcription de Josèphe.

[23] Josèphe fond ici les deux explications de la racine hébraïque : le sens de « terre » est le seul qui soit donné pour Adam dans la Bible. Quant au sens de « rouge », on ne le trouve pas dans la littérature rabbinique, excepté dans le Pirké de Rabbi Eliezer, XII, qui s'inspire d'écrits chrétiens.

[24] Dans l'Écriture, c'est Adam qui donne leurs noms aux animaux.

[25] Transcription de . La Version latine porte : issa.

[26] Josèphe transcrit par Φεισών, faisant venir, par conséquent, Phisôn de la racine « s’étendre, prendre de grandes proportions ». Philon traduit (Leg. alleg., M. I, p. 24) « changement de corps ». Le Phison est assimilé au Gange parce que, d'après l'Écriture, il entoure « le pays de l'or ».

[27] Hébreux Josèphe, en proposant deux traductions, voit dans le mot hébraïque deux racines : soit la racine soir la racine , la première signifiant en effet, dispersion, et la seconde, fleur. Philon (Leg. alleg., I, 23) traduit par καρποφορία  « fertilité » ; il pensait sans doute à fructifier.

[28] Diglath n'est pas hébreu, mais araméen (Onkelos et Pseudo-Jonathan, Gen. II, 14) ; en assyrien, c'est diklat ou idiklat. En réalité, Josèphe traduit le mot hébreu qu'il décompose sans doute en deux mots; de là les deux termes. La question est de savoir comment il le décompose. Peut-être, comme le propose Siegfried (op. cit.), Josèphe a-t-il vu dans hiddékel : had et dak ; mais le mot dak signifie « fin », et non « étroit ». Dans Gen. R., XVI, le mot hiddékel est décomposé en « aigu » et « voix » ou « rapide ». Gesenius (Geschichte der hebr. Sparche) distingue dans hiddékel : had et dékel, équivalent un peu altéré de Tigris qui signifie « flèche », « cours rapide ». Josèphe l'entendait peut-être ainsi, à moins, enfin, qu'il n'ait eu dans l'esprit, non pas l’hébreu hiddékel, mais uniquement la transcription diglath, où il a pu reconnaître ainsi que nous le suggère M. Israël Lévi, les racines « mince, étroit » et « bondir ».

[29] Le Géon. Josèphe transcrit l'hébreu par Γηών, les LXX Γηῶν. Sa traduction « Celui qui jaillit » indique qu'il pensait à la racine .  Pghilon traduit Gihon par στήθος « poitrine » ou κέρατίζων « qui frappe avec les cornes » (Leg. alleg., I, § 21), ce qui donne deux étymologies différentes .

[30] Genèse, III, 1.

[31] Cf. Philon, De opif. mundi, M I, p. 37, λέγεται τὸ παλαιὸν.... ὄφις ἀνθρώπου φωνὴν προίεσθαι  « on dit qu'autrefois le serpent émettait une voix humaine ». Le Livre des Jubilés, ch. III, fin, dit que les animaux parlaient à l'origine une seule et même langue, et que Dieu leur ferma la bouche après que le serpent eut séduit Eve. Ceci se retrouve plus tard dans le Livre d'Adam, oeuvre chrétienne (voir Roensch, Das Bush der Jubiläen, Leipzig, 1874, p. 341).

[32] Dans le Talmud, Sanhédrin, 59 b, Juda ben Têma (Tanna du IIe siècle) dit : les anges se tenaient devant Adam, lui cuisaient sa viande, etc. Le serpent s'en montra jaloux. Un autre Tanna de la même époque, Josué ben Korha, dit (Gen. R., XVIII) : le serpent avait vu Adam et Eve s'unir et avait désiré celle-ci. D'après la Tosefta, Sôta, IV, p. 301, le serpent voulait tuer Adam pour épouser la femme.

[33] Voir plus haut (I, 4).

[34] Genèse, IV, 1

[35] Josèphe, qui rend tous les noms déclinables, grâce à des désinences appropriées, arrive à dénaturer singulièrement le mot hébreu . L'étymologie qu'il donne de ce nom est d'ailleurs conforme à la racine hébraïque et à l'explication qu'en donne la Genèse elle-même (IV, 1).

[36] Πένθος  « Deuil » est aussi le terme dont se sert Philon pour expliquer le nom d’Abel : De migr. Abr., § 13 : ὄνομα δ' ἐστὶ τοῦ τὰ θνήτα παθοῦντος  « C’est le nom de celui qui pleure un mort ». Le traducteur de l’Ecclésiastique rend également par πένθος. Ils ont tous confondu   qui signifie « souffle, vanité » avec qui se traduit  en effet par « deuil ». Dans le ms ; R (Paris) de Josèphe, on lit au lieu de πένθος, ουδὲν ou οὐθὲν, c’est la leçon qu’a choisie Niese, sans s’expliquer, d’ailleurs, sur le sens qu’il lui attribue (« ne signifie rien » ou « signifie néant ? »).

[37] Cf. Gen. R., XXII ; Yebamot, 62 a : Rabbi Natan (Tanna du IIe siècle de l'ère chrétienne) dit qu'en qu’en même temps que Caïn et Abel naquirent des filles. Le Livre des Jubilés au ch. IV (commencement) cite le nom d'une fille nommée Avan. Cf. aussi le Livre d’Adam, cité dans Roensch, op. cit., p. 341, 348.

[38] La Bible (Gen., IV, 3) ne parle que des fruits de la terre.

[39] Josèphe, par une curieuse variante, a dû lire ici dans l'hébreu au lieu de Les LXX traduisent, conformément à notre texte de la Bible : καὶ ἀπὸ τῶν στεάτων αὐτῶν « et de leurs graisses ». Des exemples de ce genre sont de nature à prouver l'indépendance de Josèphe à l'égard de la Septante.

[40] Le même trait se lit dans le Pirké R. El., ch. XXI. Caïn a enseveli le corps de son frère pour pouvoir nier le meurtre et Dieu lui reproche d'avoir menti et d'avoir cru qu'il ne saurait rien.

[41] Dans le Pirké R. El., il est dit que les mots prononcés par Caïn (Gen., IV, 13) : « Mon péché est trop grand pour être supporté » furent considérés par Dieu comme l'expression de son repentir. Dans Sanhédrin, 37 b, Gen. R., XXII, Pesikla 160 a, Lévit., X, il est parlé également de la pénitence de Caïn. Voir aussi le Pseudo-Jonathan (ad loc., et vers. 24).

