RETOUR À L’ENTRÉE DU SITE

ALLER A LA TABLE DES MATIERES DE FLAVIUS JOSEPHE

 

 

livre I
livre I (GR)

livre II
livre III
livre IV
livre V
livre VI
livre VII
livre VIII
livre IX
 
livre XI
livre XI (GR)
livre XII
livre XIII
livre XIV
livre XV
livre XVI
livre XVII
livre XVIII
livre XIX
livre XX

texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER

Flavius Josèphe

ANTIQUITES JUDAÏQUES

LIVRE X

livre IX             livre XI

 

LIVRE X

I

1. Invasion de Sennachérib dans le royaume de Juda ; Ezéchias l’éloigne moyennant tribut. — 2. Le général Rapsaké somme les amis d’Ézéchias de l’amener à la soumission. — 3. Consterné, Ézéchias consulte Isaïe, qui le rassure. — 4. Lettre de Sennachérib à Ezéchias ; échec de Sennachérib en Égypte devant Péluse ; témoignages d’Hérodote et de Bérose.

1[1]. Ezéchias, roi des deux tribus, régnait depuis quatorze ans, quand le roi des Assyriens, nommé Sennachérib(os)[2], marcha en grand appareil contre lui et s’empara de vive force de toutes les villes des tribus de Juda et de Benjamin[3]. Comme il était près de pousser ses troupes contre Jérusalem, Ezéchias le prévint par une ambassade[4], s’en rageant à se soumettre et à lui payer tel tribut qu’il lui fixerait. Sennachérib, avant pris connaissance de ce message, consent à renoncer à son expédition et accepte l’offre d’Ezéchias : il se déclare prêt à se retirer moyennant paiement de trois cents talents d’argent et trente d’or et confirme par serment aux envoyés qu’à ce prix il s’en retournera sans causer aucun dommage. Ezéchias obéit : il vide ses trésors et envoie les sommes promises, pensant se délivrer ainsi de la guerre et de tout danger pour son trône. Mais l’assyrien n’eut pas plus tôt reçu l’argent qu’il ne se soucia plus d’aucune convention[5] ; tandis qu’il marchait en personne contre les Égyptiens et les Éthiopiens, il laissa son général Rapsakès avec des troupes nombreuses, ainsi que deux autres grands chefs, pour dévaster Jérusalem : les noms de ces chefs étaient Tharata et Anacharis[6].

2[7]. Quand ils furent arrivés, ils établirent leur camp devant les remparts[8] et firent prier Ezéchias de venir s’entretenir avec eux. Celui-ci, trop défiant pour sortir lui-même, envoie trois de ses plus fidèles amis : le procurateur du royaume[9] Eliakim, Sobnae(os)[10] et Yoach(os)[11], préposé aux archives. Ceux-ci donc s’avancèrent et se placèrent en face des chefs de l’armée des assyriens. Dès qu’il les vit, le commandant en chef Rapsakès les pria d’aller demander à Ezéchias, de la part du grand roi Sennachérib, d’où lui venait cette hardiesse et cette assurance de fuir son souverain sans vouloir l’entendre ni recevoir son armée dans la ville. Comptait-il sur les Égyptiens et espérait-il que leurs troupes battraient celles de Sennachérib ? « Si c’est là son attente, montrez-lui qu’il est insensé et ressemble à un homme qui, s’appuyant sur un roseau brisé[12], éprouva la disgrâce non seulement de tomber, mais encore de se percer la main. Qu’il sache d’ailleurs que Sennachérib, en dirigeant cette expédition contre lui, ne fait qu’obéir à la volonté de Dieu, qui lui a déjà accordé de renverser le royaume des Israélites afin qu’il anéantisse de même les sujets d’Ezéchias[13]. »

Comme Rapsakès tenait ce discours en hébreu, langue qu’il possédait bien, Eliakim craignit que le peuple ne l’entendit et ne fût pris de panique. II le pria donc de s’exprimer en langue syrienne. Mais le chef, qui devina son arrière-pensée et son inquiétude, parlant encore plus fort et plus clair, répliqua : « Je parle hébreu pour que tous entendent les ordres de mon roi, et choisissent le parti le plus avantageux en se donnant à nous. Il est clair, en effet, que vous, ainsi que le roi, vous amusez le peuple par de vaines espérances en lui prêchant la résistance. Que si vous avez la prétention téméraire de vouloir repousser nos troupes, je suis prêt à mettre à votre disposition deux mille des chevaux[14] que j’ai ici ; vous y ferez monter autant de cavaliers et ferez l’épreuve de votre force ; mais je sais bien que vous ne pourrez pas fournir ces cavaliers, que vous n’avez pas. Pourquoi donc tarder à vous rendre à de plus puissants que vous, qui sauront vous prendre bon gré mal gré ? En vérité, votre soumission volontaire sera votre salut ; au contraire, arrachée par les armes, elle apparaît pleine de dangers et grosse de catastrophes[15]. »

3[16]. Ayant entendu ces paroles du général des assyriens, le peuple et les envoyés les rapportèrent à Ezéchias. a cette nouvelle, celui-ci se dépouilla de ses vêtements royaux, s’enveloppa de cilices et, prenant une attitude humiliée, se prosterna sur sa face à la manière de ses pères et supplia Dieu de lui accorder son secours, n’ayant plus d’autre espoir de salut. Puis il dépêcha quelques-uns de ses amis et des prêtres auprès du prophète Isaïe (Èsaias) pour le prier d’invoquer Dieu, d’offrir des sacrifices[17] en vue du salut commun et d’appeler la colère du Seigneur sur les espérances des ennemis et sa pitié sur son propre peuple. Le prophète se conforma à ce désir et, ayant reçu un oracle de Dieu, rassura le roi et ses amis ; il leur prédit que les ennemis, défaits sans combat, s’en retourneraient honteusement, sans cette superbe qu’ils avaient aujourd’hui, car Dieu saurait procurer leur perte. Il prédisait, en outre, que Sennachérib, le roi des Assyriens, échouerait lui-même dans sa campagne contre l’Égypte et reviendrait dans son royaume pour y périr par le fer.

4[18]. Or, il advint qu’à la même époque l’Assyrien avait écrit une lettre à Ezéchias, lui disant qu’il fallait qu’il eût perdu le sens pour penser échapper au joug de. celui qui avait soumis tant de grandes nations ; il le menaçait, une fois entre ses mains, de le faire périr avec tous les siens s’il n’ouvrait les portes de bon gré et n’accueillait son armée à Jérusalem. Ezéchias lut la lettre, mais, avec le dédain d’un homme confiant en Dieu, il la replia et la déposa à l’intérieur du Temple. Puis, comme il avait renouvelé ses prières à Dieu pour le salut de la ville et de tous, le prophète Isaïe lui annonça que Dieu l’avait exaucé, que, pour le présent, ses sujets n’auraient pas à subir le siège de l’assyrien et que. dans l’avenir, ils pourraient, à l’abri de toutes ses entreprises, cultiver leurs champs en paix et s’occuper sans crainte de leurs biens. Peu de temps après, le roi des Assyriens, ayant échoué dans son attaque contre les Égyptiens, revint chez lui sans avoir rien fait, pour la raison suivante : il avait perdu beaucoup de temps à assiéger Péluse[19] ; les plates-formes qu’il avait élevées contre les remparts de cette ville étaient déjà assez hautes, et il était tout près de passer à l’assaut, quand il apprit que Tharsicès[20], roi des Éthiopiens, venant avec une forte armée au secours des Égyptiens. avait résolu de traverser le désert et d’envahir brusquement le pays des assyriens. Troublé par ces nouvelles, le roi Sennachérib s’en revint chez lui, comme je le disais, sans avoir rien fait, abandonnant l’entreprise. de Péluse. C’est de ce Sennachérib qu’Hérodote parle aussi au IIe livre de ses Histoires[21]. Il raconte que ce roi avait marché contre le roi. des Égyptiens, lequel était prêtre d’Héphaistos, et qu’il assiégeait Péluse, quand il dut lever le siège dans les circonstances suivantes : le roi des Égyptiens supplia Dieu, qui l’exauça et envoya un fléau à l’arabe — Hérodote commet ici l’erreur de dire « roi des Arabes », au lieu de roi des Assyriens[22]. — En effet, ajoute-t-il, une multitude de rats dévora en une seule nuit les arcs et toutes les autres armes des Assyriens, et c’est ainsi que, faute d’arcs, le roi dut retirer de Péluse son armée. Tel est le témoignage d’Hérodote. Bérose, l’auteur des Histoires Chaldéennes, fait aussi mention du roi Sennachérib et rapporte. qu’il régna sur les Assyriens et fit la guerre contre toute l’Asie et contre l’Égypte[23]...

5[24]. Sennachérib, revenu à Jérusalem de son expédition contre l’Égypte, y trouva les troupes commandées par le général Rapsakès (en grand péril du fait de la peste[25]). En effet, Dieu envoya à son armée, la première nuit du siège, une maladie pestilentielle[26] qui fit périr cent quatre-vingt-cinq mille hommes avec leurs commandants et leurs taxiarques[27]. Plongé par cette catastrophe dans la terreur et un désarroi indicible, tremblant pour toute l’armée, le roi s’enfuit avec le reste de ses troupes dans sa résidence royale, appelée Ninive (Ninou). Au bout d’un court séjour, il y meurt assassiné traîtreusement par ses fils aînés, Adramélech(os) et Sarasar(os) ; son corps fut déposé dans son propre temple, nommé Araska[28]. Ses fils, chassés par leurs concitoyens en punition du meurtre de leur père, se réfugièrent en Arménie[29], et la royauté échut à Assarachoddas[30]... Ainsi se termina l’expédition des Assyriens contre les gens de Jérusalem.

 

II

1. Maladie d’Ezéchias ; Dieu accorde à ses prières de survivre quinze ans ; miracle à l’appui de cette promesse. — 2. Ambassade du roi de Babylone à Ezéchias ; celui-ci lui montre ses trésors ; Isaïe prophétise la ruine de la dynastie de Juda.

1[31]. Cependant le roi Ezéchias, délivré de ses craintes contre toute attente, offrit avec tout son peuple des sacrifices d’actions de grâce à Dieu : car quel autre secours que celui de Dieu avait pu exterminer une partie de ses ennemis et chasser les autres de Jérusalem par crainte d’une fin semblable ? Peu de temps après ce témoignage de piété parfaite et de zèle empressé envers Dieu[32], il tomba gravement malade et fut condamné par ses médecins ; ses amis eux-mêmes s’attendaient au pire. A la maladie s’ajoutait un profond découragement, car le roi songeait qu’il n’avait point d’enfants et qu’il allait mourir laissant sa maison et son trône sans successeur légitime[33]. Torturé par ce souci, il gémissait et suppliait Dieu de lui accorder encore un peu de vie jusqu’à ce qu’il ei1t procréé des enfants et de ne pas permettre qu’il rendit l’âme avant d’être devenu père. Dieu eut pitié du roi et exauça son souhait, parce que, si celui-ci s’affligeait au pressentiment de sa mort et implorait la faveur d’un délai, ce n’était pas chagrin d’être bientôt privé des délices de la royauté, mais désir d’avoir des enfants qui hériteraient de son pouvoir : il ordonna donc au prophète Isaïe d’aller lui dire qu’il relèverait de maladie au bout de trois jours, qu’il vivrait encore quinze ans, et qu’il verrait naître des enfants de lui. Tel fut le message que le prophète remplit par ordre de Dieu. Cependant le roi, que la violence de sa maladie et l’invraisemblance de cette promesse rendaient incrédule, pria Isaïe de produire quelque signe miraculeux, quelque prodige qui lui inspirât confiance en ses paroles et en sa mission divine : car les choses extraordinaires et qui passent l’espérance s’attestent par des faits de même ordre. Comme Isaïe lui demandait quel signe il désirait voir apparaître, il le pria de faire en sorte que le soleil qui, déjà incliné de dix degrés[34], avait répandu l’ombre dans la maison, rétrogradât à son point de départ de manière à (y ramener la lumière ?)[35]. Alors le prophète pria Dieu de montrer ce signe au roi, et celui-ci, ayant vu ce qu’il avait désiré, et guéri soudain de son mal, monta au Temple, se prosterna devant Dieu et lui adressa des prières[36].

2[37]. Sur ces entrefaites, il advint que l’empire des assyriens fut ruiné par les Mèdes, événement dont je traiterai ailleurs[38]. Cependant le roi des Babyloniens, Baladas[39], envoya à Ezéchias des ambassadeurs chargés de présents pour solliciter son alliance et son amitié. Le roi, après avoir bien reçu et traité les envoyés, leur montra ses trésors, ses magasins d’armes et toutes ses richesses en pierres précieuses et en or ; il leur confia des présents pour Baladas[40], et les renvoya chez celui-ci. Alors le prophète Isaïe vint le trouver et s’informa d’où venaient ces visiteurs ; le roi répondit qu’ils étaient venus de Babylone, au nom de leur maître, et qu’il leur avait tout montré afin que, ayant vu sa richesse, et, d’après cela, conjecturé sa puissance, ils pussent en faire rapport au roi. Mais le prophète lui répliqua : « Sache que, dans peu de temps, toute cette richesse qui est à toi sera transférée à Babylone, que tes descendants, faits eunuques et privés de leur virilité, serviront le roi de Babylone. » Car telle était, disait-il, la prédiction de Dieu. Consterné de ces paroles, Ezéchias déclara qu’il eut souhaité voir épargner de telles calamités à son peuple, mais, puisqu’il n’était pas possible de modifier les décrets de Dieu, il le priait du moins de lui accorder la paix tout le temps qu’il vivrait. Bérose mentionne aussi le roi des Babyloniens, Baladas[41]. Ce prophète étant reconnu de tous comme inspiré de Dieu et merveilleusement véridique, sûr de n’avoir jamais rien dit de mensonger, a laissé toutes ses prophéties consignées en des livres, afin que les générations ultérieures vissent comment les événements les avaient confirmées. Et il ne fut pas le seul à en user de la sorte ; d’autres, prophètes encore, au nombre de douze, ont fait de même, et tout ce qui nous advient d’heureux nu de fâcheux s’accomplit conformément à leur prophétie. Mais nous aurons à reparler de chacun d’eux en particulier.

 

III

1. Règne de Manassé ; son impiété ; menaces des prophètes. — 2. Le roi de Babylone se saisit de Manassé ; repentir de ce dernier ; revenu à Jérusalem, il vit pieusement ; sa mort.

1[42]. Le roi Ezéchias, après avoir survécu le temps que nous venons d’indiquer et joui constamment de la paix, meurt âgé de cinquante-quatre ans, après-vingt-neuf ans de règne. Son fils Manassès, héritier de son trône, était né d’une citadine, nommée Achiba[43] ; il rompit avec les traditions de son père et suivit une voie toute contraire, faisant paraître dans sa conduite toute espèce de scélératesses et n’omettant aucune impiété, imitant au contraire les transgressions. des Israélites, dont les péchés envers Dieu avaient causé la perte ; il osa même profaner le Temple de Dieu, ainsi que la ville et tout le pays. En effet, il poussa le mépris envers Dieu jusqu’à mettre à mort cruellement les plus vertueux d’entre les Hébreux, sans épargner même les prophètes[44]. Il en égorgea plusieurs tous les jours, au point que Jérusalem ruissela de sang. Irrité de ces crimes, Dieu envoie des prophètes vers le roi et le peuple, pour les menacer des mêmes calamités qui avaient puni les offenses de leurs frères Israélites envers lui. Mais eux n’ajoutaient pas foi à ces paroles qui auraient pu les préserver de tomber dans le malheur : les. faits devaient leur apprendre combien étaient véridiques les prédictions des prophètes.