[42] D'après le verset 24 (ch. IV). L'expression « sera vengé sept fois » est interprétée par Josèphe d'une façon singulière. Onkelos, dans sa traduction du même passage, Pseudo-Jonathan et Gen. R., XXIII, expliquent, au contraire, que Dieu a suspendu la peine de Caïn jusqu'à la septième génération.

[43] Dans Gen. R., XXII, Juda ben Haï (Tanna du IIème siècle ap. J.-C.), se fondant sur les mots de l'Écriture : « Quiconque tuera Caïn », dit que les animaux même sont venus réclamer la punition du meurtrier.

[44] Genèse, IV, 17.

[45] En hébreu : Nôd; LXX, Ναίδ .

[46] LXX : Ἑνώχ La ville porte le même nom

[47] LWW : Γαίδαδ En hébreu : ’irad

[48] Ce nom a beaucoup de variantes. L’hébreu lui-même donne déjà Mehouyaël et Mehiyaël, les LXX Μαλελεήλ .  Il y a des confusions entre les deux listes de Gen., IV, et Gen., V. Pour les noms qui suivent. les transcriptions de Josèphe et des Septante sont à peu près identiques.

[49] Il n'est pas fait mention dans la Genèse de ces 77 fils de Lamech; peut-être faut-il voir un rapport entre cette donnée et le verset obscur (Gen., IV, 24) où il est dit « Lamech sera vengé 77 fois ». Il n'est pas invraisemblable que Josèphe, souvent fantaisiste dans ses exégèses, ait vu dans ce chiffre énigmatique le nombre des enfants du patriarche.

[50] Ainsi abrégé, ce trait n'a pas de sens. Dans la Bible (Gen., IV, 23) il sert à amener un fragment de vieille chanson [T. R.]

[51] Ici commence des divergences numériques avec la Genèse (V, 3-4). Adam, dans la Bible hébraïque, est père à 130 ans, et vit ensuite 830 ans ; cette différence de 100 ans dans le détail des calculs, sinon dans le total, se retrouvera perpétuellement plus loin à propos des générations des patriarches.

[52] Cf. le Livre des Jubilés, ch. IV, Adam et Eve auraient eu encore neuf fils.

[53] Pirké R. El. (ch. XXI et XXII) : « De Seth descend la race des hommes vertueux ». Philon (De poster. Caini, I, § 50, M. I, p. 258) appelle de même Seth : « science de la vertu humaine ».

[54] D'après le Pirké R. El., Dieu a confié à Adam, qui l'a transmise à ses descendants, la science de l'embolisme, c'est-à-dire de l'intercalation d'un mois additionnel dans l'année lunaire.

[55] Il en est question aussi dans le Livre des Jubilés, ch. VIII. Le Sefer hayaschar (6 a) dit que Kénan écrivit l'avenir sur deux tables de pierre qu'il déposa parmi ses trésors. Cette histoire a passé dans le Livre d'Adam ou Apocalypse de Moïse (voir Roensch, op. cit., p. 425) et dans les chroniques byzantines.

[56] κατὰ γῆν τὴν Σιριάδα. On ignore ce qu'il faut entendre par là. Vossius pensait au pays de Seirath (?) mentionné dans l'histoire d'Ehud (Juges, III, 26), et qui n'était pas très loin des « pierres taillées » (d'autres interprètent : des carrières) de Gilgal. En tout cas, c'est quelque vieux monument en écriture inconnue (hiéroglyphes hétéens ?) qui aura donné lieu à la tradition recueillie par Josèphe. Whiston soupçonne qu'il s'agit des stèles érigées par Sésostris en pays conquis (Hérodote, II, 102) [T. R.]

[57] Genèse, VI, 1.

[58] On retrouve cette assimilation dans le Livre d'Hénoch (A. Lods, p. 73) ; le IIIème livre des Oracles Sibyllins, d'origine juive, identifie aussi la donnée biblique avec la légende grecque des Titans (cf. F. Delaunay, Moines et Sibylles, pp. 336 sqq.)

[59] Dans le Talmud (Sanhédrin, 108 a et b), Rabbi Yosé de Césarée et, un peu plus loin, Rabba disent aussi que Noé adressa des remontrances à ses contemporains, mais sans succès. Voir aussi Targoum Onkelos, sur VI, 3 ; B. R ; 30 ut 31.

[60] On ne trouve rien de semblable ni dans la Bible, ni dans le Midrasch.

[61] Genèse, VI, 7.

[62] Genèse, VI, 3

[63] Trois seulement dans l'Écriture.

[64] Il faut suppléer ces mots, qui manquent dans le texte.

[65] Dans l'Écriture, Noé prend deux couples d'animaux impurs (VI, 19) et sept couples des animaux purs (VII, 2).

[66] Héb. : Melhousélah, LXX : Μαθουσάλα 

[67] Héb. : Kainan, LXX : Καινᾶν.

[68] ἀδελφαίς On a proposé la correction ἀδελφοίς : frères.

[69] Genèse, VIII 6, 11.

[70] Le texte dit : « du règne » (ἀρχῆς)

[71] On ne trouve pas les noms des mois hébreux dans la Bible, à l'exception des derniers livres. On appelle généralement les mois : premier, second, etc. Μαρσουάνης  est la transcription de l'Hébreu   Quant aux mois macédoniens, Dios et plus loin Xanthicos, Josèphe se sert la plupart du temps de ces noms, sans indiquer toujours les mois hébreux correspondants.

[72] Pour tout ce passage sur les mois hébreux et le commencement de l'année hébraïque, cf. Talmud, Rosch-haschana, 2 a, 8 a, Gen. R., XXIII. Josèphe a la même opinion qu'une baraïta (ibid., 11 b) attribue à R. Eliezer (Tanna du Ier siècle ap. J.-C.), à savoir que le deuxième mois dont il est parlé dans la Genèse est Marheschwan.

[73] La Bible dit « le 17 » ; le texte de Josèphe a peut-être été corrigé, d'après les LXX, qui ont également « le 27 ».

[74] La fin de ce paragraphe et le paragraphe suivant présentent de sérieuses difficultés. Nous suivons la leçon des manuscrit qui portent δισχιλίων διακοσίων ἑξήκοντα δύο, leçon justifiée par Niese (Praef., p. XXXV). C'est la seule qui s'accorde avec les nombres de la généalogie des patriarches qui suit immédiatement. L'autre leçon, 1 656 années, n'est pas admissible, si les nombres de la généalogie sont justes. Mais il semble bien que l’ensemble soit altéré. Car Josèphe prétend expressément s'inspirer des Livres saints ; or, le total, selon la Genèse, est de 1 656 ans. Les manuscrits qui ont 2 656 sont corrigé d'après la Bible ; ceux qui portent 2 262, d'après la Septante, où le total est avec une légère variante (167 ans pour Mathousalas au lieu de 187 ans) identique, à savoir 2 242. La vérité, c'est apparemment que le texte primitif était conforme aux données de la Genèse ; et les copistes ont introduit les différentes variantes selon les deux systèmes, dans le but de reculer la date de la création du monde par l'addition de quelques centaines d'années. Voir à ce sujet Destinon, Die Chronologie des Fl. Jos., pp. 6, 24, 25.

[75] Genèse, V, 6.

[76] ὅς  se rapporte bien à Seth. Ce patriarche aurait donc vécu 930 ans selon Josèphe ; or ce chiffre de 930 ans est attribué à Adam dans la Genèse : l'altération du texte ou l'erreur de Josèphe est visible.

[77] Confusion avec le total des années de la vie de Mathusalas. Pour Jared, la Genèse et les LXX donnent 962 ans.

[78] Les LXX ont  : μετέθηκεν ὁ Θεός (Gen., V, 24) : « Dieu le transporta », le traducteur de l'Eclésiaste dit également d'Enoch : μετετέθη (XLVI, 16). La Sapience : μετετέθη et  ἡρπάγη

[79] Proprement, Dieu commença à pleuvoir. : les Grecs disaient Ζεὺς ὕει. Josèphe démarque volontiers certains traits de la mythologie grecque et les adapte aux anciens récits de la Genèse. Cf. plus loin,  εἴ ποτε χειμάσοιμι « si je suscite jamais des tempêtes ».

[80] La Genèse dit que les eaux commencèrent à diminuer au bout de 150 jours et que l'arche s'arrêta le 17e jour du 7e mois. Le texte de Josèphe est sûre-ment altéré. Nous lisons παυσαμένου δὲ τοῦ ὑετοῦ μόλις ήρξατο ὑποβαίνειν (var. ὑπονοστεῖν) τὸ ὕδωρ μεδ' (mss. ἐφ') ἡμέρας ἑκατὸν καὶ πενττκοντα, ὡς μηνὶ ἑβδομῳ... κατ' όλιγον ἀπολήγοντος   [T. R.]

[81] Dans la Genèse, la colombe est envoyée à trois reprises reconnaître l'état du sol (VIII, 8, 10, 12).

[82] Josèphe parle ici sur la foi des chroniqueurs qu'il cite plus loin. Mais il semble qu'il y ait eu aussi une tradition agadique au sujet des restes de l'arche. Le Talmud (Sanhédrin, 96 a) raconte que Sanhérib, le roi d'Assyrie, trouva une planche de l'arche de Noé, ce qui lui fit dire : « C'est un Dieu puissant qui a sauvé Noé du déluge, etc. »

[83] Fr. 7 Müller (Fraç. hist. graec., II, 501). Le récit entier du déluge dans Bérose nous a été conservé par Alexandre Polyhistor (ap. Syncell., p. 30 A). Mais ce déluge est celui des Chaldéens et le héros s'appelle Xisouthros, non Noé, ce que Josèphe s’est abstenu de relever. Les détails du récit babylonien sont, d'ailleurs, tellement analogues à celui du récit de la Genèse qu'il est impossible que l'un ne dérive pas de l'autre. Bérose, prêtre babylonien hellénisé, né sous Alexandre le Grand, dédia à Antiochus Soter (280-261) une histoire babylonienne en trois livres [T. R.]

[84] Historien inconnu, peut-être identique au remanieur de la Théogonie orphique (Susemihl, Gesh. der Alexandrin. Literatur, I, 376).

[85] Fr. Müller (F. H. G., III, 155), Mnaséas de Patras ou de Patara, disciple d'Eratosthène, polygraphe et antiquaire (fin du IIIe siècle av. J.-C.).

[86] Fr. Müller (F. H. G., III, 415) = Textes relatifs au judaïsme, p. 81, n° 41.

[87] Il faut se garder de corriger ce mot (avec Vossius) en Mylias; voir Textes, loc. cit. Josèphe nous apprend ailleurs (Ant., XX, 2, 2, § 25) que les débris de l'arche étaient situés dans le district de Charræ, au sud-est d'Édesse, qui ne correspond pas à l'emplacement ordinairement assigné au mont Baris [T. R.].

[88] Genèse, VIII, 20.

[88a] Après ἀπώλειαν il faut suppléer παθόντες

[88b] Tous les manuscrits donnent : τοῖς τάχιον, ce qui n'offre aucun sens : nous avons traduit selon les éditions qui restituent : τοῖς πάλαι

[89] Genèse, VIII, 21 ; IX.

[90] Josèphe explique le verset 4 du ch. IX selon une exégèse un peu différente de celle du Talmud (Houllin, 102). Il relie ensemble les mots benafschô damô. La tradition rabbinique les sépare pour en tirer deux prohibitions : celle de manger la chair d'un animal vivant et celle de manger du sang.

[91] Ici encore une explication du récit de la Genèse d'un caractère mythologique ; on songe aux dieux toxophores (Artémis, Apollon) du Panthéon grec (cf. G. Tachauer, Das Verhältniss von Fl. Josephus zur Bibel und Tradition, Erlangen, 1871, p. 20).

[92] Dans tout ce passage, Josèphe s'inspire encore, sans le nommer, de Bérose dont il a cité précédemment un court fragment. Bérose s'étend, en effet, sur les sciences, astronomie et géométrie, qui ont fleuri chez les premiers hommes et sur la longévité primitive ; le terme grec dont parle Josèphe est le cycle de 600 ans. Voir Bérose, cf. 4 Müller ; Tannery, Recherches sur l’histoire de l’astronomie ancienne, p. 306-322.

[93] Manéthon, Bérose, Hésiode, Ephore, Nicolas (de Damas) sont bien connus. Hiéronyme l'Égyptien a été mentionné plus haut. Hestiæos (ou Histiæos, d'après St. Byz.) est un historien d'époque inconnue (F, H, G., IV, 433), que Josèphe cite encore plus loin : la correction de Naber est absurde, Môchos est un vieil historien, peut-être fictif, de Sidon, dont l'ouvrage avait été traduit en grec par Laitos (F. H. G.. IV, 437). Hécatée (de Milet, non d'Abdère), Acusilaos, Hellanicos sont des chroniqueurs célèbres du Ve siècle [T. R.]

[94] Genèse, IX, 18.