2[45]. En effet, comme ils persévéraient dans les mêmes crimes, Dieu suscita contre eux en guerre le roi des Babyloniens et des Chaldéens[46]. Celui-ci envoya une armée en Judée, qui dévasta le pays, se saisit par ruse du roi Manassé et l’emmena à Babylone où son vainqueur le tint à sa merci pour le châtiment qu’il lui destinait. Manassé, comprenant alors dans quels maux il s’était plongé et s’en. jugeant-lui-même seul responsable, supplia Dieu de lui rendre l’ennemi humain et pitoyable. Dieu exauça sa prière, et Manassé, relâché par le roi des Babyloniens, s’en retourna sain et sauf dans sa patrie. Rentré à Jérusalem, il s’efforça de bannir de son âme, autant que possible, jusqu’au souvenir de ses fautes passées envers Dieu, et s’appliqua[47] (à servir celui-ci) et à lui témoigner une parfaite piété. De plus, il sanctifia le Temple, purifia la ville et ne fut occupé désormais qu’à rendre grâce à Dieu de l’avoir sauvé et à se conserver la faveur divine pour toute sa vie. Il enseigna au peuple à agir de même, sachant quelle calamité il avait failli subir pour avoir suivi une conduite contraire. Avant aussi restauré l’autel, il y offrit les sacrifices d’usage, selon les prescriptions de Moïse. Quand il eut organisé dans les formes tout ce qui avait trait au culte, il se préoccupa aussi de la sécurité de Jérusalem ; à cet effet il répara avec le plus grand soin les anciennes murailles, les flanqua d’une seconde enceinte, fit dresser, des tours très élevées et remplit les fortins qui se trouvaient devant la ville de toutes sortes d’approvisionnements et notamment du blé nécessaire, de manière à les rendre plus résistants. En un mot, persévérant dans sa conversion, il mena le reste de sa vie de telle sorte qu’il fut estimé heureux et parut digne d’envie depuis le moment où il avait commencé de révérer Dieu. Il mourut à l’âge de soixante-sept ans, après en avoir régné cinquante-cinq. On l’ensevelit dans ses propres jardins ; la royauté échut à son fils Amos(os)[48], dont la mère s’appelait Emalsema[49], originaire de la ville de Yabaté[50].

 

IV

1. Mort d’Amon ; avènement de Josias ; ses vertus ; réformes religieuses et judiciaires ; réfection du Temple. — 2. Découverte des Livres Saints ; consultation de la prophétesse Hulda ; prédiction de la ruine de Juda. — 3. Josias lit la Loi au peuple réuni dans Jérusalem ; serment de fidélité ; épuration du culte du Temple. — 4. Abolition du culte établi par Jéroboam. — 5. Extirpation complète de l’idolâtrie ; célébration solennelle de la Pâque.

1[51]. Ce roi, qui imita les péchés auxquels son père s’était livré dans sa jeunesse, fut victime d’un complot tramé par ses propres serviteurs ; il périt dans sa maison, à l’âge de vingt-quatre ans, après deux ans de règne. Le peuple châtia ses meurtriers et ensevelit Amos avec son père. La royauté fut transmise à son fils Josias[52], âgé de huit ans, dont la mère, appelée Yédis, était de la ville de Boskéthi[53]. Ce prince avait un beau caractère et d’heureuses dispositions à la vertu ; jaloux d’imiter[54] les mœurs du roi David, il prit celui-ci pour idéal et pour modèle de toute la conduite de sa vie. Dès l’âge de douze ans, il manifestait sa piété et sa vertu : il morigénait le peuple, le conjurait de renoncer à croire aux idoles, qui n’étaient pas des dieux, et de révérer le Dieu de ses pères ; de plus, contrôlant les actes de ses ancêtres, il corrigeait leurs erreurs avec l’intelligence d’un homme âgé et très capable de comprendre son devoir ; mais ce qu’il trouvait bien fait et opportun, il le conservait et l’imitait. En tout cela, il était guidé par sa sagesse et son bon sens naturels ; il obéissait aussi aux conseils et à la tradition des Anciens. En se conformant aux lois, il réussit à merveille dans l’aménagement de l’État et du culte envers la Divinité, car les impiétés de ses prédécesseurs ne se rencontraient plus et avaient entièrement disparu. En effet, Josias parcourut la ville et tout le pays, faisant couper les bocages dédiés aux dieux étrangers et abattant leurs autels, et s’il se trouvait quelque offrande consacrée par ses ancêtres, il l’arrachait avec un souverain mépris. En cette manière, il éloigna le peuple de sa croyance en ces idoles pour le ramener au culte du vrai Dieu et fit offrir les victimes coutumières et les holocaustes sur son autel. Il nomma, d’autre part, des juges et des surveillants, qui devaient régler les différends de chacun, en s’attachant pardessus tout à la justice et en la tenant aussi chère que leur vie. Puis il envoya par tout le pays demander à qui voulait d’apporter de l’or et de l’argent pour la réfection du Temple, chacun selon sa volonté ou ses moyens. Les fonds rassemblés, il commit aux travaux du Temple et à la dépense nécessaire le gouverneur de la ville, Amasias[55], le scribe Saphan, le secrétaire des archives Yoatès[56] et le grand-prêtre Eliakias[57], lesquels, sans ajournement ni délai, procurèrent les architectes et tout ce qu’il fallait pour la réparation et se mirent à l’ouvrage. Et le Temple, ainsi restauré, fit éclater la piété du roi.

2[58]. Il était dans la dix-huitième année de son règne quand il fit prier le grand-prêtre Eliakias de faire fondre le reliquat de l’argent recueilli pour fabriquer des cratères, des patères et des coupes pour le service divin ; il commandait d’apporter en outre tout ce qu’il y avait d’or et d’argent dans les troncs et de le dépenser semblablement à la confection de cratères et d’ustensiles de même genre. Le grand-prêtre Eliakias, en recueillant l’or, met la main sur les Livres saints de Moïse déposés dans le sanctuaire ; il les en retire et les remet au scribe Saphan. Celui-ci, les ayant lus, vient trouver le roi ; il lui annonce que tout ce qu’il a prescrit est achevé, et il lui donne aussi lecture de ces Livres. A cette lecture, Josias déchira ses vêtements, manda le grand-prêtre Eliakias et l’envoya, en compagnie du scribe et de quelques-uns de ses plus intimes amis, vers la prophétesse Olda, épouse de Salloum(os), l’un des plus distingués et des plus nobles citoyens. Ils devaient, arrivés chez elle, l’inviter à supplier Dieu et à essayer de le rendre propice ; car il était à craindre qu’en punition des infractions aux lois de Moise commises par leurs ancêtres, ils ne fussent eux-mêmes déportés, et qu’arrachés à leur patrie pour s’échouer à l’étranger, privés de tout, ils ne perdissent misérablement la vie. La prophétesse, ayant oui cette communication des messagers du roi[59], les chargea pour lui de cette réponse : « La divinité avait déjà porté contre eux une sentence dont nulle prière ne pouvait obtenir la révocation, à savoir que le peuple périrait, serait chassé de son pays et privé de tous ses biens présents pour avoir violé les lois sans s’être repenti, malgré le long temps écoulé, bien que les prophètes les eussent exhortés à la sagesse et eussent prédit le châtiment de leurs impiétés. Ce châtiment, il le leur ferait subir en tout cas, afin de les persuader que Dieu existe et qu’il n’y a rien que de véritable dans tout ce qu’il leur avait fait annoncer par les prophètes. Toutefois, par égard pour Josias, qui s’était montré vertueux, il ajournerait encore cette catastrophe ; c’est après la mort du roi que les maux qu’il avait décrétés s’abattraient sur le peuple. »

3[60]. Quand cette femme eut ainsi prophétisé, ils vinrent rendre compte au roi. Celui-ci envoya partout des messagers pour ordonner au peuple, ainsi qu’aux prêtres et aux Lévites, de se réunir à Jérusalem, enjoignant à tous les âges d’avoir à y paraître. Quand ils furent rassemblés, il commença par leur lire les saints Livres ; puis, debout sur l’estrade[61] au milieu du peuple, il les obligea de promettre sous serment de révérer Dieu et d’observer les lois de Moïse. Ceux-ci s’empressèrent d’acquiescer à son désir et se retirèrent pour accomplir-les prescriptions du roi. Sur-le-champ, ils immolent les victimes, célèbrent les rites sacrés et supplient Dieu de se montrer propice et miséricordieux envers eux. Josias enjoignit aussi au grand-prêtre de jeter hors du Temple tout ce qui s’y trouverait encore de vases offerts par ses ancêtres aux idoles et aux dieux étrangers. On en ramassa un grand nombre ; il les fit brûler, en dispersa la cendre et mit à mort les prêtres des idoles, lesquels n’étaient pas de la race d’Aaron[62].

4[63]. Ayant accompli ces actes à Jérusalem, Josias se rendit dans le pays, y anéantit tout ce qui avait été institué par le roi Jéroboam en l’honneur des dieux étrangers et fit briller les ossements des faux prophètes sur l’autel qu’avait, le premier, érigé Jéroboam. Tout cela, nous l’avons dit, un prophète[64], qui était venu trouver Jéroboam en train de sacrifier et en présence de tout le peuple, l’avait annoncé d’avance, prédisant qu’un homme de la race de David, nommé Josias, ferait ce que je viens de raconter[65]... Cette prédiction se réalisa ainsi après un laps de trois cent soixante et un ans[66].

5[67]. Après ces événements, Josias se rendit aussi auprès de ceux des Israélites qui avaient échappé à la captivité et à la servitude imposées par les Assyriens, les persuada de renoncer à leurs pratiques impies, de cesser de rendre hommage aux dieux étrangers, de révérer le Dieu de leurs pères, le Dieu suprême, et de s’attacher à celui-ci. En outre, il inspecta les maisons, les bourgades et les villes, dans la crainte que quelqu’un ne recelât chez lui quelque idole. Bien plus, il enleva les chars[68] qu’avaient fabriqués ses ancêtres...[69] et tous les objets analogues qu’ils adoraient comme des dieux. Ayant ainsi purifié tout le territoire, il convoqua le peuple à Jérusalem ; là il célébra la fête des Azymes[70], dite aussi la Pâque, et il donna au peuple (pour le sacrifice pascal) trente mille chevreaux et agneaux de lait et trois mille bœufs pour les holocaustes. Les premiers d’entre les Hébreux fournirent aussi aux prêtres, en vue de la Pâque, deux mille six cents agneaux[71], et les chefs des Lévites donnèrent à ceux-ci cinq mille agneaux et cinq cents bœufs. Grâce à cette profusion inépuisable de victimes sacrées, ils accomplirent les sacrifices selon les lois de Moise, les patres expliquant à chacun ces rites et servant la multitude. Si nulle autre fête n’avait été célébrée de la sorte chez les Hébreux depuis l’époque du prophète Samuel, c’est que cette fois tout fut accompli conformément aux lois et aux rites anciens de la coutume nationale. Josias ayant vécu, après ces événements, dans la paix, dans la prospérité et le respect de tous, perdit la vie dans les circonstances suivantes.

 

V

1. Josias tente de s’opposer au passage de Néchao ; il est blessé : sa mort ; écrits de Jérémie et d’Ézéchiel. — 2. Règne de Joachaz ; Néchao met Joachim à sa place ; mort de Joachaz.

1[72]. Néchao, roi des Égyptiens, ayant réuni une armée, marcha vers le fleuve Euphrate pour faire la guerre aux Mèdes et aux Babyloniens qui avaient brisé la domination des Assyriens[73], car il convoitait de régner sur l’Asie. Comme il était arrivé à la ville de Mendé[74], qui faisait partie du royaume de Josias, celui-ci voulut l’empêcher à main armée de passer par son territoire pour s’élancer contre les Mèdes. Cependant Néchao lui envoya un héraut pour lui affirmer qu’il ne faisait pas la guerre contre lui, mais se dirigeait vers l’Euphrate : il lui conseil-lait de ne pas s’attirer sa colère et s’exposer à une attaque en l’empêchant de se rendre où il avait dessein d’aller. Mais Josias ne se prêta point au désir de Néchao et demeura résolu à lui défendre le passage à travers ses états : c’était, je pense, la destinée qui le poussait à cette attitude, afin d’en prendre prétexte pour le perdre. En effet, tandis qu’il disposait ses troupes et se faisait conduire sur sou char d’une aile de l’armée à l’autre, un Égyptien lui lança une flèche qui calma son ardeur belliqueuse Comme il souffrait beaucoup de sa blessure, il fit sonner la retraite et rentra à Jérusalem. Il y mourut de cette atteinte et fut enseveli en grande pompe dans les tombes de ses pères. Il avait vécu trente-neuf ans et en régna trente et un. Le peuple entier mena pour lui grand deuil, se lamentant et pleurant de longs jours. Le prophète Jérémie composa sur lui une élégie funèbre[75], qui subsiste jusqu’à nos jours. Ce prophète a aussi prédit les catastrophes qui devaient fondre sur notre cité et a même consigné dans ses écrits la ruine qui est survenue de nos jours[76] ainsi que la prise de Babylone[77]. Il n’est pas le seul qui ait prédit ces événements au peuple : le prophète Ézéchiel (Izékièlos)[78] l’a fait également, lui qui le premier a laissé deux écrits sur ce sujet[79]. Tous deux étaient de race sacerdotale, mais Jérémie vécut à Jérusalem depuis la treizième année du roi Josias[80] jusqu’à la destruction de la ville et du Temple. D’ailleurs, tout ce qui est arrivé à ce prophète, nous t’indiquerons en son lieu.

2[81]. Josias étant mort, ainsi que nous l’avons raconté, la royauté échut à son fils nommé Joachaz(os), âgé de vingt-trois ans environ. Il régna à Jérusalem ; sa mère était Amitala, de la ville de Lobana[82] ; il eut des mœurs impies et corrompues. Le roi des Égyptiens, revenu du combat manda Joachaz auprès de lui dans la ville d’Amatha[83], qui est en Syrie. A son arrivée, il le fit enchaîner et transmit la royauté à son frère aîné[84], du même père, nommé Eliakim(os), après avoir changé son nom en celui de Joakim(os). Il imposa, en outre, le pays de cent talents d’argent et d’un talent d’or. Joakim fournit cette grosse somme ; quant à Joachaz, Néchao l’emmena en Égypte, où il mourut ; il avait régné trois mois et dix jours[85]. La mère de Joakim s’appelait Zabouda[86] ; elle était de la ville d’Abouma[87]. De caractère injuste et pervers, ce roi ne montra ni piété envers Dieu, ni bonté envers les hommes.

 

VI

1. Expédition de Nabuchodonosor contre Néchao ; défaite de ce dernier ; tribut imposé à Joachim. — 2. Espérance illusoire dans les Égyptiens ; sinistres prophéties de Jérémie ; il échappe au châtiment ; lecture de son livre devant le peuple, puis devant le roi ; colère du roi — 3. Nabuchodonosor entre à Jérusalem ; meurtre de Joachim ; déportation des chefs du peuple ; règne de Joachin.

1[88]. Dans la quatrième année de son règne, le pouvoir en Babylonie passa à un certain Nabuchodonosor (Nabouchodonosoros), qui, dans le même temps, monta en grand appareil vers la ville de Carchémis (Karchamissa), située sur l’Euphrate, dans l’intention de lutter contre Néchao, roi des Égyptiens, lequel dominait toute la Syrie. Instruit des desseins du Babylonien et de l’expédition qu’il préparait contre lui, Néchao ne resta pas non plus inactif, mais se lança vers l’Euphrate avec de grandes forces pour repousser Nabuchodonosor. Cependant, lorsque le choc eut lien, il fut défait et perdit de nombreuses myriades d’hommes dans la bataille. Franchissant l’Euphrate, le Babylonien s’empare de la Syrie jusqu’à Péluse, à l’exception de la Judée. Puis, dans la quatrième année du règne de Nabuchodonosor, qui était la huitième de Joakim[89], roi des Hébreux, le Babylonien marche avec de grandes forces contre les Juifs, exigeant des tributs de Joakim sous menace de guerre. Celui-ci, effrayé de cette menace, acheta la paix à prix d’argent et lui pava les tributs imposés, durant trois ans[90].

2[91]. La troisième année, ayant appris que les Égyptiens partaient en campagne contre le Babylonien, il lui refusa le tribut, mais il fut trompé dans son espoir, car les Égyptiens n’osèrent pas effectuer leur expédition. D’ailleurs, le prophète Jérémie annonçait chaque jour que c’était en vain qu’ils s’accrochaient à des espérances du côté des Égyptiens, qu’il était écrit que la ville serait ruinée par le Babylonien et que le roi Joakim tomberait entre ses mains. Mais ces paroles étaient dites en pure perte, et personne ne devait échapper. Car ni le peuple ni les chefs[92] ne tenaient compte de ses avertissements et, s’irritant des paroles du prophète qui osait vaticiner contre le roi, ils incriminèrent Jérémie et, le poursuivant en justice, demandèrent son supplice. Tout le monde vota contre lui, hors quelques-uns d’entre les Anciens qui le disculpèrent (?)[93] et qui, de jugement plus sensé, éloignèrent le prophète de la cour (du Temple) et conseillèrent aux autres de ne faire aucun mal à Jérémie. Celui-ci, disaient-ils en effet, n’était pas le seul à prédire l’avenir à la ville ; Michaias, avant lui, avait annoncé les mêmes choses, ainsi que bien d’autres ; or, nul d’entre eux n’avait souffert aucun mal des rois de leur temps et, au contraire, ils en avaient reçu des hommages comme des prophètes de Dieu. Avant calmé le peuple par ces paroles, ils sauvèrent Jérémie du châtiment prononcé contre lui, et celui-ci, avant consigné par écrit toutes ses prophéties, se présenta devant le peuple, jeûnant et réuni en assemblée dans le sanctuaire, le neuvième mois de la cinquième année du règne de Joakim[94], et lut le livre qu’il avait composé sur les destinées de la ville, du Temple et des peuples. Les chefs, à cette lecture, lui prennent le livre des mains et l’engagent, lui et son scribe Barouch(os), à s’éloigner hors de la vue de tous ; eux-mêmes emportent le livre pour le donner au roi. Celui-ci, en présence de ses amis, ordonne à son scribe de le prendre et de le lire. Mais lorsqu’il en ouït le contenu, le roi entre en colère, déchire le livre, puis le détruit en le jetant au feu, et il fait chercher Jérémie et le scribe Barouch pour les châtier. Mais eux échappent à son courroux.

3[95]. Peu de temps après, le roi des Babyloniens ayant fait campagne contre lui, Joakim le reçoit par crainte des prédictions du prophète, pensant qu’il ne lui arriverait rien de fâcheux, puisqu’il n’avait ni fermé ses portes, ni fait acte d’hostilité. Mais le Babylonien, lorsqu’il eut pénétré dans la ville, loin de tenir ses engagements, fit périr les plus forts et les plus beaux des Jérusalémites avec le roi Joakim, qu’il fit jeter sans sépulture devant les murs[96], et il établit le fils de celui ci, Joachim(os)[97], comme roi du pays et de la ville. Quant aux principaux du peuple, au nombre de trois mille, il les retint prisonniers et les emmena à Babylone[98] : parmi eux se trouvait aussi le prophète Ézéchiel, encore enfant[99]. Telle fut la fin du roi Joakim, qui avait vécu trente-six ans et régné onze ans. Son successeur au trône, Joachim, dont la mère, une citadine, s’appelait Nosta[100], régna trois mois et dix jours.

 

VII

1. Siège de Jérusalem ; Joachin fait sa soumission ; Nabuchodonosor le remplace par Sédécias. — 2. Impiété de Sédécias : conseils de Jérémie ; prophéties d’Ézéchiel : incrédulité de Sédécias. — 3. Révolte de Sédécias contre les Babyloniens ; défaite des Égyptiens alliés de Sédécias ; prophéties favorables des faux prophètes ; Jérémie prédit la ruine de Jérusalem et du Temple ; il est pris et passe en jugement. — 4. Siège de Jérusalem ; Jérémie prêche la soumission ; mécontentement des grands. — 5. Jérémie est plongé dans une citerne pleine de boue ; le roi l’en fait retirer. — 6. Jérémie, mandé par le roi, lui conseille de se rendre.

1[101]. Le roi des Babyloniens avait à peine conféré la royauté à Joachim qu’il fut pris de peur : il craignit que, par ressentiment pour le meurtre de son père, celui-ci ne fit détection. Aussi envoya-t-il une armée assiéger Joachim dans Jérusalem. Ce prince, d’un caractère généreux et droit[102], ne voulut pas souffrir de devenir une cause de péril pour la ville ; il fit donc sortir sa mère et ses parents et les remit aux généraux envoyés par les Babyloniens, après leur avoir fait jurer que ni eux ni la ville n’auraient rien à pâtir. Mais la promesse ne fut pas même tenue pendant un an. Loin de la respecter, le roi des Babyloniens enjoignit aux généraux de s’emparer de tous les jeunes gens de la ville et des artisans et de les lui amener chargés de chaînes, — savoir dis mille huit cent trente-deux hommes en tout, — ainsi que Joachim avec sa mère et ses amis[103]. Quand on les lui eut amenés, il les tint sous garde et désigna comme roi l’oncle paternel de Joachim, Sédécias[104], à qui il fit jurer de lui garder le pays, de ne rien tenter de nouveau et de ne pas entretenir d’intelligences avec les Égyptiens.

2[105]. Sédécias avait vingt et un ans quand il prit le pouvoir ; né de la même mère que son frère Joakim[106], il avait le mépris de la justice et du devoir ; aussi bien les jeunes hommes de son entourage étaient-ils impies, et tout le peuple commettait librement les violences que bon lui semblait. C’est pourquoi le prophète Jérémie venait souvent l’adjurer, le suppliant de cesser toutes ses impiétés et transgressions, de respecter la justice, de ne plus s’appuyer sur des chefs qui comptaient des pervers, ni d’ajouter foi aux faux prophètes qui lui donnaient faussement à croire que le Babylonien n’attaquerait plus leur ville et que les Égyptiens marcheraient contre celui-ci et le vaincraient, car c’étaient là des propos mensongers et des événements impossibles. Sédécias, tant qu’il écoutait le prophète lui tenir ce langage, le croyait et acquiesçait à toutes ses paroles, estimant qu’elles étaient véridiques et qu’il était de son intérêt d’y ajouter foi ; mais ensuite ses amis le corrompaient à nouveau et, le soustrayant à l’influence du prophète, le ramenaient où ils voulaient. Ézéchiel, de son côté[107], prophétisait à Babylone les malheurs qui devaient arriver au peuple et, ayant mis par écrit ces oracles, il les expédia à Jérusalem. Cependant, Sédécias n’eut pas foi en leurs prophéties, et voici pourquoi : c’est qu’en effet, s’ils s’accordaient pleinement à dire que la ville serait prise et Sédécias même fait prisonnier, Ézéchiel se séparait de Jérémie en affirmant que Sédécias ne verrait pas Babylone, alors que Jérémie annonçait que le roi babylonien l’amènerait chargé de chaînes. Comme ils différaient sur ce point il en résulta que, même là où ils paraissaient s’accorder, Sédécias restait incrédule et condamnait leurs affirmations comme mensongères[108]. Néanmoins, tout lui arriva conformément aux prophéties, comme nous aurons l’occasion de le montrer.

3[109]. Après huit ans de fidélité à l’alliance avec les Babyloniens, Sédécias rompit ses engagements envers eux et se joignit aux Égyptiens, dans l’espoir qu’en se mettant de leur côté, il abattrait les Babyloniens. Informé de cet événement, le roi des Babyloniens marcha contre lui et, après avoir dévasté le pays et occupé les places fortes, vint contre la ville des Jérusalémites elle-même pour en faire le siège. L’Égyptien[110], avant appris dans quel péril se trouvait son allié Sédécias, leva une nombreuse armée et s’avança en Judée pour délivrer la ville. Mais le Babylonien, laissant Jérusalem, marche à la rencontre des Égyptiens, leur livre bataille, les défait et, les ayant mis en déroute, les chasse de toute la Syrie. Or, lorsque le roi des Babyloniens s’était retiré de Jérusalem, les faux prophètes avaient trompé Sédécias en affirmant que le Babylonien ne viendrait plus lui faire la guerre et que ses compatriotes, que celui-ci avait déportés de leurs foyers à Babylone, reviendraient avec tous les vases du Temple que le roi avait enlevés du sanctuaire. Mais Jérémie s’avança et fit une prophétie toute contraire et véridique, disant qu’ils agissaient mal et décevaient le roi, que les Égyptiens ne leur seraient d’aucun secours et que le Babylonien, après avoir défait ceux-ci, allait retourner contre Jérusalem, qu’il assiégerait la ville, ferait mourir de faim la population, emmènerait captifs les survivants, pillerait leurs biens et, après avoir soustrait les richesses du Temple, irait jusqu’à l’incendier et à détruire la ville, « et, ajoutait-il, nous lui serons asservis ainsi qu’à ses descendants pendant soixante-dix ans[111] ; nous serons alors arrachés à la servitude par les Perses et les Mèdes, qui abattront les Babyloniens ; renvoyés par eux dans notre pays, nous y rebâtirons le Temple et relèverons Jérusalem ». Ces paroles de Jérémie trouvèrent crédit chez la plupart, mais les chefs et les impies le raillèrent comme un insensé. Comme il avait résolu de se retirer dans sa ville natale[112], appelée Anathoth, à vingt stades de Jérusalem, un des magistrats, l’ayant rencontré en route, le retint prisonnier, l’accusant calomnieusement de vouloir déserter vers les Babyloniens. Jérémie s’éleva contre cette fausse imputation et affirma qu’il se rendait dans sa patrie. L’officier n’en crut rien, mais se saisit de lui et l’amena en justice devant les magistrats, qui, après lui avoir fait subir toutes sortes de violences et de tortures, le gardèrent en prison en attendant son châtiment. Et il resta un certain temps soumis à ces traitements iniques.

4[113]. La neuvième année du règne de Sédécias et le dixième jour du dixième mois, le roi des Babyloniens marcha pour la seconde fois[114] contre Jérusalem et, campé en face de la ville, en fit le siège avec la plus grande ardeur pendant dix-huit mois[115]. En même temps s’abattirent sur Jérusalem assiégée les deux plus grands fléaux, la famine et la peste, qui y prirent une grande extension. Le prophète Jérémie[116], quoique incarcéré, loin de garder le silence, poussait des clameurs et exhortait à haute voix le peuple à recevoir le Babylonien en lui ouvrant les portes : c’était le seul moyen de se sauver tous, sinon ils périraient. Il prédisait aussi que ceux qui demeureraient dans la ville mourraient de toute façon, sous la morsure de la faim ou le fer des ennemis, mais que si l’on se réfugiait chez ceux-ci, on échapperait à la mort. Les chefs qui entendaient ces propos, si mal en point qu’ils fussent, ne se laissaient pas convaincre ; mais, pleins de colère, ils allaient les rapporter au roi, accusaient Jérémie et demandaient la mort de cet insensé. qui abattait d’avance leur courage et brisait l’élan du peuple par ses sinistres prédictions : taudis qu’en effet les habitants étaient prêts à s’exposer pour le roi et pour la patrie, il les engageait, lui, à se réfugier chez leurs ennemis. prétendant que la ville serait prise et que tous périraient.

5[117]. Le roi était personnellement incapable, dans sa bonté et sa justice[118], de se courroucer contre Jérémie, mais pour ne pas s’attirer l’animosité des chefs en contrecarrant leur résolution dans de pareilles conjonctures, il leur permit de faire du prophète ce qu’ils voudraient. Forts de l’autorisation du roi, ils pénétrèrent alors dans la prison, se saisirent de Jérémie et le descendirent à l’aide d’une corde dans une citerne pleine de boue, pour l’y laisser périr étouffé d’une mort nouvelle. La boue lui arrivait déjà à la gorge, quand un des serviteurs du roi[119], alors en faveur, et de race éthiopienne, informa le roi de la détresse du prophète ; c’était, disait-il, une iniquité de la part des amis du roi et des chefs d’avoir plongé le prophète dans la fange et de lui préparer ainsi une mort plus cruelle que celle du prisonnier dans les fers. A ce récit, le roi se repentit d’avoir livré le prophète aux chefs et il ordonna à l’Éthiopien d’emmener trente des serviteurs royaux, munis de cordes et de tout ce qu’il jugeait utile au salut du prophète, et de le retirer sans délai de la citerne. L’Éthiopien, en compagnie de ceux qu’on lui avait désignés, s’en fut retirer Jérémie de la fange et le laissa libre de toute surveillance.

6[120]. Le roi le manda secrètement et lui demanda ce qu’il pouvait lui révéler de la part de Dieu touchant la situation présente. Jérémie lui répondit qu’il avait bien à lui parler, mais que ses paroles ne seraient point crues, ni ses exhortations entendues : « Quel mal, dit-il, ai je donc fait pour que tes amis aient résolu ma perte ? Et où sont maintenant ceux qui vous trompaient en disant que le Babylonien ne marcherait plus contre nous ? J’appréhende maintenant de dire la vérité, de peur que tu ne me condamnes à mort. » Mais le roi lui avant juré qu’il ne le ferait pas périr et ne le livrerait pas aux chefs, Jérémie, confiant dans la parole donnée, lui conseilla de livrer la ville aux Babyloniens. « Voilà, disait-il, ce que Dieu lui prophétisait par son entremise, s’il voulait se sauver, échapper au danger imminent et empêcher que la ville et le Temple ne fussent détruits de fond en comble : que s’il n’obéissait pas, il serait la cause de tous ces malheurs pour ses concitoyens et s’attirerait le désastre à lui-même et à tous les siens. n A ces paroles, le roi dit qu’il voulait bien, quant à lui, prendre les mesures que le prophète lui recommandait et dont il lui montrait l’utilité ; mais qu’il redoutait les transfuges de son peuple qui avaient passé aux Babyloniens : peut-être serait-il calomnié par eux auprès du roi et condamné au supplice. Le prophète le rassura et lui affirma qu’il appréhendait à tort le châtiment. Il n’éprouverait aucun mal en se livrant aux Babyloniens, ni lui, ni ses enfants, ni ses femmes, et le Temple même demeurerait intact. Quand Jérémie eut ainsi parlé, le roi le congédia, après lui avoir prescrit de ne révéler à nul de ses concitoyens ce qu’ils avaient résolu, de n’en rien avouer même aux chefs, au cas où, avertis qu’il avait été mandé par le roi, ils s’informeraient de ce qu’il était venu lui dire, mais de feindre, en leur répondant, d’avoir simplement demandé à être délivré des fers et de la prison. Et c’est bien ce qu’il leur dit : car ils vinrent, en effet, demander au prophète à quel propos il était venu s’entretenir d’eux auprès du roi. Telles furent les paroles échangées.

 

VIII

1. Siège de Jérusalem ; vaillance des assiégés. — 2. Prise de Jérusalem par l’ennemi ; fuite de Sédécias ; il est pris ; traitement que lui inflige Nabuchodonosor. — 3. Réflexions sur la prophétie. — 4. Durée de la royauté juive. — 5. Pillage et incendie du Temple ; déportation du peuple et des grands. — 6 Liste des grands-prêtres. — 7. Mort de Sédécias.

1[121]. Cependant le roi de Babylone poussait le siège de Jérusalem avec beaucoup de ténacité et d’ardeur. Il avait construit des tours en terres amoncelées, d’où il repoussait les défenseurs des remparts, et il élevait autour du périmètre de la ville quantité de terrasses de même hauteur que ces murailles. Les assiégés supportaient le siège avec constance et entrain. Ils ne cédaient, en effet, ni à la famine, ni à la peste, et, quoique tourmentés intérieurement par ces calamités, leurs âmes se raffermissaient pour la lutte ; sans se laisser terrifier par les inventions et les engins de l’ennemi, ils imaginaient à leur tour des machines à opposer à toutes les leurs ; de la sorte ce fut entre Babyloniens et Jérusalémites une joute d’ingéniosité et de malice, les uns pensant s’assurer la prise de la ville grâce à leur habileté supérieure, les autres ne faisant dépendre leur salut que de leur adresse à inventer sans trêve ni repos des moyens de défense propres à rendre vaines les machines de leurs ennemis. Ils supportèrent cette épreuve pendant dix-huit mois jusqu’à ce qu’ils succombassent enfin à la famine et à la grêle de traits que les ennemis leur lançaient du haut des tours.