[95] On ne sait d'où Josèphe a puisé ce renseignement. La phrase qui suit « comme les autres craignaient » est étrange. Quels sont ces autres ? La famille de Noé survivait seule à cette époque. D'après la suite, il semble qu'il soit ici parlé des descendants de Noé ; mais comment peuvent-ils être contemporains de Sem, Cham et Japhet ? D'après le Pirké R. Gen., ch. XI, tous les hommes s'en vont habiter la plaine de Sennaar.

[96] Cette explication n'a pas d'origine explicite dans la Bible. Le Pirké Rabbi El., ch. XI, dit aussi que les hommes craignaient un nouveau déluge à l'époque de Nemrod qui régnait sur eux.

[97] Genèse, XI, 2.

[98] Josèphe supplée au moyen d'explications rationalistes au silence de la Genèse sur les causes de la dispersion des premiers hommes lors de l'édification de la tour de Babel. Ces explications sont sans doute personnelles à Josèphe. Le Midrash s'est efforcé aussi, mais par une autre voie, d'éclaircir le mystère du XIe chapitre de la Genèse.

[99] Genèse, X, 8 - XI, 3.

[100] Hébreu, Nemrôd ; LXX et Jubilés, ch. VIII : Νεβρώδ.

[101] Dans une baraïta citée par le Talmud (Pesahim, 94 b ; Hagira, 13 a), R. Yohanan ben Zakkaï (un contemporain de Josèphe) parle de Nemrod qui fomenta la révolte contre le règne de Dieu (il joue sur le mot Nimrod, qui ressemble au mot marad, se révolter).

[102] Sur Nemrod constructeur de la tour de Babel, voir Houllin, 89 a, et Pirké R. El., XXIV, Nemrod fait un discours au peuple pour l'engager à construire une grande ville, afin de se protéger contre un nouveau déluge.

[103] Peut être allusion à la légende que les hommes voulaient alors faire la guerre à Dieu. Sanhedrin, 109 a ; Gen. R., 38; Tanh., ad loc., etc.

[104] Transcription exacte de l'hébreu. Les LXX donnent du mot Babel la même explication que Josèphe : σύγχυσις = confusion.

[105] L. III, § 2 des Oracula Sibyllina, p 84 (éd. Alexandre, Paris, 1869).

[106] Enyalios est ordinairement une épithète d'Arès, une fois de Dionysos : notre texte est le seul, à ma connaissance, où cet adjectif soit accolé au nom de Zeus. Gutschmid proposait de lire, entre grec, Poséidon (comme chez Proclus, sur Cratyle, 88) ; mais il s'agit peut-être du dieu des batailles [T. R.]

[107] Genèse, X, 32.

[108] Ἀλλογλωσσίας. En lisant avec Eusèbe ὁμογλωσσίας, il faudrait traduire : « et, ce groupant d'après la conformité de langage, ils fondent, etc. » (Eusèbe a rattaché par erreur la moitié de la première partie de ce paragraphe à la citation d'Hestiée) [T. R.]

[109] Josèphe semble ici mélanger deux manières de voir touchant l'origine des nations, origine, selon lui, à la fois humaine et divine ; il va, dans le chapitre suivant, combiner les données de la Genèse, où le partage des pays se fait théoriquement, avec ses connaissances géographiques, qui ne sont pas toujours d'accord avec les premières.

[110] Genèse, X, 1.

[111] Pour tout ce chapitre, comparez la traduction araméenne de Ps.-Jonathan sur la Genèse et le Livre des Jubilés, ch. VIII et IX, - Josèphe a peut-être utilisé ce dernier ouvrage, quoique le point de vue soit différent selon les deux auteurs. C'est un tirage au sort qui détermine dans le Livre des Jubilés les établissements ethniques.

[112] Josèphe, comme plusieurs de ses contemporains, prend le mot grec indifféremment au sens de peuple et de province, contrée [T. R.]

[113] LXX : Γαμέρ.  Les noms de peuples formés par Josèphe selon ceux des personnages bibliques sont presque tous fictifs.

[114] En hébreu : Yavan, Madaï; LXX : Ἰωυάν, Μαδοί.

[115] En hébreu : Mésech. LXX : Μοσόχ.

[116] LXX : Θείρας;  Thïras Hébreu. Ps.-Jonathan et Josèphe sont d'accord pour identifier ce nom de peuple avec celui des Thraces.

[117] Les LXX ont Θοργαμά  En hébreu : Thogarma.

[118] LXX : Θάρρασις.En hébreu : Tharsis.

[119] En hébreu : Khitim. Κήτιοι, Kitim ou Kityim dans la Bible est le nom des archipels éloignés, cf. Isaïe, XXII, 1; Jérémie, II, 10; Daniel, XI, 30.

[120] Josèphe cite seulement trois fils de Javan : Élisas, Tharsos et Chéthim. Il y en a un quatrième dans la Genèse, X, 4, Dodanim, ou, selon I Chroni., I, Rodanim; LXX : Ῥόδιοι .

[121] Il résulte de ce curieux passage qu'il est difficile de se rendre compte exactement de la façon dont Josèphe prononçait l'hébreu, les altérations en vue de l'euphonie pouvant affecter le commencement et le corps des mots comme leur terminaison.

[122] LXX, Φούδ;  Phout  Hébreu.

[123] En hébreu : Miçraïm. LXX : Μερσαίν.

[124] Le même que celui qui est appelé plus loin Libiïm.

[125] En hébreu : Kenaan; LXX : Χαναάν.  

[126] LXX : Σαβαθά.  En hébreu : Sabtha.

[127]LXX :  Σαβαθακά. En hébreu : Sabtecha.

[128] LXX :  Ῥεγμά. En hébreu : Ra'mah.

[129] Diffère assez sensiblement de l'hébreu Dedan.LXX : Λαδάν

[130] En hébreu : Loudim, Animim, Lehabim. LXX : Λουδιειμ, Ἐνεμετιείμ, Λαβιείμ.

[131] En hébreu : Naphthouhim. LXX : Νεφθαλείμ.

[132] En hébreu : Pathrousim. LXX : Πατροσυνιείμ

[133] En hébreu : Kaslouhim et Kafthôrim; LXX : Νασμωνιείμ, Φαρθομιείμ. Les Philistins forment dans Josèphe une souche à part, sans lien avec Kaslouhim comme le veut la Gen., X, 14.

[134] Liv. II, X.

[135] En hébreu : Hamati; LXX : Ἀμαθί. L'ordre des noms qui suivent est tout différent dans la Septante et dans l'hébreu.