2[122]. La ville fut prise la onzième année du règne de Sédécias, le neuvième jour du quatrième mois. A la vérité, cette conquête fut l’œuvre des capitaines babyloniens à qui Nabuchodonosor avait confié le siège : lui-même se tenait dans la ville de Réblatha[123]. Quant aux noms des chefs qui saccagèrent et soumirent Jérusalem, les voici pour ceux qui désireraient les connaître : Nargalassar(os), Arremantos, Sémégar(os), Nabôsaris, Echarampsaris[124]. La ville prise vers minuit, comme les chefs ennemis avaient pénétré dans le temple, le roi Sédécias, prévenu, prit avec lui ses femmes et ses enfants ainsi que ses généraux et ses amis et s’enfuit avec eux de la ville à travers le ravin fortifié et par le désert. Mais quelques uns des transfuges ayant informé les Babyloniens, ceux-ci, à l’aube, se lancèrent à sa poursuite ; ils le joignirent non loin de Jéricho et le cernèrent. Les amis et les généraux qui fuyaient avec Sédécias l’abandonnèrent dès qu’ils virent approcher les ennemis et se dispersèrent chacun de son côté, ne songeant qu’à leur propre salut. Resté seul avec un petit nombre de compagnons, Sédécias fut pris vivant par les ennemis, qui l’emmenèrent auprès du roi ainsi que ses enfants et ses femmes. Arrivé en sa présence, Nabuchodonosor se mit à le traiter d’impie, de traître à ses engagements, oublieux des promesses qu’il avait faites de lui conserver le pays Il lui reprocha aussi l’ingratitude avec laquelle, ayant reçu de lui la royauté — ne l’avait-il pas prise à Joachim pour la lui octroyer ? — il se servait maintenant de ses forces contre son bienfaiteur : « Mais Dieu est grand, dit-il, Dieu qui, en haine de ta conduite, t’a livré entre nos mains[125]. » Après avoir adressé ces paroles à Sédécias, il donna ordre d’immoler sur-le-champ ses fils et ses amis, sous les ;peux même de Sédécias et des autres prisonniers. Puis, il fit crever les peux à Sédécias et l’emmena chargé de chaînes à Babylone. Ainsi s’accomplit ce que Jérémie et Ézéchiel lui avaient prédit : qu’il serait pris et emmené devant le Babylonien, qu’il lui parlerait bouche à bouche et qu’il le verrait les yeux dans les yeux — car voilà ce qu’avait annoncé Jérémie[126], — mais d’autre part, conduit à Babylone après avoir été aveuglé, il ne vit pas cette ville, ainsi que l’avait prédit Ézéchiel[127].

3. Tout ce que nous avons relaté est assez propre à manifester aux ignorants la nature de Dieu, si variée, si fertile en ressources, qui fait arriver tout à son heure, régulièrement, et prédit ce qui doit advenir . et ce récit montre, d’autre part, l’ignorance et l’incrédulité des hommes, qui les empêchent de rien prévoir de l’avenir et les livrent sans défense aux catastrophes, les rendant incapables d’en éviter l’épreuve.

4. Telle fut la fin des rois issus de la famille de David ; ils avaient été au nombre de vingt et un jusqu’au dernier roi et avaient régné en tout cinq cent quatorze ans, six mois et dix jours. Pendant vingt de ces années[128], le pouvoir avait appartenu au premier de leurs rois, Saül, qui était d’une tribu différente.

5[129]. Le Babylonien envoie à Jérusalem son général Nabouzardan(ès) pour piller le Temple ; il avait ordre aussi de l’incendier ainsi que le palais royal, de raser la ville jusqu’au sol et de transporter le peuple en Babylonie Nabouzardan, arrivé à Jérusalem la onzième année du règne de Sédécias, pille le Temple, emporte les vases d’or et d’argent consacrés à Dieu, ainsi que le grand bassin dédié par Salomon ; il prit même les colonnes d’airain avec leurs chapiteaux, les tables d’or et les candélabres. Après avoir enlevé ces ornements, il mit le feu au Temple le premier jour du cinquième mois, la onzième année du règne de Sédécias, dix-huitième de Nabuchodonosor[130]. Il incendia également le palais et rasa la ville. Le Temple fut incendié quatre cent soixante-dix ans, six mois et dia jours après son édification : il y avait alors mille soixante-deux ans, six mois, dix jours que le peuple était sorti d’Égypte. Depuis le déluge jusqu’à la destruction du Temple, il s’était écoulé en tout mille neuf cent cinquante-sept ans, six mois, dix jours. Et depuis la naissance d’Adam jusqu’aux événements relatifs au Temple, quatre mille cinq cent treize ans, six mois, dix jours[131]. Voilà pour le compte des années : quant à ce qui s’est accompli dans cet intervalle, nous l’avons indiqué événement par événement.

Le général du roi des Babyloniens[132], après avoir détruit Jérusalem et déporté le peuple, fit prisonniers le grand-prêtre Saréas et son adjoint, le prêtre Sophonias, les trois chefs préposés à la garde du Temple, l’eunuque préposé aux hommes d’armes, les sept[133] « amis » de Sédécias, son scribe et soixante autres chefs ; tous ces hommes, avec les vases qu’il avait pillés, il les amena au roi dans la ville de Reblatha, en Syrie. Là, le roi ordonna de trancher la tète au grand-prêtre et aux chefs ; lui-même emmena tous les autres prisonniers ainsi que Sédécias à Babylone. Il emmena aussi, chargé de chaînes, le grand-prêtre Josadoc(os), fils du grand-prêtre Saréas, qu’avait tué le Babylonien dans la ville de Reblatha en Syrie, comme nous venons de le dire.

6[134]. Après avoir passé en revue la race des rois, montré ce qu’ils furent et établi leurs époques, j’ai estimé nécessaire de rapporter aussi les noms des grands prêtres et d’énumérer ceux qui ont obtenu cette dignité sous les rois. Sadoc fut le premier grand prêtre du Temple construit par Salomon. Après lui, c’est à son fils Achimas qu’échut cette dignité ; après Achimas, vint Azarias, puis son fils Joram(os)[135], puis Isos, fils de Joram, après lui Axioram(os), puis Phidéas, fils d’Axioram, Soudéas, fils de Phidéas, Youêl(os), fils de Soudéas, Jotham(os), fils de Youél, Ourias, fils de Jotham. Nèrias, fils d’Ourias, Odéas, fils de Nèrias, son fils Salloum(os), Elcias, fils de Salloum, Saréas, fils d’Elcias, enfin son fils Josadoc(os) qui fut emmené captif à Babylone. Tous ceux-ci reçurent la grande-prêtrise de père en fils[136].

7. Revenu à Babylone, le roi retint Sédécias en prison jusqu’à sa mort. Il l’ensevelit royalement. Il consacra à ses propres dieux les vases dont il avait dépouillé le Temple de Jérusalem. Quant au peuple, il l’établit dans le pays de Babylone et il délivra le grand-prêtre de ses chaînes.

 

IX

1. Guédalia est nommé gouverneur des Juifs restés dans le pays ; libération de Jérémie ; il refuse d’aller à Babylone. — 2. Les fugitifs se rallient à Guédalia et s’établissent dans le pays sous sa protection. — 3. Guédalia est inutilement averti par ses amis de se méfier d’Ismaël. — 4. Ismaël tue Guédalia pendant un festin ; autres meurtres ; il part chez les Ammonites avec des prisonniers. — 5. Jean les délivre ; projet de départ pour l’Égypte. — 6. Jérémie les en dissuade ; ils partent néanmoins et Jérémie les accompagne. — 7. Invasion du roi de Babylone en Égypte ; nouvelle transportation des Juifs en Babylonie ; calculs chronologiques.

1[137]. Nabouzardan, général, après avoir emmené en captivité le peuple des Hébreux, laissa sur place les indigents et les transfuges en leur désignant pour gouverneur un certain Godolias, fils d’Aïcam(os)[138], homme de bonne naissance, conciliant et juste. Il leur prescrivit de cultiver le sol et de payer au roi un tribut déterminé. Quant au prophète Jérémie, Nabouzardan le fit sortir de prison et l’invita à venir avec lui à Babylone, car le roi lui avait donné l’ordre de pourvoir à tout son entretien, s’il refusait, Jérémie devait déclarer où il avait résolu de demeurer pour qu’il en écrivit au roi. Mais le prophète ne voulut ni le suivre ni s’établir nulle part ailleurs ; il préféra passer sa vie sur les ruines de sa patrie et ses misérables débris. Informé de sa résolution, le général ordonna à Godolias, qu’il avait laissé sur les lieux, d’avoir tous les égards pour Jérémie et de pourvoir à tous ses besoins, puis il lui rendit la liberté, après l’avoir gratifié de magnifiques présents. Jérémie demeura dans une ville du pays nommée Masphatha[139] ; il pria Nabouzardan de délivrer en même temps que lui sou disciple Barouch, fils de Ner, qui était d’une maison très illustre et merveilleusement versé dans la langue nationale.

2[140]. Cela réglé, Nabouzardan se rendit à Babylone. Cependant, les gens qui avaient fui pendant le siège de Jérusalem et s’étaient dispersés dans le pays, quand ils apprirent que les Babyloniens étaient partis, laissant quelques hommes sur la terre de Jérusalem pour la travailler, se réunirent de toutes parts et vinrent trouver Godolias à Masphatha. Ils avaient pour chefs Jean, fils de Karéas, Yézanias, Saréas[141], et d’autres encore. Il y avait aussi un certain Ismaël, de la famille royale, méchant homme plein de ruse qui, pendant le siège de Jérusalem, s’était enfui chez Baalim[142], roi des Ammanites, avec lequel il avait habité depuis lors. A ces nouveaux venus Godolias persuada de demeurer au pays sans plus rien redouter des Babyloniens ; s’ils cultivaient la terre, il ne leur arriverait aucun mal. C’est ce qu’il leur garantit par serment, ajoutant qu’ils auraient en lui un défenseur, et que, si on leur causait quelque tort, ils pouvaient compter sur une prompte assistance. En outre, il leur conseillait de se fixer chacun dans la ville de son chois et de recruter des hommes avec ses propres gens pour relever les fondations de ces villes et les habiter. Il les avertit aussi de se munir, pendant qu’il en était encore temps, de froment, de vin et d’huile, afin d’avoir de quoi se nourrir pendant l’hiver. Après ces paroles, il les congédia vers les lieux qu’ils s’étaient. respectivement choisis dans la contrée.

3[143]. Le bruit s’étant répandu parmi les populations voisines de la Judée que Godolias avait recueilli avec humanité les fugitifs revenus à lui et leur avait permis de s’établir dans le pays pour le cultiver, à condition de payer tribut au Babylonien, les gens de ces pays accoururent aussi auprès de Godolias et colonisèrent la région. Jean et les chefs qu’il avait avec lui apprécièrent tant cette faveur[144] et furent si touchés de la bonté et de l’humanité de Godolias qu’ils lui vouèrent une extrême affection et lui révélèrent que Baalim, le roi des Ammanites, avait envoyé. Ismaël pour l’assassiner traîtreusement et en secret et pour régner sur les Israélites, car il était de la race royale. Ils ajoutaient qu’ils le sauveraient de ses embûches s’il leur permettait de tuer Ismaël à l’insu de tous : car si Godolias était tué par Ismaël, ils redoutaient, disaient-ils, l’anéantissement complet des derniers restes de la force d’Israël. Mais Godolias ne pouvait croire, disait-il, à la vérité d’un semblable complot tramé par quelqu’un qu’il avait si bien traité. Quelle apparence, en effet, qu’un homme ; qui, dans son dénuement, avait obtenu de lui tout le nécessaire, montrât assez de scélératesse et d’ingratitude envers son bienfaiteur pour chercher à assassiner de sa main celui qu’il eût été déjà criminel de ne pas essayer de sauver des embûches d’autrui ! Néanmoins, s’il fallait tenir la chose pour véridique, il préférait encore mourir de la main d’Ismaël plutôt que de sacrifier as homme qui s’était réfugié chez lui et avait mis sa vie comme un dépôt sous sa sauvegarde.

4[145]. Jean et les chefs qui l’accompagnaient partirent donc sans avoir pu convaincre Godolias. Trente jours[146] s’étaient écoulés, quand Godolias vit arriver à Masphatha Ismaël avec dix hommes. Il leur offre un magnifique festin et des présents, et tombe dans l’ivresse tandis qu’il traite en ami Ismaël et ses compagnons. Le voyant dans cet état, plongé dans l’inconscience et le sommeil sous l’empire du vin, Ismaël se précipite avec ses dix compagnons et égorge Godolias ainsi que tous les autres convives couchés auprès de lui. Puis, après ce meurtre, il sort de nuit et va massacrer tous les Juifs de la ville et tous les soldats qu’y avaient laissés les Babyloniens. Le jour suivant, quatre-vingts hommes de la campagne venaient avec des présents chez Godolias, nul ne sachant ce qui lui était arrivé. En les apercevant, Ismaël les invite à entrer censément auprès de Godolias et, dès qu’ils ont pénétré, il ferme la cour, les massacre et jette leurs corps dans une citerne profonde pour les faire disparaître. Cependant, il épargna quelques-uns de ces quatre-vingts hommes[147], qui l’avaient supplié d’attendre, avant de les tuer, d’avoir reçu d’eux les objets cachés dans leurs champs, meubles, vêtements et blé[148]. Ce qu’ayant entendu, Ismaël leur fit grâce. Mais il emmena en captivité la population de Masphatha avec les femmes et tes enfants, parmi lesquels se trouvaient les filles du roi Sédécias, que Nabouzardan, général des Babyloniens, avait laissées auprès de Godolias. Après ces exploits, Ismaël se rend chez le roi des Ammanites.

5[149]. Lorsque Jean et les chefs qui l’accompagnaient apprirent la conduite d’Ismaël à Masphatha et la mort de Godolias, ils en furent indignés, et, ayant pris chacun leurs hommes d’armes, ils partirent en guerre contre Ismaël : ils le surprennent près de la source d’Hébron[150]. Les prisonniers d’Ismaël, à la vue de Jean et des chefs, se réjouirent, pensant que du secours leur venait et, faussant compagnie à leur ravisseur. ils coururent vers Jean. Ismaël alors se réfugia avec huit hommes auprès du roi des Ammanites Jean prend avec lui ceux qu’il avait sauvés des mains d’Ismaël. ainsi que les eunuques, les femmes et les enfants, et parvient en un lieu nommé Mandra[151]. Il y demeure toute cette journée, puis ils décident de partir de là pour se rendre en Égypte, car ils craignaient, en restant dans la région, d’être massacrés parles Babyloniens, indignés du meurtre de Godolias, qu’ils avaient établi comme gouverneur.

6[152]. Pendant qu’ils délibéraient sur ce projet, Jean, fils de Karéas, et les chefs qui l’accompagnaient vinrent trouver la prophète Jérémie et le prièrent de demander à Dieu, dans l’embarras où ils se trouvaient sur la conduite à tenir, de décider pour eux, jurant de faire tout ce que Jérémie leur prescrirait. Le prophète leur ayant promis son ministère auprès de Dieu, il advint, au bout de dix jours, que Dieu lui apparut et lui dit d’annoncer ceci à Jean et aux autres chefs et à tout le peuple : s’ils demeurent dans ce pays, Dieu sera avec eux, prendra soin d’eux et les préservera de tout sévices de la part des Babyloniens tant redoutés, nais s’ils émigrent en Égypte, ils les abandonnera et leur infligera dans sa colère « les mêmes maux, dit-il, que vous le savez, vos frères ont subis autrefois ». Or, le prophète eut beau dire à Jean et au peuple que telle était la prédiction de Dieu, on ne voulut pas croire[153] que c’était par ordre de Dieu qu’il les invitait à demeurer dans le pays ; on pensa que, pour plaire à son disciple Barouch, il mettait faussement Dieu en cause et que, s’il les pressait de demeurer là, c’était pour les faire périr de la main des Babyloniens. Refusant donc d’écouter l’avis que Dieu leur donnait par la bouche du prophète, Jean et le peuple partirent pour l’Égypte, emmenant aussi Jérémie et Barouch.