[136] En hébreu : Arvadi; LXX  Ἀραδίος .

[137] En hébreu : Arki; LXX Ἀρουκαῖος.

[138] En hébreu : Hivvi, Heth.

[139] Genèse, IX, 20.

[140] Genèse, X, 22.

[141] Les LXX ont une variante curieuse, ils placent ici Καινᾶν.

[142] En hébreu : Mas ; LXX :  Μοσόχ qui semble venu de l'hébreu Mesech.

[143] En hébreu : Sélah. LXX : Σαλά

[144] LXX : Σαπμώθ; hébreu : Hatzarmaveth.

[145] En hébreu : Yarah; LXX : Ιαράχ.

[146] En hébreu : Obal: LXX : Εὐάλ.

[147] Genèse, XI, 10.

[148] En hébreu : Reou.

[149] En hébreu : Thérah. LXX : Θάρρα

[150] Josèphe transcrit de la même façon les deux noms hébreux Abram et Abraham. Lex LXX donnent  Ἄβραμ et  Ἄβρααμ.

[151] Ce chiffre de 922 est bien le total des chiffres qui suivent. Si donc on admet l'authenticité des chiffres partiels, cette leçon, qui n'est pas celle de tous les manuscrits, est la seule acceptable. Mais il est probable qu'il y a eu interpolation. Quelques manuscrits annoncent d'abord un total de 292 ans, ce qui se rapproche beaucoup du total biblique, qui est de 295. Seulement ces manuscrits donnent ensuite comme les premiers des chiffres qui sont ceux de la Genèse, augmentés chacun de 100 années. Le système de Josèphe semble différer à la fois de celui de la Bible et de celui des LXX, qui introduisent dans la liste des descendants de Sem un Kaïnan, père de Sélah à l'âge de 130 ans. Il faut croire que Josèphe s'est conformé aux indications bibliques pour les noms des fils de Sem et leur succession, mais en les faisant pères 100 ans plus tard que dans la Bible ; ou bien que tout le passage est interpolé ; dans ce cas, il faudrait garder 292 (293 ?) et corriger les chiffres suivants conformément au total.

[152] Genèse, XI, 27

[153] Σάρρα est l'unique transcription du nom hébreu Sarah, d'abord Saraï dans la Genèse jusqu'à XVII, 15. Les LXX ont Σάρα = Saraï et Σάρρα = Sarah. La Genèse donne pour filles à Haran : Milkha et Yiska, La tradition identifie, en effet (Sanh., 69b) Yiskah et Sarah. Josèphe remplace tout simplement l'une par l'autre.

[154] Gen., XI, 8 : Beour Kasdim. Les LXX ont seulement : ἐν τῇ χώρᾳ τῶν Χαλδαίων  « dans le pays des Chaldéens ».

[155] La Genèse dit seulement (XI, 29) qu'Abraham épousa Saraï. Pour Josèphe, comme pour la tradition rabbinique, Sara est la fille de Haran et, par conséquent, la nièce d'Abraham.

[156] Confusion de Gen. (VI, 2) avec le fait que Moïse est mort à cet âge.

[157] Genèse, XXII, 20.

[158] En hébreu : Ouz, Bouz. LXX : Οὔζ, Βαύψ

[159] En hébreu : Kemouel. LXX : Καμουήλ

[160] En hébreu : Késed.

[161] En hébreu : Pildasch, Yidlaph. LXX : Φαλδές, Ἰελδάρ

[162] En hébreu : Tébah. LXX : Ταβέα

[163] En hébreu : Tahas, Ma'achak. LXX : Τοχός, Μοχά

[164] Genèse, XII, 1.

[165] Dans le Talmud (Sanhédrin, 69 b), Loth est donné aussi comme étant fils de Haran.

[166] Les motifs pour lesquels Abraham quitte la Chaldée se trouvent aussi chez Philon, Quis rerum div. her., § 20, M., I, p 486 ; De migrat. Abr., § 32, M., I, p. 463 sqq., et De Abrahamo, M., II, p. 11 : les Chaldéens, très versés dans l'astronomie, se trompaient en attribuant une puissance divine au monde visible. Aussi Dieu engage Abraham à quitter la Chaldée, c'est-à-dire à s'affranchir des erreurs Chaldéennes. Le Midrash s'occupe également des motifs du départ d'Abraham (Gen. R., XLIV ; Sabbat, 156 a; Nedarim, 32 a).

[167] Je suis porté à croire que dans cet article Josèphe s'est inspiré du Pseudo-Hécatée sur Abraham [T. R.]

[168] Bérose, fr. 8 Müller (Textes, p. 34). Josèphe omet de dire sur quoi se fonde son identification entre ce « sage chaldéen » et Abraham. Il faut observer, en outre, que d'après la Bible, Abraham était le onzième et non le dixième descendant de Noé [T. R.]

[169] Hécatée d'Abdère, philosophe et historien qui vécut en Égypte sous le premier Ptolémée (vers 300 av. J. C.). Mais l'ouvrage sur Abraham, où se trouvaient notamment des vers apocryphes de Sophocle, est sûrement une fraude juive de l'époque hasmonéenne (Textes, p. 236) [T. R.]

[170] Nicolas, fr. 30 Müller (Textes, p. 78). Trogue Pompée citait également Abraham parmi les rois de Damas. Ces traditions ont dû prendre naissance à l'époque des rapports intimes entre Damas et Israël [T. R.]

[171] Genèse, XII, 10.

[172] En hébreu : Phar'ô ; LXX : Φαραώ. Josèphe conserve partout (sauf. Ant., VIII, § 151, Φαραών ou  Φαραώης) la  transcription Φαραώθης qu'on ne trouve que chez lui.  Artapanos (cité apr Eusèbe, Praep. ev., IX, 18) écrit Φαρεθώθης Voir, d'ailleurs, la notice que Josèphe consacre aux Pharaons dans Ant., VIII, §§ 155-159. D'après le Bellum Jud. (V, § 379), le roi égyptien qui voulait prendre Sara s’appelait Néchao.

[173] Cp. Eupolémos (dans Eus., Pr. ex., IX, 17 ; F. H. G., III, 212) : Μάντεις δὲ αὐτοῦ καλέσαντος τοῦτο φάναι, μὴ εἶναι χήραν τὴν γυναῖκα κτλ « Les devins, appelés par lui, déclarèrent que la femme n'était point libre ».