7[154]. Dès qu’ils y arrivent, la Divinité révèle au prophète que le roi des Babyloniens va faire campagne contre les Égyptiens, et elle lui ordonne d’annoncer au peuple que ce roi prendra l’Égypte, mettra à mort plusieurs d’entre eux et emmènera le reste captif à Babylone. C’est, en effet, ce qui advint. La cinquième année qui suivit la dévastation de Jérusalem, c’est-à-dire la vingt-troisième année du règne de Nabuchodonosor, ce prince marche contre la Cœlésyrie, l’occupe et fait la guerre aussi aux Ammanites et aux Moabites. Puis, ayant réduit ces peuplades en son pouvoir, il envahit l’Égypte pour la réduire à merci. II tue celui qui y régnait alors, établit un autre roi et, ayant fait à nouveau prisonniers les Juifs qui s’y trouvaient, il les emmène à Babylone[155]. C’est ainsi que la race des Hébreux, réduite à cette extrémité, fut deux fois, comme on nous l’a transmis, transportée au delà de l’Euphrate. En effet, d’abord le peuple des Dix tribus fut arraché de Samarie, par les Assyriens, sous le règne d’Osée. Puis ce fut le tour da peuple des Deux tribus, emmené par Nabuchodonosor, roi des Babyloniens et des Chaldéens, ou du moins de ce tronçon qui avait survécu à la prise de Jérusalem. Salmanasar, après avoir déporté les Israélites, installa à leur place le peuple des Chouthéens, qui vivaient antérieurement dans l’intérieur de la Perse et de la tiédie et qui, depuis lors, prirent le nom de Samaritains, d’après la contrée où ils s’étaient fixés. Mais le roi des Babyloniens, après avoir emmené les deux tribus, n’installa aucun peuple dans leur pays, et c’est pourquoi toute la Judée demeura déserte, ainsi que Jérusalem et le Temple, pendant soixante-dix ans. Le total du temps qui s’écoula, depuis la transportation des Israélites jusqu’à celle des deux tribus, fut de cent trente ans, six mois, dix jours[156].

 

X

1. Jeunes hommes juifs élevés à la cour de Nabuchodonosor ; Daniel et ses trois compagnons. — 2. Régime suivi par Daniel et ses compagnons ; ils en retirent des avantages physiques et intellectuels. — 3. Songe de Nabuchodonosor ; les mages ne peuvent le lui rappeler, ni l’expliquer ; Daniel supplie Dieu, qui lui révèle songe et explication. — 4. Il les raconte au roi. — 5. Les compagnons de Daniel refusent de se prosterner devant la statue de Nabuchodonosor ; jetés dans la fournaise, ils échappent miraculeusement au feu. — 6. Nouveau songe de Nabuchodonosor ; Daniel en donne l’explication ; Josèphe se retranche derrière l’autorité des Livres Saints.

1[157]. Le roi des Babyloniens, Nabuchodonosor, ayant pris les enfants des Juifs les mieux nés et les proches de leur roi Sédécias[158] qui se distinguaient par la vigueur de leurs corps et la beauté de leurs visages, les confie à des pédagogues chargés d’en prendre soin, après avoir fait de quelques-uns des eunuques[159]. Il traitait de même des jeunes gens à la fleur de l’âge appartenant aux autres nations soumises qu’il avait réduits en captivité ; il leur donnait à manger les viandes de sa table, leur faisait enseigner les traditions du pays et apprendre les lettres des Chaldéens. Ces jeunes gens étaient versés dans la sagesse où il les faisait exercer. Parmi eux se trouvaient quatre jeunes hommes de la famille de Sédécias[160], de caractère vertueux : ils avaient pour noms Daniel(os), Ananias, Misael(os) et Azarias. Le Babylonien les obligea à changer leurs noms contre d’autres : il appela Daniel Baltasar(os), Ananias Sédrach(ès), Misael Misach(ès) et Azarias Abdénagô[161]. A cause de leurs rares dispositions, de leur zèle à apprendre les lettres et de leurs progrès en sagesse, le roi les tenait en honneur et ne cessait de leur témoigner son affection.

2[162]. Cependant Daniel, ainsi que ses compagnons, avait résolu de vivre d’une vie austère, de s’abstenir des mets de la table royale et, en général, de toute chair vivante ; il alla donc trouver Aschanès[163], l’eunuque auquel avait été confiée leur surveillance, le pria de prendre pour lui-même et de consommer tout ce qu’on leur apportait de la part du roi et de leur donner à manger des légumes[164] et des dattes[165] et n’importe quel autre aliment non animal ; ils préféraient, en effet, se nourrir de la sorte et méprisaient toute autre nourriture. Aschanès se déclara prêt à déférer à leur désir, mais il appréhendait que le roi ne s’en aperçût à la maigreur de leur corps et à l’altération de leurs traits, — un pareil régime devant nécessairement agir sur leur corps et leur teint — et surtout par comparaison avec l’aspect des autres jeunes gens, bien nourris ; il craignait d’encourir par leur faute une responsabilité et un châtiment. Cependant les jeunes hommes, volant Aschanès bien disposé, ont raison de ses scrupules et le persuadent de leur fournir cette nourriture pendant dix jours à titre d’essai : si l’aspect de leur corps n’avait pas changé alors, ils continueraient d’user d’un régime qui ne leur ferait plus aucun mal ; que si, au contraire, il les voyait amaigris et plus mal portants que les autres, il les remettrait à leur régime antérieur. Or, non seulement ils n’éprouvèrent aucun dommage à se nourrir ainsi, mais ils en eurent le corps plus robuste et plus développé que les autres, si bien qu’on pouvait croire maltraités ceux qui bénéficiaient de la munificence royale, tandis que Daniel et ses compagnons paraissaient vivre dans l’abondance et faire excellente chère ; dès lors, sans plus rien craindre. Aschanès prenait pour lui tout ce que, chaque jour. le roi avait coutume d’envoyer die sa table aux jeunes gens, et il les nourrissait comme ils l’avaient demandé. Ceux-ci, ayant l’esprit éclairci par ce régime et tout frais pour l’étude et, d’autre part, le corps plus résistant au travail, — leur esprit, en effet, n’était pas corrompu ni alourdi par des aliments variés, ni leur corps amolli pour la même raison, — s’instruisirent aisément dans toutes les branches du savoir des Hébreux et des Chaldéens. Daniel se distingua particulièrement ; déjà assez avancé en sagesse, il s’adonna à l’interprétation des songes, et la Divinité se manifesta à lui.

3[166]. Deux ans après la dévastation de l’Égypte, le roi Nabuchodonosor eut un songe étonnant, dont Dieu même lui fit voir l’issue pendant son sommeil, mais qu’il oublia à peine levé de sa couche. Ayant donc mandé les Chaldéens, les mages et les devins, il leur raconta qu’il avait eu un songe et l’avait oublié ; il leur commanda de lui dire le contenu de ce songe et sa signification. Ceux-ci déclarent impossible pour des hommes de retrouver ce songe, mais promettent de l’expliquer à condition qu’il le leur raconte ; alors il les menaça de mort s’ils ne loi disaient le songe même qu’il avait en. Et il donna ordre de les faire tous périr s’ils avouaient ne pouvoir lui donner satisfaction. Quand Daniel apprit que le roi avait ordonné de mettre à mort tous les sages et que lui et ses proches couraient le même danger, il alla trouver Arioch(ès), à qui était confié le commandement des satellites du roi, et lui demanda pour quelle raison le roi avait ordonné de faire périr tous les sages, les Chaldéens et les mages. On lui raconta l’incident du songe oublié et que, le roi leur ayant commandé de le lui révéler, ils avaient excité sa colère en s’en déclarant incapables. Là-dessus il pria Arioch de pénétrer chez le roi, de demander une nuit de grâce pour les mages et de suspendre d’autant leur exécution : il espérait, en effet, en implorant Dieu, obtenir, au cours de cette nuit, la connaissance du songe. Arioch informa le roi de la supplique de Daniel[167] ; celui ci ordonna de surseoir à l’exécution des mages jusqu’à ce qu’il connût les révélations promises par Daniel. Lejeune homme, rentré chez lui avec ses proches, passe la nuit entière à supplier Dieu de sauver les mages et les Chaldéens, dans le châtiment de qui ils devaient eux-mêmes être enveloppés, et de les soustraire au courroux du roi, en lui faisant connaître le songe et en lui révélant ce que le roi avait vu, puis oublié, la nuit passée, durant son sommeil. Dieu, prenant pitié de ceux qui étaient dans un tel péril et chérissant Daniel pour sa sagesse, lui révéla et le songe et son explication afin qu’il pût en instruire le roi. Ainsi renseigné par Dieu, Daniel se lève tout joyeux, raconte l’événement à ses frères et ranime la bonne humeur et l’espérance de vivre chez ces hommes, qui avaient déjà dit adieu à la vie et tournaient leur pensée vers la mort[168] ; puis, après avoir, avec ceux-ci, rendu grâce à Dieu, qui avait pris en pitié leur jeunesse, le jour venu, il se rend chez Arioch et lui demande de le mener auprès du roi, à qui il voulait révéler le songe que celui-ci disait avoir eu la nuit précédente.

4[169]. Une fois entré chez le roi, Daniel le supplia d’abord de ne point lui attribuer plus de sagesse qu’aux autres Chaldéens et mages, parce que, nul d’entre eux n’ayant pu découvrir le songe, lui seul allait le lui raconter ; ce n’était pas à son expérience qu’il devait ce résultat ou à une intelligence plus exercée que la leur : « mais c’est que Dieu, nous ayant pris en pitié dans notre péril-dé mort, écoutant mes supplications en faveur de ma propre vie et de celle de mes compatriotes, m’a révélé et le songe et son explication. Non moins, en effet, que le chagrin que me causait ta sentence de mort contre nous, c’était le souci de ta propre gloire qui me préoccupait, la gloire d’un prince qui ordonnait injustement de mettre à mort des hommes, des gens de bien, à qui tu avais commandé une chose dont n’est point capable la sagesse humaine et dont tu attendais ce qui n’appartient qu’à Dieu seul. Voici donc la vérité. Comme tu t’inquiétais de savoir qui gouvernerait après toi le monde entier, Dieu, pendant que tu dormais, voulut te révéler tous les rois futurs en t’envoyant le songe suivant : tu crus voir une grande statue, debout, dont la tète était d’or, les épaules et les bras d’argent, le ventre et les hanches d’airain, les jambes et les pieds de fer[170]. Ensuite tu vis une pierre tomber de la montagne et s’abattre sur ta statue qu’elle renversa et brisa sans en laisser une seule partie intacte ; tu vis l’or, l’argent, le fer et l’airain réduits en poussière plus ténue que de la farine ; ces débris, enlevés par la force d’un vent violent, se dispersèrent, mais la pierre grandit au point que la terre entière en paraissait couverte. Tel est le songe que tu as vu. En voici l’interprétation : la tète d’or te désignait, toi-même et tous les rois babyloniens qui t’ont précédé ; les deux mains et les épaules signifient que votre puissance sera brisée par deux rois[171]. L’empire de ces derniers, un autre le détruira, venu de l’occident, vêtu d’airain, et cette puissance même, une autre, semblable au fer, y mettra fin et triomphera pour toujours[172], à cause de la nature du fer, qui est plus résistante que celle de l’or, de l’argent et de l’airain. » Daniel s’expliqua aussi envers le roi au sujet de la pierre. Mais je n’ai pas cru devoir le rapporter, car mon objet est de raconter les événements passés et accomplis et non ceux à venir. Si quelque lecteur, avide d’information exacte et ne reculant pas devant des recherches laborieuses, pousse la curiosité jusqu’à vouloir connaître ce qui adviendra dans le mystérieux avenir, qu’il prenne la peine de lire le livre de Daniel : il le trouvera dans les Saintes Écritures.

5[173]. Le roi Nabuchodonosor, ayant entendu ce discours et reconnu son songe, fut frappé d’admiration devant le génie de Daniel ; tombant sur sa face, il se mit à le révérer à la façon dont on adore la divinité et commanda qu’on lui offrit des sacrifices comme à un dieu. Bien plus, il lui conféra le nom même de son propre dieu[174] et le fit gouverneur de tout son empire, lui et ses proches. Cependant il leur advint d’être en butte à l’envie et à la méchanceté et de courir un danger pour avoir offensé le roi dans les circonstances suivantes[175]. Le roi, ayant fait fabriquer une statue d’or, hante de soixante coudées et large de six, la fit ériger dans la grande plaine de Babylone et, pour la consacrer, convoqua les grands de tous les pays de son empire, avec ordre, dès qu’ils entendraient le signal de la trompette[176], de se prosterner et d’adorer la statue ; ceux qui s’y refuseraient. il menaça de les précipiter dans la fournaise ardente. Tous, en conséquence, dès qu’ils entendirent le signal de la trompette, se mirent à adorer la statue ; mais on dit que les proches de Daniel s’y refusèrent, pour ne point transgresser les lois de leur nation. Reconnus coupables et précipités aussitôt dans le feu, ils furent préservés par la providence divine et échappèrent par miracle à la mort. En effet, le feu ne les toucha pas, et s’il les respecta, c’est, je crois, en vertu de l’innocence de ceux qui y étaient jetés : il n’eut pas la force de briller les jeunes gens, tout le temps qu’il les environna de ses flammes, car Dieu avait rendu leurs corps assez résistants pour n’en être point consumés. Ce miracle les fit paraître au roi comme des hommes vertueux et chers à Dieu ; aussi, dans la suite, obtinrent-ils de lui tous les honneurs.

6[177]. Peu de temps après, le roi eut pendant son sommeil une nouvelle vision : il se voyait, déchu de son pouvoir, passant sa vie avec les bêtes et, après avoir ainsi vécu dans la solitude pendant sept ans, il recouvrait le pouvoir. A la suite de ce rêve. il convoqua derechef les mages, les interrogea et leur en demanda la signification. Aucun d’eux ne put découvrir le sens du songe et le révéler au roi. Cette fois encore Daniel, seul, l’expliqua et il en advint comme il l’avait prédit. Après avoir passé, en effet, dans le désert tout le temps qu’on vient de dire, sans que personne osât se mettre à la tête des affaires pendant ce septennat, le roi supplia Dieu de lui faire recouvrer la royauté et remonta sur le trône. Que personne ne me reproche de rapporter tous ces détails dans mon ouvrage comme je les trouve dans les Livres antiques : car, dès le début de cette histoire, je me suis mis en garde contre ceux qui voudraient apporter quelque critique ou quelque blâme à mon récit, en disant que je ne faisais que traduire en grec les Livres des Hébreux et en promettant de tout exposer sans ajouter aux faits nul détail inventé et sans en rien retrancher.

 

XI

1. Témoignages de Bérose, Mégasthène, Dioclès et autres sur Nabuchodonosor. — 2. Ses successeurs : Balthazar ; mots tracés par une main mystérieuse sur la muraille ; la mère de Balthazar lui conseille de consulter Daniel. — 3. Explication donnée par Daniel. — 4. Réalisation de la prophétie ; fin de Balthazar ; Darius emmène Daniel en Médie. — 5. Les satrapes, jaloux de Daniel, complotent de le perdre. — 6. Daniel dans la fosse aux lions ; châtiment de ses persécuteurs. — 7. Tour construite par Daniel ; il est comblé d’honneurs ; visions symboliques et prophétiques de Daniel ; réalisation des prophéties ; argument qu’elles fournissent pour prouver la Providence.

1. Le roi Nabuchodonosor meurt après un règne de quarante-trois ans, prince entreprenant et plus fortuné qu’aucun des rois ses prédécesseurs. Mention de ses actions est faite aussi par Bérose au livre III de ses Histoires Chaldaïques dans les termes suivants[178] : « Son père Nabopalassar(os), ayant appris la défection du satrape chargé de gouverner l’Égypte, la Cœlé-Syrie et la Phénicie, incapable désormais de supporter lui-même les fatigues de la guerre, mit à la tète d’une partie de l’armée son fils Nabuchodonosor, qui était dans la fleur de l’age, et l’envoya contre le rebelle. Nabuchodonosor en vint aux mains avec celui-ci, le défit dans une bataille rangée et replaça le pays sous sa domination Sur ces entre-faites, son père Nabopalassar tomba malade dans la ville de Babylone et mourut après un règne de vingt et un ans. Nabuchodonosor, informé bientôt de la mort de son père, mit ordre aux affaires de l’Égypte et des autres pays voisins ; les prisonniers faits sur les Juifs, les Phéniciens, les Syriens et les peuples de l’Égypte furent conduits sur son ordre vers la Babylonie par quelques-uns de ses amis avec les troupes les plus pesamment armées et le reste du bagage. Lui-même part en diligence avec une faible escorte et gagne Babylone à travers le désert. Il trouva les affaires administrées par les Chaldéens et le trône gardé par les meilleurs[179] d’entre eux ; maître de l’empire paternel tout entier, il ordonna d’assigner aux captifs, à leur arrivée, des colonies dans les endroits les plus fertiles de la Babylonie. Lui-même, avec le butin de guerre, orna magnifiquement le sanctuaire de Bel et les autres, restaura l’ancienne ville et fit à ses sujets le don d’une ville nouvelle ; ensuite, afin que les assiégeants ne pussent plus détourner le cours du fleuve[180] pour attaquer la ville, il éleva trois remparts autour de la ville intérieure et autant autour de la ville extérieure, les uns en brique cuite et en asphalte, les autres en brique crue. Après avoir fortifié puissamment la ville et décoré les portes d’une manière digne de leur sainteté, il édifia auprès du palais royal de son père un second palais contigu dont il serait peut-être superflu de décrire la hauteur et les autres magnificences ; qu’il suffise de dire que, grandiose et splendide à l’excès, il fut achevé en quinze jours. Dans ce palais il fit élever de hautes terrasses de pierres, leur donna l’aspect de véritables montagnes, puis les cultiva en y plantant des arbres de toute espèce et installa ce qu’on appelle le parc suspendu, parce que sa femme, élevée dans le pays mède, voulait retrouver les sites montagneux de sa patrie. » Mégasthène fait aussi mention de ce roi au livre IV de ses Indiques[181], où il essaie de montrer qu’il surpassa Héraclès par son courage et la grandeur de ses exploits : il dit, en effet, que ce roi soumit la plus grande partie de la Libye et de l’Ibérie. Dioclès, au IIe livre de ses Histoires persiques, mentionne également ce roi, ainsi que Philostrate en ses Histoires judaïques[182] et phéniciennes[183], où il raconte qu’il assiégea Tyr pendant treize ans, à l’époque où régnait sur cette ville Ithobal. Voilà ce qu’ont rapporté tous les historiens touchant ce roi.

2[184]. Après la mort de Nabuchodonosor, la royauté échoit à Abilamarôdach(os)[185], son fils, qui, ayant aussitôt fait sortir des chaînes le roi de Jérusalem, Jéchonias[186], le compta au nombre de ses amis les plus intimes, le combla de présents et lui donna la garde du palais royal de Babylone Car son père n’avait pas gardé la foi jurée à Jéchonias, qui s’était livré de bon gré avec ses femmes, ses enfants et toute sa famille dans l’intérêt de sa patrie, afin qu’elle ne fût pas détruite après avoir été assiégée et prise, ainsi que nous l’avons dit précédemment[187]. Abilamarôdach étant mort après dix-huit ans de règne, Niglisar(os), son fils[188], prend le pouvoir, et, après l’avoir tenu quarante ans[189], il meurt. Après lui, la succession de la couronne échoit à son fils Labosordach(os)[190] qui la garde en tout neuf mois ; à sa mort, elle passe à Baltasar(os), appelé Naboandèl(os)[191] chez les Babyloniens. Contre lui[192] marchent Cyrus, roi des Perses, et Darius, roi des Mèdes[193]. Tandis qu’il était assiégé dans Babylone, une vision étonnante et prodigieuse se produisit. Il était étendu pour dîner, avec ses concubines et ses amis, dans une grande salle construite pour les festins royaux. La fantaisie le prend de faire apporter de son temple particulier les vases de Dieu que Nabuchodonosor avait dérobés à Jérusalem et dont il n’avait point fait usage, se bornant à les placer dans son temple. Mais Baltasar pousse l’audace jusqu’à s’en servir en buvant et en blasphémant contre Dieu, lorsqu’il voit une main surgir de la muraille et tracer certaines syllabes sur celle-ci. Troublé par cette vision, il convoque les mages et les Chaldéens et toute espèce de gens parmi les Babyloniens particulièrement apte à interpréter les signes et les songes, afin qu’ils lui expliquent l’inscription. Comme les mages avouaient ne rien trouver ni comprendre, le roi, dans l’anxiété et l’extrême affliction que lui causait ce miracle, fit publier par tout le pays qu’il promettait à qui interpréterait clairement ces lettres et leur signification un collier d’or fait d’anneaux entrelacés, le droit de porter une robe de pourpre comme les rois des Chaldéens et le tiers de son propre empire. A la suite de cette proclamation, les mages accoururent avec plus d’empressement encore, mais ils eurent beau chercher à l’envi le sens de ces lettres, ils n’en étaient pas plus avancés. Voyant le roi tout découragé de cet échec, sa grand’mère essaya de le rassurer et lui dit qu’il y avait un captif originaire de Judée, du nom de Daniel, amené par Nabuchodonosor après le sac de Jérusalem, homme sage, habile à résoudre les énigmes inexplicables et connues de Dieu seul ; c’était lui qui, lorsque personne ne pouvait répondre aux questions posées par le roi Nabuchodonosor, avait découvert ce qu’il cherchait. Elle lui conseillait donc de le mander et de l’interroger au sujet de ces lettres afin de confondre l’ignorance de ceux qui avaient échoué à les comprendre, quelque sinistre que pût être l’événement signifié par Dieu.

3[194]. Ayant entendu cet avis, Baltasar envoya chercher Daniel, lui dit qu’il avait oui parler de lui et de sa sagesse, de l’inspiration divine qui le secourait, et comment seul il était vraiment capable de démêler les choses refusées à l’intelligence des autres ; il le pria donc de la déchiffrer et de lui expliquer l’inscription : s’il y parvenait, il lui accorderait le vêtement de pourpre, le collier d’or tressé, avec le tiers de son empire, pour honorer et récompenser sa sagesse, afin que par ces faveurs il devint illustre aux yeux des hommes et qu’ils apprissent comment il les avait obtenues. Mais Daniel le pria de garder ses présents, — car la Sagesse et la Divinité sont incorruptibles et rendent service gratuitement à ceux qui ont besoin d’elles — et promit de lui expliquer l’inscription : elle annonçait au roi qu’il allait perdre la vie, puisque même le châtiment subi par son aient en punition de ses offenses envers Dieu ne l’avait point instruit lui-même à se montrer pieux et à ne rien tenter au-dessus de la nature humaine ; Nabuchodonosor avait été réduit, pour ses impiétés, à mener la vie d’une bête, puis, repris en grâce, après bien des supplications et des prières, avait recouvré une existence humaine et la royauté, ce dont il avait, jusqu’à sa mort, loué Dieu, l’Être tout-puissant qui veille sur les hommes. Baltasar s’était montré oublieux de ces faits, avait blasphémé souvent contre la Divinité et s’était servi des vases sacrés en compagnie de ses concubines. Témoin de ces fautes, Dieu s’était courroucé contre lui et lui présageait par cette inscription la catastrophe où il devait succomber. Et voici comment il expliqua les lettres : MANÉ : ce mot, dit-il, pourrait se dire en grec arithmos « nombre », c’est-à-dire que Dieu a compté la durée de ta vie et qu’il ne te reste plus qu’un court laps de temps. THÉKEL : ceci veut dire le « poids » ; ainsi Dieu, dit-il, avant pesé la durée de ta royauté, t’avertit qu’elle penche déjà. PHARÈS : ceci signifie en grec klasma, « brisure » ; il brisera, en effet, ton royaume et le partagera entre les Mèdes et les Perses.

4. Quand Daniel eut ainsi expliqué au roi le sens des lettres écrites sur le mur, Baltasar comme il est naturel après d’aussi terribles révélations, fut en proie au chagrin et à la douleur. Cependant, loin de refuser à Daniel, bien que prophète de malheur les présents qu’il lui avait promis, il les lui donna tous, car il attribuait la chute de son royaume dont il était menacé à la fatalité et non au prophète lui-même, et il estimait, d’autre part, qu’il appartenait à un homme vertueux et juste de remplir ses promesses, si sombre que fût l’avenir à lui révélé. Telle fut sa décision. Peu de temps après, il fut pris, lui, ainsi que la ville, au cours d’une guerre que lui fit Cyrus, roi des Perses[195]. C’est, en effet, sous Baltasar qu’advint la prise de Babylone, après que celui-ci eut régné dix-sept ans. Voilà comptent trous a été rapportée la tin des descendants du roi Nabuchodonosor. Darius, qui abattit la puissance des Babyloniens de concert avec Cyrus, son parent, était âgé de soixante-deux ans quand il conquit Babylone. Il était fils d’Astyage, mais portait un autre nom chez les Grecs[196]. S’étant emparé du prophète Daniel, il l’emmena en Médie et le garda avec lui en lui prodiguant tous les honneurs. Daniel fut, en effet, un pies trois satrapes, — car tel en fut le nombre, — qu’il préposa aux trois cent soixante satrapies[197].

5[198]. Daniel, objet de tant d’honneurs et d’une estime si insigne de la part de Darius, qui l’employait seul en toute circonstance, comme un homme inspiré par la Divinité, fut en butte à l’envie : on est jaloux, en effet, de voir autrui en plus grande faveur que soi auprès des rois. Mais ceux que blessait son crédit auprès de Darius eurent beau cher-cher prétexte à calomnie et à accusation contre lui, Daniel ne leur en fournit aucune occasion. Comme il était, en effet, au-dessus de l’intérêt et méprisait tout profit, tant il lui semblait honteux de rien accepter, même pour de grands services[199], il ne permettait pas à ses envieux de découvrir contre lui le moindre grief. Ceux-ci, ne trouvant rien à dire au roi qui put nuire à Daniel dans son estime, en le déshonorant ou en le calomniant, cherchèrent un autre moyen de se débarrasser de lui. Comme ils voyaient Daniel prier Dieu trois fois par jour, ils pensèrent trouver là un prétexte pour le perdre. Ils vinrent donc annoncer à Darius que ses satrapes et ses gouverneurs jugeaient bon d’interdire au peuple durant trente jours d’adresser supplication ni prières soit à lui-même[200], soit aux dieux, et que celui qui enfreindrait cette défense mourrait précipité dans la fosse aux lions.

6[201]. Le roi, sans pénétrer leur méchant dessein, ni soupçonner que cette mesure était dirigée contre Daniel, approuva leur résolution, promit de la ratifier et fit afficher un édit instruisant le peuple M. de la décision des satrapes. Et tout le monde de demeurer en repos, se gardant de désobéir à la consigne, sauf Daniel, qui ne s’en souciait pas le moins du monde, mais qui, debout, selon son habitude, priait Dieu au vu de tous. Les satrapes, saisissant l’occasion qu’ils cherchaient contre Daniel, se rendirent incontinent auprès du roi et accusèrent Daniel d’avoir seul enfreint l’édit, car nul autre n’avait osé adresser des prières aux dieux — et cela non par piété[202] ... Ils comprenaient, en effet, que Darius en usait avec plus de bienveillance qu’ils ne s’y étaient attendus, tout prêt à pardonner à Daniel, bien que celui-ci eût méprisé ses édits ; leur jalousie s’en aigrit encore davantage et, loin de revenir à des sentiments plus humains, ils demandèrent qu’on le jetât, selon la loi, dans la fosse aux lions. Darius, dans l’espoir que la Divinité sauverait Daniel et qu’il serait épargné par les fauves, l’exhorta à subir son destin avec courage. Quand on eut jeté Daniel dans la fosse, le roi, après avoir scellé la pierre qui fermait l’ouverture en guise de porte, s’en alla et demeura toute la nuit sans manger et sans dormir, angoissé du sort de Daniel. Le jour venu, il se leva et vint à la fosse, et, ayant trouvé intact le sceau dont il avait marqué la pierre, il l’ouvrit et cria, appelant Daniel et lui demandant s’il était sauf. Celui-ci, entendant le roi, répondit qu’il n’avait point eu de mal, et le roi ordonna de le retirer de la fosse aux bêtes. Les ennemis de Daniel[203], constatant qu’il n’avait souffert d’aucun mal, ne parent croire qu’il eût été sauvé par la providence divine, mais supposèrent que si les lions n’avaient pas touché à Daniel et ne s’étaient pas approchés de lui, c’est qu’ils étaient gorgés de nourriture ; ils donnèrent cette explication au roi. Celui-ci, détestant leur méchanceté, ordonna de jeter force viande aux lions et, une fois ceux-ci rassasiés, de précipiter les ennemis de Daniel dans la fosse, pour voir si les lions, ainsi repus, s’abstiendraient de s’attaquer à eux. Quand les satrapes eurent été jetés aux bêtes, il apparut clairement à Darius que c’était la Divinité qui avait préservé Daniel : aucun d’eux, en effet, ne fut épargné des lions, mais ceux-ci les dévorèrent tous comme s’ils eussent été affamés et à jeun. Or, ce qui les excita ainsi, à mon avis, ce n’était pas la faim, puisque peu auparavant on les avait gorgés de nourriture, mais bien la perversité de ces hommes : elle pouvait, en effet, se révéler même à des animaux dépourvus de raison, si Dieu voulait se servir de ceux-ci pour les châtier.