[174] Cp. Artapanos (Eus., Pr. ex., IX, 18 ; F. H. G., III, 213) : τοῦτον δέ φησι πανοικίᾳ ἐλθεῖν πρὸς τὸν τῶν Αἰγυπτίων βασιλέα Φαρεθώνην, καὶ τὴν ἀστρολογίαν αὐτὸν διδάξαι   « il dit qu’Abraham vint avec tous les siens chez Pharétonés, roi d’Égypte, et lui apprit l’astronomie ».

[175] Genèse, XIII, 1.

[176] Genèse, XIV, 1.

[177] Ancien Midrash dans Tossefta Sota, III, 11 ; cf. Mechilla sur Exode, XV, 1 ; Sifré, Deuter. 43 ; Sanhédrin, 109 a, etc.

[178] En hébreu : Béra.

[179] LXX. Βαρσά; en hébreu : Birşa’.

[180] En hébreu : Sinab, LXX : Σενναάρ

[181] En hébreu : Sémèber.

[182] Ou des Balèniens. Hébreu: Béla’; LXX : Βαλακ

[183] En hébreu : Amraphel, LXX : Ἀμαρφάλ

[184] En hébreu : Kedarlaômer;  LXX : Χοδολλογομόρ

[185] En hébreu : Thid’al.: LXX : Θαργάλ

[186] L’expression φρέατα ἀσφάλτου se trouve dans les LXX (Gen. XIV, 10)

[187] Genèse, XI, 13.

[188] Un passage tout à fait analogue se lit dans Philon, De Abr., § 40 (M., II, p. 34) : ... δεδειπνημένοις ἤδη καὶ πρὸς ὕπνον μέλλουσι τρέπεσθαι. Καὶ τοὺς μὲν ἐν εὐναῖς ἱέρευε, τοὺς δὲ ἀντιταχθέντας ἄρδην ἀνῄρει. Πάντων δὲ ἑρρωμένως ἐπεκτράτει, τῷ θαρρελέῳ τῆς ψυωῆς μᾶλλον ἢ ταῖς παρασκευαῖς « ils avaient déjà mangé et se préparaient à dormir. Il (Abraham) immola ceux qui étaient au lit, et tailla en pièces ceux qui lui opposèrent résistance. Enfin il remporta sur eux une victoire complète, due à la vaillance de son âme plutôt qu'a ses armes. » Josèphe suit d'un peu plus près les données bibliques.

[189] La même interprétation, conforme, d'ailleurs, à l'hébreu, se trouve dans Philon, entre autres passages : Leg. alleg., III, § 25 (M., p. 103).

[190] Cette étymologie fantaisiste de Jérusalem est donnée avec plus de précision au livre VII, § 67 ; cf. B. Jud., VI, § 438. Saint Jérôme prétend que le Salem (Solyma) de Melchisédech était une bourgade voisine de Scythopolis, qui avait consacré ce nom jusqu'à son temps [T. R.]

[191] En hébreu : Anèr, LXX :  Αὐνᾶν

[192] Genèse, XV, 13.

[193] Genèse XIII, 18 ; XVI, 1

[194] C'est la localité appelée dans l'Écriture les Chênes de Mambré. Josèphe lui donne, d'ailleurs, lui-même ce nom un peu plus loin (XI, 2). Quant à Ogygé, ce nom rappelle celui d'un roi de l'antiquité grecque, à l'époque duquel les traditions placent un déluge analogue à celui de la Bible. Josèphe semble y avoir songé en écrivant Ogygé, soit par une confusion involontaire, soit afin de suggérer un rapprochement.

[195] Genèse, XV, 18 ; XVII, 8.

[196] Ce motif n'est pas exprimé dans l’Écriture. De la phrase suivante : « Quant à la raison de notre pratique de la circoncision », il semble résulter que Josèphe distinguait le motif historique de sa prescription de son sens rationnel ou symbolique.

[197] Allusion à un ouvrage qui devait traiter de la signification rationnelle des lois hébraïques. Cet ouvrage est probablement le même dont Josèphe parie dans le préambule et dans plusieurs autres passages des Antiquités.

[198] Cf. Gen. R., XLI. Selon le Midrash, les Sodomites péchaient envers eux-même par leurs infractions aux lois et envers Dieu par leur idolâtrie.

[199] Le Talmud (Sanhédrin, 109 a) rapporte aussi que les habitants de Sodome, orgueilleux de leur prospérité et de la richesse de leur pays, où « poussait le pain » selon le verset de Job (XXVIII, 5), décidèrent de ne plus accueillir les passants, les « ôberè derachim ».

[200] Genèse, XVIII, 20.

[201] Genèse, XVIII, 2.

[202] Ce détail se lit aussi dans le Midrash (Gen. R., XLVIII). Le mot « et ils mangèrent » de la Genèse (XVIII, 8) est compris comme s'il y avait : « et ils firent semblant de manger ». Philon dit de même (De Abrah., § 23, M. II, p. 18) :  τεράστιον δὲ καὶ τὸ μὴ πεινῶντας πεινώντων καὶ μὴ ἐσθίοντας ἐσθιόντων παρέχειν φαντασίαν  « chose merveilleuse, quoique n'ayant pas faim, ils avaient l’air d'avoir faim, et, quoique ne mangeant pas, ils paraissaient manger ».

[203] Le texte est probablement altéré. Comment Sara peut-elle sourire d'un propos qu'elle n'a pas entendu ? [T. R.]

[204] La tradition assigne aussi une mission différente à chacun des anges. Voir Raba Meçia, 86 b ; Gen. R., L. Le verset XIX, 1, où il n'est plus question que de deux messagers, exerçait les commentateurs et leur faisait supposer que l'un des anges, le premier, était chargé d'annoncer à Sara la naissance d'un fils ; les deux autres devaient sauver Loth et détruire Sodome. Selon Philon aussi (De Abrah., 28, M. II, p. 22), deux des trois anges seulement étaient chargés d'aller à Sodome.

[205] Genèse, XIX, 1.

[206] Le Midrash (Gen. R., L, et Pirké R. Eliezer, XXV) explique que Loth avait appris l'hospitalité quand il demeurait avec Abraham.

[207] Genèse, XIX, 11.

[208] Voir Bell. Jud. (liv. IV, XVIII, 4). Josèphe n'accepte pas l'opinion d'après la quelle Sodome aurait disparu dans la mer Morte.

[209] Il s'agit sans doute d'un bloc détaché de la chaîne de montagnes appelée aujourd'hui Djebel Ousdoum, vers l'extrémité sud-ouest de la mer Morte, et qui se compose en majeure partie de sel cristallisé. [T. R.]

[210] En hébreu : Çô'ar; LXX : Σηγώρ

[211] Genèse, XX, 1.