7[204]. Après que les hommes qui avaient comploté contre Daniel eurent péri en cette manière, le roi Darius envoya des messagers par tout le pays pour célébrer le Dieu qu’adorait Daniel et pro-clamer qu’il était le seul vrai et tout-puissant. De plus, il témoigna à Daniel les plus grands honneurs et le désigna comme le « premier de ses amis ». Daniel, ainsi comblé d’illustration et de splendeur parce qu’on le considérait comme aimé de Dieu, bâtit une tour[205] à Ecbatane en Médie, construction magnifique et d’un travail étonnant, qui existe encore aujourd’hui, si bien conservée qu’elle semble aux visiteurs toute neuve et dater du jour même où chacun l’aperçoit : tant sa beauté est fraîche et éclatante, sans avoir le moins du monde vieilli après un si long temps ; car les édifices, comme les hommes, blanchissent et s’affaiblissent avec les années et leur splendeur se fane. Cette tour sert de sépulture aux rois des Mèdes, des Perses et des Parthes jusqu’à nos jours, et la garde en est confiée à un prêtre juif : l’usage en est encore demeuré à présent. Il vaut la peine de raconter de cet homme les traits les plus dignes d’exciter l’admiration. Tout, en effet, lui réussit d’une façon extraordinaire comme à un des plus grands prophètes[206] ; tout le temps de sa vie il fut en honneur et en estime auprès des rois et du peuple ; mort, il jouit d’un renom éternel ; car tons les livres qu’il a composés et laissés sont lus chez nous encore maintenant, et nous y poisons la conviction que Daniel conversait avec Dieu. Il ne se bornait pas, en effet, à annoncer les événements futurs, ainsi que les autres prophètes, mais il détermina encore l’époque où ils se produiraient. Et tandis que Ies prophètes annonçaient les calamités et s’attiraient pour cette raison la colère des rois et du peuple, Daniel fut pour eux un prophète de bonheur, de sorte que ses prédictions de bon augure lui conquirent la bienveillance de tous et que leur réalisation lui valut la confiance de la foule et la réputation d’un homme de Dieu. Il nous a laissé[207] par écrit la preuve de l’exactitude immuable de sa prophétie. Il raconte, en effet, que, tandis qu’il se trouvait à Suse, capitale de la Perse, comme il sortait dans la plaine avec ses compagnons, un tremblement de terre et une commotion se produisirent soudain[208] ; il fut abandonné de ses amis qui prirent la fuite et tomba sur la bouche après avoir roulé sur les mains ; alors quelqu’un le saisit et en même temps lui commanda de se lever et de considérer ce qui allait advenir à ses concitoyens après beaucoup de générations[209]. Quand il se fut relevé, on lui montra un grand bélier sur lequel avaient poussé nombre de cornes[210], la dernière plus haute que les autres. Ensuite il leva les yeux vers le couchant et vit un bouc s’élançant de là à travers les airs, qui, après s’être heurté avec le bélier et l’avoir frappé deux fois de ses cornes, le renversa à terre et le foula aux pieds. Puis il vit le bouc faire surgir de son front une énorme corne[211], laquelle s’étant brisée, quatre autres repoussèrent, tournées vers chacun des points cardinaux. De celles-ci, écrit-il, une autre, plus petite, s’était élevée, qui, — lui dit Dieu, auteur de ces révélations, — grandirait et devait faire la guerre à son peuple et s’emparer de vive force de la ville, mettre le Temple sens dessus dessous et défendre de célébrer les sacrifices pendant mille deux cent quatre-vingt-seize jours[212]. Voilà ce que Daniel écrivit avoir vu dans la plaine de Suse, et il révéla que Dieu lui avait ainsi expliqué le sens de cette vision. Le bélier, déclarait-il, désignait les empires des Perses et des Mèdes, et les cornes leurs rois à venir ; la dernière corne indiquait le dernier roi, qui, en effet, l’emporterait sur tous en richesse et en gloire. Quant au bouc, il signifiait qu’il y aurait un roi de souche hellénique[213], lequel, ayant livré bataille au Perse, remporterait par deux fois la victoire et hériterait de toute sa puissance. La grande corne sortie du front du bouc indiquait le premier roi ; la poussée des quatre autres, après la chute de la première, et leur orientation respective vers les quatre coins de la terre signifiaient les successeurs du premier roi après sa mort et le partage de son royaume entre eux ; ces rois, qui n’étaient ni ses fils ni ses parents, gouverneraient le monde durant de nombreuses années. Il naîtrait parmi eux un roi qui ferait la guerre au peuple juif et à ses lois, détruirait leur forme de gouvernement, pillerait le Temple[214] et interromprait les sacrifices pendant trois ans. Et c’est, en effet, ce que notre nation eut à subir de la part d’Antiochus Épiphane, comme Daniel l’avait prévu et en avait, bien des années auparavant, décrit l’accomplissement. De la même façon, Daniel a écrit aussi au sujet de la suprématie des Romains et comment ils s’empareraient de Jérusalem et feraient du Temple un désert. Tout cela Daniel, sur les indications de Dieu, l’a laissé consigné par écrit, afin que ceux qui le liraient et seraient témoins des événements admirent de quelle faveur Daniel jouissait auprès de Dieu et y trouvent la preuve de l’erreur des Épicuriens. Ceux-ci, en effet, rejettent de la vie la Providence et ne croient pas que Dieu s’occupe des choses (humaines) et que tout soit gouverné par l’Essence bienheureuse et immortelle en vue de la permanence de l’univers, mais prétendent que le monde marche de son propre mouvement sans conducteur et sans guide. Or, s’il était ainsi sans direction, de même que nous voyons les navires privés de pilotes sombrer sous les tempêtes ou bien les chars se renverser si personne ne tient les cènes, ce monde, fracassé par quelque tourmente imprévue, ne manquerait pas de périr et de s’anéantir. En présence de ces prédictions de Daniel, il me semble que ceux-là pèchent singulièrement contre la vraie doctrine, qui prétendent que Dieu n’a aucun souci des choses humaines, car si le monde se dirigeait d’une manière automatique, nous n’aurions pas vu toute chose s’accomplir selon sa prophétie.

Quant à moi, j’ai écrit sur ce sujet suivant ce que j’ai trouvé et lu. Que si quelqu’un pense autrement sur ces matières, je ne lui fais pas un reproche de son dissentiment.

 

livre IX             livre XI
 


[1] II Rois, XVIII, 13 ; cf. Isaïe, XXXVI, 1, et II Chroniques, XXXII, 1.

[2] Hébreu : Sanhérib ; LXX : Σενναχημρίμ.

[3] N’est pas dans la Bible.

[4] D’après la Bible, à Lakhisch.

[5] Josèphe supplée ainsi au laconisme du récit biblique, qui mentionne d’abord la contribution d’Ezéchias et tout de suite après l’envoi de Rabsaké.

[6] Hébreu (v. 17) : Tharthan, Rab-Saris ; LXX : Θαρθάν, ‘Ραφίς.

[7] II Rois, XVIII, 18 ; Isaïe, XXXVI, 2.

[8] Josèphe simplifie ici les données topographiques précises de la Bible.

[9] Bible : préposé à la maison (royale).

[10] Hébreu : Schebna le scribe. Le titre manque dans le texte de Josèphe, peut-être accidentellement. LXX : Σωμνάς.

[11] Hébreu : Yôah ; LXX : Ίωάς.

[12] τεθλασμένος comme dans la LXX.

[13] Josèphe supprime à dessein l’allusion ironique du texte biblique à l’abolition par Ezéchias du culte des hauteurs (v. 22).

[14] Dans la Bible, cette proposition vient avant le moment où Eliakim demande à Rabsaké de parler araméen (v. 23). La transposition rend le récit plus logique.

[15] Contre son habitude, Josèphe fait discourir son personnage bien plus brièvement que la Bible. Les discours suivants sont également très abrégés.

[16] II Rois, XIX, 1 ; Isaïe, XXXVII, 1.

[17] Détail ajouté par Josèphe.

[18] II Rois, XIX, 9 ; Isaïe, XXXVII, 9.

[19] Hébreu (Isaïe, XXXVII, 8) : Libna (cf. Josué, X, 29) ; LXX : Λοβνά ou Λομνά. La Libna biblique se trouvait dans la Schefèla entre Makkeda et Lachisch (Bath-Djibrin d’après Eusèbe). Josèphe remplace Libna par Péluse d’après Hérodote, qu’il cite ensuite.

[20] Hébreu : Tirhaka ; LXX : Θαραxά.

[21] II, CXLI.

[22] Plus haut cependant Hérodote appelle Sanacharib : Βασιλέα Άραβίων τε xαί Άσσυρίων.

[23] La plupart des manuscrits (sauf LV) ajoutent ici les mots λεγων οΰτως : il devait donc suivre une citation textuelle de Bérose (p. 12 Didot ad fin.) qui est tombée. Sic Hudson, Niese (I, p. XXXI), etc.

[24] II Rois, XIX, 35 ; Isaïe, XXXVII, 36.

[25] Mots ajoutés par Hudson d’après l’ancienne traduction latine.

[26] Josèphe rationalise ; la Bible parle d’un ange exterminateur.

[27] D’après II Chroniques, XXXII, 21.

[28] Dans la Bible, Sennachérib est tué dans le Temple de Nisrokh (LXX : Μεσεράχ ; Isaïe : Νασαράχ).

[29] Bible : le pays d’Ararat.

[30] Hébreu : Esar-Haddon ; LXX : Άσορδάν. Les mots τών μετ’ αύτούς xατεφρονών τοΰ Σεναχηρίβου sont corrompus et inintelligibles. On attendrait quelque chose comme τών μετ’ αύτούς πρεσβύτατος ύίών τοΰ Σ. En effet, d’après Bérose (Eusèbe), Asarhaddon est un fils de Sennachérib. (T. R.)

[31] II Rois, XX, 1 ; II Chroniques, XXXII, 23-24 ; Isaïe, XXXVIII, 1.

[32] D’après la Bible (Rois, XX, 6), il semble que cet épisode se place avant et non après l’invasion de Sennachérib.

[33] Ce souci d’Ezéchias, inconnu à la Bible, est l’écho d’une tradition que connaît également le Talmud (Berakkot, 10 a) : Ezéchias est condamné à mort, d’après II Rois, XX, 1, pour n’avoir pas accompli le précepte de la procréation.

[34] Degrés non d’un cadran solaire, mais, semble-t-il, d’un escalier (« degrés d’Achaz », dit le texte de Rois).

[35] Texte corrompu.

[36] Josèphe supprime le remède du gâteau de figues.

[37] II Rois, XX, 12 ; Isaïe, XXXIX, 1.

[38] On ne voit pas où.

[39] Rois : Berodac-Baladan ; Isaïe : Mérodac-Baladan ; LXX : Μαροιδάχ Βαλαδάν.

[40] La Bible ne parle pas de présents.

[41] C’est le fr. 13 de Müller ; cf. fr. 12 (Polyhistor cité par Eusèbe), qu’on rapporte également à Bérose.

[42] II Rois, XX, 21 ; XXI, 1 ; II Chroniques, XXXII, 33 ; XXXIII, 1.

[43] Hébreu : Hefci-Bah ; LXX : Άψιβά (A : Όφσιβά).

[44] D’après la Bible (Rois, XXI, 6), Manassé fit passer son fils (ses fils d’après la Chronique, XXXIII, 6) par le feu et (v. 16) répandit le sang en si grande abondance que Jérusalem en était remplie d’une extrémité à l’autre. Josèphe s’inspire pour le meurtre des prophètes, dont il n’est pas fait mention dans l’Écriture, d’une tradition qui se retrouve dans le Talmud, mais visant particulièrement Isaïe. D’après une baraïta (Yebamot, 49 b), Siméon ben Assai (III siècle apr. J.-C.) disait avoir trouvé à Jérusalem un rouleau (Meguillat Yohassin) où se trouvaient ces mots : « Manassé tua Isaïe ». Cf. Sanhédrin, 103 b (jer., 28 c). Ce rouleau n’est pas sans rapport avec l’écrit apocryphe concernant le meurtre d’Isaïe auquel fait allusion Origène en plusieurs passages, entre autres ad Matt., 13, 57, 23, 27 (cf. Schürer, Geschischte des jüdishen Volkes, III, 280 suiv.).

[45] II Chroniques, XXXIII, 11.

[46] Hébreu : le roi d’Assyrie.

[47] Texte altéré. On peut lire, avec Niese Θεώ δέ δουλεύειν (mss. : ών έπιβουλεύειν).

[48] Hébreu (II Rois, XXI, 19) : Amôn ; LXX : Άμώς.

[49] Hébreu : Meschoullémét ; LXX : Μεσολλάμ (A. : Μασαλλαμείθ).

[50] Hébreu : Yateba ; LXX : Ίετέβα.

[51] II Rois, XXI, 20 ; II Chroniques, XXXIII, 21.

[52] II Rois, XXII, 1 ; II Chroniques, XXXIV, 1.

[53] Hébreu : Yedida, de Bocekat ; LXX : Ίεδία... έx Βασουρώθ.

[54] II Chroniques, XXXIV, 3.

[55] Hébreu : Maacèyahou ; LXX : Μαασά.

[56] Hébreu : Yoah ; LXX : Ίουάχ.

[57] Hébreu : Hilkiyya ; LXX : Χελxίας.

[58] II Rois, XXII, 3 ; II Chroniques, XXXIV, 8 ; dans la Bible, il n’est pas parlé de fabriquer des vases et cratères.

[59] Texte corrompu.

[60] II Rois, XXIII, 1 ; II Chroniques, XXXIV, 29.

[61] « Devant la colonne » (Bible).

[62] Addition personnelle au texte de l’Écriture (II Rois, XXIII, 5).

[63] II Rois, XXIII, 15.

[64] Quelques mss. (L, V) ajoutent ici le nom Achias, alors que, plus haut (VIII, 231), Josèphe a nommé Yadon. La Bible ne nomme pas le prophète.

[65] Lacune dans le texte.

[66] Addition de Josèphe.

[67] II Rois, XXIII, 19.

[68] II Rois, XXIII, 12.

[69] Les mots τά τοϊς βασιλενομένοις έφεστώτα sont corrompus et inintelligibles. Il s’agit des chars du soleil (Rois, XXIII, 11). Peut-être τοϊς βασιλείοις « dressés devant le palais royal ».

[70] II Rois, XXIII, 21 ; II Chroniques, XXXV, 1. L’expression « fête des azymes » ne se trouve que dans la Chronique (v. 17) ; Rois ne parlent pas de cette fête des azymes.

[71] Hébreu (Chroniques, v, 8) ajoute : et trois cents bœufs.

[72] II Rois, XXIII, 29 ; II Chroniques, XXXV, 20.

[73] Josèphe rectifie, conformément à l’histoire, la Bible qui dit : contre le roi d’Assyrie (Chron. hébr. : Karkemiseb ; LXX : le roi des Assyriens).

[74] Hébreu : Megiddo ; LXX : Μαγεδδώ ou Μαγεδδν (A : Μαγδώ dans I Rois, IV).

[75] II Chroniques, XXXV, 25.

[76] Josèphe entend par là la prise de Jérusalem par Titus.

[77] Jérémie, passim.

[78] Ézéchiel, id.

[79] La Bible ne compte qu’un livre d’Ézéchiel. S’agit- il ici d’un livre que nous n’avons plus ou n’est-ce pas plutôt deux groupes de chapitres faisant partie intégrante de l’Ézéchiel biblique ?

[80] Jérémie, I, 2.

[81] II Rois, XXIII, 30 ; II Chroniques, XXXVI, 1.

[82] Hébreu : Hamoutal de Libna ; LXX : Άμιτάλ έx Λοβνά.

[83] Hébreu : à Ribla, sur le territoire de Hamath.

[84] C’est ce que déduit Josèphe du texte de la Bible II Rois, XXIII, où il est dit d’abord (v. 31) que Joachaz avait 23 ans, ensuite (v. 36) que Joïachim en avait 25.

[85] Bible : trois mois tout court. Josèphe a confondu avec ce qui est dit de Joyachin dans II Chroniques, XXXVI, 9.

[86] Hébreu : Zeboudda ; LXX : Ίελδάφ.

[87] Bible : Rouma.

[88] Jérémie, XXV, 1 ; XLVI, 2 (grec : XXVI).

[89] D’après II Rois, XXIII, 36, Joïachim meurt après avoir servi Nabuchodonosor trois ans comme il en règne en tout onze, il s’ensuit que c’est dans la huitième année qu’il avait été réduit en servitude.

[90] II Rois, XXIV, 1.

[91] Jérémie, XXVI, 2 (grec : XXXIII).

[92] Dans le texte biblique, ce sont les prêtres et les prophètes qui s’attaquent à Jérémie mais non les chefs (les grands), qui prennent, au contraire, sa défense.

[93] Texte altéré.

[94] Jérémie, XXXVI, 9 (grec : XLIII, 1).

[95] II Rois, XXIV, 2 ; II Chroniques, XXXV, 6 ; Jérémie, XXII, 18-19.

[96] Jérémie, XXII, 19 ; d’après II Chroniques, XXXVI, 6, Nabuchodonosor le fait mettre aux fers pour l’emmener à Babylone.

[97] Hébreu : Joïachin ; Josèphe ne différencie les deux Joïachim que par l’orthographe (x, χ) et l’accentuation ; LXX : seulement la différence du x au χ.

[98] Ni les Rois, ni la Chronique ne parlent de cette déportation ; la source est sans doute Jérémie, LII, 28 : « Voici le chiffre de la population que Nabuchodonosor emmena en exil : dans la septième année. 3023 Judéens... » Bien que ce verset soit absent de nos éditions de la LXX. Josèphe a dû l’avoir sous les yeux.

[99] D’après l’hébreu d’Ézéchiel, I, 1-2, il paraît avoir été plutôt du groupe d’exilés du temps de Joïachin. Mais il est à remarquer que le grec porte Ίωαxείμ = Joïachim.

[100] Hébreu : Nehouschta ; LXX : Νέσθα.

[101] II Rois, XXIV, 10 ; II Chroniques, XXXVI, 10.

[102] La Bible (v. 9) le considère comme un impie.

[103] La Bible donne d’abord (II Rois, XXIV, 14-15, versets probablement interpolés) le chiffre de 10.000 exilés, plus les forgerons et les serruriers ; en outre, Joïachin, sa mère, ses femmes, ses eunuques et les personnages de marque ; puis au v. 16, 7.000 guerriers, plus un millier de forgerons et serruriers. On ne sait d’où provient le chiffre de 10.832 donné par Josèphe. À noter toutefois les 832 personnes qu’au témoignage de Jérémie (LII, 29 — le verset manque dans le grec —), Nabuchodonosor emmena de Jérusalem la 18e année de son règne. La coïncidence de ce chiffre avec les 10.832 de Josèphe ne doit pas être fortuite. Sans doute, la 18e année de Nabuchodonosor tombait sou Sédécias et non nous Joïachin. Mais Josèphe a dû lire un texte de Jérémie différent des nôtres (massorétique et LXX).

[104] La plupart des manuscrits lisent Sacchias ou Sachchias (hébreu : Çidkiahou ; LXX : Σεδεxίας).

[105] II Rois, XXIV, 18 ; II Chroniques, XXXVI, 11 ; Jérémie, XXXVII, 1 (grec : XLIV, 1 ; LII, 1).

[106] Inadvertance de Josèphe. La Bible (II Rois, XXIV, 18 ; Jérémie, LII, 1) lui donne pour mère Hamoutal, fille de Jérémie, du Libna.

[107] Ézéchiel, XII, 13 ; XVII, 20 ; cf. Jérémie, XXXIV, 3 (grec : XLI, 3).

[108] Cette argumentation inspirée par la contradiction apparente des deux prophètes est propre à Josèphe.

[109] II Rois, XXIV, 20 ; II Chroniques, XXXVI, 13.

[110] Jérémie, XXXVII, 5 (grec : XLIV, 5).

[111] Cf. Jérémie, XXV, 11.

[112] Jérémie, XXXVII, 11 (grec : XLIV, 11).

[113] II Rois, XXV, 1 ; Jérémie, XXXIX, 1 (XLVI, 1).

[114] Rois ne connaissent qu’une campagne ; Josèphe a compilé Jérémie avec Rois.

[115] Calculé d’après Jérémie, XXXIX, 1-2.

[116] Jérémie, XXXVIII, 1 (XLV, 1).

[117] Jérémie, XXXVIII, 5-13.

[118] Épithètes qui détonent auprès de celles du § 2 ci-dessus.

[119] Hébreu : Ebed-Mélekh. Les LXX y voient un nom propre Άβδεμελέχ.

[120] Jérémie, XXXVIII, 14, compilé avec XXXVII, 17-20.

[121] II Rois, XXV, 1 ; Jérémie, LII, 4 ; tout le développement est inventé par Josèphe, qui se souvient du siège de Jérusalem par Titus.

[122] II Rois, XXV, 3 ; Jérémie, XXXIX, 2.

[123] Hébreu : Ribla.

[124] Hébreu : Nergal-Sarécer, Samgar-vehou, Sarsekhim, Nergal-Sarécer (21 fois), Rab-bag (ou chef des Mages) ; LXX = Μαργανασάρ (ou Νηργελ Σαρασαρ et d’autres variantes). Σαμαγώθ, Ναβουσάχαρ, Ναβουσαρείς, Ναγαράς, Νασερραβαμάθ. Les noms hébreux ont été lus de diverses façons. Il semble que les noms, sans doute altérés, de Josèphe correspondent, mis à part le deuxième, aux lettres dans les noms bibliques juxtaposés (en supprimant le deuxième Nergal-Sarécer comme dittographie).

[125] Discours et scène forgés par Josèphe.

[126] Jérémie, XXXIV, 2 (grec, XLI, 3).

[127] Ézéchiel, XII, 13.

[128] Les 514 ans comprennent, en plus de la durée de 470 ans indiquée plus loin depuis la construction du Temple jusqu’à sa ruine, les 40 ans du règne de David et les 4 premières années de Salomon. Les 10 années de Saül ne peuvent, semble-t-il, entrer dans ce compte (cf. Destinon, Chron., p. 18). Y aurait-il ici une interpolation ?

[129] II Rois, XXV, 8 ; Jérémie, LII, 12.

[130] Bible (Rois) : le septième jour du cinquième mois, qui est la 19e année du règne de Nabuchodonosor ; Jérémie : le dixième jour.

[131] Plusieurs manuscrits ont 3513 au lieu de 4513. Quoi qu’il en soit, cette chronologie est impossible à accorder avec Ant., VIII, III, 1, § 61. Les premiers chiffres cadrent bien : 592 + 470 = 1062, mais non point les autres : 4513 (d’Adam à la destruction) — 470 = 4043 (d’Adam à la construction du Temple), et non 3102 (Ant., VIII, § 61). Voir, en dernier lieu, F. Westberg, Die biblische Chronologie nach Flavius Josephus, 1910.

[132] II Rois, XXV, 18 ; Jérémie, LII.

[133] D’après Jérémie ; les Rois ont : cinq.

[134] I Chroniques, V, 84 (grec, VI, 8-15) ; cf. Ant., V, § 361.

[135] Hébreu : Yohanan, LXX : Ίωανάν. A partir de là, la liste de l’hébreu et celle de la Septante différent beaucoup : nous y lisons : Amaria, Achitoub, Çadok, Salloum, Hilkia, Azaria, Ceraya, Yehoçadak (cf. la liste plus courte d’Esra, VII, 1-6).

[136] On a remarqué qu’il n’y a ici que 17 noms, alors qu’ailleurs (Ant., XX, X, 231) Josèphe compte 18 grands-prêtres dans cet intervalle. Whiston insère (sur l’autorité du Seder Otam) Azarias entre Elcias et Saréas. (T. R.).

[137] II Rois, XXV, 22 ; Jérémie, XXXIX, 14 ; XL, 4.

[138] Hébreu : Guedalia fils d’Abikam.

[139] Hébreu : Miçpa.

[140] II Rois, XXV, 23 ; Jérémie, XL, 7.

[141] Hébreu : Yohanan ben Karéah, Yezanyahou [Yaazania (Rois)], Séraïa ; LXX : Ίωνά υίός Καρήθ, Ίεζονίας, Σαραίας.

[142] Hébreu : Baalis.

[143] Jérémie, XL, 11.

[144] Nous lisons avec Naber χέριν au lieu de χώραν.

[145] Jérémie, XLI, 1 ; II Rois, XXV, 25.

[146] La Bible dit : le septième mois.

[147] Ils étaient dix d’après Jérémie, XLI, 8.

[148] Dans la Bible il n’est question que de vivres.

[149] Jérémie, XLI, 11.

[150] Hébreu : près des grandes eaux de Ghibeôn (LXX : Γαβαών). C’est une inadvertance de Josèphe.

[151] Hébreu, vers. 17 : Gèrout (hôtellerie ?) Kimham ; LXX : Γαβηρωχαμαά (Γηβηρωθχαμααμ). On ne voit pas d’où peut venir la leçon Mandra, à moins que Μανδρα ne soit l’hébreu « hôtellerie », traduction araméenne d’un autre mot hébreu.

[152] Jérémie, XLII, 1 (grec, XLIV).

[153] Jérémie, XLIII, 1 (grec, L).

[154] Jérémie, XLIII, 8.

[155] D’après Jérémie, LII, 30. Dans ce texte, c’est Nebouzaradan qui effectue cette deuxième déportation.

[156] S’agit-il ici de la première άνάστασις contemporaine de la destruction du Temple, ou de la deuxième racontée dans ce chapitre, qui eut lieu cinq ans après, la 23e année de Nabuchodonosor ? On peut hésiter. S’il s’agit de la première (opinion de Niebuhr et Freudenthal, op. cit., p. 59 suiv.), l’intervalle qui sépare la captivité des Israélites de la deuxième déportation des deux tribus serait de 133 ans, 6 mois, 10 jours ; cela concorderait non plus avec la Bible (137 ans), mais avec les calculs de Démétrios (apud Clément, Strom., I, p. 403), qui, depuis Sennachérib jusqu’à la dernière déportation, donne 128 ans, 6 mois, 10 jours. Or la captivité des Israélites est de la septième année d’Ézéchias, et l’invasion de Sennachérib eut lieu sept ans après : 128 + 7 = les 135 ans de Josèphe. Mais Destinon ne croit pas qu’après avoir suivi la Bible, Josèphe emprunte ici un calcul étranger et conclut plutôt à une inadvertance de sa part. On a déjà vu cependant que Josèphe ne se fait pas faute de suivre divers systèmes sans se soucier de les harmoniser.

[157] Daniel, I, 1.

[158] Daniel, I, 3.

[159] Le livre de Daniel ne le dit pas ; Aschpenaz, chef des eunuques, est seulement chargé de s’occuper des jeunes gens et de les instruire. Toutefois c’est l’opinion traditionnelle, fondée sur Isaïe, XXXIX, 7 : dans Sanhédrin, 93 b, Rab (fin du IIe siècle ap. J.-C.), commentant ce texte, dit que Daniel et ses compagnons étaient vraiment des eunuques. Cf. Séder Ella R., éd. Friedmann, ch. XXIV ; et Pirké de R. Eléizer, ch. LII, 52, qui le déduisent d’Isaïe, LVI, 4 suiv.

[160] Selon la Bible, des enfants de Juda.

[161] Mêmes noms que dans LXX. Hébreu : Belschaçar, Schadrac, Méschak Abed-Nego.

[162] Daniel, I, 8.

[163] Hébreu = le chef des eunuques s’appelle Aschpenaz ; l’homme à qui est confié le soin de leur entretien, Hamelçar (nom propre ou nom de fonction ?). Le premier Daniel grec appelle l’un Άσφανέζ, l’autre Άμελσάδ (Άμερσαρ). Le Daniel xατάς τούς O. appelle l’un et l’autre Άβιεσδρί. Aschanès de Josèphe est une mauvaise lecture de Άσφανέζ (φ lu comme χ).

[164] Le premier Daniel grec dit : άπό τών σπερμέτων, le deuxième a, comme Josèphe, όσπρίων.

[165] N’est pas dans la Bible.

[166] Daniel, II, 1.

[167] Dans la Bible, Daniel entre lui-même chez le roi.

[168] Détails imaginés par Josèphe.

[169] Daniel, II, 27.

[170] Dans la Bible, les pieds sont de fer et d’argile mélangés (v. 33). En ne parlant pas du tout d’argile, Josèphe altère considérablement le songe et l’interprétation.

[171] Autre divergence : l’argent ne représente qu’un roi dans la Bible. Josèphe étend aux bras ce qui est dit des pieds de fer et d’argile.

[172] Josèphe dit du fer ce que la Bible dit du cinquième royaume correspondant à la pierre : il entend donc sans doute par le fer l’empire romain. De là peut être la réticence, dans le texte qui suit, où il se défend de donner l’explication de la pierre symbolique, ne voulant pas, par prudence, traduire une prédiction annonçant la ruine de la puissance romaine par le Messie.

[173] Daniel, II, 46.

[174] Allusion au nom de Belachaçar (Baltazar) d’après Daniel, IV, 8, mais Josèphe oublie qu’il a déjà précédemment mentionné ce nom.

[175] Daniel, III, 1.

[176] Josèphe résume brièvement le récit biblique qui énumère les fonctionnaires invités et les instruments de musique qui devaient sonner, outre la trompette.

[177] Daniel, IV. Très résumé.

[178] Fr. Hist. græc., t. II, p. 606. Même texte C. Apion, I, c. 19.

[179] Lire τών βελτίστων (T. R.)

[180] Nous lisons (en supprimant les mots xαί άναγxάσας, qui proviennent d’une fausse lecture de άναxαινίσας) (εϊτα) πρός τό — άποστρέφοντας (ms. άναστρέφοντας)

[181] Muller cite le passage comme appartenant au IIe livre (δ’ = δευτέρα).

[182] Nous lisons ίουδαϊxαϊς au lieu de ίνδιxαϊς.

[183] Cf. Contre Apion, I, 20.

[184] II Rois, XXV, 27 ; Jérémie, LII, 31.

[185] Hébreu : Evilmérodach ; LXX (Jér.) : Ούλαιμαδάχαρ (Μαραδάχ) ; Niese : Άβιλμαθαδάχος.

[186] Le même qui est appelé plus haut Joachim.

[187] Ce qui suit a pour source Bérose, cité aussi au Contre Apion, I, 20, § 146 et suiv. ; mais il y a de fortes divergences entre les deux passages.

[188] D’après la citation du Contre Apion, Evilmardoch (= Abilamarodach) règne, non dix-huit, mais trois ans. Son successeur est Nériglissor, son beau-frère, non son fils, et son meurtrier.

[189] Dans Contre Apion, il règne quatre ans.

[190] Ou Labrosodach. Contre Apion : Laborosoarchod (Labasimardoch ?).

[191] Contre Apion : Nabonnède.

[192] Daniel, V, 1.

[193] Josèphe combine la donnée de Bérose, qui ne parle que de Cyrus, avec le texte biblique, qui ne nomme ici que Darius (v. 31). Il n’y avait plus de roi des Mèdes à cette époque.

[194] Daniel, V, 13.

[195] Josèphe semble oublier qu’il a déjà parlé de cette guerre un peu plus haut.

[196] Lequel ?

[197] Bible (Daniel, VI, 2) : 120 satrapes et trois ministres au-dessus d’eux. Josèphe a, comme on voit, triplé le chiffre des satrapies et confondu les ministres avec les satrapes.

[198] Daniel, VI, 4.

[199] Texte douteux.

[200] Le texte hébreu dit, au contraire, que les prières au roi étaient exceptées.

[201] Daniel, VI, 9.

[202] Les mots qui suivent (άλλά διά φυλαxήν xαί διατήρησιν ύπό τοΰ φθόνου) n’offrent aucun sens. Il y a ici une forte lacune.

[203] Ce qui suit n’est pas dans la Bible. Il y est dit seulement que les ennemis de Daniel furent jetés avec leurs familles dans la fosse et dévorés. Le raisonnement attribué à ces gens est de caractère midraschique. On trouve une anecdote analogue dans Midrash Tehilim (LXVI) (les ennemis de Daniel pensent que les lions n’avaient pas faim). Cf. aussi Sanhédrin, 39 a (R. Tanhoum, vainqueur du César dans une discussion, est jeté dans le bibar (vivarius), où les bêtes ne lui font aucun mal. Un Sadducéen prétend que les bêtes n’avaient pas faim. On le jette à son tour et il est dévoré).

[204] Daniel, VI, 25.

[205] La source de ce renseignement est étrangère à la Bible. Plusieurs constructions, de provenance inconnue, sont, en Orient, mises sous le nom de Nebi Daniel.

[206] Dans la tradition rabbinique, les avis sont partagés sur le caractère « prophétique » de Daniel. Les uns le citent à l’égal des prophètes. D’autres, tels que Hiyya b. Abba (selon d’autres, R. Yirmeya) (IIIe siècle), le comparant à Haggée, Zacharie et Maleachi, quoique lui accordant plus d’importance à certains égards, lui dénient la qualité de prophète (Meguilla, 3 a). D’ailleurs, la place de Daniel dans le canon hébraïque, parmi les Hagiographes, vient à l’appui de cette dernière opinion.

[207] Daniel, VII, 2. Les visions des bêtes du chap. VII ne sont pas reproduites par Josèphe.

[208] Ce détail n’est pas biblique.

[209] Dans la Bible, Daniel est seul, et c’est après qu’il a vu le bélier et la scène qui suit qu’un homme lui parle.

[210] La Bible dit : deux cornes.

[211] Dans la Bible, la grande corne existe déjà quand le bouc se rue sur le bélier.

[212] Bible : 2.300 soirs et matins ; mais plus loin, ch. XII, v. 11, la Bible donne le chiffre de 1.290 jours.

[213] Hébreu = Yavan.

[214] Résumé des derniers chapitres de Daniel (XI-XII). Le nombre des jours indiqués donne trois ans et demi et non trois ans.

livre IX             livre XI