[212] Josèphe copie ici sans doute la glose que les LXX ajoutent au verset (Gen., XIX, 37) : καὶ ἐκάλεσε τὸ ὄνομα αὐτοῦ Μωάβ λέγουσα ἐκ τοῦ πατρός μου υἱὸς « et elle lui donna le nom de Moab, disant : “issu de mon père” ». Le mot hébreu moab est compris comme s'il y avait méab, du père.

[213] Même traduction que dans les LXX (Gen., XIX, 38) : γένους μου « fils de ma race ». L'hébreu Ben-Ammi est pris pour une glose, tandis que le nom véritable serait  Ἀμμάν.

[214] Genèse, XX, 1

[215] Genèse, XXI, 22.

[216] En hébreu : Beerçéba'.  Josèphe traduit par ὅρκου φρέαρ; cf. LXX, Gen, XXI, 31 :  φρέαρ ὁρκισμοῦ et v. 33 : ἐπὶ τῷ φρέατι τοῦ ὅρκου.

[217] Genèse, XXI, 1.

[218] En hébreu : Yiçhak; LXX : Ἰσαάκ. Cf. Apollonius Molon ap. Al. Polyhistor (F. H. G.., III, 213; Textes, p. 61) : ἐκ δὲ τῆς γαμετῆς υἱὸν αὐτῷ γενέσθαι ἕνα, ὃν ἑλληνιστὶ Γέλωτα ὀνομασθῆναι

[219] Ce passage est peu intelligible dans le grec.Il faut problablement écrire avec Bekker τῷ ὑστέρῳ (mss. ὑστάτῳ) ἔτει.

[220] Genèse, XXV, 12 ; I Chroniques, I, 29.

[221] En hébreu : Adbeèl. Ναβδεέλ

[222] En hébreu : Mibsam.

[223] Hébreu et dans LXX : Douma.

[224] En hébreu : Misma'.

[225] En hébreu : Massa.

[226] En hébreu : Hadad; LXX : Χοδδάν

[227] Hébreu et dans LXX : Kedma.

[228] Genèse, XXII, 1.

[229] En hébreu : Môria. Dans l'Écriture (Gen., XXII, 2), il est question seulement d'une montagne qui se trouvait dans le pays de Môria. L'expression « mont de Môria » ne se rencontre que II Chron., III, 1, pour indiquer la montagne du Temple. Josèphe identifie plus bas ces deux montagnes, de même que la tradition (Gen. R., LV).

[230] Le Midrash dit aussi qu'Abraham prit bien soin de cacher à Sara le but réel de son départ avec Isaac. Dans Tanhouma (sur Gen., XXII, 4), Abraham dit à Sara qu'il emmène Isaac dans un endroit où on fera son instruction.

[231] Au lieu de David on attendrait Salomon.

[232] Nous suppléons ces mots nécessaires au sens et que le copiste a oubliés [T. R.]

[233] Bien entendu, tout ce discours est imaginé par Josèphe : on ne lit rien de semblable dans la Bible.

[234] Genèse, XXIII, 1.

[235] Hébreu et dans LXX : Ephrôn.

[236] Genèse, XXV, 1 ; I Chroniques, I, 32.

[237] En hébreu : Zimran, LXX : Ζομβράν

[238] En hébreu : Yokşan; LXX :  Ἰεξάν

[239] En hébreu : Yişbak; LXX : Ἰεσβώα

[240] En hébreu : Souah; LXX : Σωιέ.

[241] Par inadvertance, sans doute, Josèphe a remplacé ici par Souah le Yokşan de la Genèse.

[242] En hébreu : Seba; LXX : Σαβά

[243] Hébreu et dans LXX : Dedan.

[244] L'hébreu donne un autre ordre : Assourim,  (LXX : Ἀσσουριείμ, Letouşim (LXX : Λατουσιείμ)  Leoumim .(LXX : Λαωμείμ ).

[245] Dans le texte hébreu, c'est Madian et non Madan.

[246] En hébreu : 'Efer, LXX : Ἀφείρ

[247] En hébreu : Abida, LXX : Ἀβειδά

[248] En hébreu : Elda’a, LXX : Ἐλδαγά

[249] Frag. hist. graec., III, 214, n° 7.

[250] Genèse, XXIV, 1.

[251] On a déjà vu que ce fils s'appelait Bathouël (VI, 5).

[252] C'est contraire au récit biblique.

[253] Genèse, XXV, 8.

[254] Genèse, XXV, 21.

[255] Josèphe est ici en désaccord avec l'Écriture : Abraham était encore vivant à ce moment; il fallait dire « après la mort de Sara ».

[256] Josèphe simplifie les données de la Bible : dans l'Écriture, c'est d'abord Isaac qui invoque Dieu (v. 21), puis c'est au tour de Rébecca (v. 22), et c'est à Rébecca seule que Dieu révèle l'avenir de ses fils.

[257] Ni dans la Bible, ni dans les LXX, Esaü ne porte le nom de Séîr. Aussi toute cette fin de phrase parait à M. G. Schmidt (De Fl. Josephi elocutione, Leipzig, 1883, p. 9) une glose d'un éditeur hébraïsant qui, ne connaissant pas de substantif tiré de la racine d'où vient le nom d'Esaü, a pensé au nom de Séîr, formé de la racine poil, cheveu, mot qui lui était suggéré, d'ailleurs, par l'histoire d'Esaü, où il revient souvent comme désignation géographique (pays de Séîr, montagne de Séîr). Mais il n'est pas nécessaire de recourir à cette hypothèse d'une interpolation érudite. Josèphe a pu fort bien se fonder sur le verset 25 du ch. XXV, où le mot est rapproché, sans doute avec intention, du mot et induire que Séîr était un autre nom d'Esaü. Dans une autre version rapportée par certains manuscrits et adoptée par Niese, on ne trouve pas le nom de Séîr et on lit cette phrase : « …Esaü, ainsi nommé parce qu’il etait couvert de poils ; les Hébreux appellent la chevelure d’un autre mot ». Si tel est le texte, Josèphe aurait tout à fait brouillé les deux racines que contient le verset 25, à savoir L'étymologie qui est implicitement renfermée dans ce verset, aurait été adoptée par Josèphe, qui, pour la rendre plus apparente, aurait changé C'est là un artifice dont Josèphe était capable. Il est donc assez difficile d'établir au juste à cet endroit le texte original.

[258] Genèse, XXVI, 1.

[259] C'est-à-dire : Ravin. Il est assez singulier que Josèphe, voyant dans le mot Nabal-Gerar (Gen., XXVI, 17) un nom propre, l'ait néanmoins traduit en grec. Il semble avoir suivi les LXX, qui traduisent de même Nabal-Gerar par ἐν τῇ γάραγγι Γεράνων « dans le ravin de Gérar » ; mais les LXX ne font pas comme lui de nahal un nom propre. 

[260] En hébreu : Rehoboth. La traduction qu'en donne Josèphe concorde avec celle des LXX :εὐρυχωρία . Les LXX ne donnent pas les noms hébreux des trois puits qui sont énumérés dans ce passage.

[261] En hébreu : Ecek. Les LXX traduisent par ἀδικία « injustice ».

[262] En hébreu : Sitna, que Josèphe traduit par ἔχθρα. LXX : ἐχθρία

[263] En hébreu : Phikhol.

[264] Genèse, XXXVI, 1.

[265] En hébreu : Oholibama, LXX : Ὀλιβεμά

[266] Josèphe passe un intermédiaire, qui est Ana. En hébreu : Çibeon. Il y a dans la Bible trois notices très difficiles à accorder concernant les mariages d'Esaü (Gen., XXVI, 34-35; XXVIII, 8-9; XXXVI, 2-3) ; Josèphe ne suit que la troisième, en l'insérant dans son récit avant l'histoire des bénédictions d'Isaac.

[267] Genèse, XXVII, 1.

[268] Genèse, XXVIII, 8.

[269] Genèse, XXVIII, 12.

[270] Le texte est ici corrompu.

[271] LXX traduisent par οἴκος Θεοῦ « maison de Dieu ».

[272] Genèse, XXIX, 1.

[273] Dans la Genèse (XXIX, 17), on dit seulement que les yeux de Lia étaient faibles.

[274] Il semble qu'il y ait ici une lacune dans le texte de Josèphe, car on ne comprend pas pourquoi il ne s'explique pas davantage sur ce motif qui est indiqué en toutes lettres dans la Genèse (XXIX, 26) : « Laban lui-même dit : Ce n'est pas la coutume dans notre endroit de donner la cadette avant l'aînée ».

[275] En hébreu : Zilpah et Bilhah.

[276] En hébreu : Reouben. Josèphe donne ici une étymologie un peu vague, qui ne correspond pas dans les termes à celle qui est indiquée dans l'hébreu (Gen., XXIX, 32), ni a celle de Philon (υἱὸς ὁρῶν). Aurait-il vu dans la finale du mot el - qui n'existe que dans la transcription - le nom de Dieu ?

[277] En hébreu : Sim'ôn.

[278] En hébreu : Lévi; LXX : Λευεί.

[279] En hébreu : lehouda.

[280] Genèse, XXX, 7.

[281] En hébreu : Naphtali; LXX :  Νεπθαλεί 

[282] Pour la traduction du mot Gad, qui est obscur, Josèphe emploie la même expression que les LXX, qui traduisent le mot BA-gad (XXV, 11) par ἐν τύχῃ.

[283] Cf. LXX (Gen., XXX, 13) : ὅτι μακαριοῦσί με κτλ « parce qu'on me félicitera ».

[284] Même traduction que dans les LXX des doudaïm de la Genèse.

[285] Cf. LXX : ὅ ἐστι μισθός « c’est-à-dire salaire ».

[285a] D'après cette traduction, le mot Zaboulon (héb. Zebouloun) semble venir de la racine (Gen, XXX, 20) que de la racine (ibid).

[285b] En Grec  προσθήκη γενησομένου τινός (?). Cf. LXX : προσθέτω ὁ Θεός μοι υἱὸν ἕτερον, que Dieu m'accorde encore un autre fils.

[286] En hébreu : Zebouloun.

[287] Cette interprétation de l'acte de Rachel à un caractère midraschique. La Bible ne dit rien de pareil.

[288] Genèse, XXXI, 22.

[289] La Bible dit le troisième jour.

[290] Genèse, XXXI, 31.

[291] Genèse, XXX, 27.

[292] Genèse, XXXI, 32.

[293] Josèphe emploie le mot βουνός comme les LXX (gen., XXXI, 46);  hébreu : Gal’èd.

[294] Genèse, XXXII, 7.

[295] Genèse, XXXII, 23.

[296] En hébreu : Yabbôk; LXX : Ἰαβώχ

[297] Le verset 29 du chapitre XXXXII explique le nom d'Israël par ces mots : « Tu as combattu contre Elohim ». Josèphe atténue cet anthropomorphisme. Les LXX traduisent : « Tu as pris des forces avec Dieu » ὅτι ἐνίσχυσας μετὰ Θεοῦ.

[298] Genèse, XXXII, 23.

[299] Le nerf sciatique.

[300] Genèse, XXXIII, 1.

[301] En hébreu : Séïr; LXX : Σηείρ

[302] Cf. LXX (Gen., XXXIII, 17).

[303] Genèse, XXXIV, 1.

[304] Cp. Eus., Praep. ev., IX, c. 22 (d'après un poète du nom de Théodotos, auteur d'un Περὶ Ἰουδαίων et mentionné par Josèphe dans le Contre Apion, I, § 218): καὶ τὴν Δείναν, παρθένον οὖσαν, εἰς τὰ Σίκιμα ἐλθεῖν, παρηγύρεως οὔσης, βουλομένην θεάσασθαι τὴν πόλιν   « Dîna, qui était vierge, serait allée à Sichem à l'époque d'une fête, curieuse de voir la ville ». Dans le Pirké de R. El., Sichem est censé amener des jeunes filles pour les faire jouer et frapper sur des tambourins devant la tente de Dîna, afin de l'attirer au dehors et de l'enlever. Le Séfer hayaschar, 63 a et b, raconte une scène du même genre. Il y avait fête à Sichem, avec grand concours des femmes du pays, venues pour assister aux réjouissances. Rachel, Léa et leurs servantes, ainsi que Dîna, sortirent aussi de leurs maisons pour voir ce spectacle. C'est à cette occasion que Sichem, fils de Hamor, aperçut Dîna et s'éprit d'elle.

[305] En hébreu : Sekhem.

[306] En hébreu : Hamôr.

[307] Genèse, XXXV, 16.

[308] Dans la Bible, c'est le nom de Benôni, donné par Rachel à Benjamin, qui rappelle ses souffrances ; Benjamin (Binyamin) signifie « fils de ma vieillesse ».

[309] La Bible (Gen., XXXV, 28) n’attribue à Isaac que cent quatre-vingts ans.

livre II